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Citations de Abdellah Taïa (265)


La tristesse domine le monde. La scène. Les couleurs sont pourtant chaudes, éclatantes, violemment vivantes. Elles le seront tout le temps. On aura beau crier au scandale, ces couleurs ne changeront pas de ton, ne varieront pas. On sait qu’elles sont belles, qu’elles sont une célébration de la vie. On le sait. On le comprend et on est tristes. Dieu nous entend alors et nous rejoint dans notre tristesse infinie pour cet arbre coupé, enlevé, sans pieds. Dieu a pitié de nous. De lui.
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Il n’y a qu’elle, qu’Elle de vraie. La grande femme. La Berbère. La guerrière qui a combattu les Arabes, il y a des siècles, quand ils ont commencé à nous envahir, à nous obliger à changer de peau. Elle était la femme courage. La maligne. L’obstination. La liberté. La fierté. Notre déesse. Notre reine véritable. Notre Cléopâtre. Notre modèle à suivre. Tu la connais ? Tu la connais, n’est-ce pas ? Non ? Non ?
Tu dois la connaître. Demande autour de toi. Inspire-toi d’elle, de ses gestes, de sa fidélité à elle-même, à son corps, à son instinct. À son sexe.
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En guidant le zob de l’homme, en le dominant, tu serviras ton propre sexe. Tu auras des besoins. Tu sauras les satisfaire. Tu seras mauvaise aux yeux des autres. Et tellement épanouie au fond. Un soleil. Une lune. Une étoile. L’étoile.
Je le souhaite de tout cœur.
La vie est traîtresse, je le sais. Dieu est absent, nous le savons, toi et moi.
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L’homme ne connaît pas son zob, cette extrémité qui le dépasse, le démange, le dérange. C’est un être à part, le zob. Tu dois nouer avec lui un dialogue qui exclut en secret l’homme. Tu dois inventer un langage pour chaque zob, des gestes, des murmures, des regards, des façons d’être pour l’approcher, l’amadouer, le saisir, le mener jusqu’au bout de la nuit et de ses plaisirs. Le marié aura aussi, très souvent, peur. N’oublie pas la tendresse. Regarde-le tendre. Sans mollesse. Il en sera touché, reconnaissant. Il te laissera le prendre, le dompter, l’agrandir, le nourrir, lui faire goûter la salive, le sel, le sucre, le miel, la forêt, le sang. Son propre lait.
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Les hommes n’arrivent jamais à bander cette nuit-là. Ne t’inquiète surtout pas. Je te donne une technique simple et efficace pour les aider à avoir l’érection plus que nécessaire pour réussir dans ta mission. Si les mots sexuels ne suffisent pas, si tes yeux et tes fesses ne servent à rien, alors, ma fille courageuse, sans rien lui demander, tu mettras un doigt dans le trou du cul du marié.
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Les femmes sont cruelles. Je le sais. Je ne le sais que trop bien. Elles ne m’ont jamais aimée. Je les ai aidées tant et tant de fois. Elles m’ont toujours tourné le dos, ignorée, insultée même.
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La mariée doit être vierge. C’est ainsi. Ce n’est pas le moment de discuter. Ce n’est pas ton rôle de remettre cela en question. Le sang doit couler. On n’attend que cela. La preuve de cette pureté fictive.
C’est ta responsabilité.
Tu devras tricher. Demander au mari de fermer les yeux. Lui expliquer ce qui est réellement important. Lui promettre mille plaisirs. Ce n’est pas la fin du monde. Le sang peut couler de partout. La cuisse, le bras. Les mollets. Il faut se préparer à tricher, sans hésiter. Et, presque tout le temps, tu auras à le faire.
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Tu feras du bien, ma fille. Ils te donneront de l’argent, te souriront, et, dès que tu seras partie, ils te maudiront.
Ce n’est pas grave.
Ce n’est pas du tout grave.
Je ne mourrai pas. Par toi je continuerai à circuler ici-bas.
Tu prendras les zobs dans tes mains. Tu ouvriras les vagins grand.
Et, pour cela, il faudra que tu parles.
Voilà comment j’ai fait.
Voilà comment tu feras.
Tu seras la seule personne admise dans la chambre des mariés. C’est la nuit de noces. À l’extérieur tout le monde est à la fête. On danse, on boit, on chante, on entre en transe facilement. Tout est débordement. Presque personne au sein des deux familles ne sait que tu es là, sur le même lit que le couple qui s’apprête à s’unir. C’est toi qui vas les unir. Mettre un sexe dans l’autre. Pour la première fois. Lui, il n’arrivera pas à bander. Elle… elle sera pétrifiée et elle ne voudra pas enlever ses vêtements. Tu devras exciter le premier par les mots sales, sauvages, de la rue.
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Tu feras comme moi. Tu aideras les hommes et les femmes. Tu les feras se rencontrer enfin. Tu les introduiras l’un dans l’autre.
Je te l’ai dit tout à l’heure.
Les hommes ne savent rien.
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Le petit trésor que je te laisse n’est pas énorme. Une ceinture. Dix louises. Une chaîne et sa khamssa. Tout est en or. Fais-en ce que tu veux. Cela t’aidera à t’installer, à acheter une petite maison dans la vieille ville. Tu seras protégée un moment. Un an. Deux ans peut-être.
Tu as maintenant 16 ans.
Tu auras vite 18 ans.
Tu n’es pas belle.
À Azemmour tu le seras.
Je ne veux pas que tu deviennes une petite bonne, une esclave, une mendiante. Tu n’auras pas besoin d’eux. Les autres. Ils viendront jusqu’à toi. Ils chercheront ton savoir, tes gestes, ta bénédiction. Aucun mariage ne se fera sans toi, ma fille.
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Tu l’écouteras, Slima.
Tu suivras ses ordres, ma fille.
Et, pour une fois, tu ouvriras la bouche. Tu parleras. Non. Tu chanteras. Tu passeras par le même chemin, la même langue que lui, que moi, que nous tous.
Berbères. C’est ce que nous sommes. Berbères. Tu verras. Tu te réveilleras. Berbères depuis toujours et pour toujours.
Tu auras deux tombes à Azemmour. Et il y aura le saint. Sidi Moulay Bouchaïb.
Ce sera ta famille. Agrandie.
N’oublie pas de t’occuper de nous.
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Les mots en berbère ramenaient le bébé à des ancêtres dont j’ignorais tout et qui allaient désormais tout lui apprendre. Le guider. S’occuper de lui à ma place. Le guérir. L’aimer. Lui parler dans la première langue. Le berbère. Perdu. Oublié. Négligé. Écrasé. Caché. Mais toujours vrai.
Avant l’Arabe il y a le Berbère. Avant le Maroc, il y a l’Amazigh.
Je ne me souviens pas de l’avoir couvert de terre, le petit bébé. J’étais absente quand cela s’est passé. Ce n’est pas moi qui l’ai fait. J’en suis sûre. Sûre.
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Ma sœur avait refusé de m’accueillir à Casablanca. Il fallait que j’aille ailleurs. Où ? Mes pieds m’ont guidée à Azemmour.
Je me suis cachée un peu plus d’un an dans cette ville. Le temps de mener à terme ma grossesse. J’aurais pu avorter. Je sais comment faire. J’ai aidé tant de femmes à faire cela. Mais je ne voulais pas. Cet enfant était le fruit de l’amour. Il venait de l’homme que j’aimais passionnément, follement encore. Il fallait le garder.
Azemmour m’a accueillie sans me juger, sans me traiter comme une mécréante.
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Il n’a pas pu aller contre sa famille. Il s’est révélé faible, craintif, passif malgré son sexe digne de celui d’un âne. Je suis partie sans rien réclamer, sans le diminuer, le blesser. Je l’aimais sincèrement, au fond. J’ai pris son nom. Tadlaoui. De Tadla. Notre terre à lui et moi.
Je me suis donnée à lui. Je me suis ouverte à lui. Corps. Cœur. Âme. Tout en moi est à lui. Vivant. Mort. Je veux rencontrer Dieu et retrouver l’homme aimé comme je le souhaite moi, pas comme les autres décideront.
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Ma fille. Je veux que tu vives là-bas. Que tu boives cette eau. Que tu nages dans le Oum Rbii. Que tu retrouves mes traces. Que tu continues mon histoire. Que tu me rendes justice. Je ne suis pas une mauvaise femme.
N’est-ce pas ?
N’est-ce pas, ma petite fille tendre ?
À Azemmour, tu seras inconnue, étrangère, comme je l’ai été moi aussi au départ. Tu inventeras ta liberté. Ils n’oseront pas cracher sur toi.
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Je n’ai rien choisi, moi. Ce destin, je m’y suis trouvée. Je n’ai fait que l’assumer. On m’a poussée vers ça, vers ce métier d’un autre temps. Je suis peut-être une des dernières représentantes de ce genre de femmes qui aident, la première nuit, les couples à s’unir. Après moi, il n’y aura que toi, ma fille.
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Le monde m’a toujours donné une autre image de moi-même. Je suis perverse. La vieille perverse dont tout le monde a besoin. Un peu sorcière. Un peu médecin. Un peu pute. La spécialiste du sexe.
Ils sont tous venus vers moi pour que je les aide et ils m’ont tous reniée. C’est comme ça. Je le sais depuis le début. L’ingratitude est la première qualité des hommes. Et des femmes. Je suis quand même un peu surprise. Ils se sont tous écartés de mon chemin. D’un seul coup. Ils ont dit que je n’étais plus une bonne musulmane. Qu’est-ce qu’ils en savent ? L’islam, je le connais mieux que tout le monde. Dieu, je Lui parle directement, pas besoin d’intermédiaire. Eux, ils ne connaissent rien à rien.
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Je dois parler. Négocier. Trafiquer. Les embobiner. Les charmer. Détourner leur attention. Les voler. Les sucer, peut-être. Leur donner mon derrière parfois s’il le faut. Cacher ma pureté, mon Dieu. Taire notre lien secret. Qui tu es. Qui je suis. Notre chemin dans l’ombre. Notre projet. Le voyage nocturne.
Je vais faire tout cela, maman.
C’est moi l’homme désormais.
J’ai un sexe d’homme. Il se révèle. Il avance. Il n’a plus peur.
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La liberté à tes côtés ne leur convient pas. Elle leur fait peur. Ils ne savent pas jouer. Ils ne veulent plus se laisser aller. Ils ne m’aiment pas. À part le muezzin et le fonctionnaire de la poste, aucun d’eux ne m’a jamais regardé.
Il faut partir. Maman. Maman Slima. On doit quitter ce monde.
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Je ne te quitterai jamais. Nous irons ensemble jusqu’au bout. Chanter et danser. Aimer et dormir. Manger encore malgré tout. Ensemble jusqu’à Dieu. Jusqu’à la Nuit dernière. Jusqu’au paradis. Nous gravirons les marches du ciel. Je t’aiderai. Je te porterai. Vieille, je serai encore là pour toi. Même rejetée des autres, de tous. Je parlerai à Dieu : Il nous pardonnera. Dieu nous accepte déjà comme on est. Il nous a faits comme ça. Dans cet état. Dans cette situation. Nous acceptons Ses décisions. Nous écoutons Sa voix. Tu L’entends, toi aussi, n’est-ce pas ?
Chaque nuit, Il me dit de veiller sur toi.
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