Alaa El Aswany

La plus grande partie des égyptiens est satisfaite de la répression. Ils acceptent la corruption et y participent. La bataille, nous l’avons perdue, non pas par absence de courage, mais parce que les égyptiens nous ont laissé tomber. Notre grande révolution était un sursaut. C’était un changement soudain dans la trajectoire des gènes égyptiens, ensuite, tout est rapidement revenu à sa nature première, et nous nous sommes retrouvés hors jeu, bannis. Personne ne voulait plus de nous, personne n’avait plus de sympathie pour nous, et tout le monde nous considérait comme la cause de tous les maux. Ils ne sauront jamais que la révolution était leur seule chance de justice et de liberté, mais ils l’ont anéantie de leurs propres mains lorsqu’ils nous ont abandonnés. Ils ne comprennent absolument pas que nous préférions la dignité et la liberté à la vie même, tandis qu’eux sont prêts à renoncer à leur dignité et leur liberté pour une bouchée de pain. Ils sont prêts à se laisser écraser par n’importe quel pouvoir à condition d’avoir de quoi vivre et élever leurs enfants.

Ecoute-moi, ma fille. Tu es une femme musulmane qui respecte la loi de Notre-Seigneur et Notre-Seigneur, qu'il soit glorifié et exalté, a ordonné à la femme d'obéir à son mari en toutes choses, en ce bas monde, au point que l'Elu - prière et salut de Dieu sur lui - a dit dans un hadith authentique : "S'il appartenait à une créature de se prosterner devant une autre créature semblable à elle, alors j'aurais donné l'ordre à la femme de se prosterner devant son mari." Parole du Prophète.

- Je n'arriverai jamais à comprendre votre génération. De mon temps, la nation était comme la religion. De nombreux jeunes sont morts en luttant contre les Anglais.
- Vous faisiez des manifestations pour chasser les Anglais. Eh bien, ils sont partis! ça veut dire que le pays va mieux maintenant?
- La cause de la décadence du pays, c'est l'absence de démocratie. S'il y avait un véritable régime démocratique, l'Egypte serait une grande puissance. La malédiction de l'Egypte, c'est la dictature. La dictature amène immanquablement la pauvreté, la corruption et l'échec dans tous les domaines.
(dialogue entre Boussaïna et Zaki)

Souvent, Saddam Hussein força des membres du parti Baas à exécuter eux-mêmes leurs collègues condamnés. Cela se passait de la façon suivante : l’homme condamné était enchaîné et avait un bandeau sur les yeux. Il était debout et en face de lui se tenait un membre du parti Baas, un revolver à la main. Derrière le membre du parti se tenait un soldat qui visait les deux hommes. Le soldat ordonnait au membre du parti de tirer sur son collègue et, s’il hésitait ou refusait, le soldat exécutait les deux hommes. De cette façon, les membres du parti Baas participaient au meurtre de leurs collègues.

La plupart des juristes de l’islam considèrent que le témoignage d’un non-croyant (non musulman) est inacceptable dans un procès contre un musulman parce que la “personne inférieure” (le non-croyant) ne peut pas être témoin contre son supérieur (le croyant). Qui plus est, ils considèrent que l’islam interdit d’appliquer la peine de mort à un musulman qui a tué un non-croyant, parce que l’âme d’un musulman ne peut pas être comparée à celle d’un non-croyant.

Le professeur de chimie était un musulman barbu qui avait sur le front la marque de la prière, la zebiba – autre signe extérieur de sa piété. Lors du premier cours, il discuta de la matière qu’il allait enseigner. En entrant dans le hall le jour de son deuxième cours, il saisit un micro et appela un étudiant. Lorsque nous lui dîmes qu’il était absent, le professeur déclara : “Je sais que ce garçon est un communiste. Quand vous le verrez, dites-lui qu’il est collé en chimie. Je le ferai échouer, ainsi que n’importe lequel d’entre vous dont je découvrirai qu’il est communiste.”

"Le rôle des organes d’information nationaux est de mettre en valeur les réalisations de l’État, de répandre l’espoir et de maintenir le moral des citoyens. Si les médias se comportaient d’une autre façon, ils ne seraient rien d’autre qu’un outil de destruction de l’État, ce que nous ne permettrons jamais. "
(Abdel Fattah el-Sissi, président égyptien)

Le pire méfait de la dictature est de détruire toutes les règles de droiture d’une société, en sorte que les actions n’y conduisent plus nécessairement à leur conséquence logique. Dire la vérité ne conduit pas toujours à ce qu’on respecte ceux qui la disent et mentir n’amène pas toujours à ce qu’on méprise ceux qui mentent. Enfreindre la loi n’est pas toujours suivi d’une sanction et agir dans le cadre de la loi ne protège absolument pas contre les ennuis. L’intelligence, les études et le travail sérieux ne sont pas nécessairement les chemins qui mènent au succès et à la réussite.

S’efforçant de se donner l’apparence d’un chef plein de compassion pour son peuple, y compris les jeunes enfants, le dictateur irakien Saddam Hussein (1937-2006) visita un jour une école. Il faisait le tour des enfants et bavardait avec eux lorsqu’il arriva près d’un petit garçon. Le dictateur posa la main sur sa tête et lui demanda :
— Sais-tu qui je suis ?
L’enfant répondit naïvement :
— Oui, je vous ai vu à la télévision et quand mon père vous voit il crache sur l’écran.
Les gardes de Saddam Hussein se firent immédiatement donner l’adresse du garçon. Ils arrêtèrent le père et deux jours après l’homme mourait sous l’affreuse torture à laquelle il fut soumis.

Les Égyptiens pour lesquels nous avons combattu, pour les droits desquels certains d’entre nous ont perdu leurs yeux et pour lesquels sont morts des milliers d’entre nous, ces Égyptiens ont applaudi lorsqu’ils ont vu que l’on nous arrêtait, que l’on nous tuait, que l’on nous outrageait, et ils ont encouragé le massacre avec enthousiasme. À partir d’aujourd’hui je ne me sacrifierai plus pour ces gens à cause d’une raison simple : parce qu’ils ne méritent pas mon sacrifice. Ils aiment le bâton du dictateur et ils ne comprennent aucune autre façon de se comporter avec eux.

— La loi, ce sont les commandements de Dieu, et la jurisprudence religieuse, c’est la façon d’appliquer ces commandements. La loi est divine tandis que la jurisprudence est un effort de réflexion humain. On ne peut donc pas appliquer les paroles de docteurs en jurisprudence religieuse qui ont vécu il y a des siècles. Il faut que nous adoptions une nouvelle jurisprudence en adéquation avec notre époque.

Je crois que personne n’aimerait que son fils ou son frère soit torturé dans un commissariat.
— Les policiers frappent seulement les criminels.
— Même si ce sont des criminels, ils n’ont pas le droit de les frapper.
— Alors qu’est-ce qu’on fait ? On leur distribue des chocolats ?
— Non, on les juge selon la loi.
— La loi chez nous découle du droit français et elle ne convient pas à notre pays. Si nous l’appliquions à la lettre, pas un seul criminel n’avouerait.

La culture égyptienne, nous l’avons héritée des pharaons. C’est une culture de docilité à l’égard du pharaon. Jusqu’au dix-neuvième siècle, le paysan égyptien était fier de sa capacité à supporter le fouet pour ne pas payer d’impôts. Ajoute à cela que la culture musulmane te prédispose à la dictature. L’islam t’ordonne d’obéir au détenteur musulman du pouvoir, même s’il fouette ton dos et vole ton bien. Le peuple égyptien aime le héros despotique et se sent en sécurité lorsqu’il subit un dictateur.

Les musulmans font face à un grand complot qui vise à les éloigner de leur religion. Faites attention, mes frères, et méfiez-vous des pièges des chrétiens, adorateurs de la croix, des juifs petits-fils des singes et des porcs, et des laïques qui portent des noms musulmans et vivent parmi nous mais nous poignardent dans le dos. Ces laïques, quelles que soient leurs tendances et les sources auxquelles ils s’abreuvent – libéraux, communistes, socialistes –, sont tous, comme des animaux, dépourvus de dignité, congénitalement pervers, esclaves de leur lubricité. Dieu m’est témoin que parmi les animaux il y en a même qui connaissent mieux la pudeur que ces violeurs, défenseurs des perversions sexuelles et du sexe collectif – que Dieu nous préserve.

À ce moment-là, le général déclare d’un ton résolu :
— La société Zemzem vous a présenté une demande d’attribution d’un terrain. Cette société appartient à mon beau-frère. Hadj Nasser Talima. Le service que vous pouvez me rendre, monsieur le gouverneur, c’est de traiter Hadj Nasser comme tous les autres entrepreneurs. S’il vous plaît, appliquez la loi sans faire de faveur.
...
Après cela, lorsque le terrain était concédé à la société Zemzem, le général Alouani ne ressentait aucun embarras. Il s’était adressé au responsable pour lui demander de ne pas lui accorder de faveur. Que pouvait-il faire de plus ?

Son corps s’est tellement avachi et rempli de graisse qu’elle pèse plus de cent vingt kilos. Elle a un ventre énorme en forme de demi-cercle, protubérant au niveau du nombril et se rétrécissant vers le bas, sur lequel pendent deux seins fatigués. Ce ventre unique en son genre, presque masculin, serait capable d’annihiler définitivement le désir sexuel du général Alouani sans les films pornographiques auxquels il a recours pour exciter son imagination. Son Excellence a dit une fois à ses amis :
— Si tu te trouves obligé de manger pendant trente ans le même plat, tu ne peux pas le supporter sans lui ajouter quelques épices.

C'est comme cela que je me perçois maintenant. J'ai pris conscience de la vérité, je l'ai tenue entre mes mains et j'ai été condamné à la solitude.

Je regarde parfois la télévision et je suis abasourdi quand je vois de quelle façon effrayante ils trompent le peuple.. Tous les jours ils fabriquent un nouveau mensonge pour convaincre les gens que la révolution est un complot. Sais-tu que les chaînes privées ouvertes par des hommes d'affaires perdent des millions? Pourquoi un homme d'affaires ouvre-t-il une chaîne de télévision dont il sait qu'elle va réaliser des pertes sinon pour faire avorter la révolution ? Il sait que si elle arrivait au pouvoir, il risquerait de perdre toute sa fortune, et le plus probable est qu'il serait jugé pour ses crimes et jeté en prison.
p 418

Je vais vous parler avec franchise. Notre peuple est ignorant et ses idées sont arriérées. La plupart des Egyptiens ne savent pas penser par eux-mêmes. Notre peuple est comme un enfant. Si nous le laissons choisir par lui-même, il se fera mal. Le rôle de l'information en Egypte est différent de ce qu'il est dans les pays développés. Votre mission, en tant que professionnels des médias, est de penser à la place du peuple. Votre mission est de fabriquer les cerveaux des Egyptiens et de former leurs idées. Après une période de mise en condition efficace, les gens considéreront que ce que disent les médias est vrai. Si vous dîtes qu'untel est un voleur, et bien il devient un voleur.
p 406

Notre mission n'est pas de convaincre qui que ce soit. Notre mission est de faire connaître la vérité et de laisser les gens face à leur conscience. p.459