Citations de Alain Bentolila (39)
Ou bien on considère que l'insertion constitue un enjeu social prioritaire et il faut alors que ce processus prenne en compte la question de l'illettrisme avec sérieux, rigueur et opiniâtreté ; ou bien l'insertion n'est qu'un mot d'appel et d'exhortation rejoignant dans les mêmes discours convenus les concepts de solidarité, de cohésion nationale, d'égalité des chances...
Pour l’application sur la grille d’un collège du logotype départemental des cœurs vendéens entrelacés surmontés d’une couronne portant une croix, la justice française arrêta en 1999 qu’il s’agissait d’un repère historique stylisé (cultuel et non cultuel), ne contrevenant donc pas à la laïcité du bâtiment (page 120)
Cet ouvrage a l'ambition de permettre à tous d'accéder directement à la forme conjuguée, au temps et au mode désirés, de tout verbe de la langue française.
Jour après jour, la télévision formate les cerveaux des plus fragiles, les rendant souvent, à des moments clés de leur apprentissage, sémiologiquement réfractaires à la lecture, à l'écriture et à toutes formes d'heureux labeur intellectuel.
Il s'agit là de faire maîtriser, pour mieux le dépasser, le codage phonographique qui gère les relations entre le code oral et le code écrit. La technique de lecture proposée vise, quant à elle, la mise en place des premiers gestes mentaux du lecteur efficace (...)
Gammes de syllabes ou de combinaisons de syllabes.
Elles sont toujours proposées en binômes et jouent résolument les oppositions ou les proximités phoniques et graphiques, les rimes et les rythmes. Elles constituent un entraînement à la maîtrise de la combinatoire.
(Du pur madame Jargonos !)
Nous sommes devenus cons parce que nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens.
Lire à l'enfant, c'est au contraire éveiller son intelligence ; appeler son imagination à négocier avec les directives de l'auteur.
Si l'on veut que dans la « culture familiale » la téléréalité ne soit pas le seul paradigme commun, il faut tenter de créer un continuum culturel entre l'école et la maison.
Ouvrir un livre, c'est ne pas savoir ce que l'on va y découvrir; c'est gagner un peu d'imprévisibilité à la sueur de son front.
Ils clament a qui veut l'entendre que tous les langages sont égaux alors que certains livrent les clés du monde et que d'autres ferment les portes du ghetto.
Messages de la communion plutôt que de la communication , messages de la ressemblance plutôt que de la différence, messages de l'image plutôt que du concept, les SMS condamnent ceux dont ils constituent le seul instrument d'écriture à renoncer à mettre en mots écrits leur propre pensée a l'intention de ceux qui ne partagent pas leurs usages, leurs habitudes ou leurs croyances. Le langage SMS renforce l'entre-soi et semble donc plus un facteur excluant et enfermant, qu'une source contemporaine d'intégration, de création et d'ouverture.
Je suis intimement persuadé que la parole et l’écriture sont la seule vraie réponse, le seul remède honorable contre le doute fondamental qui taraude notre esprit : qu’est-ce qui fait que je suis moi et pas seulement un système complexe de cellules, un agencement astucieux d’organes ? Je suis celui qui dit et qui écrit, en disant et en écrivant, laisse dans l’intelligence de l’Autre une trace qui, pour être maladroite et sans réelle beauté, est une preuve tangible de mon existence. Je suis celui qui a entendu l’Autre, celui qui l’a lu ; et ces traces laissées dans ma propre pensée ont fait ma singularité et ma cohérence.
On ne peut pas condamner un enfant de 2 ans à ne voir sa mère qu’une heure à peine par jour pendant la semaine ; on ne peut pas condamner une mère à laisser toute la journée son enfant à des gens qui n’auront que peu de temps à lui consacrer. Il est bien beau de parler de parité, mais, si cette juste cause n’est pas portée par des mesures qui garantissent aux femmes un équilibre serein entre maternité et responsabilité professionnelle, elle restera un simple mot d’ordre et cachera mal une très profonde injustice.
La violence est l’inéluctable conséquence de l’incapacité de mettre en mots sa pensée en y mettant de l’ordre ; seuls les mots organisés apaisent en effet une pensée sans cela chaotique, tumultueuse, qui se heurte aux parois d’un crâne jusqu’à l’insupportable et qui finit par exploser dans un acte incontrôlé de violence. Le flux contrôlé des mots, la succession tranquille des phrases diffèrent le passage à l’acte ; ils donnent une chance à deux intelligences d’en rester aux mots plutôt que d’en venir aux mains.
Peut-on croire que quelques changements dans les programmes pourront former les esprits de tous les élèves à la critique ? Peut-on encore croire que quelques changements dans les rythmes scolaires feront de tous les élèves de futurs citoyens résistants à la manipulation ? Peut-on croire enfin que la distribution de tablettes numériques donnera à tous clarté d'analyse et fermeté de questionnement face aux propositions dangereuses ?
nos enfants pourront ils construire un monde un peu meilleur que le notre
Toutes les langues ont la même ambition : permettre à l’homme d’être l’interprète du monde, et non d’en être le miroir fidèle ; par la parole, l’homme est du côté des créateurs, et non des créatures. Le monde parlé n’est pas le monde perçu : c’est le monde transformé par le pouvoir de l’intelligence humaine ; c’est un monde que l’homme soumet à l’autorité de sa pensée.
L’humain commence au moment où des êtres vivants décident collectivement d’imposer par le verbe leur pensée au monde ; le jour où, ne se contentant plus de dire le monde qu’ils perçoivent, ils se donnent l’ambition de l’interpréter, de le transformer et surtout de créer d’autres mondes par la force du verbe. L’humain commence à l’aube de la bataille engagée pour dépasser les contraintes de l’espace et du temps ; le jour où s’ouvre le paradigme du futur et du passé ; le jour enfin où cet être vivant et mortel ose dire l’infini et l’éternel. Être ici et dire l’ailleurs, être maintenant et dire « demain », « hier » ou … « peut-être » ; être ici et maintenant et dire « partout » et « toujours » : tel est l’extraordinaire pouvoir du verbe humain.
Comprendre, c’est fabriquer de l’intime avec du conventionnel. (…) Comprendre, c’est ainsi répondre à une sollicitation extérieure, exprimée sur le mode conventionnel, par la construction d’une représentation qui n’appartient qu’à moi. La même phrase déclenchera autant de représentations qu’il y aura d’interlocuteurs, et, cependant, toutes ces représentations, aussi différentes soient elles, auront plus de choses en commun entre elles qu’avec celles qu’aurait déclenchées une autre phrase. C’est là la dimension paradoxale de la communication : nous avons à interpréter, au plus profond de nous-mêmes, la partition d’un autre.
Un enfant n’apprend pas le langage en grandissant ; c’est au contraire le langage qui le fait grandir. (…) Je dirais volontiers qu’un enfant, lorsqu’il conquiert le langage, reproduit en quelques années le parcours que les premiers « hommes parleurs » ont mis infiniment de temps à tracer. Ce sont dans leurs pas qu’il met les siens, ce sont les mêmes impasses dont il s’échappe, c’est la même ambition qui le porte. Chaque enfant, balbutiant ses premiers mots, célèbre le projet de l’homme d’imposer par le verbe sa pensée au monde. Créateur bien plus qu’imitateur, découvreur plutôt que suiveur, il construit sa langue et ne reproduit pas celle des autres. Bien sûr, il s’appuie sur le modèle d’une langue constituée mais, ce modèle, il ne le décalque pas, il le comprend dans ses finalités et ses mécanismes. Il n’obéit pas servilement à une programmation génétique, il répond à l’appel ancestral du verbe.