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Citations de Alexandra David-Néel (391)


Qu'entend-on par « proche » ou « distance incalculable » ? Ces termes ne signifient rien en eux-mêmes ; loin ou près ne peuvent signifier que loin ou proche de quelque chose, mille ans ou hier ne peuvent être que mille ans ou hier par rapport à quelque chose.
Y a-t-il une raison de s'attarder à discuter de ce genre de problèmes?
Les Maîtres qui inculquent les Enseignements Secrets ne le pensent pas. Ces discusions, comme d'autres semblables, peuvent être utiles comme gymnastique mentale, utiles pour rendre l'esprit souple, mais elles n'ont aucune utilité car les objets qui fournissent le sujet sur lequel notre intelligence mentale s'exerce n'ont pas d'existence réelle.
Ce qu'il faut comprendre c'est que les théories et doctrines de toutes sortes sont la fabrication de notre esprit.
Il est capable de fabriquer certains d'entre eux diamétralement opposés l'un à l'autre et l'un ne sera ni plus vrai ni moins vrai que l'autre parce qu'ils sont tous basés sur des perceptions fausses ou, au mieux, sur des perceptions relatives qui n'ont de valeur que pour un obser placés là où nous sommes, et de telles perceptions n'ont pas de réalité absolue.
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Il me parut raisonnable de choisir les chemins inexplorés.
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Comme le scintillement des étoiles, une lampe, un mirage, une goutte de
rosée, une bulle d'eau, un rêve, un éclair, un nuage, ainsi faut-il regarder
(comprendre) tout ce qui est composé (le monde fait d'agrégats).
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''Comment peux-tu te vanter et dire: je vois tout, je sais tout?
Tu es encore aveugle, tu prends l'obscurité pour lumière et la lumière pour obscurité.''
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Pour les Bouddhistes, ce que nous appelons une personne, un individu, n'est pas une unité, mais un groupe.

Les Théravadins du Hinayâna voyaient ce groupe comme composé par la forme, la sensation, la perception, les confections mentales (idées, etc...) et la conscience (l'acte de prendre conscience).

Dans les développements ultérieurs du Mahâyâna, chacun de ces cinq éléments est tenu pour être, lui-même, un composé, un groupe.

Ainsi, les rencontres de causes sont, véritablement, les chocs de foules.
De part et d'autre, les éléments composant ces foules se heurtent, s'amalgament ou se combattent. Le « moi » multiple est un champ de bataille; certains éléments sympathisent avec d'autres éléments tandis que d'autres se montrent réfractaires ou hostiles aux influences qui les pressent.

Où donc s'arrête le morcellement intime de chacun des membres de ces foules? - En est-il un seul qui puisse revendiquer raisonnablement le caractère d'ego, affirmer qu'il est lui, sans alliage, lui, autogène et absolument homogène ? - Lequel, parmi cette foule hybride, composée de membres formés d'éléments hybrides, portant, en eux, des ascendances hybrides, pourrait dire Moi et affirmer sa liberté ?
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À ce sujet, Vasubandhu dit dans I'Abhidharmakosha:

''Le nombre des causes qui ont collaboré à la production d'un seul des yeux scintillants imprimés sur la queue d'un paon sont hors de l'étendue de notre connaissance.''
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Il a déjà fait un pas dans l’au-delà de la Connaissance, celui qui comprend le caractère relatif de celle-ci, et qui tout en ayant constaté, réalisé cette relativité fait un judicieux usage des connaissances qu’il possède, en étend continuellement le champ et l’efficience en vue de dissiper toujours davantage d’ignorance, d’élever des obstacles de plus en plus solides en face des œuvres néfastes résultant de l’ignorance et, par là même, de barrer la route à la souffrance des êtres.
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Nous devons comprendre que l’existence du monde du « relatif » n’est pas niée au profit du Vide. Tous deux existent par rapport l’un à l’autre. En fait, ils sont une même chose. D’où cette déclaration des adeptes de la doctrine de la Prâjñapâramitâ. Ce monde (samsâra) et le nirvâna ne sont pas deux choses opposées, mais une même chose. Tous deux, toutes nos idées, nos conceptions quelles qu’elles soient, sont des images de rêve, conclura cette doctrine du « par-delà » qui a examiné toutes nos conceptions et les a vues se dissocier dans le Vide. Mais le rêve existe et la souffrance est ressentie. Il faut la supprimer ; c’est pourquoi les Bouddhistes tibétains accouplent continuellement les termes Vide et Compassion qui prennent chez eux le caractère d’une injonction. Dans le Vide, c’est-à-dire dans l’instable, dans le samsâra, se meut le tourbillon douloureux des êtres et des choses. Ayez compassion les uns des autres.
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Certains déclarent plus simplement que la réalisation du Vide, de l’inconcevable Cela, montre les êtres errants dans l’incompréhensible univers produit par leur imagination ; aveugles tâtonnant dans les ténèbres, s’entre-heurtant et se faisant mutuellement souffrir. Le Bodhisatva que la méditation a conduit à une vue claire de ce drame sent, naturellement, surgir en lui, une pitié infinie pour le sort lamentable de ceux au sujet de qui il a été dit.
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Vide signifie, premièrement, dénué d’ego. L’individu (kang zag) est un groupe d’éléments momentanément réunis, prompts à se dissocier, qui ne comprend aucun noyau stable. Cette description, ce vide, s’applique à toutes les choses. Toutes sont des tourbillons instables produits par l’énergie développée par d’autres éléments également instables.
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Or, en vérité, il n’y a ni « possesseur », ni chose possédée.
Le donneur n’est qu’un agrégat transitoire d’éléments mu par l’action de forces, également momentanées. Il est l’intermédiaire par lequel de multiples causes enchevêtrées opèrent le transfert à un autre groupe d’éléments (que nous dénommons un individu) d’objets tout aussi inconsistants.
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Toujours à la suite du Bouddha qui, dès le début de sa prédication a mis ses auditeurs en garde contre les samskâras (les confections mentales) les Maîtres du haut enseignement spirituel, au Tibet, exhortent, également, leurs disciples à rechercher les Vues justes, correctes, à réaliser que le drame du monde se passe, non au-dehors de nous, mais en nous, et, comme le chante l’ascète poète Milarespa, « surgit de notre esprit et s’y réengloutit ».
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Les enseignements secrets reflétés dans les discours attribués à Srong bstan Gampo contredisent cette opinion. D’après eux, le Vide originel (ji ka dag) est le mode inconcevable de l’esprit existant avant qu’une énergie autogène (tsal lén doup) y ait fait surgir les samskâras (confections mentales) créateurs des images qui constituent notre monde. C’est dans ce vide de l’esprit, comparable au vide de l’espace, que naissent, se meuvent et disparaissent tous les phénomènes perçus par nos sens, phénomènes que nous considérons à tort comme un spectacle se déroulant hors de nous tandis qu’il n’existe qu’en nous. Au cours des prédications du roi, les dix-huit sortes de vide énumérées dans les ouvrages philosophiques sont expliquées en relation avec le Vide de l’esprit originel. En substance, il nous est dit : L’esprit est comparable à l’espace ; comme l’espace, il n’a ni intérieur, ni extérieur ; dans ses profondeurs on ne rencontre que le vide. Les notions de continuité ou de discontinuité ne peuvent être appliquées à l’esprit ; il leur échappe, pareil à l’espace que l’on ne peut concevoir ni comme limité, ni comme infini. Il est impossible de découvrir un lieu où l’esprit naît, un lieu où il réside par la suite, un lieu où il cesse d’exister. Pareil à l’espace, l’esprit est vide dans les trois temps (passé, présent, futur). Dans l’espace, nous voyons surgir et s’évanouir des nuages sans que nous puissions leur assigner une demeure d’où ils émergent et où ils rentrent. Dans l’espace, nous voyons briller le soleil, la lune, les planètes, les étoiles, mais qu’est l’espace lui-même ?… L’essence de l’espace, sa nature propre, l’espace en soi sont au-delà de toute expression, de toute imagination. De même en est-il de l’esprit originel, vide d’essence propre, de qualités propres : insaisissable. Les « par-delà » sont, eux aussi, expliqués en relation avec le Vide. Passer au-delà de la Connaissance signifie replonger l’esprit dans son monde vierge originel qui, pareil à l’espace, peut tout contenir parce qu’il est vide. Comme conclusion à ces dissertations, la vanité des doctrines et des méthodes qui se présentent comme étant propres à nous élever au-dessus de notre monde relatif, est dénoncée. Notre monde est limité, mais ses limites ne nous sont point perceptibles et, à notre échelle, il est pratiquement infini. Plus nous le meublons de façon compacte à l’aide de théories, d’opinions, d’imaginations, plus celles-ci, agissant comme des liens, nous enserrent et nous retiennent prisonniers. Le « passer par-delà », la « non activité » sont des moyens de nous désencombrer mentalement. En fait, nous n’avons rien à faire, il s’agit de défaire, de déblayer le terrain de notre esprit, de le rendre autant que possible, net, vide. Vide est, ici, pour nous, synonyme d’affranchissement.
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Le monde relatif n’est guère distant du monde imaginaire puisque, comme il a été dit, l’erreur et l’illusion y règnent. Ce qui nous parait rond peut être en fait, carré, et ainsi de suite. La plupart des hommes ne se rendent pas compte qu’ils se meuvent au milieu d’une fantasmagorie ; cependant certains s’en sont aperçus et ont découvert en eux l’origine de cette fantasmagorie. Est-ce à dire que, dès lors ils s’en dégagent entièrement ? Pas toujours. Peut-être faut-il dire : pas souvent. Ils demeurent dans la position de ces dormeurs qui bien que sachant qu’ils rêvent, continuent à rêver et même, prennent intérêt à suivre les péripéties de leurs rêves. Mais les images qui se présentent à eux ne les émeuvent plus. Perceptions et sensations les laissent calmes, glissent sur eux sans y provoquer ni désir, ni répulsion. Suivant les termes des textes bouddhistes, toute l’agitation du monde de la relativité et de l’illusion ne leur inspire que cette appréciation : « Ce n’est que cela ! ».
Qui dit : « Ce n’est que cela ! » n’affirme pas que cela n’existe pas. Déclarer que le monde dans lequel nous vivons n’existe absolument pas serait, de notre part, proférer une absurdité. Une telle déclaration équivaudrait à proclamer que nous n’existons pas, car, tels que nous sommes, nous appartenons au monde du relatif, notre existence s’appuie sur la sienne et, en dehors de lui, nous n’existons point. Mais comme ce monde, aussi, nous ne sommes « que cela ». La vanité de l’homme regimbe devant cette constatation pourtant irréfutable. L’homme s’est accoutumé à se croire important, il se complaît dans cette idée flatteuse, il a inventé des doctrines pour s’y donner une place centrale dans l’univers, voire même pour déclarer que l’univers tout entier avec les myriades de mondes qu’il comprend, a été construit à son intention. Son « Moi », aime-t-il à penser, retient l’attention des Puissances surhumaines ; des Dieux et des Démons épient soigneusement ses actes et ses pensées, applaudissant à certains de ceux-ci et châtiant les autres. En lui-même, l’homme a érigé une succursale du tribunal invisible des juges divins, il s’y distribue des louanges et des blâmes ; des arrêts qu’il y rend découlent la satisfaction vaniteuse procurée par l’accomplissement des actes dits « vertueux » et les drames tragiques du remords succédant aux actes qualifiés de fautes et de péchés. Quand Nietzsche se dressait dans une dramatique proclamation de l’au-delà du Bien et du Mal, sa véhémence provenait de la croyance qu’il conservait à l’existence du Bien et du Mal selon leur acception vulgaire, et aussi, de sa foi persistante en l’importance de l’homme et de ses actes. Un adepte des enseignements secrets eut souri en l’entendant car toute grandiloquence est bannie de ces enseignements. « Apprends, y est-il dit sobrement à l’élève, que tu n’es que vide et que tes actes ne sont point tiens, mais le simple jeu d’énergies formant des combinaisons passagères par l’effet de causes multiples parmi lesquelles une vue pénétrante et exercée (lhag thong) découvre les plus immédiates et dont les innombrables autres demeurent indiscernables dans le tréfonds des temps et des espaces, dans le tréfonds des « mémoires » (vâsanâ) sans commencement connaissable. Dès lors, tu n’as aucun motif de t’enorgueillir ou de t’humilier. Prends conscience de ton insignifiance ».
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Il y a lieu de remarquer que dans les enseignements secrets, l’expression « origine des choses » ne s’applique pas à un commencement de l’univers pareil à celui que les différentes religions ou doctrines philosophiques dépeignent de façons variées dans leurs traités de métaphysique. D’après les enseignements secrets, l’origine des choses ne se place en aucun lieu ni en aucun moment des temps passés ; elle se produit maintenant, à chaque instant, dans notre esprit. À chaque instant, l’image subjective qu’est le monde surgit dans notre esprit pour s’y engloutir et s’y dissoudre l’instant d’après, pareille aux « vagues qui s’élèvent de l’océan pour retomber en lui ». Cette racine originairement pure de mélange, origine du monde illusoire dans lequel nous vivons est un contact fugitif avec quelque inconnaissable instant de Réalité, quelque indéfinissable force que les vâsanâs, les « mémoires », voilent aussitôt, y superimposant l’écran sur lequel sont peintes les images que nous voyons.
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Si les Chrétiens considèrent ce monde comme une « vallée de larmes », les fidèles du Hinayâna sont invités à méditer sur l’aspect répugnant du corps considéré comme un sac contenant un estomac, des intestins, etc… remplis de substances malpropres : bile, urine, excréments, etc…, le résultat cherché étant de produire le dégoût et de combattre l’attachement à la forme physique et la sensualité. L’attitude des enseignements secrets est toute différente. On n’y cherche point à provoquer le dégoût de l’élève. L’aversion n’est qu’une forme d’attachement à rebours et tous deux ont un effet identique : celui de lier à cela à quoi l’on confère de l’importance en le laissant occuper son esprit. Aucun sentiment spécial envers quoi que ce soit n’est prescrit dans les enseignements secrets. Le Maître s’attend à ce que l’élève qui a examiné les sujets vers lesquels son attention a été attirée y trouve des raisons d’une sereine indifférence. S’il ne peut pas se refuser à tenir un rôle dans la pièce – comédie ou drame – du monde, il comprend du moins qu’il n’y a là qu’un jeu. S’il lui est dévolu de personnifier un roi, un homme illustre, un grand savant, il ne s’enorgueillit pas ; s’il doit figurer un pauvre hère, un ignorant, il n’en conçoit point de honte. Il sait que ces différences n’existent que sur les tréteaux et que, la pièce terminée, les acteurs seront dépouillés des défroques dans lesquelles ils se sont montrés. Les enseignements secrets conduisent l’élève plus loin. Ils lui apprennent à regarder avec la même sereine indifférence le travail incessant de son esprit et l’activité physique que son corps déploie. Il doit parvenir à comprendre, à constater que rien de tout cela n’est à lui, ne provient uniquement de lui, n’est lui. Lui, physiquement et mentalement, c’est la foule des autres. Cette « foule des autres » comprend les éléments matériels – le terrain pourrait-on dire – qu’il doit à son hérédité, à son atavisme, puis ceux qu’il a ingérés, qu’il a respirés dès avant sa naissance, à l’aide desquels son corps s’est formé et qui, assimilés par lui, sont devenus avec les forces complexes qui leur sont inhérentes, des parties constituantes de son être. Sur le plan mental, cette « foule des autres » inclut de multiples présences contemporaines de l’individu : gens qu’il fréquente, avec qui il s’entretient, qu’il regarde agir. Une continuelle inhibition s’opère ainsi tandis que l’individu absorbe une partie des énergies diverses émises par ceux avec qui il est en rapport et ces énergies disparates s’installant dans ce qu’il tient pour son Moi y forment une cohue grouillante. Celle-ci comprend également un nombre considérable de présences appartenant à ce que nous appelons le Passé. Chez un Occidental, Platon, Zénon, Jésus, Saint Paul, Calvin, Diderot, Jean-Jacques Rousseau, Christophe Colomb, Marco Polo, Napoléon et maints autres peuvent constituer une foule hétérogène, turbulente et querelleuse dont chaque membre, avide de prééminence, tend à imposer la répétition de ses propres gestes physiques et mentaux et, pour ce faire, tire en sens opposés les ficelles qui font mouvoir le pauvre Moi trop aveugle pour distinguer ces fantômes et impuissant à les reléguer à leur place. J’ai cité des noms au hasard comme étant ceux de personnalités avec qui un Occidental a pu être en rapport au cours de ses lectures et pendant son éducation. Ils ne sont là qu’à titre d’exemples. Les hôtes que X… héberge dans son hôtellerie intime ne sont point les mêmes que ceux qui résident chez Z… Les influences qui agissent sur un Indien ou un Chinois émanent évidemment de personnages de leurs races respectives ou ayant été mêlés à l’histoire de leur pays.

* * *

Lorsque l’étudiant prend conscience de cette foule en lui, il doit éviter de s’imaginer, comme certains le font, qu’elle représente des souvenirs de ses vies précédentes. Il ne manque pas de gens qui affirment et se sont persuadés que tel ou tel personnage ayant vécu autrefois s’est réincarné en eux. Les histoires dépeignant des réincarnations sont innombrables en Asie où elles alimentent la soif puérile de merveilleux des masses populaires. D’après les enseignements secrets, la « foule des autres » est faite de bien autre chose que de « souvenirs ». Elle est constituée par des êtres vivants dont l’activité suit son cours et le continuera indéfiniment en assumant des formes diverses car il n’y a pas de mort. Ce n’est pas le « souvenir » de Platon, de Jésus ou de Christophe Colomb qui hante le Moi appelé M. Pierre. Ce sont Platon, Jésus ou Christophe Colomb eux-mêmes toujours vivants et agissants par les énergies qu’ils ont déclenchées jadis. Et les hommes qui ont porté ces noms n’étaient eux-mêmes aussi que des manifestations d’énergies multiples.
En Platon enseignant en Grèce, en Jésus parcourant la Galilée, en Colomb s’aventurant sur l’océan tout comme en M. Pierre, résidaient une foule de présences vivantes dont les ascendances se perdent dans les profondeurs insondables de l’éternité. Est-ce à dire que les personnalités diverses assemblées qui forment un Moi demeurent inertes ou, en d’autres termes, est-ce à dire que ce Moi n’est point agissant ? Loin de là est-il répondu dans les enseignements oraux secrets. L’individu Pierre ou Paul est un centre d’énergies qui, à chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, chacune de ses pensées, s’élancent dans le monde et y produisent des effets. Ce ne sont pas seulement des personnages de marque : Platon, Jésus, Christophe Colomb, etc… que l’on rencontre dans les assemblées constituant les individus, nos contemporains ; ce sont aussi les obscurs savetiers, les humbles servantes de ferme que nul ne parait enclin à revendiquer comme ayant été « soi-même » dans des vies antérieures.
Tous, grands et petits, forts et faibles, travaillent incessamment – et généralement inconsciemment – à la formation de nouveaux groupes dont les membres manquant de clairvoyance ne discernent pas leur hétérogénéité et, sans percevoir la discordance de leurs voix, ou sans s’y arrêter, clament en chœur « Moi », je suis MOI ! Telles sont dans leurs grandes lignes les théories concernant la multiplicité et la succession des vies à formes individuelles, qui sont exposées dans les enseignements secrets. Il convient d’ajouter que les forces rassemblées sous l’aspect de Pierre ou sous celui de Paul n’ont point une puissance égale. Il en est qui assument une position directrice et relèguent leurs compagnons à l’arrière-plan, voire même les suppriment. C’est à ces forces prédominantes que les Maîtres tibétains des enseignements réservés font appel pour expliquer de manière non vulgaire et strictement conforme à la doctrine de la non-existence du « moi » homogène et permanent, le phénomène des tulkous très en vue dans leur pays. On sait que les tulkous sont ces personnages que les étrangers dénomment très improprement des « Bouddhas vivants ». En fait, le tulkou est considéré comme étant la réincarnation d’un précédent individu, ce dernier ayant été, lui-même, la réincarnation d’un autre précédent individu et ainsi de suite, en formant une série de réincarnations qui remonte, dans le passé, jusqu’à une personnalité plus ou moins éminente qui peut avoir vécu il y a plusieurs siècles. L’on comprend immédiatement que cette conception implique la croyance en un ego permanent qui transmigre à la façon d’un homme changeant de domicile, ce qui est le point de vue des Hindous. Or, le Bouddhisme dénie catégoriquement l’existence de l’ego. Les foules bouddhistes répètent automatiquement la formule classique de cette négation, tout comme les fidèles de toutes les religions en récitant les credo respectifs sans comprendre le sens des mots qu’ils récitent, mais, pratiquement, la majorité des Bouddhistes voit dans les vies successives les pérégrinations d’une entité vagabonde. Je viens de dire que les initiés aux enseignements secrets envisagent les choses différemment. Parmi les forces groupées sous l’aspect d’un individu l’une d’elles, ou quelques-unes d’elles unies, peuvent tendre à un but qu’il leur est impossible d’atteindre dans le court laps de temps d’une vie humaine. Une volonté puissante de créer un instrument capable de continuer des efforts que la mort interrompra peut, est-il dit, parvenir à susciter la naissance d’un individu qui deviendra cet instrument, ou peut se saisir d’un individu déjà existant et aiguiller son activité dans la direction propre à conduire au résultat désiré. Telle est la théorie. Le nom de tulkou la reflète fidèlement. Tulkou signifie littéralement un « corps illusoire » créé par magie. Il n’y a point là d’ego permanent qui transmigre. Qu’est-il dit dans les enseignements secrets concernant le quatrième des pouvoirs supernormaux, celui qui permet de connaître ses vies précédentes, ses précédents domiciles comme il est dit, parfois, de façon imagée et très propre à faire concevoir une fausse notion du sujet ? Le lecteur a déjà compris, d’après ce qui vient d’être dit, que l’initié aux enseignements secrets considère ses vies précédentes comme étant multiples. Non point multiples seulement dans une succession qui se prolonge dans le temps, mais multiples en directions différentes, en épisodes coexistant, en rayons divisés émanant de multiples faisceaux de forces – faisceaux que nous dénommons individus. Il s’ensuit que si Platon, Jésus, Christophe Colomb et d’autres continuent leur vie en de nombreux M. Pierre et M. Paul, chacun de ces Pierre et de ces Paul n’est pas autorisé à se croire Platon, Jésus ou Christophe Colomb réincarné. De ces personnalités une fraction seulement revit en lui. Elle y a pris la forme de tendances, de sentiments transmis par le véhicule de lectures, de discours ayant évoqué les pensées, les paroles ou les actions de ces éminentes individualités. Mais, encore une fois, répétons que l’audition des paroles et la vue des gestes de vulgaires acteurs : le savetier, la servante, ont pu apporter en Pierre ou en Paul, même du viv
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Il peut être, en effet, imprudent de prêcher à un individu à l’esprit vulgaire qu’il n’y a ni Bien, ni Mal, que ses actes sont dénués d’importance et que, de plus, il n’en est pas l’auteur parce qu’il est mû par des causes dont les origines mélangées se perdent dans la nuit inscrutable des éternités.
L’homme à l’esprit vulgaire – à l’esprit « enfantin » comme disent poliment les Tibétains – ne peut saisir la coexistence des deux mondes : celui de l’Absolu et du Vide et celui de la relativité dans lequel, lui, le pèlerin, effectue le voyage de sa vie.

Contredisant l’opinion courante, les Maîtres des enseignements secrets n’hésitent pas à déclarer à ceux de leurs disciples qu’ils jugent capables d’entendre cette révélation : « la Voie graduelle, la culture persévérante des vertus, la sainteté ne conduisent pas à la délivrance ». Le plus grand des saints, eut-il sacrifié mille fois tout ce qu’il avait de plus cher et sa vie elle-même pour l’amour d’autrui, pour celui d’un Dieu ou pour un noble idéal, demeure prisonnier du samsâra s’il n’a point compris que tout cela n’est que jeu d’enfant dénué de réalité, vaine fantasmagorie d’ombres que son propre esprit projette sur l’écran infini du Vide.
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Telle est la conception du non-agir dans les enseignements secrets. Il n’y est donc point question de cultiver une inertie matérielle ou spirituelle à laquelle on se contraindrait, cette contrainte constituerait un effort et, par conséquent, serait de l’activité. Il suffit de laisser couler, sans l’entraver ou tenter de le dévier, le flot de l’existence, le contemplant en spectateur intéressé, peut-être amusé, mais toujours détaché bien que se sentant un avec le spectacle, immergé dans le flot et coulant avec lui.
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Nul agent extérieur ne forge les chaînes d’or ou de fer, nul ne s’en sert pour nous lier au monde de l’illusion. Ce sont les idées que nous entretenons et non pas notre activité matérielle, par elle-même, qui fabriquent les chaînes et nous lient avec elles. Et pourquoi cette activité mentale s’exerçant sur de fausses données est-elle un obstacle à la libération ? Simplement parce que c’est cette activité bâtisseuse de constructions mentales, de châteaux dans les nuages qui, incessamment, construit à nouveau l’édifice du monde illusoire où nous sommes prisonniers et qu’en dehors de notre esprit qui le crée, ce monde n’existe pas.
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Il a été dit au chapitre précédent que ni la pratique d’une vertu particulière ni celle de nombreuses vertus associées ne peuvent amener la libération. Ce fait est constamment rappelé à leurs élèves par les Maîtres qui leur exposent les enseignements traditionnels oraux secrets. Ils ne se lassent point de reprendre la comparaison classique des deux chaînes. Que l’on soit lié par une chaîne de fer ou par une chaîne d’or c’est, dans un cas comme dans l’autre, être lié. L’activité apportée à la pratique des vertus est la chaîne d’or, celle que l’on déploie en commettant de mauvaises actions est la chaîne de fer. Toutes deux retiennent prisonnier.
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