Citations de André Baillon (86)
Elle a trouvé sa formule, c'est son mantra, Zonzon elle emmerde tout le monde, parce que tout le monde l'emmerde et parce qu'elle s’ennuie sans arrêt. (...)
"Je t'emmerde" : c'est un moyen pour elle de retrouver sa liberté. Elle a tout le vocabulaire qu'elle pourrait avoir mais elle a trouvé sa formule, celle qui va la définir le mieux et qui va définir surtout le mieux son rapport au monde.
LE VASE BRISÉ
Il y a des jours : qu’on mette sa main à droite, qu’on mette sa main à gauche, c’est partout dans la merde. Ce matin, un beau vase qu’elle aimait, Zonzon voulait le changer de place et vlan ! le vase s’ouvrait en six morceaux, par terre.
Cet après-midi, un type lui promet :
– Yes, je te donnerai six couronnes.
Et au lieu de six, il n’en lâche que trois.
Et voilà qu’à l’instant, dans cette petite rue, pour aller au Cercle, elle rencontrait qui ? Cette vieille bique, ce sale chameau, cette putain à perruque de Betsy l’Angliche.
Zonzon, on s’en souvient, détestait Betsy. Depuis l’histoire du portefeuille surtout ! Et puis l’Angliche était trop maigre, maigre à dire que son derrière ressemblait plus à une assiette qu’à un véritable derrière. Si c’est pas dégoûtant ! Et puis pendant des mois, elle avait été la môme à D’Artagnan qui ne voulait pas de Zonzon, et puis elle avait des dents en toc, et puis s’il fallait dire tous les « pourquoi » on déteste les gens. Il y en avait un pourtant, mais celui-là, elle ne le disait guère : c’est qu’on lui avait dépiauté son Gustave et qu’on l’avait dépiauté juste après l’histoire du portefeuille, pendant le temps que cette garce vivait avec ce D’Artagnan qu’elle ne supportait pas.
Alors, après des semaines sans la voir, la rencontrer un jour à merde, et dans cette ruelle où il y avait à peine de la place pour une seule : mille dieux, son sang ne fit qu’un tour.
Sale Angliche ! De près, elle lui parut encore plus maigre.
Zonzon se campa :
– C’est-y pour te fiche de moi que tu te mets en travers de ma route ?
L’Anglaise ouvrit sa bouche toute remplie de fausses dents :
– How ?
Quoi How ? Les mains de Zonzon partirent toutes seules lui apprendre, par le cou, à répondre « how ». Elle serra une bonne fois.
– C’est-y, recommença Zonzon, pour te fiche de moi ?…
– No !
Quoi No ? Zonzon serra une nouvelle fois :
– Alors, c’est-y pour te fiche de moi ?
Cette fois l’Anglaise, sans répondre, ouvrit plus grande la bouche, ce qui rendit Zonzon encore plus furieuse :
– Chameau, c’est-y à manger ton foin que t’as avalé ton râtelier ?
Et une fois pour les autres, ce que Zonzon avait sur le cœur, Zonzon le vomit par la gueule.
Sale Angliche ! Que c’était de sa faute que Zonzon avait brisé son vase : vlan ! Zonzon l’étendait par terre comme ce vase.
Que c’était sans doute ce salaud de D’Artagnan qui l’avait rendue si plate… vlan, Zonzon lançait le poing où elle était si plate…
Que c’était une honte de montrer aux gens un si maigre derrière… vlan ! son pied dans ce derrière.
Et puis, qu’elle était une rosse… Et puis qu’elle était une sale bête… Et puis qu’elle savait bien quelque chose, que D’Artagnan avait eu son tour et que si elle ne foutait le camp tout de suite, Zonzon l’emmerderait pour de bon à travers sa sale gueule.
Elle allait le faire.
Et voilà, tout à coup, à se laisser secouer, à être trop molle pour se défendre, l’Angliche, poussant un drôle de « How », se mit à tousser, puis cracha un de ces machins rouges, comme en crachent les malades prêts à crever. Zonzon ne s’attendait pas à cela. Elle examina Betsy. Elle comprit pourquoi, avec des joues si creuses, on a un derrière qui ressemble à une assiette et quelque chose remua dans son cœur. Tant pis : à cause de Gustave, elle avait « un chameau » sur la langue. Elle dut le sortir :
– Betsy, fit-elle, c’est moi l’chameau !
Ainsi vêtu, la casquette dans les yeux, Kiki se mêlait au grand monde. Le jour, il ouvrait les portières aux belles dames qui arrivent en voiture. La nuit, il ouvrait d’autres portes, qui n’étaient pas précisément des portières. C’est pour cette raison qu’il chaussait volontiers des espadrilles.
Il y a des jours : qu’on mette sa main à droite, qu’on mette sa main à gauche, c’est partout dans la merde.
Cette conversation ne dépasse pas les niaiseries qu'on échange quand on a vidé trop de chopines. Je dirai pour celle-ci et, une fois pour toutes celles qui suivront: que les mots ne sont rien, que le sens caché à l'intérieur est tout, que l'on peut se braver, lutter, ou même s'empoisonner, en ayant l'air de débiter des bêtises.
J'ai besoin que les choses soient totales, qu'elles durent, qu'elles soient avec plénitude, certitude, ce qu'elles sont. Si j'aimais, je voudrais aimer pleinement. Aimer avec mes doigts, avec mes yeux, avec ma bouche, avec mon âme, avec tout ce que renferment mon esprit et mon corps. Toujours, jamais : voilà des mots que je comprends! Ce qui passe, ce qui ne dure pas, ce qui est incertain ce qui arrivera peut-être, ce qui arrivera plus tard
Mon Dieu, les choses que l’on porte en soi, que l’on aurait voulu écrire, seraient restées les choses que l’on aurait voulu écrire. Par contre, on aurait vu ce soleil dont on dit : « Qu’il est beau, ce soleil ! » Il y aurait eu deux cents poules, de ces poules : « Ça c’est curieux, Madame,toutes ces poules qui sont blanches .
Quand la bruyère est en fleurs, elle est en fleurs, mais elle est aussi en abeilles. Il vole donc des abeilles, il en vole beaucoup, il en vole tant que le bruit qu’elles font n’est plus un bruit d’abeilles : c’est une vibration, c’est un chant, c’est, comment dire ? une musique qu’on entend sans l’écouter, parce qu’on l’entend toujours quand il fait bon, quand il fait chaud et que l’on dort parmi les abeilles, dans la bruyère en fleurs.
On a beau n’être qu’une Marie, tantôt servante, tantôt putain, maintenant l’épouse, on a vécu à Londres, à Bruxelles et l’on sait bien, ce sont des villes. La ville : on voit des boulevards, des maisons dont on pense : « Mon Dieu, comme ces maisons sont belles ! » des voitures dont on dit : « Il est amusant, leur bruit ! » La ville : on coud, on ouvre sa fenêtre et voici venir de la joie de tous ces gens qui passent. La ville : ce chapeau à vingt-cinq francs cinquante que l’on se paierait, si l’on avait des sous.
Ce livre ne prétend pas être de la littérature. Il apporte humblement quelques pages en plus à l'éternelle histoire de la souffrance humaine. Ainsi que mes autres ouvrages, il est un acte - comme le serait un examen de conscience ou une confession.
Mais, vraiment, tu ne sais pas ce que c'est qu'un scrupule ?
- Je n'exige pas un certificat de moralité pour placer mes chatons.
- Pas besoin. Tu les gardes.
J'exerçais le métier de journaliste-chômeur. Etre journaliste-chômeur, c'est avoir par exemple été secrétaire de rédaction, puis avoir déposé sa plume pour ne pas rendre sa "copie" à la censure et vivre de l'air du temps.
La nuit était noire, plus noire que la veille et, dans ce noir, sous mes pieds, de la boue. Je pataugeais là-dedans, comme dans mes mensonges tantôt. Mes idées pataugeaient aussi. Quand le tramway arriva, elles montèrent avec moi.
Il en fut, sans trop savoir, à tenir par la gorge une femme qui avait du poivre dans les yeux. Dites, que se passe-t-il dans les yeux d’une femme qu’on étrangle pendant qu’elle a du poivre dans les yeux ? Il finirait bien par voir, il se pencha, il fut tout sur elle ; il en vint ainsi à sentir ce quelque chose de bon comme s’il eût été en amour avec elle ; il pensa : Tant que j’y suis, et sous le peignoir bleu, il fut en amour avec elle.
Pour une Marie, on sait comment cela se passe. Le boulevard. Une dame : la bouche, vous savez, comme deux cerises, des joues après des mois de bruyère, l’œil qui dit au Monsieur : « Je n’ai pas peur de l’homme » et comme preuve, sans les trois plis sur le derrière, de ça et de ça, qui fait loucher les hommes. Peut-on empêcher le Monsieur de souffler à la dame : « Êtes-vous vraiment si pressée ? » que de ce « de ça et de ça » on voudrait — en moins pressé, Madame — faire la connaissance.
Elle se mettait à genoux à ses pieds. Il supportait mal qu’une femme se mît à genoux à ses pieds. Quand même, elle y restait : « Laisse donc, chéri, cela me fait plaisir. »
Elle s’aimait dans son corps, parce que son corps était doux. Elle coiffait ses cheveux en bandeaux, comme on les coiffe au pays, mais eût préféré des frisettes, si son père l’avait permis. Il ne manquait à ses joues qu’un peu de rose et de chair. Ses yeux riaient doux. Même quand elle pleurait, ses lèvres semblaient arrondir un baiser, toujours prêt à tomber ; c’est lui qu’on voyait tout d’abord ; on avait envie de se mettre en dessous pour ne pas laisser se perdre ce beau fruit rouge.
-Pauvre type, dit Rose Lambert. C'est un malade qui persécute
J'étais distrait:
- Qui perd ses quoi?
Monsieur Martin, gronde Rose Lambert, vous dîtes des saletés!
Ah ! Jeanne ! Ecrire sur toi, je n'écrirais que du bonheur et mes cahiers n'y suffiraient pas. Un jour, je préparai une lettre? Nous avions passé la soirée ensemble, seul à seul comme on dit. J'écrivis ces mots comme on les prononce. Eh non ! sur le papier ils vivaient. L'un de ces "seul" représentait Jeanne, l'autre c'était moi, seule et seul : un féminin blotti près d'un masculin, quelle communion ! Et puis, il me fallut choisir. Ecrire "seule à seul" ou "seul à seule" ? Il y avait une nuance. Quelle joie de comparer. Comme les idées allaient loin ! Seul à seule, seule à seul, pendant ces jours, je humai ce bonheur.