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Citations de Antonio Muñoz Molina (509)


Un vers d'Antonio Machado lui revenait en mémoire : Qui laisse, emporte et vit qui a vécu.

page 52
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Il va s’approcher, un geste de plus, un mot, et ce qui était inexistant va commencer irrépressiblement à se dérouler, mais il s’arrête, juste au bord, comme sur le point de toucher un fil à haute tension, d’enfoncer d’un millimètre de plus dans sa peau le tranchant ou la pointe de son couteau, ses ongles, il fait demi-tour, ressort de l’église et voilà cette saleté de pluie qui a recommencé, le vent d’ouest pousse contre ses jambes un tourbillon de feuilles brunes et trempées qui ont commencé cet après-midi même à tomber de tous les platanes de la ville.
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Seuls Orlando et moi, séparés par la table du cabinet sur laquelle était posé le dessin, sous la lumière de la lampe, rien d'autre que le profils de Mariana tracé sur le papier et peut-être, sur le fond sombre des rayonnages de la bibliothèque, la voix d'Orlando qui battait comme mon sang à mes tempes, avec la lourde indolence de l'alcool. Je me redressai en m'appuyant au rebord de la table, gauche et lâche en face des pupilles pas exactement humaines d'Orlando. "Laisse-moi tranquille" lui dis-je, "va-t'en et laisse-moi seul", mais il ne bougea pas encore et n'écarta pas ses yeux des miens. Il effleurait, il donnait doucement de petits coups sur la surface de son carton à dessin de ses doigts courts et sales de peinture et la sueur perlait sur son cou et dans les rares cheveux de son front comme un maquillage qui se serait défait sous la lumière trop proche de la lampe. "Ce n'est pas la peine d'élever la voix comme ça, Solana, je ne suis pas ta conscience. Je me moque de ce que tu ne feras pas cette nuit, comme de ce qu'elle ne fera pas. Quand elle aura fini sa cigarette ou son verre, elle ira se coucher ou essayer encore une fois sa robe de mariée et tu auras l'occasion de t'offrir une nouvelle nuit d'insomnie. Ce n'est pas moi qui discuterais à qui que ce soit, et encore moins à toi, le droit de forger son propre échec. Mais je suppose que tu me comprendras si je te dis que l'amour m'a simplifié la vie. La seule chose qui m'importe c'est de peindre et d'avoir Santiago avec moi. Je sais qu'il s'en ira comme il est venu, qu'il est plus que probable qu'il me quittera quand nous rentrerons à Madrid et que je mourrai quand il partira, mais même ça, ça ne me fait pas peur, Solana, la peur est un piège, comme la honte, et moi, en ce moment, je suis vivant et je suis invulnérable".
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Jeune homme il avait cru, comme l'adepte d'un religion, au prestige de la souffrance et de l'échec, à la clairvoyance procurée par l'alcool et au romantisme de l'adultère. Maintenant, il était incapable de concevoir pour lui-même une passion plus profonde que celle qu'il éprouvait pour sa femme et son fils, dont il remarquait qu'elle les enveloppait tous les trois d'une atmosphère plus chaude que l'air extérieur, aussi objectivement perceptible qu'un champ magnétique.
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Ce que vous ne savez pas ne peut pas vous blesser, et peut même n'avoir pas existé. La curiosité était par avance une capitulation, le signal du danger, de la panique. De par son éducation, Adela avait l'habitude de ne pas poser de questions et de ne pas mettre en doute le comportement des hommes hors de la sphère familiale. L'honorabilité des personnes n'était pas soumise à un examen trop exigeant. Sinon, on aurait permis et même encouragé l'irruption du vulgaire et de l'inacceptable, de ce que, une fois exposé en pleine lumière, on ne peut plus feindre de ne pas avoir vu. À présent, en Espagne, le vulgaire s'étalait aux yeux de tous avec une matérialité offensante, sans que personne ne s'en inquiète.
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Un film était surtout une hallucination tenace qui continuait d'agir sur moi après la sortie du cinéma, d'abord dans mes souvenirs, puis dans mes rêves.
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- L'argent ne connaît personne, dit la voix lugubre, son souffle rare sifflant dans des bronches encombrées. Les comptes sont les comptes.
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Le temps qui toujours se termine alors qu'au début, la ferveur de la rencontre l'avait fait paraître illimité.
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C’est à ce moment-là que je me suis retrouvé hors du temps ou suis devenu amnésique, mais uniquement pour les notions temporelles. Je ne suis pas certain d’être en mesure de m’expliquer. D’une voix ensommeillée, nue, enlacée à moi, Cécilia me dit après quelques instants de silence au cours desquels sa respiration s’est peu à peu calmée : « Que jour on est ? » J’allais lui répondre quand je me suis aperçu que je ne le savais pas. J’étais tout aussi incapable de me rappeler quelle date ou quel mois nous étions. C’était un espace vide qui ne cessait de s’étendre. Chaque référence temporelle disparaissait à la seconde où je la cherchais. J’avais également oublié l’année. J’étais sûr du siècle, ça oui, mais c’était une donnée irréelle, totalement abstraite, comme si j’évoquais un siècle à venir ou un passé historique sans aucun rapport avec ma vie.
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Il devait y revenir après le service et l'enterrement pour récupérer ses bagages, mais il lui sembla, en se laissant aller contre le dossier de son siège, tandis que le parfum des acacias et la place s'estompaient derrière eux, qu'il s'en allait pour toujours, non seulement de la maison déserte et fermée maintenant, mais aussi d'Inès, et de tous ceux qui avaient habité là, d'une partie de sa vie qui cesserait très vite de lui appartenir, inaccessible à un quelconque retour et au souvenir, parce que se souvenir et revenir, il ne le sait pas encore, sont des exercices aussi inutiles que de demander à un miroir des comptes du visage qui, une heure, un jour ou trente ans plus tôt, s'y est regardé.
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... la force du désir d’un homme, restée sans réponse, joue automatiquement contre lui puisqu’au lieu de le rapprocher de la femme désirée il favorise chez elle la volonté intime de devenir attirante aux yeux d’un autre. 
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Les matinées des dimanches d'hiver, il y a dans certains endroits de Madrid une lumière paisible et froide qui épure, comme dans le vide, la transparence de l'air, une clarté qui rend plus aiguës les arêtes des immeubles et dans laquelle les pas et les voix résonnent comme dans une ville déserte. J'aimais me lever tard et lire le journal dans un café propre et vide en buvant juste la quantité de bière qui me permettrait d'arriver au déjeuner dans cet état d'indolence prometteuse qui vous fait regarder toutes choses comme si vous observiez, muni d'un carnet de notes, l'intérieur d'une ruche aux parois de verre. Vers deux heures et demie je pliais soigneusement mon journal, je le jetais dans une poubelle et cela me donnait un sentiment de légèreté qui me laissait très tranquille pour faire le trajet jusqu'au restaurant, une de ces bonnes maisons anciennes et opulentes, avec un comptoir en zinc et des bouteilles de vin cubiques, et où j'étais connu des serveurs mais pas au point de les voir s'autoriser cette familiarité gênante qui d'autres fois m'avait fait fuir des établissements du même genre.
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(...) Dès la première fois où nous nous sommes vus, j'ai lu dans tes yeux que tu mourrais d'envie d'embrasser mes lèvres.
- Pas autant que maintenant.
- Tu me mens. Jamais il n'y aura rien de meilleur que ce que nous avons possédé en ce temps-là.
- Cela sera, parce que c'est impossible.
- Je veux que tu me mentes, a dit Biralbo. Que tu ne me dises jamais la vérité.
Mais en disant cela il effleurait déjà les lèvres de Lucrecia.
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Cette ville ressemblait à toutes les villes d'Angleterre ou de France, à ces villes qui, à la nuit tombée, abandonnent leurs artères aux automobilistes qui viennent de très loin et les traversent sans leur accorder un seul coup d'œil.
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[...] (mais le monde n'est pas sans limites et on ne peut pas construire sans commencer par détruire).
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Les premiers symptômes indiscutables de l'automne procuraient à Ignacio Abel un état d'attente heureuse qui n'avait aucune cause précise et n'était peut-être que le reflet d'un lointain bonheur d'écolier fait de cahiers neufs et de crayons, pur frémissement d'un avenir intact surgi de l'enfance et qui avait persisté jusqu'à ce qu'il cède aux premières défaillances de la vie adulte.
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Il n'y a pas de monstre venu d'un autre monde qui soit plus fantastique ni plus effrayant qu'une simple mouche domestique ou qu'une fourmi regardée au travers d'une loupe, même de faible grossissement.
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Au milieu du vacarme de la gare de Pennsylvanie, Ignacio Abel s’est arrêté en entendant quelqu’un l’appeler par son prénom. Je le vois d’abord de loin, parmi la foule de l’heure de pointe, une silhouette masculine identique aux autres, rapetissées par la dimension imposante du bâtiment, comme sur une photographie de l’époque : pardessus légers, gabardines, chapeaux ; chapeaux de femme au bord incliné sur l’oreille et petites plumes sur le côté ; casquettes rouges des porteurs et des employés du chemin de fer ; visages estompés par la distance ; pans de pardessus ouverts que l’énergie de la démarche fait flotter en arrière ; courants humains qui s’entrecroisent sans jamais se heurter, chaque homme et chaque femme est une silhouette semblable aux autres et pourtant dotée d’une identité aussi indiscutable que la trajectoire unique qu’elle suit à la recherche d’une destination précise ; flèches de direction, tableaux avec des noms de lieux et des heures de départ ou d’arrivée, escaliers métalliques qui résonnent et tremblent sous le galop des pas, horloges suspendues aux arcades d’acier ou couronnant des panneaux indicateurs verticaux où de grandes pages de calendrier permettent de voir de loin la date du jour. Il doit être nécessaire de tout savoir avec exactitude : ces lettres et ces chiffres, d’un rouge aussi intense que celui de la casquette des employés de la gare, indiquent un jour proche de la fin d’octobre 1936. Sur le cadran éclairé de chacune des horloges suspendues comme des ballons captifs à une grande hauteur au-dessus des têtes, il est quatre heures moins dix. À cet instant Ignacio Abel marche dans le hall de la gare, vaste espace composé de marbre, de hautes arcades métalliques, de verrières voûtées salies par la suie et qui filtrent une lumière dorée dans laquelle flottent de la poussière et la clameur des voix et des pas.

(Incipit)
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- On est différent quand on se trouve hors de son pays.
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Les soutanes et le savoir rationnel sont incompatibles.
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