Citations de Benjamin Stora (257)
Au total, 1,5 million de soldats français participeront à la guerre d’Algérie. Contrairement à la guerre d’Indochine, qui a été menée par des soldats de métier, tous les français nés entre 1932 et 1943 sont mobilisés.
Dès le début on savait ce qu’il fallait faire pour fraterniser avec les indigènes. On savait aussi ce qu’il fallait faire pour uniquement bénéficier de la colonisation, au détriment de l’indigène. Il fallait l’exploiter, le faire suer, lui donner du bâton et le maintenir dans l’ignorance. Et on a choisi.
«Une grande partie de l'œuvre de Camus est habitée, hantée, irriguée, par l'histoire cruelle et compliquée qui emportera l'Algérie française. A la fois défenseur de la communauté pied-noire et
Algérien, il adopte cette position de proximité et de distance, de familiarité et d'étrangeté avec la terre algérienne
La société européenne était une société qu'on ne fréquentait pas. On la regardait, l'observait, l'imitait, mais on ne la connaissait pas vraiment. On les voyait, les croisait dans la rue, au cinéma, mais ils restaient étrangers » (p 53).
« Les bandes dessinées ne disaient jamais l'histoire de l'Afrique ou la conquête de l'Algérie. Il n'existait pas la moindre allusion aux Arabes, aux Africains, à la pauvreté ou à l'exploitation. La vie n'était qu'aventure, richesse et humour, blondeur, beauté et assurance. Autant de mythes européens auxquels nous ne pouvions qu'adhérer » (p52).
« Monsieur Stora,
Veuillez trouver ci-joint un bout de linceul avec lequel on vous enterrera. Vous subirez le sort des Impies, Mécréants, juifs, Communistes, et toutes ces filles ou femmes putains que nos frères exécutent en les égorgeant et en les décapitant ensuite. Vous monsieur Stora, ce sera du 11.43 gros calibre. On tuera tous nos ennemis et si on vous rate on tuera votre femme, ça se passera un matin très tôt, ou un soir. D’ailleurs, les repérages ont été faits, dans votre quartier ou à la faculté. Ça fera du Bruit. Si on peut Enlever votre femme, on l’égorgera puis on la Décapitera et on déposera la tête chez vous. S’il faut tuer aussi toute l’Algérie, et tout brûler, nous le ferons. Allah Akbar ! Prépare la CHAHADA très vite ! Vive le FIS ! Vive le GIA ! Toi ou ta femme Vous mourrez Inch Allah, BIENTÖT.
En Algérie, explique-t-il, le terrorisme n’est pas né ex nihilo. Il est le fruit de la misère, du désespoir et de l’humiliation qui frappent la population. Pour autant, dit Camus, c’est un moyen de lutte condamnable en lui-même, car « il tend, par la force des choses, à devenir raciste à son tour et, débordant ses inspirateurs mêmes, à cesser d’être l’instrument contrôlé d’une politique pour devenir l’arme folle d’une haine élémentaire ».
Il suffit de lire Camus pour se rendre compte à quel point son œuvre est intimement liée à l’Algérie… ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elle en est moins universelle. Camus, comme nombre d’écrivains majeurs, a un rapport singulier avec une terre, un lieu d’origine à partir duquel sa langue se déploie et parle au monde entier. C’est cela qu’il nous importait de transmettre, ainsi, bien sûr, que l’engagement de Camus contre les injustices de l’administration coloniale et sa position complexe lors de la guerre d’Algérie.
Sur les places centrales, l’église fait face à la mairie et la poste n’est jamais loin de l’école où se lit la devise républicaine : « Liberté, égalité, fraternité ». Mais dans les cours de récréation, les enfants qui y jouent comptent beaucoup plus de « petits Européens » que de « musulmans ». Pourtant, un effort de scolarisation avait bel et bien été entamé depuis 1945, mais il est déjà trop tard. La devise républicaine est en passe de se retourner contre la France. Ce qu’ont fort bien compris les dirigeants et militants du nationalisme algérien, qui, en 1954, connaissent l’histoire déjà très ancienne des formations qui ont revendiqué l’indépendance de l’Algérie.
Dans son livre La Colline oubliée, publié pour la première fois en 1952, l’écrivain Mouloud Mammeri raconte mieux que quiconque la vie quotidienne de paysans en Kabylie : « Le plus grave, c’était cette tristesse qui suintait des murs ; ces ânes lents qui descendaient les pentes, ces bœufs somnolents, et ces femmes chargées qui semblaient s’acquitter sans joie d’une corvée insipide qu’elles avaient tout le temps de finir. Il semblait qu’ils avaient devant eux l’éternité, alors ils ne se pressaient pas ; on aurait dit que les hommes et les femmes n’attendaient plus rien, à les voir si indifférents à la joie. […] Il y avait partout comme un avilissement, une fatigue de vivre, et n’était le respect dû à leur ancêtre aimé de Dieu, c’était à se demander si, aux prières de nos marabouts, la baraka du grand saint ne restait pas muette, comme s’il ne nous aimait plus, sourde, comme si elle n’entendait plus nos voix.
La vie en Grande Kabylie est difficile, les ressources rares. Outre les cultures traditionnelles – l’olivier et le figuier –, poussent sur les frênes, telle une « véritable prairie aérienne », les vignes grimpantes qui montent à l’assaut des troncs. Au pied des arbres s’étalent des cultures, céréales, légumes, ainsi que le tabac. En Petite Kabylie, c’est la forêt qui fournit le complément de ressources indispensable avec l’élevage du bétail, la farine de gland, le bois de chauffage.
Depuis leurs bastions montagneux couverts de forêts, les habitants de la Grande et de la Petite Kabylie ont défié successivement Carthage, Rome, Byzance, les cavaliers arabes et la France. On les appelle les Berbères – « Barbares » de l’époque romaine –, eux s’appellent Imazighen, « hommes libres ». Leur histoire remonte à plus de 4 000 ans av. J.-C., époque où les premiers combats entre « Libyens » et Égyptiens sont notés par les scribes. La Berbérie est alors une terre d’attraction pour tous les peuples occidentaux et orientaux. Le nom « hommes libres », à lui seul, traduit une mentalité, une volonté de refus et d’indépendance maintenue depuis des siècles.
Aujourd’hui, nous ne colonisons plus, nous ne dominons plus. Le vassal est devenu l’égal du suzerain en vertu même des principes que ce suzerain s’est acharné à lui inculquer, en vertu aussi du mouvement des peuples et de l’évolution générale du monde. Nous ne sommes plus seuls avec derrière nous les autres. Nous sommes tous là sur une même ligne, ensemble les musulmans et nous, pour vivre et pour bâtir avec un égal amour et un intérêt identique sur notre terre commune. Et parce que c’est notre terre commune, nous sommes tous ses habitants, quelles que soient nos origines, nous sommes d’abord des Algériens.
Nous assistons à un mouvement radical d’exigences démocratiques. Et, ce faisant, à travers le passage démocratique, la question de la sécularisation réelle et de la séparation du politique et du religieux peut également être posée. Et non pas l’inverse : reformer d’abord le religieux pour se diriger ensuite vers plus de démocratie
En Algérie, rien ne sera plus comme avant l’épisode tragique de mai 1945. Le fossé s’est considérablement élargi entre la masse des Algériens musulmans et la minorité européenne.
Signe d’intégration, les juifs algériens, dhimmis (sujets protégés) en terre d’islam, adoptent la langue arabe alors que certaines tribus berbères musulmanes ne la parlent pas
[...] ce vide par effacement des traces d'exaction de la guerre laisse planer une menace permanente et invisible sur les vivants [...]