Rentrée Littéraire 2009 : le choix d'Alexandre Fillon
Livres Hebdo présente la Rentrée littéraire 2009. Alexandre Fillon a aimé Trois femmes puissantes de Marie NDiaye et le rêve entouré d'eau de Bernard Chapuis
Ils lisaient parfois les mêmes livres, aimaient parfois la même musique, ils regardaient les émissions animalières à la télévision, ils pouvaient être d'accord sur les mêmes choses, ils pouvaient passer des jours sans se voir en se téléphonant plusieurs fois. Ils n'avaient pas la moindre idée de ce que c'était que la vie, mais ce n'était pas la même idée, et, de toute façon, ils n'en parlaient pas. Ils ne parlaient pas de leur passé, de leurs autres mondes, sauf si l'occasion se présentait et ça n'allait pas loin. Leur rencontre était une île, pas un refuge. Un soir, elle était arrivée en zigzaguant jusqu'au canapé du capitaine Achab, elle avait défait la ceinture de sa jupe qui était tombée, elle était allée s'allonger en slip sur le canapé prune et lui avait demandé de lui servir un Campari soda avec gin et une tranche d'orange et beaucoup de glaçons. Quand il était revenu avec le verre, elle l'avait vouvoyé d'un ton mauvais :
- Vous voyez, je suis ivre, je n'ai plus de secret pour vous.
Outre Le Figaro, qui était le journal local et dont l’édition spéciale s’était vendue comme des petits pains, Le Monde, L’Aurore, Paris-Presse l’Intransigeant avaient été épuisés dès la première édition et l’Humanité, dont la diffusion était ici la plus mince de la capitale, avait vu filer intégralement deux demandes de réassort. Depuis la Libération, jamais autant de majuscules ne s’étaient étalées en gras sur cinq colonnes, comme celles qui, ce soir d’automne, annonçaient en chorale que STALINE EST MORT.
Les fakirs, tenus au secret professionnel, se contentaient d’évoquer leur généalogie, leurs grands maîtres et les circonstances où ils avaient triomphé devant des assistances prestigieuses, évocations dont on ne perdait, certes, pas un mot. Mais le métier des charmeurs ne devait rien à la magie, aussi étaient-ils plus volontiers bavards.
Le chant de la flûte, si insistant, avait décidé un long serpent brun, assez banal, à surgir du col de la chemise immaculée d’un grand Américain, à faire le tour de sa ceinture, puis à glisser en spirale autour d’une jambe de pantalon, jusqu’au pont, où l’animal à sang froid avait calmement rampé vers un sac que lui ouvrait le fakir.
Si tu es en compagnie d’une jolie femme, avait expliqué le parrain, le face-à-face s’impose : le face-à-face, c’est les yeux dans les yeux, n’est-ce pas ? Mais lorsque l’on se trouve entre amis comme nous le sommes en ce moment, le côte à côte permet d’avoir l’œil sur la salle et d’échanger des impressions.
La guerre froide, c’est l’art d’éviter la guerre atomique, tout en en conservant les moyens.
Tu sais ce que c’est, la guerre froide ? Non ? Eh bien, si une guerre atomique se déclenche, tout le monde sera effacé de la carte. Les vainqueurs seront les vaincus, les vaincus seront les vainqueurs.
Vous, les Français, vous faites la guerre pour l’argent et nous, les Anglais, la faisons pour l’honneur.
– Exact à tout point de vue, avait répondu Surcouf. Chacun recherche ce dont il manque.
Tout le monde mentait. Flossie et son frère se mentaient énormément, bien sûr, mais c’était de la petite monnaie, qui n’avait rien de comparable avec les mensonges en provenance de Lou et Manou. Lou, qui ne s’exposait pas, devait trimballer clandestinement des tonnes de mensonges par omission, les plus durs à extraire, les plus résistants à l’investigation.
On ne savait jamais rien de Lou par Lou. Il fallait toujours que ça passe par les autres. Il aurait été inimaginable qu’il se mette tout à coup à raconter la nuit sur le grand croiseur.