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Critiques de Bernard Lahire (56)
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Les structures fondamentales des sociétés hum..

Ce livre est un coup de massue. Un énorme et très long coup de massue.



Très long parce qu’il fait 970 pages et que cela fait près de quatre semaines que je suis dessus. Arff ! La conclusion générale précise qu’il s’agit d’une « synthèse créatrice » « c’est-à-dire à visée scientifique et non « pédagogique » qui « récapitul[e], coordonn[e], clarifi[e], reformul[e] et orient[e] la recherche afin de féconder de nouveaux travaux ». Effectivement, on peut penser qu’elle soit utile aux chercheurs qui iront y piocher, la table des matières est très bien faite, le chapitre ou la section qui correspond à leur angle de réflexion. En goulue habituée à lire in extenso, j’ai tout avalé, ligne après ligne, répétitions et arguments martelés cinquante fois avec cinquante preuves différentes compris. Burp ! Alors oui, j’aurais préféré zapper la version scientifique et qu’on me livre direct le format pédagogique et efficace en collection « que sais-je », 128 pages ! J’espère pour vous que le résumé digeste est prévu par l’éditeur pour dans pas longtemps, parce que, ceci mis à part, c’est vraiment un livre essentiel et particulièrement dérangeant.



Les Structures fondamentales des sociétés humaines représentent un travail magistral. Plus de 1000 références à des travaux de chercheurs dans des domaines scientifiques aussi variés que la biologie, l’éthologie, la paléoanthropologie, la préhistoire, la sociologie, l’histoire, la linguistique, la psychologie, la psychanalyse, les neurosciences, l’épistémologie. Une accumulation fourmiliesque de données scientifiques visant à asseoir une thèse originale, inédite, révolutionnaire et… désespérante.



Je vous résume succinctement le problème. Depuis le début du 19e siècle, des chercheurs en anthropologie, ethnologie, psychologie, histoire et j’en passe explorent, étudient, observent différentes sociétés humaines plus ou moins éloignées de notre Occident. Leurs travaux s’accumulent, se contredisent et semblent, dans le bric-à-brac qu’ils finissent par constituer, rendre impossible le dégagement de principes universaux. Telle peuplade d’Amérique du Sud fait comme ceci, telle société esquimaute comme cela mais le dire, c’est encore faire fi des méthodes d’observation, des postulats idéologiques présidant à l’étude et de tant d’autres considérations.



Bref, il semblerait que la seule ligne de force qui se soit dégagée avec le temps est que les sociétés humaines évoluent au gré d’un arbitraire entièrement imbibé des cultures particulières de leurs sous-groupes respectifs. Que tout chez l’homme soit culture et que rien ne permette de prédire selon quel principe il évoluera. L’Histoire n’aurait comme seule caractéristique de ne jamais se répéter et les hommes de s’être émancipé de tout diktat d’origine biologique ou « naturelle ». Ce qui rend un peu vain l’étude de quoi que ce soit puisque tout semble aléatoire. Ce qui condamne de fait les sciences sociales à n’avoir de « science » que le nom puisque, dans ces conditions, aucun réel ne peut être objectivé et aucune loi générale tirée. Tout n’est jamais que point de vue, effet de regard, perspective. On comprend mieux les moqueries des copains qui suivaient un cursus scientifique et regardaient nos ambitions humanistes avec un mépris goguenard. Des adorateurs de sciences molles, voilà à quoi on était réduits.



On aurait pu en rester là sans le confinement qui aura laissé du temps à Bernard Lahire pour, dans la continuité d’une brillante carrière de chercheur, décider de dépasser cette vision et de doter les sciences sociales d’une assise plus solide. Il s’agit donc pour lui de trouver les invariants qui régissent le fonctionnement de toutes nos sociétés. On voit l’ambition du projet.



Sa méthode pour avancer ? Deux axes : Comparer l’humain avec d’autres organismes vivants d’une part et différentes sociétés humaines entre elle d’autre part. L’idée, aussi révolutionnaire qu’évidente, est que, en tant qu’êtres vivants, nous avons des caractéristiques communes avec d’autres êtres vivants et que nos points communs comme nos différences avec telle ou telle espèce animale, végétale ou même bactérienne peuvent informer nos comportements. De cette observation, un premier méta-fait : tous les organismes vivants sans exception vivent dans une interdépendance. Que ce soit pour subvenir à ses besoins vitaux ou se reproduire, aucun organisme n’est seul. Même Lucky-Luke a Jolly jumper (oups).



D’autres éléments découlent de ces observations. Par exemple, ce qui nous distingue de la mésange, c’est que, contrairement à elle, nous n’avons pas d’aile (désolée pour le spoil). Mais des bras. Et que, contrairement au lion, nous ne sommes pas à quatre pattes. Ce qui nous permet de nous servir de nos mains. Ceci combiné à une sociabilité importante, à une reproduction sexuée nécessitant un mâle et une femelle, une cohabitation de plusieurs générations en même temps, à une capacité à garder la mémoire d’un passé et surtout à porter des bébés (un à la fois en général) pendant 9 mois de gestation avant des les allaiter trèèès longtemps (on sent le vécu) et de s’en occuper jusqu’à leur autonomie relative c’est-à-dire pendant près de deux dizaines d’années (Arghhh !), tout ceci fait que notre espèce a des caractéristiques particulières qui ne sont propres qu’à elle, très différentes de celles de la baleine à bosse ou des abeilles. Certes.



Ca a l’air d’enfoncer des portes ouvertes mais ces considérations remettent en fait au centre de la réflexion la réalité corporelle effective de nos constitutions, le déterminisme relatif avec lequel nous évoluons au cours des millénaires. On est d’accord, si les humains avaient déposé des œufs de leur futures progénitures dans le sable avant de retourner se baigner et de les laisser se débrouiller tout seuls comme le font les tortues de mer, notre réalité quotidienne n’aurait pas exactement la même dimension, n’est-ce pas ?



Evidemment, il faut prendre dans ce qui précède l’esprit de la démonstration et faire confiance à Bernard Lahire pour la mener de manière bien plus minutieuse et sérieuse que ce que je fais ici. Mais c’est l’idée.



On aboutit alors à une forme de cartographie des humains : en prenant en partage l’ensemble de cinq faits anthropologiques universels, le poids pondéré de telle ou telle loi (Lahire en pose 17) selon l’histoire et les circonstances de chaque groupe, on obtient un ensemble de coordonnées définissant son identité du moment. On aura donc remplacé le grand arbitraire par un vaste ensemble de possibles fruit de l’entrechoquement de lignes de force et de lois au nombre restreint et clos. Malgré la diversité des sociétés humaines, on aura dégagé des invariants.



Alors pourquoi est-ce fascinant et dérangeant ? Déjà parce que, de sa recension comparée des mœurs animales et humaines, Lahire pose une distinction essentielle entre social et culture. Il reprend des travaux démontrant que les animaux et nous avons une identité biologique et un comportement social. Que bien des observations que l’on peut faire chez l’homme se retrouvent également chez les animaux. Ainsi par exemple le soin apporté aux petits jusqu’à ce qu’ils sachent se débrouiller, les rivalités entre groupes, la manière très codifiée de résoudre un conflit sans flinguer son adversaire, ces éléments existent dans les sociétés humaines comme dans les sociétés animales et elles ne sont pas la seule conséquence d’une réalité biologique. Elles émanent d’une sociologie propre à chacun des groupes observés. On a constaté par exemple, des variations régionales dans le chant de telle ou telle espèce d’oiseau, un comportement différent chez des fourmis qui n’auraient pas eu les mêmes circonstances pour grandir que le reste de leurs comparses. Le biologique et le social se combinent pour créer des comportements qu’hommes et animaux ont en partage.



La spécificité humaine ne naît pas de sa supériorité sur le reste du règne des vivants qui l’extrairait du biologique et lui donnerait à elle seule une condition sociale mais de sa longévité et de sa capacité à la symbolisation. Ces deux faits lui ont permis de se représenter le passé et d’imaginer le futur, de thésauriser le fruit de découvertes antérieures, de transmettre la connaissance acquise et ainsi, petit à petit de développer une conscience de son histoire, une culture donc. L’expressivité symbolique, la production de magico-religieux, d’artefacts sont quelques-unes des lignes de force propres à l’espère humaine.



Lahire utilise dans sa conclusion une image que je trouve parlante pour éclairer cette imbrication du biologique, du social et du culturel : « Pour faire comprendre l’essentiel de mon propos, je dirais que les sociétés humaines ont été d’emblée placées sur des rails du fait des propriétés de départ fortement dépendantes des propriétés biologiques de l’espèce, mais que les accumulations-transformations culturelles successives n’ont cessé de créer leur propre inertie (ce qui peut laisser penser, à tort, que tout vient de la culture et de l’histoire), avec cependant des rails qui sont toujours là et qui continuent à limiter l’action de la culture, même si celle-ci parvient parfois à déplacer quelques limites biologiques. »



Ce changement de perspective qui remet l’homme à sa place est déjà déstabilisant. Mais les conséquences qu’en tire Lahire sont encore plus perturbantes. Car, au final, les invariants définissant nos sociétés sont fondamentalement résumés à un enjeu de domination. Domination des parents, des ancêtres, des dieux, des structures étatiques sur les enfants, les jeunes, les humains, les assujettis. Domination des hommes sur les femmes. Des forts sur les faibles. Dominant, dominé. Tout peut se réduire à cela. La raison de cet universel est longuement, largement démontrée. Je n’y reviens pas sinon pour dire qu’elle est fortement dépendante de l’altricialité secondaire, soit le caractère longuement immature des petits d’homme qui nécessitent des soins supposant une organisation sociale particulière autour d’eux. En découlent le périmètre des mères autour des besoins des enfants (gestation, allaitement, première éducation), l’assimilation des femmes à cette sphère de vulnérabilité et d’immaturité. En découle aussi une relation de l’homme à ses parents faite de respect et de crainte, ces deux éléments se déportant analogiquement ensuite dans tous les systèmes sociaux et symboliques organisant la vie en groupe.



Boum ! Sidération devant pareilles conclusions. Le coup de massue donc. En construisant patiemment une démonstration scientifique étayée par des comparaisons rigoureuses, on arrive à une conclusion que ne renierait pas le plus réactionnaire des populistes. Lahire parle de son travail comme du « plus risqué scientifiquement qu’il [lui a] été donné de faire ». Effectivement. Il va donc falloir prendre le risque de voir ces pensées captées par des « auteurs aux inclinations politiques plus conservatrices, et dans certains cas, clairement réactionnaires. » Car « s’il et important d’établir des lois, ce n’est pas pour glorifier leur caractère éternel ou baisser les bras devant le spectacles des multiples inégalités devenues historiquement insupportables, mais pour pouvoir imaginer comment s’en dégager, comment les maitriser et ne pas en être les victimes inconscientes. » Eviter donc de croire notre attelage emmené par des chimères, discerner les structures invariantes, faire avec cet existant, y compris pour inventer autre chose.



Le rôle des artefacts, tout ce que nous avons construit du premier arc à l’ordinateur sur lequel j’écris ou la maison où je me trouve, est essentiel pour cela. L’homme n’a pas d’aile mais a inventé les avions. Pas de poil, il a inventé les doudounes et les sacs de couchage en duvet. On pourrait donc imaginer dépasser les entraves biologiques d’une gestation et de soins contraignants afin d’aller vers une humanité émancipant les femmes de leur assignation reproductrice. Ce progressisme technologique me fait frémir encore davantage et Lahire ne le recommande pas exactement. Il en parle et souligne les conséquences qu’il aurait dans la transmission sociale et culturelle de nos pratiques. A tout le moins !



Encore sous le coup, je vois les conséquences de cette réflexion innerver petit à petit tout le champ du réel. Dans la discussion qui a vu naître ce projet de lecture après mon retour sur Par-delà Nature et culture de Philippe Descola, avait émergé la question de savoir si la psychanalyse résisterait à la structuration de grands axes universels à partir desquels procèderaient toutes les sociétés humaines. Oh que nous étions drôles, innocents agneaux, baguenaudant dans la plus naïve des félicités illusoires ! Paradoxalement, la psychanalyse résiste assez bien. Ses fondements, tant quand elle travaille la psyché individuelle que quand elle s’intéresse aux foules, aux sociétés, intègrent la dualité respect / crainte autour de la figure d’autorité, la corporéité essentielle, animale d’un être qui n’est pas que psychisme. Non, la psychanalyse résiste. Bien mieux en tout cas qu’un féminisme définissant la femme telle un homme comme les autres. Mieux qu’un humanisme prônant un amour universel et désincarné pour tout être vivant. Ce n’est pas que ce soit impossible, c’est juste qu’on n’est pas structurellement constitués pour que ça coule de source. Misère !

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Les structures fondamentales des sociétés hum..

Et donc voilà. Il n'y a plus qu'à attendre la sixième extinction de masse.

Ou l'avénement d'une astrophysique nous permettant de passer par des trous de vers astraux pour aller s'hybrider avec d'autres espèces, dans les multivers.

Ou attendre une sorte de catharsis générale qui passerait par une psychanalyse obligatoire, la création d'artefacts libérateurs de la procréation, de l'accouchement et de tout ce qui s'en suit.

Ou refondre les structures de la division du travail et mettre toutes les familles sous tutelle. Pratiquer une lutte politique sans pitié contre l'ethno-centrisme et faire de la poésie une priorité mondiale.

Et éradiquer l'altricialité secondaire.



Les structures fondamentales des sociétés humaines est un ouvrage majeur. On parlera du « Lahire » pendant des décennies universitaires, on le rangera au coté de Darwin, Durkheim, Marx, Freud, Levi-Strauss, Testart, Elias, Bourdieu. On le sortira de temps en temps pour lui faire prendre l'air.

À moins, à moins, chers lecteurs que vous ne le lisiez en nombre, qu'il soit l'occasion de débats féconds et multiples, qu'il devienne l'ouvrage anthropologique, ethnologique, éthologique, social et politique de référence et qu'il contribue, car c'est la seule issue, à faire bouger massivement les lignes de forces structurelles qu'il explicite. Il deviendrait alors l'équivalent de l'Ethique sur le plan philosophique : comprendre comment les choses fonctionnent est la seule solution pour recouvrer un chouia de liberté !



Je l'ai lu en plusieurs fois : une centaine de pages avant fin 2023. Je l'ai repris par la fin (Conclusion générale et Post-scriptum) il y a trois semaines. Puis j'ai lu le billet génial d' Hélène @4bis. Je l'ai repris dimanche matin et puis voilà.

950 pages fluides et passionnantes, ça peut se lire assez vite ( compter entre 20 et 30 heures de lecture quand-même).

Il est hors de question que je plagie ou que je résume le résumé d'Hélène. Je vais donc prendre l'ouvrage latéralement et succinctement. Il y a donc une introduction générale, 22 chapitres, une conclusion etc.



« La réalité, c'est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d'y croire. »

Nous dit en exergue Philip K. Dick et il faudra toujours garder cette phrase à l'esprit.

Bernard Lahire se refuse à écrire une tautologie …Mais c'est pourtant ce qu'il fait.

Je pense que l'on peut lire très rapidement, voir sauter à pied joint la première partie qui fait s'entrecroiser méthodologie, définition , légitimation , mises en perspectives, méta-lois, lois, principes et invariants. Elle est surtout destinée aux universitaires et aux chercheurs. Lahire explique longuement comment il a procédé, ce que sont les faits sociaux, son champs d'étude, l'irréductibilité de la pluralité théorique ( ce qui ne l'empêche pas de dezinguer Deleuze et Guattari, entre autres), sa lutte contre le relativisme etc.

Il désigne aussi dans quel lignage sociologique il se situe : Radcliffe-Brown, Lévi-Stauss, Héritier, Godelier et surtout Alain Testart.



Les choses sérieuses commencent à la page 247 qui ouvre la deuxième partie : « Ce que les sociétés humaines doivent à la longue histoire du vivant »

Il met en évidence le « Fait de l'altrialité secondaire » qui désigne un fait biologique qui conditionne nombre de contraintes sociales de l'espèce humaine : le petit humain est très longuement dépendant de sa mère/ de son père puis de son entourage. C'est ce qu'il appelle un « Fait anthropologique ».

Puis il va distinguer dix « lignes de force » ( exemple 8: Ligne de force des rapports de domination) avec leurs variations historiques et des lois générales (Loi de la conservation-reproduction-extension par exemple).

La loi de l'attraction des semblables est assez rigolotes:

« En France, ce sont les travaux du démographe Alain Girard qui ont, les premiers, commencé, à la fin des années 1950, à dégager la loi de l'attraction semblables concernant le mariage :

Dans le cadre de l'Institut national des études démographiques, Alain Girard, à la fin des années 1950 - époque où le travail empirique était mal reconnu dans le champ sociologique -, a voulu connaître les principes de la sélection matrimoniale. Aussi, grâce à une enquête portant sur les premiers mariages, estime-t-il les différences et les ressemblances entre les partenaires. « Cherchant des éléments de réponse à la question "qui épouse qui?"», il observe que les « contraintes sociales, l'influence du milieu jouent partout pour limiter très fortement la liberté de choix d'un conjoint par les individus » de telle sorte qu'entre « deux lois opposées, l'attraction des semblables ou l'affinité des contraires, c'est la première qui l'emporte très nettement dans la France contemporaine du point de vue des caractères sociaux des conjoints » [...] Pour Alain Girard, l'homo-gamie reflète le poids des contraintes spatiales et sociales : « La liberté de l'individu... reste enserrée de toute part, aujourd'hui comme hier, dans un réseau étroit de probabilités et de déterminismes qui poussent moins encore à choisir qu'à trouver un conjoint qui lui soit aussi proche que possible »

C'est cette loi fondamentale de l'attraction sociale des proches que théorisait Pierre Bourdieu avec ses concepts d'habitus et d'espace social »



A l'attraction des semblables s'ajoute l'implacable Loi de la domination masculine !!!

Comme je ne veux pas vous perdre, je vais aller à l'essentiel:

« Ne vous intéressez pas sexuellement à ceux que vous avez intimement connus dans vos premières années de vie » etc.



Dans la deuxième partie de cette deuxième partie, Lahire va démonter que l'espèce humaine ne diffère pas structurellement des autres espèces (par exemple de l'hippopotame page556) mais, mais, mais…il y a des différences notables:

Langage verbale, capacité d'abstraction, accumulation culturelle, création d'artefacts ( fusil à pompe, iPhone, raquette de squash etc.) et création d'institutions. Je cite:



« Ce n'est sans doute pas un hasard si les espèces animales jugées particulièrement intelligente (d'un point de vue anthropocentrique) par les éthologues, parce que capables de résoudre des problèmes divers et variés, de garder en mémoire de très nombreuses informations, de manipuler et parfois même de fabriquer des outils ou autres artefacts, etc., sont des espèces qui conjuguent altricialité (longue période de développement, dépendance à l'égard des adultes, soins parentaux et même allo-parentaux), vie relativement longue et cerveaux relativement gros comparativement à des espèces proches. C'est le cas des corvidés (corbeau, geai, corneille, etc.) par exemple ou de nombreux mammifères tels que les éléphants, les dauphins ou les primates non humains?. Mais ces propriétés, portées à un plus haut degré, sont caractéristiques aussi de l'espèce humaine : altricialité secondaire avec ralentissement du développement, très longue période de dépendance, et donc de subordination, à l'égard des parents et très gros cerveau.

Tant qu'on ne saisit pas le lien intime entre ces différentes propriétés de l'espèce humaine, on ne peut véritablement comprendre que l'altruisme, l'empathie et la forte capacité d'apprentissage, autant de traits qu'à peu près tout le monde s' accorde à trouver « positifs », et la dépendance ou la domination, qu'on perçoit souvent comme des traits négatifs, ne sont que les deux faces d'une seule et même pièce. Aucun mammifère altriciel, et les humains pas plus que les autres, n'échappe à cette équation, même si l'espèce humaine est la seule à pouvoir la juger et la critiquer »



La troisième partie de l'ouvrage enfonce définitivement le clou de la Domination:

Lahire nous parle des animaux et je retrouve avec plaisir les travaux de Stépanoff et Morizot. Pour faire très court : chez les bestioles, la domination est partout: « Qui mange qui? » mais pas seulement.

Par exemple les poules (travaux célèbres de la hiérarchisation par coups de bec, Schjelderup-Ebbe page 673)

Chez les humains c'est évidemment bien pire:

Haut/bas, Dessus/dessous, Sec/humide, Actif/passif, Mobile/immobile etc.

Et puis surtout:

Parent/enfant,

Homme/femme :

«  Ces faits que j'ai rapportés, à propos des écrevisses, des chimpanzés et des loups, et qui sont à peu près totalement ignorés par les chercheurs en sciences sociales, montrent que la domination des mâles sur les femelles n'est pas qu'une affaire culturelle et historique, bien que la culture et l'histoire ajoutent leur propre force et leur propre inertie au rapport social de domination. Ces faits de domination sont - comment le dire autrement? - indissociablement biologiques et sociaux, mais pas strictement culturels ou historiques.

Pierre Bourdieu se trompait donc en faisant de la domination masculine un produit purement arbitraire, culturel et historique. L'observation des rapports de domination entre mâles et femelles dans de nombreuses espèces prouve que de tels rapports précèdent de loin l'avènement des capacités de symbolisation, de la culture et donc de l'histoire. »(Page 811)

Vieux/jeunes (domination par l'antériorité),

Détenteurs des pouvoirs magico-religieux, politiques, ethnocentrisme , division du travail etc

La domination est partout, de toutes époques et dans tous les lieux.

Depuis le Paléolithique et même avant.



Alors, très chers lecteurs, que fait-on à présent qu'on a compris le truc ?

Je sollicite votre imagination (comme le suggère Bernard Lahire) pour trouver des contre-poids, des contre-feux…

Mais c'est un peu foutu non?

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Culture écrite et inégalités scolaires

Ce livre, publié pour la première fois en 1993, est directement tiré de la thèse de doctorat que Bernard Lahire a soutenue en 1990 à l'Université de Lyon 2. « Transfuge de classe » issu d'un milieu populaire, le chercheur s'interrogeait sur les ressorts des fréquents échecs des enfants issus des classes populaires. Il exploite une ethnographie de scènes de la vie scolaires (plusieurs centaines d'heures d'observation, analyse d'enregistrements et de productions scolaires d'élèves), pour mettre au jour les fondements microsociologiques de la loi statistique de reproduction scolaire des inégalités sociales. Inspiré par des travaux en histoire et en anthropologie sur les différences entre « cultures écrites » et « cultures orales », il mobilise l'approche anthropologique pour interroger des pratiques qui nous semble banales et mettre au jour des rapports de domination implicites et impensés (car familiers).



Cette mise à distance passe d'abord par une socio-histoire de l'essor des cultures écrites. Le développement de l'écriture apparaît intrinsèquement lié à de nouvelles formes de relations sociales, au passage de pensées mythiques à des modes de pensée scientifiques, de savoirs pratiques-empiriques à des savoirs théoriques. le passage de formes sociales orales à des formes sociales scripturales change radicalement le rapport au monde et à autrui.



Bernard Lahire se demande donc si les « échecs scolaires » ne seraient pas étroitement liés à la nature scripturale des savoirs transmis à l'école. Selon lui, les cultures écrites, par les structures mentales et cognitives qui les sous-tendent participent de la reproduction de formes de domination et d'exercice du pouvoir. Les enfants des classes populaires restent largement dans un rapport oral-pratique au monde et au langage ; ils apprennent difficilement à maîtriser ces formes sociales scripturales qui exigent une réflexivité par rapport à ce qui est dit, une distance vis-à-vis du signifié pour se concentrer sur des caractéristiques formelles. Il s'agit non plus de pratiquer intuitivement le langage, mais de l'analyser dans ses articulations internes et ses contraintes formelles, le penser en termes de lettres, de mots, de phrases, d'être capable d'expliciter le « sens » des énoncés… Les « difficultés », « fautes », « échecs » etc. reflètent, de ce point de vue, une résistance à entrer dans des formes sociales qui sont largement étrangères à certains enfants.



Les nombreux extraits du matériau brut d'enquête (entretiens, productions scolaires d'élèves, interactions en classe…) incarnent le propos et permettent de faire le lien avec des situations pratiques. L'auteur montre par exemple qu'une incapacité à définir un mot ne veut pas dire que l'élève ne le comprend pas en contexte, que les exercices de grammaire impliquent de faire abstraction de ce qui est dit, que la production d'un texte « cohérent » implique une réflexivité permanente. le concept de « formes sociales scripturales/orales » permet de surmonter une approche empiriciste opposant ce qui « est écrit » et ce qui « est dit » : les activités d'expression orales à l'école apparaissent ainsi, elles aussi, fortement marquées par les formes sociales scripturales. Dans les exercices oraux, l'attention reste focalisées sur les propriétés formelles du langage et non sur ce qui est dit, produisant les mêmes effets qu'à l'écrit.



Je remercie les Presses universitaires de Lyon pour l'envoi de ce livre dans le cadre de la dernière opération Masse Critique (non-fiction). J'ai été intéressée par la démarche interdisciplinaire consistant à fertiliser la sociologie de l'éducation en y important des travaux d'autres disciplines. La démonstration est convaincante et pourrait offrir un retour réflexif aux enseignants sur leurs expériences immédiates (de problèmes de déchiffrage, de réponses apparemment absurdes à un exercice de grammaire, etc.). Cela dit, il faut pour cela passer outre une écriture ardue même si l'auteur aspire à « une certaine clarté d'expression » (prologue). La forme destine ce texte avant tout aux sociologues.



Je suis restée sur ma faim à plusieurs égards. Si l'auteur estime que son travail éclaire différemment la reproduction des inégalités à l'école, j'aurais aimé qu'il replace ses conclusions dans le contexte plus large de la sociologie de l'éducation – dont il ne rend d'ailleurs pas du tout compte des développements « récents », n'ayant visiblement pas du tout mis à jour un manuscrit qui date des années 1990. A minima, il aurait été intéressant de réfléchir aux changements qu'a connus l'institution scolaire depuis l'époque de l'enquête et à leurs implications pour la validité des conclusions (que je ne remets pas en doute, j'aurais aimé que cela soit discuté).



Par ailleurs, il me semble qu'une approche comparée mobilisant des observations dans d'autres contextes (par exemple dans les écoles scandinaves où les inégalités scolaires semblent moins fortement reproduites qu'en France) aurait fourni une autre piste intéressante pour départiculariser ce qu'est « l'échec scolaire ».



De manière plus fondamentale, il me semble que l'auteur ne répond pas complètement à sa question de savoir pourquoi autant d'enfants issus des milieux populaires se retrouvent en situation « d'échec ». le livre explique plutôt comment. La question brûlante que l'on se pose à la lecture est celle des conditions dans lesquelles s'acquièrent le capital scolaire et la maîtrise des cultures écrites. À cet égard, il aurait été intéressant d'étudier des trajectoires de « miraculés scolaires » comme Bernard Lahire lui-même, ou par exemple Pierre Bourdieu (sans forcément prendre des exemples aussi extraordinaires de "réussite scolaire"). Ou d'enquêter dans le milieu familial (il me semble que c'est ce qu'il a fait avec un collectif pour écrire Enfances de classes, paru en 2019, qu'il faut que je lise). Des expériences comme celle menée au LIEPP (https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/favoriser-les-competences-langagieres-des-enfants-des-milieux-defavorises-une-evaluation-exp.html) qui a pointé le rôle de la lecture à voix haute dans la réduction des inégalités de culture écrite sont intéressantes à cet égard et porteuses d'espoir. Un dispositif assez simple et peu coûteux de sensibilisation des familles à l'enjeu et d'envoi gratuit de livres semblait ainsi déjà contribuer significativement au développement de compétences langagières.
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Pour la sociologie

Bernard Lahire en a visiblement assez que la sociologie soit méprisée, incomprise, critiquée par tous ceux qui pensent que la volonté seule d'un être humain le conduit à faire des choix. Ce court essai tend à démontrer que la sociologie, qui étudie l'histoire et l'environnement de chacun, n'a pas pourtant pour vocation de trouver des excuses aux criminels, comme beaucoup se plaisent à le croire...



Bernard Lahire cherche à remettre les pendules à l'heure, et le fait plutôt bien. Non, la sociologie n'est pas inutile et peut apporter beaucoup d'éléments qui expliquent non pas pourquoi quelqu'un a commis un crime mais plutôt ce qui l'a amené à une action criminelle, analysant ainsi son parcours depuis la naissance. Lahire ne cherche donc certainement pas à excuser les criminels, mais à comprendre comment ils en sont arrivé là, pour mieux non pas les critiquer eux, mais pour en tirer des conclusions utiles au fonctionnement de la société et éviter de futurs dérapages du même style.

La sociologie est une discipline qui est intéressante, qui cherche à comprendre, tout simplement. Connaître, comprendre et interpréter le parcours de vie d'une personne est TOUJOURS intéressant, quelles que soient les circonstances. Pourquoi ? Parce que nous sommes ce que nos parents, notre éducation, notre environnement, nos rencontres, nos joies, nos peines ont fait de nous. Je crois fermement que la nature n'est que le résultat de la culture. Aujourd'hui on pense telle chose car il nous est arrivé telle chose. Si on est quelqu'un de timide, extraverti, passionné, émotif, etc., c'est pour une raison.

Maintenant, je ne suis pas si en désaccord que ça avec tous les gens qui prônent l'idée que "si on veut, on peut". Si on veut, on peut faire les bons choix. D'un côté, la vie nous amène à faire certains choix, criminels ou non, mais au final on reste quand même coupable d'un mauvais choix. La sociologie, ainsi, explique mais n'excuse pas. Il est toutefois extrêmement difficile, pour cause d'environnement, d'appliquer cette formule du "si on veut, on peut". Certaines situations (comme les moules sociaux, les habitudes, les connaissances, les qu'en dira-t-on, etc.) peuvent clairement empêcher quelqu'un dans une situation difficile d'en sortir par simple volonté. Cela demande, à mes yeux, beaucoup de courage, que néanmoins beaucoup ont. Il en faut beaucoup pour aller à l'encontre de la majorité, des traditions, du jugement des autres.

Alors je sors de cette lecture avec la conviction que nulle idée peut être toute blanche ou toute noire, que tout a des nuances, que la sociologie n'excuse pas mais qu'au final un mauvais choix doit se payer, que la volonté est une arme puissante mais qui demande beaucoup de courage tandis que le courant nous emporte souvent là où n'aurait pas forcément envie d'aller.

Il est, de toute façon, toujours intéressant de parler, s'interroger, réfléchir, et ce livre constitue un bon outil avec des exemples pertinents.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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Les structures fondamentales des sociétés hum..

Ce livre de Lahire est un gros pavé de 960 pages pour établir les fondements des sociétés humaines. Il est passionnant et révolutionnaire et j'en ai complètement abandonné mon polar !



L'ouvrage est divisé en trois parties :

1) Critique des sciences sociales (sociologie, ethnologie) qui, aujourd'hui, en sont venues à renoncer au réalisme et prônent un relativisme culturel absolu et donc un statut particulier dans le monde scientifique. A l'inverse, Lahire va poser des principes et des invariants à partir desquels il organise les connaissances acquises. Surtout, il s'appuie sur d'autres disciplines que les sciences sociales, la biologie évolutive, l'éthologie, la paléoanthropologie pour faire un pas de côté et permettre des comparaison inter-espèces qui sont très révélatrices.

2) La deuxième partie "Ce que les sociétés doivent à la longue histoire du vivant" est la plus intéressante à mon avis et montre les grands faits anthropologiques, les lignes de forces et les lois sur lesquels on peut s'appuyer pour comprendre les sociétés. J'y reviendrai.

3) Il étudie enfin un certain nombre de faits sociaux concrets qui illustrent ces lois dans le foisonnement des expressions sociales.



Lahire pose cinq grands faits anthropologiques avec leurs conséquences :

- l'altricialité secondaire i.e. le fait que le nouveau-né humain naisse dans un état d'absolue dépendance vis-à-vis de ses parents et que cela se prolonge pendant plusieurs années. Cet état de fait a d'énormes conséquences : la nécessité d'un groupe parental resserré avec une stabilité relative du groupe familial, la nécessité de prendre soin des enfants et des mères, avec donc le développement de l'altruisme, la nécessité d'une socialisation de l'enfant, l'omniprésence des rapports de domination (parents-enfants d'abord, hommes-femmes ensuite car c'est sur les femmes que repose malgré tout l'essentiel du soin des enfants)

- le fait de la séparation des deux sexes, avec la division du travail reproductif, différenciation sexuée des rôles, différences comportementales et statutaires

- La socialité de l'espèce, due pour une bonne part à l'altricialité

- L'historicité de l'espèce, avec une culture cumulative et la transmission culturelle intergénérationnelle

- La longévité, avec la possibilité d'accumuler des expériences et la possibilité de transmettre ses expériences à deux générations



A partir de ces faits anthropologiques, Lahire relève dix lignes de force qui structurent les sociétés :

- Des moyens de production profondément collectifs

- Des rapports de parenté sous le signe de la dépendance et de la domination, avec un rôle important de socialisation par les parents

- Des rapports hommes-femmes marqués par la division sexuelle du travail et la domination des hommes sur les femmes

- de la socialisation et transmission culturelle

- de la production d'artefacts. La faiblesse physique de l'homme entraîne une compensation culturelle et surtout artefactuelle

- de l'expressivité symbolique, avec le développement relativement autonome du religieux, politique, juridique, esthétique.

- Des rites et des institutions : il existe des rites chez les animaux (parades nuptiales, rituels de réconciliation, de soumission…). Leur fonction est de fixer certains comportements avec les obligations et les sentiments qu'ils impliquent. L'institution est une association de pratiques (rites) et de discours (mythes) et est un puissant moyen de stabilisation des rapports sociaux

- Des rapports de domination : plus la société se différencie, plus les rapports de domination se différencient (notamment la nature de cette domination)

- du magico-religieux qui renvoie aux capacités symboliques de l'être humain. Il a partie liée avec l'immaîtrisable et la conscience de l'impuissance de l'homme

- de la différenciation sociale des fonctions/division sociale du travail : cela entraîne une altricialité tertiaire car les hommes sont dépendants de choses qu'ils n'ont pas fabriquées et ne savent pas fabriquer



Il dégage ensuite presque une vingtaine de lois sociales, qui permettent de voir comment et dans quelle mesure les sociétés humaines varient autour de ces invariants.



Pour reprendre un peu les discussions entamées avec les critiques de 4bis et michel69004, je dirai que "malheureusement", Lahire est très convainquant dans ses argumentations. Je suis très attachée à la nécessité d'avoir recours à la biologie évolutive et à l'éthologie pour savoir d'où l'on part éventuellement, y compris pour des faits qui semblent spécifiques à l'espèce homo - et qui ne le sont pas. Il faut donc faire avec les rapports de domination omniprésents, en particulier hommes-femmes, avec la préférence du nous contre le eux, et autres éléments gênants. Cependant, je pense qu'on peut s'appuyer sur le développement de l'altruisme, autre conséquence de l'altricialité et sur le fait qu'il y a une boucle rétro-active du social/culturel et du biologique. On le voit bien avec les inventions (biberon, lait maternisé, crèches, etc.) qui ont pu permettre un desserrement des rapports de domination hommes-femmes, du moins dans certaines sociétés. Il ne faut donc pas abandonner !
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La condition littéraire : La double vie des écr..

Très bon ouvrage, bien documenté, les témoignages d'écrivains m'ont le plus intéressée. Comment se définit socialement un écrivain? Comment la société le considère? Certains n'osent pas s'appeler eux-mêmes "écrivain", préférant le terme plus modeste selon eux, "d'auteur".

Comment fait-il pour vivre (ou survivre)? Le plus souvent en ayant un second métier, d'où le titre "La double vie des écrivains". Pour certains, c'est l'écriture le vrai métier, l'autre n'étant qu'un gagne-pain, pour d'autres c'est d'abord le métier quel qu'il soit (mais souvent en rapport avec les lettres: journaliste, professeur, etc...) et l'écriture est vue comme un délassement.

L'auteur aborde également la question des activités annexes de l'écriture, qui peuvent faire gagner (un peu) de l'argent: les séances de dédicace, les prix littéraires, les déplacements dans les collèges ou lycées pour parler du livre, les résidences d'écrivains...

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Pour la sociologie

Avec son dernier livre, Bernard Lahire démontre tout l'intérêt des « sciences du monde social » dont fait partie la sociologie. Alors qu'il avait déjà formulé l'utilité sociale (mais aussi « politique", entendons par là pour le citoyen) de la sociologie dans un ouvrage maintenant déjà ancien, « A quoi sert la sociologie ? » (La Découverte, 2004), il retravaille, dans cet essai, son argumentation de manière plus accessible pour un public de lecteur non familiarisé avec le langage sociologique. Et s'il le fait, c'est principalement parce que, d'une part, son livre est une critique radicale du pamphlet de Philippe Val: « Malaise dans l'inculture » (Grasset, 2015), et d'autre part, parce que la sociologie est accusée des maux qui rongent la société française.

En effet, Philippe Val donne de la sociologie une vision délirante, réductrice, imaginaire, infondée et néfaste à ce citoyen qu'il prétend, lui-même, éclairer grâce aux idées des philosophes des Lumières. Bernard Lahire passe alors au scalpel de son analyse tous les arguments à charge de l'ancien patron de Charlie Hebdo. Pour ce faire, il s'appuie sur ses nombreux travaux (et d'autres) dans le domaine de l'éducation, de l'école et de l'apprentissage des savoirs. Contrairement à Val, Lahire, loin du sociologisme totalitaire, adopte une démarche essentielle à tout sociologue ; « désévidencialiser » les faits sociaux et non les « essentialiser », autrement dit, lutter contre les évidences du sens commun et ainsi procéder à une rupture avec ses présupposés, ses prénotions et ses préjugés quel que soit le sujet. Cette démarche typiquement scientifique, et non idéologique, repose sur une posture compréhensive contrairement au « mythe de l'excuse sociologique » qui suppose un jugement moral. La sociologie n'est donc pas une science morale ni idéologique, même si certains sociologues (Lahire ne dit rien sur ce point) s'y fourvoient et confondent science, politique et journalisme.

Enfin, Bernard Lahire va plus loin. Pour lui, les méthodes et les techniques appliquées en sciences sociales (observation, questionnaire, entretien, description, narration, … ) devraient être enseignées dès l'école primaire. Elles permettraient une connaissance objective, dès l'enfance, du monde dans lequel le citoyen vit et, probablement, une fois adulte, une meilleure appréhension de son destin.

Tout citoyen qui consent à prendre conscience des mécanismes sociaux et économiques, de la réalité des milieux sociaux, ne serait-ce que du sien, aurait intérêt à lire et à méditer l'ouvrage de Bernard Lahire.
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Pour la sociologie

Bernard Lahire précise dans son introduction que ce texte a été volontairement écrit pour s'adresser à des non-professionnels de la sociologie.

Et c'est tant mieux, car n'ayant pas fait de hautes études, je craignais qu'il me soit incompréhensible. Erreur, ce livre s'adresse à tout-un-chacun désireux d'apprendre et mieux ressentir le monde dans lequel nous vivons.



C'est avec des mots simples (ou pas trop compliqués) et beaucoup d'exemples concrets que l'auteur nous explique sa vision du monde, basée sur un apprentissage de chaque jour puisqu'il a étudié la sociologie toute sa vie et pratique cette science, entre autre, comme professeur.



En effet, la sociologie semble être actuellement (car tout cela est nouveau pour moi) la cible de nombreux politiques, intellectuels, journalistes, qui la dénoncent comme étant le centre de tous les maux et la cause de nombreux dysfonctionnements de notre société.

Bernard Lahire démonte et nous démontre, au contraire, toute son utilité. Cela se rapproche d'ailleurs du livre de Nuccio Ordine (L'utilité de l'inutile) lu récemment.



A quoi cela sert de comprendre ? La liberté individuelle existe-t-elle réellement ? Les dominants - les dominés. Qu'est-ce que la sociologie ? Quelles sont les interprétations du consentement ? Vous aurez réponse à toutes ces questions en lisant ce livre qui est, je trouve, une très bonne introduction à cette science.



J'aimerais ajouter que, ce qui m'a plu aussi dans cet ouvrage, c'est que l'on sent que l'auteur a une grande expérience de la vie des gens, toutes classes sociales confondues, comme s'il les côtoyait de près. Il n'est pas sur "un nuage", déconnecté de la réalité. Bien au contraire.

Pour moi, c'est une découverte.
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Les structures fondamentales des sociétés hum..

Bernard Lahire offre une synthèse magistrale de connaissances par ailleurs largement éparpillées relevant de la biologie et de la sociologie. Il cherche à montrer que des connaissances solides et cumulatives sont possibles en sciences humaines. Il soutient ainsi une conception réaliste des sciences sociales  et veut sortir de l'impasse où des visions strictement constructivistes et relativistes nous ont conduits. Son projet consiste en outre à montrer qu'il n'y pas de différence de nature fondamentale entre l'homme et les animaux non humains, que les racines du social sont présentes chez les animaux et que la sociologie trouve ses fondements dans la biologie sans perdre pour autant ses caractères propres.



Ce livre très pédagogique a le mérite de donner à réfléchir et de fournir un cadre de réflexion global pour aborder les questions qui se posent à nous aujourd'hui face au nouveau monde qui émerge péniblement des changements profonds que nous traversons. Il me semble être complémentaire de  l'ouvrage Biocivilizations de Predrag B. Slijepcevic que je viens de lire récemment et constitue avec lui un diptyque très stimulant.



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L'interprétation sociologique des rêves

Est-il possible d’avoir une interprétation des rêves qui ne soit pas psychanalytique, psychologique ou encore étroitement assujettie aux fonctions du sommeil appréhendées par les neurosciences ? Telle est la question que se pose le sociologue Bernard Lahire. Autrement dit, la production des rêves peut-elle être un objet des sciences sociales ? Avant d’y répondre, l’auteur s’attache à recenser l’ensemble des approches qui ont été faites dans la science des rêves. Il ne s’agit pas pour lui d’opposer ou de privilégier, par exemple, une approche à une autre mais de comprendre tous les progrès qui ont été accomplis dans la connaissance de cette science. À partir de là, il peut proposer sa propre interprétation sociologique des rêves. Celle-ci se veut scientifique et ne consiste donc pas à chercher une clé des songes qui permettrait à chacun de décrypter ses rêves.

Bien entendu, Lahire rattache sa démarche à celle – plus générale – à laquelle il est attaché en sciences sociales, une démarche de type dispositionnaliste-contextualiste : Comprendre la manière dont l’individu intègre un ensemble de dispositions au cours de ses expériences de vie en société et est amené à les utiliser dans certains contextes. Il est nécessaire de le préciser pour appréhender, notamment, sa manière d’égratigner au passage le concept d’habitus chez Bourdieu. Par ailleurs, il s’appuie, entre autres, sur les travaux de Piaget pour montrer que les schèmes de comportement intériorisés par l’individu au cours de sa vie vont organiser des schèmes oniriques, ce qui établit le pont entre les comportements sociaux et les rêves.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux éléments méthodologiques mis en œuvre par le sociologue pour bâtir son interprétation. Indispensable aux chercheurs et critiques – le champ des sciences sociales est un lieu de redoutables combats –, elle retiendra moins le lecteur lambda en raison de sa technicité.

La lecture de cet ouvrage est parfois ardue, non pas parce que ce que nous explique Bernard Lahire serait difficile d’accès en soi, mais parce qu’il jongle avec un matériau touffu, de multiples références, citations, commentaires qui nous demandent de le comprendre lui comme de nombreux autres auteurs.
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À quoi sert la sociologie ?

En réaction à un billet de France Culture (Qui veut la peau de la sociologie ?) où l'éviction de la sociologie au concours CNRS est en question, et où l’ouvrage A quoi sert la sociologie ?, est mentionné, je me suis dit que c’était l’occasion parfaite pour découvrir et lire ce livre.



Sous la direction de Bernard Lahire, cet ouvrage regroupe les réflexions d’autres sociologues sur l’utilité de la sociologie, même si certains sociologues se détachent de cette question pour aller, parfois plus loin dans la pensée (Qu’est-ce que la sociologie ? Qu’est-ce que sont les études sociologues ? La sociologie est-elle une science ? Doit-elle être scientifique ? Etc). Ainsi, nous pouvons lire les avis de différents courants : disciple de Durkheim, de Bourdieu ou encore de la théorie rationnelle. Et il est très intéressant, de voir que d’un sociologue à un autre, d’un courant à un autre, parfois pourtant de la même génération, la sociologie revêt un sens différent. Sociologie sociale ou sociologie scientifique, les avis divergent et, nous pose, à nous, lecteurs, la question de nos propres pratiques ou aspirations futures. Que voulons-nous de la sociologie ? Acte désintéressé ? Répondre aux demandes sociales ? Tant de réponses que de sociologues, d’étudiants, de sujets…



Sur la forme, les textes sont plutôt accessibles même pour des profanes, cela variant tout de même en fonction des auteurs ; mais dans une grande majorité, cet ouvrage est vraiment ouvert au plus grand nombre. (Chose rare et donc importante à souligner en sociologie). Même si… Cet ouvrage n’est pour moi pas purement sociologique dans le sens où les auteurs/sociologues/chercheurs font davantage une expérience introspective sur leurs pratiques et celles de leurs pairs qu’une véritable sociologie de la sociologie.



Toutefois, et j’en terminerai ainsi, cet ouvrage est un véritable plaisir de lecture. Tel un roman, il est addictif.

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Ceci n'est pas qu'un tableau

Gloire française de la peinture du XVIIe siècle, Nicolas Poussin acquit en 2007 une notoriété publique nouvelle lors de l’achat pour 17 millions d’euros de sa Fuite en Égypte par le musée de Lyon. Les débats sur l’authenticité de la toile, qui durèrent près de 20 ans, le battage médiatique qui permit de réunir la somme, le procès qui précéda l’acquisition : tous les ingrédients étaient réunis pour écrire un livre à sensation, couronné par une happy end. C’est pourtant une tout autre histoire que propose Bernard Lahire en exposant ces péripéties parfois rocambolesques. Le sociologue analyse en effet les us et coutumes des historiens de l’art, des juristes, des marchands, des vendeurs, interrogeant à la fois la valeur accordée à l’art dans la société contemporaine et les rapports de domination exercés à travers lui. Il révèle de cette manière les jalons d’une « consécration » qui n’a souvent rien de désintéressée. Les rivalités professionnelles, les affrontements pour la possession physique des oeuvres ou pour leur possession intellectuelle par l’attribution, sont décryptés sans aucune complaisance. Mais de manière plus large, l’ouvrage souligne les paradoxes de l’histoire de l’art. La discipline ne peut en effet se nourrir seulement de théories, d’idées philosophiques et esthétiques ; elle ne peut travailler uniquement à partir de textes ou même de concepts. Car elle dépend étroitement d’objets matériels qu’elle doit identifier, dater, et parfois attribuer. Sans ce travail préliminaire, elle perd en quelque sorte son existence même : comment parler du peintre Poussin si le déroulement de sa carrière reste imprécis ? Lorsque les sources d’archives sont inexistantes ou lorsqu’une oeuvre disparue depuis des siècles, comme la Fuite en Égypte, réapparaît brutalement en trois, voire en quatre versions, en collection privée, en salle des ventes et dans les réserves ignorées d’un obscur musée, comment reconnaître l’exemplaire original ? B. Lahire met ainsi au jour toute une chaîne de rites et de cérémonials étranges, qui permettent la légitimation sociale d’un objet artistique. Le livre est décapant, car il dévoile au fil des pages le regard « magique » que nous portons sur les oeuvres en général, la manière dont une société les « fabrique » et établit des croyances proches de convictions religieuses. Le cas Poussin pourrait d’ailleurs être facilement transposé à la situation de l’art contemporain, dont la valeur pécuniaire peut sembler tout aussi irrationnelle, ou même à celle de la Joconde, traquée quotidiennement par des milliers d’objectifs photographiques et jamais vraiment regardée pour ce qu’elle est : un portrait de la Renaissance parmi d’autres. Mais il faut aussi souligner que ce sont là des cas extrêmes, qui ne préjugent pas du quotidien laborieux de l’histoire de l’art : sans se soucier des aléas capricieux du marché de l’art, inventorier, étudier, sauver même de pauvres objets, dont la société entière se désintéresse souvent avec une bonne conscience parfaite.



Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 513, juin 2015
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Dans les plis singuliers du social

J’ai ressenti une forme de jubilation mâtinée de soulagement à la lecture des premières pages de ce livre. Avec les années, j’ai développé un goût d’autodidacte pour certains écrits sociologiques. C’est sans doute une conséquence des années qui s’accumulent : se retourner sur son existence, la contempler à la lumière de celles des autres (passées ou contemporaines), chercher à y établir des points de comparaison, des schémas directeurs. Et très vite, être frappée de cette intuition que seul le libre arbitre ne peut expliquer toute une vie. Que si, par exemple, on s’est marié à tel âge pour divorcer à tel autre, qu’on vit dans une zone pavillonnaire ou dans tel quartier de centre-ville, qu’on mange vegan, bio, slow ou fast food, sur tel fond musical, il y a là quelque chose d’éminemment culturel, générationnel, bref, social qui dépasse notre identité, notre seule liberté à agir ainsi. C’est peut-être aussi une manière de donner du sens à une existence dont le déroulement semble souvent échapper. J’avais ainsi été aussi fascinée que déconfite à la lecture de La Fin de l’amour d’Eva Illouz. Fascinée de comprendre par quels rouages économico-scopiques nos comportements étaient mus. Et déconfite de trouver l’individu à ce point réduit à incarner ces grands mécanismes qui le détermineraient.

Bernard Lahire s’oppose à cette manière de penser de grands ensembles qui atrophieraient la singularité de chacun. Et en même temps, il combat l’idée qu’un individu pourrait n’agir que sur sa volonté propre sans enracinement social. Non les catégories sociales n’épuisent pas l’identité de chacun, le « cadre intermédiaire », la « ménagère de moins de 50 ans » ne résument aucun des personnes pouvant entrer dans ces typologies. Et non les institutions ne sont pas dépassées par des individus dont l’addition des volontés propres les aurait dynamitées. Bon, ça fait quand même du bien de le voir confirmé ! En plus, B. Lahire fait montre, dans la première partie de son livre au moins, d’une belle énergie à battre en brèche des théories adverses très établies. C’est assez réjouissant.

Ce qu’il propose ensuite l’est tout autant. Nous ne sommes que social et notre rapport au monde est le point d’interaction entre le social que nous avons mémorisé (toutes les interactions dans notre histoire avec les autres individus dans la variation de tous les cadres institutionnels) et la situation que nous rencontrons (situation elle-même réductible à des paramètres sociohistoriques particuliers). L’intériorisation d’expériences de sociologisation passée nous conduit à développer des compétences qui sont autant d’aptitudes que notre analyse du contexte nous permet d’utiliser, ou non. Et la récurrence de ces utilisations les renforce tout en les modifiant subtilement selon le processus utilisé par l’apprentissage des intelligences artificielles (là, c’est moi qui extrapole de ce que j’ai compris).

J’ai trouvé cette lecture très stimulante. Elle m’a permis de mettre au clair un ensemble de critiques que j’avais contre des lectures sociologiques antérieures et de conceptualiser ce qui restait assez nébuleux auparavant. J’ai trouvé la progression des chapitres assez aisée et le style abordable hormis le chapitre consacré à Durkheim qui ne m’a pas apporté grand-chose car n’ayant rien lu du grand homme, je suis bien peu à même de voir l’intérêt de déconstruire certaines de ses contradictions.

Tout à mon enthousiasme, j’ai été toutefois un peu déçue que le livre se finisse ainsi. Lahire explique bien que cet ouvrage vise à rendre plus audible ses analyses et collationne à ce titre différents textes antérieurs. Moi, j’aurais bien aimé qu’il approfondisse la définition des institutions à la lumière de sa sociologie « dispositionnaliste, multidéterministe et à l’échelle individuelle ». Les institutions, auxquelles l’auteur conforte une place primordiale dans l’organisation sociale mais aussi individuelle, sont-elles elles aussi à lire comme l’intériorisation d’expériences que tous les individus qui la composent ont cumulé ? Existent-elles en elles ou seulement dans le regard de ceux qui les utilisent et dans la perception qu’en ont ceux qui les incarnent ? Est-ce seulement le poids des normes (lois, décrets, cadres contractuels) qui les font exister ou ne sont-elles pas, tout comme les individus, des entités à la croisée entre une intériorisation sociale et une situation contextuelle que leur passé leur permet d’appréhender d’une certaine façon ?

Et puis, curiosité et vieux dada personnel, j’aurais bien aimé aussi que soit creusée une réflexion sur la définition du pathologique à la lumière de cette singularité sociale. Comment ce concept de pathologique (qui s’incarnerait dans la maladie à l’échelle individuelle et dans la rupture de loi à l’échelle de l’interaction collective ?) pourrait être éclairé par cette pleine intériorisation du social ? Il me semble que cela fait bouger les lignes. Si quelqu’un a des propositions de lecture explorant ces thématiques, je suis preneuse !

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Les structures fondamentales des sociétés hum..

L'introduction de l'ouvrage, disponible chez l'éditeur, met à bas toutes les théories sociales. Cela n'étonnera pas nombre de lecteurs. Pour le reste du livre, il faudra le lire. Il pourrait révolutionner les sciences sociales qui conçoivent "l'activité théorique comme simple construction d'un point de vue, inconciliable par rapport à d'autres points de vue concurrents, et dans un rapport de pure arbitrarité vis-à-vis du réel".

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La culture des individus

J'ai lu ce livre il y a un certain temps, non sans intérêt. J'ai eu envie de lui consacrer une chronique à la suite d'une discussion que j'ai eu récemment, dans laquelle Bourdieu a été mentionné, et où il m'a été conseillé sans trop de douceur de m'abstenir de critiquer des ouvrages traitant de sociologie tant que je n'aurai pas étudié la méthode sociologique.

Occasion donc de mettre certaines choses au point.

Au travers d'interviews, l'auteur étudie les pratiques culturelles d'un certain nombre de personnes. Il en arrive à la conclusion qu'il n'existe pas de profils culturels consonants au sens où l'entend Bourdieu, et que, par exemple, les s individus ayant fait des études poussées et/ou appartenant aux "classes dominantes" n'ont pas nécessairement de goût particulier pour la musique et la littérature classique, et d'ailleurs pas plus que les autres.

Mais Monsieur Lahire n'en tire pas la conclusion évidente que Bourdieu s'est trompé lorsqu'il a écrit ' La distinction - critique sociale du jugement " (ouvrage que j'ai lu pour mon malheur lors de sa sortie ; la faute en était au talent de Bernard Pivot qui en avait parlé dans la merveilleuse émission 'Apostrophes")

Bien mieux, Lahire rend dans son ouvrage un hommage appuyé audit Bourdieu ( sans doute est-ce un passage obligé en sociologie mainstream, comme cela fut un temps le cas pour Marx dans les disciplines les plus diverses)

Malgré son intérêt, j'ai eu du mal à terminer l'ouvrage pour deux raisons, propres sans doute à la méthode sociologique :

-le caractère répétitif des interviews qui semblent tourner en boucle, ce qui devient lassant à la longue ;

-et le parti de retranscrire les propos des interviewés tels qu'ils ont été tenus, hésitations, répétitions et interjections comprises, ce qui fait beaucoup de "euh',"ben", "on va dire " et autres. Entendons bien, je ne critique pas la manière de parler des interviewés, et la mienne n'est sans doute pas meilleure. L'oral est par nécessité plus relâché que l'écrit. Mais je ne pense pas que la transcription de ces propos en style plus soutenu les aurait nécessairement déformé. Je crois même qu'elle aurait permis de mieux dégager la pensée des locuteurs.

Preuve sans doute que je ne comprends rien à la méthode sociologique.

Malgré ses lourdeurs, la lecture du livre demeure intéressante

Mais c'est pour cela que je pense que les meilleurs ouvrages, je ne dirai pas de sociologie, puisque c'est une marque déposée, mais d'étude sociale, émanent de non -sociologues, comme pour la France actuelle Guillouy ou Fourquet, voire de romanciers et même d'auteurs de polars
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Comment vivre ensemble quand on ne vit pas ..

Cet opuscule, rédigé par un collectif d'anthropologues français et paru en 2016, résulte d'un projet éducatif dans un lycée d'Aubervilliers, en banlieue parisienne. Il recense vingt questions délicates auxquelles les auteurs apportent des réponses claires. On démarre par la définition du rôle des anthropologues, puis on continue avec les mythes et religions, avec l'intégration individuelle dans une culture différente, et on finit sur les valeurs portées par notre République.

Evidemment, les auteurs prennent des positions qui sont nettement en opposition à la xénophobie et en faveur de l'accueil des cultures différentes dans notre pays. Ils se présentent comme des scientifiques, qui savent de quoi ils parlent. Mais ils se veulent, aussi, des acteurs qui cherchent à promouvoir le vivre-ensemble dans une France qui parait de plus en plus divisée. Peut-on croire que ce type d'action saura apaiser les réactions de rejet (réciproque) et les peurs qui se répandent en France ?

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Ceci n'est pas qu'un tableau

Mettre à jour le canevas et les fils de couleur utilisés



Une toile, un tableau et des interrogations radicales sur les socles de nos croyances, le sacré, l’institutionnalisation de la peinture, nos connaissances, des formes de la domination…



C’est toujours avec plaisir, que je m’embarque dans un livre de Bernard Lahire. Derrière le poids apparents des pages, j’y trouve la légèreté des beaux ouvrages, des précisions consistantes, des contrées peu fréquentées, des marges peu interrogées, des plongées dans des espaces si souvent escamotés…



Ici, un peu comme dans un très bon livre noir, la présentation des contextes, la mise en place des regards, importe plus que l’histoire elle-même. Et tout cela, parce « ceci n’est pas qu’un tableau »



Dans son introduction, « D’une toile tirer le fil », Bernard Lahire parle de curiosité, d’angles d’attaque, de structure de nos sociétés, de rapports de domination, de magie sociale, d’urgence à « réaliser un travail qui tente de mettre au jour un certain nombre d’états de faits et de socles de croyances quasi invisibles et pourtant si lourds et si structurants pour nos vies », d’oubli politique et scientifique…



L’auteur propose de faire « varier l’échelle de contextualisation en fonction des questions que l’on se pose ou des problèmes que l’on cherche à résoudre », parle de cette (ces) « La Fuite en Egypte », de l’exceptionnalité des discours tenus, de prix, d’énergie sociale, d’« un objet sacralisé par l’histoire et les comportements qui s’y rattachent », de l’état des choses et des « institutions, rapports de force et coups de force cumulés du passé »…



Des tableaux sont qualifiés, classifiés, « on ne retrouvera rien de tout cela dans ce livre, mais bien au contraire la volonté de rendre raison du fabuleux, de dévoiler les croyances et de faire tomber les mythes ». Les objets culturels n’existent que saisis « par des discours, des grilles de classification, des épreuves, des procédures et des institutions », et il y a tant à dire sur cela avant d’éventuellement aborder les sensations et leurs inscriptions sociales et historiques… Comment analyser l’objet magique et l’aura qui semble émaner de lui, le réel « entre continuité matérielle et discontinuité sociale », les usages ou la valeur…



Pour saisir, il faut, une fois de plus, sortir des cadres qui semblent s’imposer mais qui font aussi partie des constructions à analyser, des conceptions qui nous enferment « dans le présent immédiatement visible des situations », des résistances « à cet appauvrissement problématique de la recherche spécialisée »…



Livre 1 : Histoire domination et magie socialement



Etats de faits et socles de croyances



Domination et magie sociale



L’articulation des oppositions : dominants/dominés et sacré/profane



Livre 2 : Art, domination, sacralisation



L’extension du domaine sacré : l’émergence de l’art comme domaine autonome et séparé du profane



Authentification, attribution



Livre 3 : Du Poussin et de quelques fuites d’Egypte



Sublime Poussin : maître du classicisme français



Le fabuleux destin de tableaux attribués à Nicolas Poussin



Poussin, la science le droit et le marché



Comment chacun joue son jeudi



Conclusions



En espérant que cette petite introduction et le sommaire donneront l’envi de se saisir de cet ouvrage, et aux marges des pertinentes analyses, je voudrais relever quelques points. Et d’abord, une interrogation sur le « sacré ». Si l’auteur montre les déclinaison spécifiques et historiques du sacré et de nos relations aux sacrés, je reste dubitatif sur le regroupement, sous une rubrique/notion unifiée, de ces rapports sociaux. Le sacré comporte en règle générale, deux « modalités » contradictoires : sacré/domination et sacré/refus de la domination. Ces deux dimensions entrelacées sont particulièrement frappantes dans les religions monothéistes. Mais est-ce le cas, sous le capitalisme, pour le fétichisme de la marchandise et son « objectivité » ?



Un second point me semble discutable. L’auteur sous-estime, me semble-t-il, les violences continues imposées/constitutives du fonctionnement des différents rapports sociaux, les différentes dimensions de l’inégalité non réductibles à l’accès aux biens et leurs effets sociaux.



Enfin dans sa virulente et bienvenue charge contre les réductions « savantes » du monde universitaire, je ne pense pas que la « mise à distance de toutes sollicitations et injonctions perturbatrices » soit une réponse raisonnable. Le monde universitaire ne souffre pas de trop d’engagements mais plutôt de manque d’engagements socio-politiques (autres choses, sont ses relations marchandes, ses facilités ou superficialités, ses carriérismes ou ses égoïsmes). Et dans sa liste limitée du paysage scientifique des sciences sociales manquent cruellement les chercheuses féministes et les chercheurs/chercheuses non occidentaux…



Quoiqu’il en soit un livre passionnant sur des « magies » sociales, leurs constructions et leurs effets, sur des objets dont « l’existence même en tant qu’objet important retiré du monde des objets ordinaires et constitué en objet digne de notre admiration » et une invitation à décrypter « les mythes savants », penser et non monumentaliser les savoirs, donner à voir « le monstre invisible », être capable « d’opérer ce fameux « bond hors du rang des meurtriers » », et élaborer les compréhensions d’un monde, faut-il le rappeler « transformable ».
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Les structures fondamentales des sociétés hum..

Ce livre propose une vision assez incroyable et prometteuse pour tous ceux qui seront prêts à jeter un regard frais sur l'éternel débat du biologique vs. le social.



Il me reste maintenant à réfléchir à tous les axes de recherche qui peuvent être impactés.



Pour résumer : il montre que de nombreux comportements sociaux humains existent aussi chez des animaux qui ne disposent pas de la culture. Par exemple : la domination des parents sur les enfants et des mâles sur les femelles. Ou bien encore les organisations pyramidales ou la xénophobie.



La conséquence me parait être qu'au lieu de continuer à débattre sur le caractère biologique (donc supposé « bon ») ou sociologique ou culturel (donc possiblement « mauvais ») d'un comportement, on pourrait au contraire inverser la logique, comme le faisait déjà Darwin, en montrant qu'un comportement social peut « contrer » une loi biologique. Exemple : la solidarité envers les plus faibles (enfants, vieillards, handicapés, malades) depuis le début de l'histoire humaine.



Par ailleurs la frontière entre monde animal et humain se voit sérieusement malmenée, puisqu'il s'avère que certains animaux sont capables de construire ce type de comportements sociaux.



Au passage sa façon d’établir des « lois sociologiques » nous permet de sortir du dualisme inné / construit en envisageant une intrication possible du génétique et du culturel.

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Tableaux de famille

Cette étude par un sociologue engagé dans les milieux défavorisés (dans la région lyonnaise) présente 26 portraits de familles. Elles se trouvent en situation économique modeste, elles disposent d’un faible capital scolaire et leurs enfants sont en réussite ou en échec scolaire.

Il s’intéresse aux liens entre les pratiques culturelles, les conditions de vie, l’investissement parental, la place des individus dans la famille et la réussite des enfants à l’école. A partir d’enquêtes, il observe les conditions de transmission du capital culturel des familles, sans éviter les situations atypiques.

L’étude des configurations familiales est passionnante, les témoignages recueillis rendent ce travail vivant.

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Pour la sociologie

La sociologie pour les nuls





« La sociologie, c’est de la connerie », non, ce ne sont pas les paroles d’un simple béotien squattant jours et nuits la table 6 de l’angle obscur près du flipper du PMU du coin, mais bien l’opinion d’un étudiant en master passé par des études de science politique. Surprenant non ?



Vous me direz, pourquoi une telle accroche pour ma brève bafouille ? Parce qu’en substance, l’objectif du sociologue Bernard Lahire, dans son opuscule, est justement de revenir sur l’intérêt de la sociologie, son rôle bénéfique pour notre société, une meilleure compréhension du monde social (comprendre pour changer et non comprendre pour excuser), mais aussi pour déboulonner des opinions, caricatures, erreurs communes commises constamment à l’encontre de cette dernière (selon lui). En clair, qu’est-ce que la sociologie ?



En effet, chacun peut le constater autour de soi, la méconnaissance de ses apports est tout bonnement consternante et d’abord surprenante. Des moues dubitatives s’inscrivent régulièrement sur le visage des récepteurs de l’information sociologique. J’ai par exemple pu le vivre récemment lorsqu’un professeur de sociologie dispensant un enseignement sur les « opinions publiques » s’arrêta brièvement sur les « opinions communes » propres à tel ou tel groupe. « Hum, je ne suis pas convaincu » réagit mon voisin, pourtant pas grand thuriféraire du scepticisme.

C’est comme si, finalement, les analyses sociologiques peuvent se trouver dérangeantes pour certains, de manière consciente ou non d’ailleurs. Le mythe de « l’individualité de l’individu » (formule sympathique hein) est en effet battu en brèche par les chercheurs, et l’illusion du libre arbitre, sujet important de l’ouvrage de Lahire, révélée depuis longtemps. En effet, on ne peut analyser et tenter de comprendre un individu sans prendre en compte sa position dans un milieu social donné et analyser les interactions qu’il entretient avec ce dernier et vice versa. Les économistes néoclassiques et leurs séides lisent-ils de la sociologie ?



En somme, mettre en lumière les déterminants de nos actions (multifactoriels, évidemment…), souligner ce qui conduit un individu à agir de telle ou telle manière, à penser de telle ou telle façon dérangerait. Et comme insiste bien Lahire dans son livre, reconnaitre ces biais publiquement, changer de paradigme, entrainerait de lourdes conséquences qui ne sont pas prêtes d’être acceptées.



D’une manière générale, on est régulièrement catastrophé quand on entend certaines réactions puériles devant les conclusions d’un travail sociologique. Bien entendu, malgré le sérieux « objectif » des méthodes de recherche et d’analyse, nous ne sommes jamais à l’abri d’erreurs ou de présentations trompeuses. Mais c’est le cas dans tous les domaines, comme l’historien François Furet le montre bien …

Nonobstant ce point, prendre les conclusions d’un travail sociologique comme une sorte « d’absolutisme déterminant » est tout bonnement déplorable et risible. Quand il est montré que certaines catégories d’individus agissent, pensent, s’habillent, mangent, votent etc plutôt de telle ou telle façon, ou pour dire autrement, sont en grande partie amenées à avoir telle ou telle attitude, un nombre incalculable d’individus interprète cela comme une loi d’airain au déterminisme moniste indépassable. On nous ressort ainsi de manière sempiternelle « c’est faux, je connais untel qui lui a fait ça ça ou ça contrairement à ce que ton auteur raconte ». Pour eux, une hirondelle fait le printemps, usant n’est-ce pas ?



L’écrit de Lahire est une réflexion qui s’inscrit dans l’actualité, en cela il s’inscrit par exemple en faux avec certains propos tenus par Manuel Valls (en même temps …) mais qui pourraient être élargis à la caste des zélateurs pourfendeurs de la sociologie. C’est à cette occasion qu’il développe une argumentation sur le statut du travail sociologique (« Comprendre est de l’ordre de la connaissance, juger et sanctionner sont de l’ordre de l’action normative », ou quelque chose du genre), cherchant à comprendre les événements, chose largement reléguée au second voire troisième plan aujourd’hui. Tenter de comprendre et d’expliquer, c’est, pour extrapoler, presque une forme de crime, une collaboration avec celui qui a enfreint la loi. Il embraye ainsi sur une certaine forme de « neutralité » du travail sociologique et comme prélude à l’action. Le sociologue n’est pas un parangon de vertu, pour Lahire comme pour d’autres, étant eux-mêmes déterminés, Pierre Bourdieu promeut ainsi une espèce de sociologie des sociologues.



Il est aussi important de signifier que le propos de Bernard Lahire est argumenté (ce qui ne veut pas dire que ses positions ne peuvent être critiquées et elles le sont surement déjà), explicatif, clair, limpide et surtout, compréhensible par « tous ». En cela, il est clairement différent de « La distinction » de Pierre Bourdieu (et comment) que je suis en train de feuilleter avec légèreté, ce qui en fait un ouvrage hautement recommandable (je suis déjà en train de le diffuser à ma petite échelle), notamment pour les profanes.

Ainsi, ce bref essai échappe (en partie seulement) à ce qu’on peut appeler le « paradoxe bourdesien » mis en lumière dans « Questions de sociologie » où est expliqué que Pierre Bourdieu écrit pour des gens qui ne peuvent le comprendre, alors que ce sont ceux qui ne sont pas théoriquement les destinataires de ses analyses qui ont les moyens de le comprendre. Triste non ?

Nonobstant ce point, et malgré le côté accessible au grand public de cet essai, tout lecteur curieux souhaitant dénicher quelques pistes de lectures supplémentaires et approfondissements pourra bénéficier d’une bibliographie assez large pour assouvir ses pulsions consommatrices.



Pour terminer, avec la sociologie (et pas seulement me dira-t-on), on peut se retrouver dans une certaine forme d’impasse intellectuelle, car, d’une certaine manière, quand on ne veut pas comprendre, on ne peut pas comprendre.



PS : Pour ceux qui partagent mon aversion pour le médiocre Philippe Val, ils liront avec délectation une mise au pilori de son dernier ouvrage en annexe du livre de Bernard Lahire.
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