Citations de Camille Laurens (798)
Le désir veut conquérir et l’amour veut retenir. Le désir, c’est avoir quelque chose à gagner, et l’amour quelque chose à perdre.
« Voilà la plus belle preuve d’amour : prendre la liberté de rester alors qu’on pourrait s’en aller. »
La seule façon de se sortir d'une histoire personnelle, c'est de l'écrire.
Marguerite Duras
Pour les gens comme moi, Internet est à la fois le naufrage et le radeau : on se noie dans la traque, dans l'attente, on ne peut pas faire son deuil d'une histoire pourtant morte, et en même temps on surnage dans le virtuel, on s'accroche aux présences factices qui hantent la Toile, au lieu de se déliter on se relie.
Le célèbre baron Haussmann par exemple, défraie la chronique par la liaison scandaleuse qu’il entretient avec une jeune ballerine. Dans cette époque vénale et jouisseuse, il est de bon ton d’« avoir sa danseuse ». Des fils de famille se ruinent pour elle, se suicident, sont ravagés par la syphilis.
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Ça lui aurait fait une belle jambe, c’est le cas de le dire, de savoir qu’un siècle après sa mort on tournerait encore autour d’elle dans les hautes salles des musées comme ces messieurs au foyer de l’Opéra, qu’on la considèrerait de haut en bas et de bas en haut comme ses clients dans les bouges où elle vendait son corps sur ordre de sa mère — son corps frêle devenu bronze.
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Vous avez beau savoir ce qui se passe, ce qui s'est passé, vous n'en êtes pas sauvé pour autant. Quand vous avez compris ce qui vous fait souffrir, vous souffrez toujours. Aucun bénéfice. On ne guérit pas de ce qu'on rate. On ne reprise pas les draps déchirés.
La vie m'échappe, elle me détruit, écrire n'est qu'une manière d'y survivre – la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c'est se bâtir un asile.
Les hommes mûrissent les femmes vieillissent.
Je ne pouvais ni renoncer ni entreprendre, seulement attendre. Mais attendre quelqu'un, n'est ce pas un moyen d'être avec lui ?
Vous avez des enfants ? demande le monsieur.
— Non, dit mon père. J’ai deux filles.
"Garce. Le mot revient et la hante. C'est une injure. Mais n'est-ce pas d'abord le féminin de garçon ? Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit, elle le sait désormais. Garçon, c'est un constat. Garce, c'est un jugement. Le mot, en changeant de genre, devient mauvais. Mais il a des pouvoirs."
Le refrain ânonne : "Vous permettez monsieur, que j'emprunte votre fille ?" Je trouve les paroles idiotes, on n'emprunte pas une fille comme on emprunte un livre à la bibliothèque parce qu'une fille, ce n'est pas une chose, et puis aussi une fille, on ne la rend pas, on la garde - enfin, dans les contes c'est comme ça.
L'amour, c'est rester alors qu'on pourrait s'en aller.
On ne félicitait pas le modèle de sa patience, de son immobilité, de son abnégation. De sa beauté, à la rigueur, si elle était la maîtresse de l'artiste. C'est tout.
Ça me rappelle ce passage terrible dans Belle du Seigneur... Albert Cohen a créé ce personnage emblématique du mâle, Solal, qui compare la rivalité des hommes auprès des femmes à un combat de babouins : les babouins se battent pour une femelle, et c'est le plus fort qui gagne, et le plus fort c'est le plus grand, et celui qui a les dents les plus belles. Qu'il lui manque dix centimètres ou un dent de devant, et c'en est fini du désir, fini de la grande histoire d'amour ! Cohen nous fait passer pour des idiotes, nous les femmes, mais est-ce que les hommes ne sont pas pires, infiniment plus dépendants encore de notre beauté, de notre apparence ?
A propos de filles, il y a une chose bizarre. Tu es une fille, c'est entendu. Mais tu es aussi la fille de ton père. Et la fille de ta mère. Ton sexe et ton lien de parenté ne sont pas distincts. Tu n'as et n'auras jamais que ce mot pour dire ton être et on ascendance, ta dépendance et ton identité. La fille est l'éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr Galiot, au contraire, a eu un garçon et il a eu un fils. Tu n'as qu'une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. Le phénomène se répète avec le temps : quand tu grandis, tu deviens "une femme" et, le cas échéant, "la femme de".
L'unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu'un - tes parents, ton époux, alors qu'un homme existe en lui-même, c'est la langue qui le dit, comme la grammaire t'expliquera plus tard, dans ta petite école de filles jouxtant celle des garçons, que "le masculin l'emporte sur le féminin".
"Je suis visagiste, annonce le coiffeur, je vais créer quelque chose de joli. Regardez, ajoute-t-il en faisant pivoter le fauteuil d'Alice face à moi. Tout est une question d'équilibre. Dans un visage, il y a du masculin - ici et ici dans le cas d'Alice, dit-il en montrant son menton et son nez - et il y a du féminin : les yeux, la bouche. On choisit ce qu'on veut mettre en valeur, c'est tout."
La sculpture permet de figurer le vide autour d’elle : pas de décor, pas de compagnie. On fait le tour d’une statue comme on fait le tour d’une question, on l’examine sous tous les angles.
Son mystère s’apparente donc davantage à ce que Rilke souligne à propos de Balthus, qui est selon lui « le peintre des jeunes filles, offertes à tous les désirs mais dans un monde clos qui les renvoie à leur propre solitude ». Ne suffit-il pas de remplacer « jeunes filles » par « danseuses » dans cette phrase pour évoquer avec justesse l’univers d’Edgar Degas, et plus précisément sa Petite Danseuse de quatorze ans ?