Citations de Caroline Deyns (78)
Ici, j'ai oublié ce qu'était
l'intimité. Même
habillée, je suis nue.
Mais rien n’a jamais moins fait avancer le temps que de lui coller au train ; les minutes s’étirent, épouvantablement longues, à la manière des nuits d’insomnies.
Pour peu qu'on sonde un peu les noms - parce que l'onomastique est un endroit où tout est permis - on pourrait en faire goutter une eau noirâtre, dégueulasse, sorte de prédestination sordide.
De toute façon, cette odeur du matin joyeux ne doit exister que dans son imagination.
C’était cela, cette ouverture aux autres, qui était formidable dans son travail. Certaines oeuvres d’art se contentent de soliloquer, toutes repliées qu’elles sont dans leur hermétisme. Les siennes jamais. Même nées de son histoire, d’un magma d’émotions intimes, les oeuvres de Niki de Saint Phalle ont toujours été accessibles, compréhensibles, tournées vers le monde, retournées au monde : adressées.
Et de nouveau la dysphorie. Etre une bonne mère et une bonne épouse et une bonne hôtesse, elle l'a voulu, voulu très fort. Et puis, soudain, malgré les efforts, la lutte intérieure, l'acharnement, elle ne peut plus, ne le supporte plus. A Harry qui ne comprend rien:
Je refuse de n'être qu'une femme d'écrivain qui fait de la peinture !
C'est dit, martelé, pleuré, craché, hurlé. (p. 75)
La maîtresse et les autres ne savent pas. Ne peuvent pas savoir. Que les couleurs sont en réalité des tristesses noires qui se griment en Arlequin pour s'assurer qu'on ne les reconnaisse pas : un désespoir qui voudrait passer incognito.
Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Musée ? Moins de 4 % d'artistes sont des femmes mais 85 % des nus sont féminins.
Guérilla Girls, 1985
Le temps est un adversaire redoutable qui ne se combat pas avec les petits poings de la volonté, toute hargneuse soit-elle. Il manque. On lui court après. On pleure, on s'essouffle. Pause !
Harry (...)
C'est un bon compagnon parce qu'il la comprend, et la fraternité vaut plus que la fidélité. Ils ne se sont, après tout, pas mariés pour autre chose. deux sensibilités en miroir, deux cancres de la vie mondaine (...) Sans autre but alors que de faire péter le cadre familial (...) (p. 51)
- Je savais bien que tu viendrais ruiner mon projet avec ta petite logique raisonneuse. Tant pis. Je construirai mon propre endroit magique.
- Les Français disent bâtir un château en Espagne.
- C'est ce que je ferai !
- Ils disent cela pour se moquer de l'inconstructible.
- Les Français fantasment et les Américains entreprennent.Je suis franco- américaine, mon château, je l'imaginerai et le construirai avec des courbes comme des bras qui vous entourent, et de la couleur, de la couleur à rendre ivre. Tu m'aideras, dis Harry ? (p. 60)
J'étais une enfant puissante, je suis devenue une adulte atone. Degré zéro de combativité, nada volonté, dévoration instantanée.
Bien sûr c’était n’importe quoi, bien sûr je savais qu’elle avait visé volontairement, j’en mets ma main au feu, l’endroit où se cachaient les poches de peinture rouge, mais c’était, comment vous dire ? Plus fort que moi, j’étais comme entraîné, happé, dévoré par le spectacle de cette fille folle de rage, folle tout court, qui se déchargeait de je ne sais quelle rancune de la manière la plus miraculeuse qui soit- en créant quelque chose-afin d’éviter le pire : se faire sauter le caisson. C’était tellement étrange ce truc qu’elle avait choisi de diriger, à la fois festif et dévastateur, convivial et égocentré. (…)
Et puis , une fois, des années plus tard, en 1983 ou 84 je ne sais plus, elle est apparue dans mon téléviseur, au journal du soir, et je me suis mis à gueuler dans la caravane. C’est elle, c’était elle, la fille, Calamity Jane Jessie James, celle qui avait fauché ma pétoire pour exploser son propre tableau, celle qui voulait que je participe à cette mise à mort / mise au monde, Niki !!! (p. 120-121)
Parce que le monde a recommencé à exister petitement. (...) Ses premiers collages ressemblent ainsi à des actes de réconciliation; Et c'est ce qu'elle ressent, vraiment, quand elle est assise à la grande table du réfectoire, absente aux autres qui crayonnent furieusement à ses côtés, vagissent ou soliloquent dans leur coin, trop absorbée par son travail d'assemblage, de reconstruction, car reconstruction est le mot juste- ou réparation. (p. 55)
L’artiste, elle s’appelle Niki. Il a retenu son nom parce que le chat des voisins s’appelle pareil. Niki, c’est joli. Elle est jolie aussi sur la photo accrochée au tableau, avec son chapeau à plume et sa tasse à thé qui fait penser à Alice quand elle doit goûter avec le Chapelier Fou. (...) Peut-être que les couleurs de Niki c’est du carnaval aussi? Un costume qu’elle enfilerait, follement gai, terriblement menteur, pour prétendre qu’elle a envie de faire la fête, chanter et rigoler très fort, même si, en vrai et pareil que maman, elle préférait aller se fourrer au fond du lit en croquant des médicaments pour dormir aussi profond qu’une morte.
J’y mets du cœur, et de l’ardeur.
Dans sa prime jeunesse, il avait été atteint de la maladie du livre, sous l'une de ses formes les plus virulentes. Les docteurs avaient d'abord peiné à établir leur diagnostic, inspectant les larges poches brunissant sous les yeux hagards (deux petites valises où entasser le nécessaire pour partir la nuit en voyage immobile, à la lueur de la lampe de poche), le galet rose et poli des genoux jamais écorchés (pupitre si commode!), la propreté alarmante des mains (lent métronome battant la mesure des pages), et cela divaguant autour d'un corps chétif. La maman était soucieuse, la grippe, pensez-vous? Non, plus grave car incurable. En plus de poli, hagard et chétif, le petit resterait à jamais difforme, promenant l'excroissance d'un livre sur une main, sous un bras ou sur une cuisse.
-Si je devais la définir ? Eh bien je dirais en trois mots : drôle, compliquée, passionnée. Vive , tordue, déterminée. Avant Jean [Tinguely ], je l'ai aimée. Et avant lui, j'ai senti leur attirance inévitable même si, à première vue, on n'aurait pas misé deux sous sur la longévité du duo. Mais moi je les ai vus tels qu'ils étaient réellement, à la fois trop différents et trop semblables: deux morceaux d'assiette brisée qui n'attendaient que leur rencontre pour retrouver la forme originelle (...) (p. 99)
Niki : « Mes cercles ne sont jamais tout à fait ronds. C'est un choix, la perfection est froide. L'imperfection donne la vie, j'aime la vie. »
(...) En réalité, si malgré cela, elle s'est sentie asphyxiée au point de le quitter pour ne pas en crever, ce n'est pas sa faute mais celle de sa mère, la faute de toutes les épouses dociles du monde, qui ont réussi à instiller dans son esprit cette croyance séculaire, millénaire, que les femmes ont le devoir d'exister petitement pour permettre à l'homme de pousser en hauteur (p156-157)