Caroline Gaynes

... je n'ai pas peur de la mort. Ni de l'au-delà. Ma seule véritable crainte, c'est de laisser derrière moi les êtres chers à mon coeur.

Il faut se faire une raison, la souffrance va de pair avec l'amour. Il faut être prêt à tout perdre du jour au lendemain, comme dans une partie de poker.

Lorsque le feu passe au vert, je redémarre. Une voiture que je n’ai pas vu arriver dans le sens contraire percute ma voiture violemment. Ma tête se heurte violemment à L’air bag. Ma voiture est projetée tout droit dans l’eau. Sonnée par l’impact, je ne réagis pas tout de suite. Spectatrice de la scène qui se joue. J’essaie de reprendre le contrôle de la voiture mais sans succès. Il n’y a plus aucune adhérence pour la simple et bonne raison que … Oh mon dieu ! Je suis dans l'eau !

Je regarde autour de moi, la réalité me frappe de plein fouet. Je commence à suffoquer. Mon rythme cardiaque s’accélère. Je réalise seulement maintenant de ce qu'il vient de se passer. La voiture s'éloigne de la route, emportée par les eaux.

D’abord affolée, je m’agite dans tous les sens.

Il me faut vite réagir car l’eau s’infiltre déjà dans la voiture. La fraîcheur de celle-ci vient mordre mes pieds et peu à peu mes genoux. Je tente de me détacher, au bout d’un moment j’entends le clic de la ceinture de sécurité : libre.

J’essaie de me concentrer sur ce que je dois faire pour sortir de l'habitacle.

Je suis lentement en train de tomber amoureux, comme on glisse dans un bain chaud. C'est agréable, doux. Mais je suis en train de tomber aussi et ça fait mal, c'est douloureux.

Je sens le flux dense de mon sang pulser dans chacune de mes veines. L’adrénaline est telle qu’elle me met dans un état d’excitation que je peine à dompter. Mon pied ne cesse de marteler frénétiquement le sol crasseux. Je regarde ma montre. Un sourire naît sur mes lèvres à l’idée qu’elle est en route. Elle ne devrait plus tarder. Dans moins de deux minutes, Abbygaël deviendra mon misérable pantin.

Je contiens un rire démoniaque. C’est tellement jouissif de me dire que leur souffle ne dépendra plus que de moi. Je serai Atropos l’implacable, jouant avec ma paire de ciseaux, effilochant le fil de leur existence jusqu’à ce qu’il cède. Je compte me délecter de chaque seconde, me nourrir de leur souffrance, m’amuser de leur faiblesse, jouer de leur torpeur.

Je ne me sentirai en paix avec moi-même que lorsque je lui reprendrai mon dû, et que le sang aura coulé. Finalement, ce qui va se passer ce soir n’est autre que la conséquence de ses actes. Elle n’aura que ce qu’elle mérite. Je vais lui faire amèrement regretter d’avoir appuyé sur la détente. Depuis cette nuit où tout a basculé, la douleur n’a cessé de grignoter mes chairs, elle s’est insinuée dans chaque parcelle de mon corps, et a dévoré mon cœur.

Cette situation m’a fait nettement changer d’avis sur les autres. Je pensais que l’entraide avait disparu et bien, aujourd’hui, je réalise que non. Nombreux sont ceux qui m’ont proposé de me raccompagner, de me prêter leur téléphone pour prévenir ma famille. Il y a même une petite fille qui m’a proposé son pain au chocolat.

Ma mère a toujours été accompagnée de sa meilleure amie : la poisse. Elle est devenue un déchet de la société. Elle n’arrivait jamais à tenir un boulot plus d’une semaine et le peu d’argent qu’elle rapportait, elle le dépensait dans les bouteilles de whisky au lieu de nous acheter de quoi manger, à mon frère et moi.

Il était trop exigeant et excessivement jaloux. Ça ne nous empêche pas de remettre le couvert parfois, surtout lorsque l’alcool a pris possession de nos corps. Il est charmant et très attentionné quand on passe la porte de sa chambre. Je finis par embrasser Dana. Elle fait une tête de plus que moi. Nous sommes physiquement opposées. Alors que je suis petite aux yeux bleus avec des petites formes, çà et là, elle est grande, brune, avec des prunelles d’un vert irréel, outrageusement bien maquillée. Elle travaille dans le monde de la mode, étonnant, non ? Elle est l’égérie d’une marque de sous-vêtements ; en même temps, vu sa plastique, ça ne m’étonne pas. Mary me répète que je suis magnifique, mais je doute de son objectivité de meilleure amie.

La vérité est mon meilleur angle de défense. Je n’ai pas de mobile, je n’ai jamais eu de troubles psychotiques, je n’ai jamais consommé de drogues dures, je n’ai jamais été alcoolique, je suis sain d’esprit, je ne suis pas réputé pour être violent. Je saurai répondre à cet expert.

Je pourrais facilement me prendre d'amitié pour cette vieille femme, à la fois douce, rafraîchissante et avenante. Si toutes les personnes que je rencontrerai durant mon séjour pouvaient être comme elle ...
Jusqu'à présent, j’ai toujours été très hostile aux personnes âgées, à commencer par ma voisine de palier, madame Perdruchon. Cette vieille bique est une vraie calamité. Alors qu’elle ne se gêne pas pour pousser au maximum le son de sa télévision tard le soir et le dimanche, à sept heures du matin, elle ne se prive pas de me reprocher tout bruit qui émanerait de chez moi, d’une porte qui claque (« elle va finir par se dégonder, si ça continue ») à ma machine à laver (« je connais un plombier, si vous le souhaitez »).
Bref, une vraie peau de vache.