« Si, un jour, la célébrité vous tombe dessus comme la fiente d'un pigeon sur la tête : fuyez. Plus personne ne vous regardera droit dans les yeux quand vous serez un demi-dieu. On vous fera des courbettes, mais vous serez traqué comme une bête. J'ai trop d'honneur, Maslow, pour jouer à ton petit jeu. Remballe tes paillettes, tes cerises et tes dollars, j'ai tourné la manivelle et j'ai vu trois têtes identiques : la mienne, la mienne et la mienne. J'ai touché le jackpot, mon pote. Moi. »
Au centre de l'écran, les mots surgissent d'une pyramide multicolore comme une invitation à changer de cap : « TOI AUSSI, JOUE TA VIE ». Il s'agit d'une émission de téléréalité, inspirée de la pyramide des besoins humains de Maslow, où les candidats doivent chaque semaine écrire un court texte dans lequel ils ont à rendre compte de la satisfaction des besoins du niveau en cours. La pyramide compte cinq niveaux, des besoins physiologiques au besoin de s'accomplir, en passant par la sécurité, l'amour et la reconnaissance. le public votera, il n'y aura au final qu'un seul gagnant…
« Christopher Scott, il me plaît bien ce nom. Il sonne comme la mascotte des paumés et des gars en marge. »
« Jouer sa vie » est exactement ce qu'était en train d'accomplir Christopher, quinze ans, au moment de s'inscrire, sans savoir que ce jeu allait à jamais changer sa vie. Adolescent fugueur et sans abri, il venait de prendre un train pour Londres et de tirer un trait sur son passé : un père qui le frappe et une mère qui ne lève pas même le petit doigt pour protéger son fils. Laissé à lui-même, il dort sur un carton à Leicester Square, dans Chinatown, un bout de trottoir comme un lieu d'appartenance. Il déambule dans les rues de Londres, nulle part où aller, il fume, boit, mendie, la douleur au ventre et la peur dans le sang. Mais il y aura Jimmy, son colocataire de trottoir, présence rassurante dans les nuits de Londres, le genre d'ami que l'on souhaite quand on vit dans la rue. Puis Suzie, qui se prostitue dans l'immeuble d'en face, un lampion rose allumé à sa fenêtre, qui sait, pour mettre un peu de lumière dans toute cette noirceur qui noue les tripes de l'adolescence.
« On m'a marché sur les pieds. On m'a chanté des berceuses dans mon lit à barreaux comme on m'aurait offert des fleurs couvertes d'épines. Il y a des trous dans chaque pore de ma peau, des petits manques se sont creusés chaque fois que ma mère quittait la chambre. »
« J'ai claqué toutes les portes, mais l'ombre de mon père s'est infiltrée en moi. Il m'empêche de dormir toutes les nuits. »
Comment se sent-on quand du jour au lendemain on devient un héros? Christopher n'avait cherché qu'à se sentir chez lui quelque part. Et pour la première fois de sa vie, en atteignant le cinquième niveau, il venait de prendre conscience du vide dont seule la solitude arrive à vous y plonger, un bandeau sur les yeux…
« Mon pseudonyme escalade la pyramide, mais je vis toujours dans le caniveau. »
Dès les premières pages de ce roman jeunesse, je suis déjà captivée par l'histoire de cet ado qui nous amène à se questionner sur l'essentiel, la surconsommation et le besoin de toujours posséder plus. le rôle d'une société qui tourne le dos aux gens de la rue est-il acceptable? La vie c'est comme la loto, on ne naît pas tous égaux. Un jour, on met une pièce dans la fente d'une machine à rêves et on mise tout ce qu'on a, même ce qu'on a perdu. Certains vont parler de destin, à mon sens, c'est qu'une manière d'embellir la réalité. Christopher ne cherchait qu'un lieu d'appartenance. En posant un regard sur le monde qui l'entoure, il réalisera à quel point le rythme effréné des humains est peu enviable. Et que la liberté n'a aucun prix...
« J'ai la corde au cou, le cordon emmêlé dans ce jeu de fêlé. Je veux sortir de la mêlée. Sans famille, sans copains, sans armée, je ferai une percée. Maslow, laisse-moi passer, escroc, laisse-moi percer. Et je prouverai au monde entier qu'on peut manquer de tout et franchir quand même trois niveaux sans crever. »
« Le gros cafard, c'est comme crever un ballon au moment où il allait s'envoler. »
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