Carter Brown

- Je vois les petits uniformes bleus qui s’avancent, expliqua-t-il, je me dis qu’une poupée comme vous mérite bien un petit coup de pouce, alors je décarre le raide de la chignole au Latin et le carre dans la mienne. Tu creuses ?
- Je voudrais bien ! criai-je en lui lançant des regards étincelants. C’est vous que je mettrai dans le trou et le cadavre par-dessus !
- Il est aussi bien dans la salle de bains, dit-il avec indifférence.
- C’est vous qui le dites !
- Il ne vous donnera pas plus de souci qu’une brosse à dents, poupée. Et, à la longue, vous vous y habituerez.
- Comme à un mal de dents, oui ! dis-je.
Il opina de la tête, avec un air heureux dont je ne pouvais comprendre la cause.
- Ça y est, tu creuses ! dit-il. Qu’est-ce qu’il y a à biberonner, dans le secteur, mon p’tit bouchon ?
- Il y a une bouteille de whisky dans le tiroir de la commode, lui dis-je, désemparée. Je la gardais pour les urgences, mais cette nuit est bien la nuit de l’urgence !

- C’est vous qui avez sorti le corps de la malle, poursuivis-je, sans plus écouter ses propos qui, de toute façon, étaient complètement dénués de sens. Mais pourquoi l’avoir amené ici ?

Quand une jeune fille n’est couverte que de contusion, ses deux mais suffisent à peine à la tâche. D’ailleurs, il était trop tard pour songer à la modestie virginale. Je le foudroyai du regard et articulai :
- Je voudrais bien savoir ce que vous venez fiche ici, bon sang de bois !
- Je vous attendais, mon lapin, dit-il sans s’émouvoir. J’ai du temps devant moi que c’est pas humain !... Man ! J’aime la méditation – et je ne vois pas, pour m’y consacrer e meilleur endroit que votre bahut.
Je me dis que pour m’appeler « man », il devait être ou myope ou cinglé.
- C’était donc vous ! repris-je sur le mode dramatique.
- C’était je, moi, lui, vous, nous, leur, dit-il, comme qui dirait le genre humain en délire éthylique – comme qui dirait rien du tout, mon p’tit puma. Comme qui dirait, on a le bahut, je vous ai, vous m’avez, il ne manque plus qu’un peu de jazz et un peu de gnôle, grande dingue que vous êtes, pour s’envoyez dans l’espace interplanétaire !

Rafael réfléchit pendant une dizaine de secondes, puis il haussa les épaules. Moi, je ne sais jamais comment interpréter son haussement d’épaules. Dans son pays, ça peut vouloir dire, des fois : » En joue, feu ! » ou, en d’autres circonstances : « Saute par la fenêtre, ma petite, parce que, dans un instant, il va tirer le verrou. »
- Un financier a, d’habitude, une femme, dit-il enfin, et des domestiques. Si j’ai bien compris, vous voulez qu’on monte le cadavre sur le perron, qu’on sonne à la porte et, quand elle sera ouverte, qu’on dise, tout en remettant l’objet en main propre : » Por favor, nous avons cru comprendre que cela vous appartenait… »
- Je n’ai jamais dit ça ! protestai-je. On attend que tout le monde soit couché, puis on s’amène en douce et on décharge le macchab sur le seuil de la porte.
- On appuie sur la sonnette et on se sauve ? demanda Rafael d’une voix douce chargée de menace.
- C’est bon, fis-je en haussant les épaules. Avez-vous une meilleure idée ?
Je me rendis compte, tout de suite, rien qu’en voyant son regard vitreux, qu’il en avait une, d’idée et qu’une fois de plus, c’était ma faute. Ça m’apprendra à hausser les épaules : j’avais encore oublié que je portais un corsage en broderie anglaise.

Rafael referma la malle d’un geste violent et me regarda comme un cobra qui va frapper.

- Alors, comme ç, vous avez une nouvelle idée, dit-il avec douceur. Eh bien, moi aussi, j’en ai une… ça vous dirait de retrouver notre ami à l’intérieur de cette malle ?
- Ecoutez, Rafael, enchaînai-je vivement. Grâce à Johnny, nous savons maintenant comment s’appelle… ce qu’il y a là-dedans… Jonathan B. Stern… C’est bien ça ?
- Ne me le rappelez pas ! gémit-il. Que moi, la Mort-Noire, j’aie commis une si fatale erreur !
- En fait de boulette, ça se pose un peu là, admis-je, mais, comme on dit dans l’entourage de Khrouchtchev, ça ne sert à rien de pleurer les pots de caviar cassés. Je viens juste de penser à un coin où on pourrait défarguer le corps sans qu’on vienne nous poser de questions incongrues.
- Une autre plage, peut-être ? grinça-t-il sans desserrer les dents.
- Non, sa propre maison, déclarai-je triomphalement.

Je me retrouvai installé sur une chaise ancienne en bois sculpté, face à Mme Lavinia Randall. Ce matin-là, elle portait encore une robe noire, avec toujours le même rang de perles autour du cou. Sa peau paraissait fripée sous le maquillage, mais ses yeux bleus avaient toujours le même regard glacial.
- Je regrette pour hier soir, déclara-t-elle sèchement. Le médecin prétend que c’est le cœur, mais il n’y connaît rien - c’était la réaction consécutive à cette émotion, voilà tout. Où en êtes-vous de votre enquête, lieutenant ?
- Savez-vous que votre fille fréquentait un certain Amoy, Duke Amoy, tenancier de boîte de nuit à Pin City ?
- Puisque vous êtes au courant, je ne me donnerai pas la peine de le nier, rétorqua-t-elle d’un ton mordant. J’espère, lieutenant, que les journaux n’en sauront rien ?
- L’espoir fait vivre…

J'allume un cigarette et la fume lentement. Je suis seul dans l'obscurité, j'ai éteins les phares ; au bout d'un moment je me rends compte que je ne pourrai plus jamais être seul. Toujours à mon côté se teindra mon fardeau, mon sentiment de culpabilité.

Je ressors de la baraque et je suis plus ou moins étonné de m'apercevoir que je pleure. Jusqu'ici, j'avais toujours cru que les adultes ne le faisaient jamais. Pleurer c'était bon pour les femmes et les enfants ; les hommes ferment leur bec et gardent ça pour eux. je n'ai pas honte de mes larmes ; je pelure mon vieil ami et collègue le sergent Polnik. Ce que je ressens aussi, c'est du remords, et il grossit à vue d'oeil.

Je suis aux trois quarts du chemin quand je l'entends m'appeler par mon nom. Je me retourne encore et je la vois debout devant le bar ; le bikini de laine citron brille... ou mieux resplendit par son absence. A sa place, j'avise deux bandes de peau laiteuse qui font un contraste net avec le reste de sa peau, qui est doré.

Le Châssis Schproum Club s'annonce par un immense néon bleu clignotant qui silhouette une géante étincelante et d'environ deux mètres cinquante de haut, dont les mensurations correspondent aux critères les plus sévères. Au-dessous, au cas où les esseulés nourriraient encore quelques doutes, une enseigne lumineuse brille par intermittences et proclame sans ambages: "Des femmes, Des femmes, Des femmes !
L'état dépressif dans le quel je me débats atteint un tel stade que j'en arrive à me demander si les ultimes contributions que l'homme occidental a apportées à la civilisation ne se limitent pas au strip-tease et au beurre de cacahuète.

La vie n’a été qu’une vaste orgie sexuelle pour toute la bande ?

Les flics sont fondamentalement soupçonneux de nature. Les réactions franches leur échappent.

Impossible, pour moi, de préciser l’âge d’un Chinois ! Il a deux yeux noirs, vifs et intelligents. Pour ce que j’en sais, ça peut être le fils numéro vingt-six de Charlie Chan !

Le meilleur atout d’un acteur, c’est sa confiance en lui.

Vous avez besoin d’une leçon et je vais vous la donner, là où ça fait le plus mal… au porte-monnaie !

Un homme et une femme qui font tout simplement l’amour parce qu’ils sont profondément attirés l’un vers l’autre, et soudain arrive le moment de magie pure où tout est tout lisse et tout rouge. Tout lisse et tout rouge !

A l’inverse de la plupart des Espagnoles, elle a un teint d’un blanc crémeux. Ses longs cheveux noirs lui tombent sur les épaules. La couleur de ses yeux est assortie à celle de sa chevelure. Quant à sa bouche, de proportions généreuses, elle révèle, dès qu’elle sourit, deux rangées de dents qui feraient le succès d’une marque de pâte dentifrice.
Elle est vêtue d’une blouse de couleurs vives et d’une ample jupe de paysanne. Quant à la danse qu’elle exécute, c’est tout à fait le genre qu’on s’attend à voir à Mexico ; une danse très lente, pleine d’intentions obscures, et ponctuée au rythme des castagnettes.

Si je m’étais servi de ma matière grise, je me serais rendu compte que mon calcul ne tenait pas debout ; la loi des grands nombres se vérifie uniquement sur une grande échelle, et à longue échéance. Mais j’avais oublié ma matière grise sur le coin de ma baignoire, et j’étais là, l’œil allumé, l’oreille bien droite, persuadé jusqu’à la moelle que le zéro allait sortir au cours des trois coups suivants.

Dans un monde en pleine évolution, même un géant est parfois amené à changer de méthodes.

Un homme doit savoir s’adapter.