[
Catherine Paysan]
Entretien avec
Catherine PAYSAN à propos de son livre "
La route vers la fiancée" (aux éditions Albin Michel).Elle parle du métier d'écrivain, de l'histoire de son livre et des personnages, compare le VIème et le XXème siècle et parle de son travail.
Devant ce rictus, sans doute souffrit-elle, une fois de plus, cruellement, car elle s'arrêta net de marcher et, nous serrant les poignets à les briser, nous ramenant contre elle, les veines de son cou tendues sous l'épiderme comme des cordes, elle interpella d'une voix sourde, mais assez terrible, l'employée :
"Vous n'avez jamais vu de petits métis, eh bien regardez-les, ils ont du sang indien, espagnol, noir et normand. Ils ont deux yeux, une bouche, dix doigts et même un derrière, Madame. Ils sont vivants, ce sont mes enfants, ils sont intelligents, bien élevés, ils n'ôtent le pain de la bouche de personne; ils ont même, par-dessus le marché, le droit d'être différents de vous, comme vous avez le droit d'être différente d'eux."
"Je crois à la conversation avec les morts, cela m’aide à vivre. Écrire, c’est ma façon de prier".
Ouest France janvier 2017
- Mon petit enfant, ta Maman et ton Papa peuvent avoir eu une discussion légère sans que cela soit si grave.
- Ma Maman a du chagrin, insistai-je, et Papa est parti en disant qu'il n'était qu'un péon, qu'il était né du coït d'un Espagnol et d'une Indienne morte de peur, qu'il n'aimait pas les prêtres et qu'il ne voulait pas que nous allions au catéchisme."
Cette fois, le prêtre sursauta. Je savais que je l'avais bouleversé, j'étais allé jusqu'à l'extrême limite de ma sincérité. Je ne suis jamais allé plus loin que ce jour-là, par la suite, dans ma vie d'homme.
On vieillit. On s'aperçoit que la seule chose qui vous emplisse les mains n'est jamais ce qu'on a pris, mais ce qu'on a donné.
Le petit beurre que je croquais était délicieusement sec avec, dans sa pâte croustillante, des raisins. Je buvais mon cassis; un peu de rouge devait s'installer sur le bistre de mes pommettes, car l'abbé sourit. Je me rappelle ce sentiment de bonheur qui m'envahit sous son regard. J'avais péché et je n'avais pas été rejeté, il connaissait désormais mon âme, aussi pouvais-je me mouvoir librement devant ses yeux et l'aimer désormais.
Je pris congé, transporté, un peu soûlé par le cassis, infiniment joyeux. Je songeais que notre Père avait dû rencontrer de mauvais prêtres, mais que celui-ci était à l'image du Seigneur.
Ce jour-là,il enjamba le marchepied avec un grand rire qui fit sursauter tous les passagers. Sa vieille valise cabossée lui étirait l'épaule gauche. Un mystérieux colis ficelé dans un papier rouge à la main droite, son foulard de soie jaune bouchonné autour du cou, son pantalon de velours froissé et terni aux genoux, ses souliers mal cirés, férocement, magistralement beau, il leva le bras droit à l'extrémité duquel le paquet suspendu se balançait comme un lampion ventru de fête foraine, et prononça solennellement :
"Je vous salue,Amigos..."
Nous l'attendions au port d'armes.C'était notre père.
Cette femme en voulait au passé au point de refuser ce qui aurait pu lui rester d'avenir.
Quand on aime une femme, on ne la condamne pas aux rendez-vous furtifs.
Il faudrait que la promesse, celle de la résurrection des morts, soit tenue, ici même, à cette heure et devant témoins, et non point remise à plus tard. Qu'elle cesse d'être indéfiniment repoussée, de courir le risque d'être rangée, de guerre lasse, à la rubrique des contes de Noël pour enfants. D'être une duperie. Il faudrait que ce cercueil explose. Que toi et moi puissions recommencer à respirer de concert. A nous tenir debout accrochés l'un à l'autre.
J'ai ouvert la portière, posé le pied sur ce quai de gare sans bitume où la poussière, sous la lumière économe d'un lampadaire municipal, a cette teinte radieusement grise, vergeté de brun, des terres cultivables, humé l'odeur de ruisselante fraîcheur des végétations environnantes, car la rivière est là, toute proche, et sa voilure de peupliers qui lui fait ressembler sous la lune, à une nymphe renversée dans les plis verticaux de sa chemise de feuilles. Je bois l'air comme du vin doux.