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Citations de Cécile Guilbert (54)


Cécile Guilbert
Il faut craindre le public cultivé comme la peste. Bien davantage que la cohorte chaque jour plus nombreuse des illettrés. Car l’ignorance crasse mais claire de ces derniers, dépourvue des prétentions de ceux qui croient tout connaître et n’avoir plus grand-chose à apprendre quand l’expérience prouve chaque jour le contraire, possède au moins les mérites de l’innocence.
Engeance particulièrement redoutable, le critique « professionnel » incarne à merveille cette (im)posture de surplomb où l’ignorance travestie par le masque du savoir dissimule sous l’empathie la pulsion basique du meurtre.
C’est ainsi que mutiler à mort l’art sous couvert de la culture est aujourd’hui l’une de ces opérations quotidiennes et multiples qui nous submergent et nous empoisonnent, au même titre que la pollution de l’air, l’infection des aliments ou la falsification des statistiques.
Confronté de son temps à semblables manoeuvres de « jivarisation » quoique sous des formes très différentes, Artaud, lui, n’hésitait pas à utiliser le terme bazooka d’« envoûtement ». Mais il est vrai qu’il n’avait peur de rien quand beaucoup ont encore peur de lui. La preuve ? L’indifférence générale qui accueille aujourd’hui la réédition de son Van Gogh le suicidé de la société [5].

Si les livres capitaux pouvaient dangereusement osciller sur les tables des libraires comme des grenades dégoupillées, nul doute que ce volume fiévreux flanquerait à coup sûr par terre les piles voisines. Et s’il était possible que de tels livres se métamorphosassent illico en torches, celui-ci suffirait sans doute pour foutre le feu à toute la boutique.
Fruit de l’étrange délire d’une raison comme toujours extralucide et paranoïaque (la paranoïa des « hautes natures », dit Artaud), ce brûlant brûlot offre un curieux dispositif : un texte sans titre, suivi de deux pages de post-scriptum, puis d’un autre texte intitulé « le suicidé de la société » auquel s’ajoute un second post-scriptum...
Mais quelle importance ? Prenez-le, lisez-le, et voici qu’aussitôt ses phrases rouge sang grondent et se lèvent comme des insurrections, tels les étendards de l’armée sans âge de ces « suicidés de la société » qui ont pour nom Baudelaire, Poe, Nerval, Nietzsche, Kierkegaard, Hôlderlin, Lautréamont, Van Gogh bien sûr, et Artaud lui-même — chacun ayant incarné à sa façon une « funèbre et révoltante histoire de garrotté d’un mauvais esprit ».

Là, justement, les esprits dits forts s’affolent. Qu’est-ce que ces histoires d’« opérations d’alchimie sombre », de « grandes passes d’envoûtement globaux » et de « vampirisme » peuvent bien vouloir dire ?
Eh bien, qu’une lutte à mort a lieu, entre par exemple un ordre social « tout entier basé sur l’accomplissement d’une primitive injustice » et « les investigations de certaines lucidités supérieures ». Entre les médecins, via « les conciliabules puants des familles », et les prétendus « malades ». Entre « l’humanité de singe lâche et de chien mouillé » et « le timbre supra-humain, perpétuellement supra-humain » que ces corps singuliers font sonner. C’est-à-dire entre deux délires dont le plus délirant n’est pas celui qu’on croit. En d’autres termes une « scission humaine de fond » a lieu : celle d’un corps particulier, d’une vie ne recoupant pas exactement l’existence générique et punie pour cette raison d’être même.
On l’aura compris, Artaud n’écrit pas sur Van Gogh : il est Van Gogh. Et s’il semble comparer le docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise avec les docteurs Ferdière ou Latrémolière de Rodez, ce n’est évidemment pas aux fins d’historiciser son propre cas et celui du peintre mais bien pour faire sentir à travers le temps l’incarnation d’un tropisme identique :

« Il y a dans tout psychiatre vivant un répugnant et sordide atavisme qui lui fait voir dans chaque artiste, dans tout génie, devant lui, un ennemi. »

Van Gogh, Vieux souliers aux lacets Manet, Lola de Valence, 1862.
automne 1886.
Ce qui fascine Artaud chez Van Gogh ? Son génie à « passionner la nature et les objets ». Sa révélation de l’Etre par les moyens de la « pure peinture » — l’Etre saisi en « pure énigme » qui « vient en avant de la toile fixe » et dont Artaud pointe l’« oubli » en le désignant comme

« cette force d’inertie dont tout le monde parle à mots couverts et qui n’est jamais devenue si obscure que depuis que toute la terre et la vie présente se sont mêlées de l’élucider ».
On pense évidemment à Heidegger, lequel n’a médité un tableau qu’une seule fois dans son oeuvre et comme par hasard un tableau signé Van Gogh [6].
Là, il faut lire (boire, ai-je envie de dire) les extraordinaires phrases d’Artaud comme autant de pépites en prise directe avec le geste du peintre,

« avec la couleur saisie comme telle que pressée hors du tube, avec l’empreinte, comme l’un après l’autre des poils du pinceau dans la couleur, avec la touche de la peinture peinte, comme distincte de son propre soleil, avec l’i, la virgule, le point de la pointe du pinceau comme vrillée à même la couleur, chahutée, et qui gicle en flammèches »...
La peinture est un opéra sensible, une musique « remise à même la vue, l’ouïe, le tact, l’arôme ». Mais elle est aussi la révélation la plus vraie de la nature, ne serait-ce que parce que le motif ouvre la porte d’une réalité permanente possible. Artaud insiste beaucoup là-dessus :

« Van Gogh est peintre parce qu’il a recollecté la nature, qu’il l’a comme retranspirée et fait suer, qu’il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs, le séculaire concassement d’éléments, l’épouvantable pression élémentaire d’apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits. »
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Mieux valait descendre de tes grands chevaux et en rire. Cet homme qui n’est ni ton égal ni ton rival te jalouse peut-être comme tous ceux de son acabit, finis-tu par te dire pour te rassurer, en détaillant l’irréprochable Guillaume qui, de son col italien immaculé rehaussant son moelleux costume prince-de-galles à la pointe de ses richelieus noirs à bouts fleuris, n’avait jamais risqué ni faux pas ni faux pli.
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Avoir fait les grandes écoles, les mariages attendus, entretenu leurs réseaux et cumulé les meilleurs jobs ne leur suffisait pas. Il fallait montrer qu’ils pouvaient aussi écrire.
Et surtout publier.
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Aussi, que l’accélération de la rotation des prétendues nouveautés soit devenue si folle qu’elle provoque la transformation instantanée, sitôt produit, de chaque objet en déchet, ne l’étonne pas. Tout ce qui brille étant désormais d’ordure et le vecteur du luxe le consortium omnipotent d’une camelote indéfiniment interchangeable, opulence et poubelle participent de la même lessiveuse de vacuité programmée qu’un souffle zen suffit à évacuer.
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Quel serait aujourd’hui le prix d'une des 610 TIME CAPSULES stockées au musée de Pittsburgh?
Impossible de le savoir. Échappant à toute évaluation comme à tout précédent sur le marché, les TIME CAPSULES sont "sans prix" à l'instar du Temps lui-même dont Warhol se sera si bien joué, raflant la mise de son vivant et au-delà.
Quoique leur inventaire ait commencé dans les années 90; plus des trois quarts d'entre elles sont encore scellées. Inviolées et invendables.
C'est dire si elles devançaient notre présent.
Comme Warhol aura de son temps anticipé notre futur.
C'est dire également si l'avenir est encore loin d'en avoir fini avec lui.
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Hors machines et rendements, hors profits, nombres et débits, les journées s’écoulent à nouveau dans leur splendide gratuité, aspirées par de larges cercles d’heures toupillant inlassablement sur elles-mêmes _ indifférenciées, dociles, muettes.
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Je t’ai dit de la peinture, pas de la déco pour cabinets médicaux! De la peinture, tu sais ce que c’est de la peinture? Sensations colorées, tremblements du temps, pensée condensée dans la lumière, clair-obscur méditant, l’être même des choses vibrant dans l’espace de l’énigme…
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Ce n’est pourtant pas faute de lui avoir mille fois seriné que je haïssais le téléphone… l’éruption hystérique de sa sonnerie toujours incongrue… sa tyrannie trompeusement conviviale… sa fausse bonhomie sociale… c’est pourtant simple: je déteste répondre au téléphone qui me dérange toujours et j’ai une sainte horreur qu’on me sonne.
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S’il s’imagine être le coq du poulailler, je lui montre quand il veut qui est le renard…
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Et comme rien ne confère davantage de prestige à un être que le malheur qu'on lui suppose, je suis aussitôt propulsée au centre de la conversation comme une reine entourée d'attentions, de soins, exactement comme Blaise dont je me sens un peu la porte-parole et l'émissaire.
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Très décidée, je suis entrée dans la boutique, me suis prestement déshabillée dans la cabine où j'ai envoyé valser mon imper noir, ma veste noire, mon pull noir, mon jean noir et même mes collants opaques. En m'extirpant de cette gangue lugubre, j'ai eu l'impression de me délester d'un grand poids de lassitude, de tristesse, comme si j'entamais une mue.
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Est-il vrai, comme Proust le prétendait, que certains êtres soient capables d'identifier inconsciemment la maladie ou la mort lorsque ces dernières viennent se glisser en eux pour entreprendre à leur insu leur travail de sape?
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La maladie est juste un mauvais rêve, le cauchemar favori des hommes tentés secrètement par la Faucheuse bien qu'ils la redoutent chaque nuit dans leur sommeil, enroulés dans leur drap comme dans leur linceul, étendus sans conscience comme s'ils étaient morts.
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Je me souviens d'avoir confondu mon grand calme avec mon courage et mon courage avec ma force.
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