Publié en juin de cette année, "Alzheimer mon amour" est un témoignage rédigé par la française Cécile Huguenin.
L'auteure nous parle de Daniel, son mari atteint de la maladie d'Alzheimer et nous livre son point de vue d'épouse, d''aidante", impuissante face à la métamorphose graduelle de cet homme aimé et admiré durant 30 ans.
Je n'avais au départ pas prévu de lire ce témoignage, tant son sujet me touche personnellement.
Mais une interview de Cécile Huguenin m'a fait changer d'avis et la proposition de Brize d'en faire un livre voyageur a achevé de me décider.
Je n'ai pas l'habitude de m'épancher ici sur ce qui appartient à ma sphère privée. Néanmoins, il me serait impossible d'expliquer la vive émotion que m'a procuré ce livre, sans faire mention de ma propre expérience.
Cela fait maintenant quelques années que mon grand-père souffre, non de la maladie d'Alzheimer, mais de démence sénile.
La décision de le placer en maison de retraite, bien qu'indispensable, ne fut pas facile à prendre pour mon père. Mon grand-père était un homme indépendant. Il y a quelques années encore, soit à plus de 80 ans, il escaladait le toit de sa maison pour changer une tuile, conduisait, nettoyait sa maison et sortait manger à l'extérieur, sans demander de l'aide à personne.
En quelques années de temps, nous l'avons vu passer de vieil homme à vieillard. Cela a commencé par de petites pertes de mémoire (oubli de clés, de médicaments, confusions entre les noms/dates) presque anodines en regard de son âge.
Jusqu'au jour où mon père l'a trouvé en piteux état. Dépareillé, hagard, il avait oublié de s'alimenter et de boire, mélangé sans le vouloir ses médicaments et, pris de vertige, était tombé sur le sol de la salle de bains.
Devenu un danger pour lui-même, il devait désormais compter sur les autres pour pouvoir continuer à vivre.
Mon grand-père fêtera ses 92 ans le mois prochain. Il suit actuellement un traitement qui prévient les chocs électriques produits dans son cerveau. Cependant, les dégâts occasionnés sont irrémédiables.
Chaque visite est source de déchirement pour nous, son entourage, et de confusion pour lui, comme si il ne nous avait plus vu depuis 10 ans. Pris par l'émotion, il pleure, s'essouffle, nous prend dans ses bras pour ensuite retourner à son monde.
Son regard devient vitreux, il marmonne, sans se soucier des discussions autour de lui. Il n'y a plus de dialogue possible avec lui.
Parfois je souris en repensant à une visite il y a deux ans au cours de laquelle mon père lui avait demandé son âge :
- J'ai 90 ans.
- Et tu es né quand ?
- Bah, il y a 90 ans !
J'ai espacé mes visites, trop douloureuses. Aller le voir pour constater l'ampleur des dégâts, dire à chaque fois adieu à l'homme qu'il était, le regarder mourir au ralenti, toujours un peu plus.
Anticiper le pire. Me reconnaîtra-t-il cette fois ? Car il est déjà arrivé que ce ne soit pas le cas.
Appréhender ce jour où toutes les connexions se seront éteintes pour ne laisser qu'une carcasse vide de tout souvenir.
Il est question de tout cela dans "Alzheimer mon amour". Daniel Huguenin a commencé par perdre l'usage des mots. Quoi de plus cruel lorsqu'on a consacré sa vie à la poésie ?
Ensuite vinrent les hallucinations, les chutes, la mémoire qui défaille, les sollicitations de plus en plus nombreuses qui finissent par pousser sa compagne à le faire interner dans un centre d'accueil de jour, puis par la suite dans une institution spécialisée.
Un abîme se creuse entre eux. Elle se sent seule, culpabilise et souffre de l'éloignement de certains amis, trop effrayés par cet inconnu qu'ils admiraient autrefois.
Lui se complaît dans une certaine insouciance. Bien manger, bien dormir : ses seules préoccupations sont ramenées à des besoins primaires.
Pendant ce temps, Cécile Huguenin cherche des réponses auprès des médecins mais l'impuissance de la science n'en finit pas de décupler sa colère.
Désorientée, elle songe au "crime d'amour", au dépaysement à l'étranger. Elle creuse son histoire de vie, tente de comprendre sa maladie et de faire le deuil de cet homme qu'elle aime malgré tout.
Au-delà de la résonance de ce témoignage avec ma propre expérience, j'ai aimé la justesse du propos dans la façon dont Cécile Huguenin rend compte des obstacles rencontrés et souligne
le caractère imprévisible des maladies neuro-dégénératives.
L'auteure réhabilite le statut d'aidant et dit la détresse et l'épuisement à devoir sans cesse tenter d'apprivoiser l'inconnu et composer avec de nouvelles humeurs et exigences.
Elle évoque la solitude née du sentiment d'avoir perdu un compagnon pour hériter d'un enfant, dépendant d'elle jusqu'à l'étouffer.
La première partie est rédigée à la 3ème personne, comme pour illustrer la difficulté de l'auteure à prendre part à ce qui leur arrive, à accepter que leur histoire, leur couple, ne soit pas immuable.
Le récit est étayé de citations émanant de livres, qu'il s'agisse d'ouvrages en rapport direct ou non avec la maladie ou de morceaux de textes issus de son mari, comme pour célébrer celui qu'il était autrefois.
Jamais Cécile Huguenin ne s'apitoie sur son mari, préférant rester dans la recherche de solutions que déclarer forfait.
Restent les interrogations, nombreuses, dont le fameux : pourquoi ?
Bien que manquant ostensiblement d'objectivité, je ne peux que vous recommander la lecture d' "Alzheimer mon amour" tant je pense que de manière générale, ce récit peut se destiner à quiconque connaît ce sentiment d'impuissance face à la maladie.
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