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Critiques de Charles Berbérian (225)
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Charlotte Perriand

Charlotte Perriand est une architecte, designer et photographe française ayant vécu au siècle dernier. Je ne le savais pas avant de lire cette BD qui lui consacre une belle biographie pour lui rendre hommage.



On va surtout intéresser à sa période japonaise entre 1940 et 1942. C'est vrai que le timing de cette voyageuse n'est pas très bien observé sachant que le Japon impérialiste a déclaré la guerre à l'Occident peu après son arrivée pourtant voulu par un officiel du ministère. Elle terminera son séjour sous liberté surveillée alors que le Japon entre en guerre.



Visiblement, elle a été une collaboratrice du célèbre le Corbusier qui lui fait d'ailleurs des reproches dans un cauchemar qu'elle fait en début d'aventure sur le bateau en partance pour le Japon. Il faut savoir que ce n'était pas vraiment une architecte d’immeubles ou des gros ouvrages comme on pourrait le penser mais plutôt une architecte d'intérieure.



Je ressors de cette lecture plutôt déçu car sa personnalité manque véritablement d'empathie. Par ailleurs, cela se concentre sur une période très courte de sa longue vie ce qui ne permet pas de cerner tout l'apport de cette architecte avant-gardiste.



Je retiens néanmoins qu'elle fut une véritable amoureuse de la culture japonaise qu'elle se souciait de préserver face à la déferlante de mauvais goût occidental. A noter qu'il y a également un réel effort au niveau du graphisme pour nous présenter un bel ouvrage. Bref, tout cela compense un peu.
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Le Journal d'Henriette, tome 1

*** Critique valable pour les deux premiers tomes ***



Henriette est une collégienne mal dans sa peau. « Une petite grosse » comme elle se définit. Mais elle a du caractère et essaie de s’imposer face à ses parents, ses profs, le monde entier… Elle a une sensibilité à fleur de peau et aimerait être écrivaine. Mais personne ne la comprend…



Henriette m’a fait penser à Mafalda de Quino. Mais chez la petite espagnole, point de complexe (ou je ne m’en souviens pas) alors que dans ces deux albums, c’est tout de même ce qu’il ressort. Ah, si cela pouvait faire en sorte que le regard des gens ne s’arrête pas à une enveloppe physique !
Lien : https://promenadesculturelle..
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Charlotte Perriand

« Je ne conçois jamais un meuble pour un meuble, mais pour un volume architectural et un besoin précis en tenant compte des gestes, de la technique, de l’harmonie et de l’espace. Je ne suis pas designer, je suis architecte »

Ainsi se définit Charlotte Perriand, jeune architecte qui va débuter dans l’atelier de le Corbusier avec lequel elle travaillera dix ans.

Elle travaille énormément mais prend aussi le temps de s’amuser dans le Paris des années folles où elle fréquente Jean Prouvé, Fernand Léger et le couple Delaunay.

Invitée par le ministre du Commerce et de l’Industrie, elle s’envole pour le Japon. Emerveillée par le savoir-faire des artisans, elle intègre dans ses créations l’artisanat et les matériaux traditionnels comme le bambou et le bois.

La guerre va la rattraper et elle restera au Japon jusqu’en 1946. Elle épousera un français dont elle aura une fille : Pernette.



L’auteur s’attache à retracer le chemin artistique de cette architecte qui a marqué son époque ainsi que le design japonais. Il explique le cheminement de l’œuvre et on comprend mieux la genèse des meubles créés par l’artiste.

Dans la seconde partie, il nous livre une interview de Pernette Perraud qui a suivi sa mère au Japon lorsqu’elle avait dix ans.

Cette biographie est bien documentée. On peut regretter qu’elle ne décrive que l’aspect professionnel de l’architecte. Des engagements politiques de Charlotte Perriand, on ne saura rien. De ses amis, de sa famille, pas grand-chose.

Les dessins sont très sobres, à l’image du mobilier épuré de la designer. Il y a quelques belles aquarelles japonisantes qui s’harmonisent parfaitement avec le récit.

Témoignage intéressant mais qui manque de fantaisie.



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Une éducation orientale

Club N°55 : BD non sélectionnée

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j'y allais à reculons dans sa géographie du souvenir avec toutes les réserves associées à une multiplicité des techniques utilisées.



Le récit est assez "froid" ou détaché mais le personnage de la grand-mère donne à la fin du récit un côté moins dur.



Benoit

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Tombé du ciel - Intégrale

Connaissez-vous les Pinball Razors ? Un groupe breton !

Bon, en fait c'est normal que ce nom ne vous évoque rien, leur carrière a été tuée dans l'oeuf en 1982, dès leur premier concert... La faute au trac ? Pas sûr. C'est un chouïa plus compliqué.

Une rencontre pour le moins étrange d'un des membres du groupe, quelque vingt-cinq ans après le fiasco, va lui en apprendre plus sur cette soirée-là.



Ah quelle aventure réjouissante ! Une intrigue pleine de rebondissements, une ambiance 'Retour vers le futur', de l'humour déjanté grâce aux dialogues et aux situations, façon Fabcaro (dans 'Zaïzaïzaï'). On y croise des Bretons, des \_/, des beaux-parents vraiment sympas, des flics pas futés, des rockeurs - et même une célébrité -, des Martiens altruistes à bonne bouille et dont les vêtements cachent de jolies surprises...



Un délice ! Et en cette avant-veille d'Halloween, je conclus forcément par : Champaaaaagne !! ♪♫

♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=mD3bh3wWaSQ
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Cinérama : les meilleurs plus mauvais films

L'auteur, né en 1959 à Bagdad, épingle quelques nanars étrangers et français qu'il a vus au cinéma dans sa jeunesse. Il établit des parallèles entre certains films des années 80 et le contexte socio-économique et politique d'alors - la comparaison entre le premier septennat de Mitterrand et 'Paroles et Musique' (Elie Chouraqui, 1985) est particulièrement amusante.

Il évoque aussi ses premiers émois de petit garçon devant des scènes et ambiances 'pour adultes' pas forcément censurées par ses parents (les mêmes parents que ceux du réalisateur Alain Berbérian puisque Charles et Alain sont frères)...



Visiblement, le film 'Retour vers le futur' l'a marqué : on retrouve ici des thématiques de l'album 'Tombé du ciel' avec des confrontations entre la version jeune de l'auteur et l'homme mûr qu'il est devenu.



Pas de scénario ici, plutôt un catalogue. C'est drôle, mais un peu trop léger, trop factuel, malgré des réflexions sur le 7e art, notamment sur l'influence des fictions ciné/TV sur nos vies. Quelques mises en abyme rigolotes nous rappellent à quel point les écrans peuvent nous engloutir :

>>> « Il y a quelques décennies, ma mère était restée coincée un bon moment dans 'Dallas', un feuilleton à intrigues mêlant familles richissimes, blondes peroxydées, brunes névrosées et hommes vicieux. Dallas, un univers pitoyable.

Je décidai un jour d'aller le tirer de là.

[ L'auteur se présente chez les Ewing, Jock et Ellie ouvrent la porte ]

- Bonjour, jeune homme, que nous vaut votre visite ?

- Madame, Monsieur, je viens chercher ma mère.

- Pardon ? Votre mère ?

- Euh... heum... Oui, oui, je viens chercher ma mère. Elle est quelque part chez vous. Euh, il faut absolument qu'elle revienne à la vraie vie. »



Distrayant mais pas marquant, et moins punchy que 'Tombé du ciel'.
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Tous des chats

Pascal Parisot est un chanteur pour enfant de grand talent. Je trouve que c'est le Georges Brassens des petits.

En 2015, il sort un excellent album " chat chat chat ", consacré comme son nom l'indique bien, aux chats : occupation, paresse, croquettes, nom d'un chat, etc... C'est devenu notre hymne familial.

Et voilà toutes ces chansons cultes ( dans notre maison, hein ) reprises par des chanteurs bien connus, et étoffés d'une belle histoire marrante.

Les dessins sont beaux, naïfs, colorés.

Fabuleux!

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Monsieur Jean - HS 2 : La théorie des gens se..

Rrraahhhrg ! Le grille-pain ! Aah ! oui, oui !

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Ce tome est initialement paru après le tome 4 Monsieur Jean, tome 4 : Vivons heureux sans en avoir l'air (1997), mais son action se situe entre le tome 3 Monsieur Jean, tome 3 : Les femmes et les enfants d'abord (1997) et le tome 4. Sa première édition date de 2000 en noir & blanc, et il a été réédité en 2010, en bichromie. C’est le deuxième album hors-série après [[ASIN:2909020347 Journal d’un album]] (1994). Cet album a été réalisé à quatre mains pour le scénario, les dessins et la bichromie, par Philippe Dupuy et Charles Berberian. Il comprend cent-vingt-quatre pages de bandes dessinées.



Chapitre un, dix pages : ça commence mal. Monsieur Jean est en train de dormir paisiblement dans son lit double, avec quelques livres sur ses draps. Le réveil sonne ; il reprend conscience. Il voit dans sa chambre, devant lui trois hommes en costumes noir avec des lunettes noires, pointant chacun un pistolet vers sa tête. Il se fait la réflexion que cette journée commence assez mal. Il sort les jambes du lit et s’assied sur son séant, et se rend dans la salle de bain. Il constate sa mine défaite et pas fraîche dans le miroir. Il urine debout. Il se rend dans la cuisine et prend un bol de café, pendant que les trois tueurs sont assis, pistolet en l’air, chacun une tasse de café devant eux. Monsieur Jean leur demande s’ils vont le tuer sans lui expliquer pourquoi ou pour qui. Il souhaite qu’ils lui laissent dire au revoir à ses amis une dernière fois. Ils lui répondent que ses amis ne sont pas vraiment des amis, désolé. Il va ensuite se couper les ongles, se faire couleur un bain, et se glisser tranquillement dedans, en fermant les yeux pour mieux en apprécier la sensation. Il les rouvre en sursaut quand il entend éternuer : les trois porte-flingues, toujours en costume, sont dans le bain avec lui. Puis Monsieur Jean s’habille, se coiffe, se regarde dans la glace. Il tombe à genoux et il les supplie de lui accorder de voir une dernière fois son film préféré : Baisers volés (1968) réalisé par François Truffaut.



Chapitre deux, cinq pages : Félix dans le bus. Félix, un copain de Monsieur Jean, lit le dernier numéro de Science & Vie, assis dans le bus. Un couple s’assied en face de lui, une jeune femme fluette et un gros malabar. Ce dernier se montre agressif vis-à-vis de sa compagne, finissant par se lever et la gifler. Félix intervient, mais les deux lui répondent agressivement, et la femme lui décoche un coup de pied dans le tibia. Chapitre trois, sept pages : la théorie des gens seuls. Félix, Clément, Monsieur Jean et deux copines sont assis sur un banc dans un patio en train de papoter tranquillement. Félix monopolise un peu la parole en exposant sa théorie des gens seuls : le problème des gens seuls, c’est qu’ils sont seuls. Et que tant qu’on est seul, on n’est pas attiré par une autre personne seule. Les gens seuls ne sont pas attirés par les autres célibataires, mais pas quelqu’un qui est déjà avec un autre.



En découvrant cet ouvrage, le lecteur note deux particularités qui sautent aux yeux : les dessins plus lâchés que dans les autres tomes avec une apparence parfois presque crayonnée, et le retour à des chapitres autonomes plutôt qu’un récit à l’échelle de l’’album. Dans la version en bichromie, les artistes ont choisi un bleu entre bleu bleuet et bleu pastel pour habiller les dessins, tout en laissant quelques zones de blanc pour des reflets, des ambiances lumineuses, la plupart des visages, ainsi que les phylactères. Les traits semblent avoir été réalisés avec un crayon gras, ce qui donne des contours parfois un peu irréguliers, pour une apparence plus spontanée, plus vivante. Le lecteur éprouve également la sensation que la densité des informations est un peu moindre que pour les albums de la série, avec une grille de six cases comme principe, en trois rangées de deux cases. Dans certaines planches des cases peuvent être fusionnées pour ne donner qu’une case de la largeur de la page. Pour l’histoire de Félix dans le bus et quelques pages éparses, les dessinateurs passent à la grille de trois (cases) par trois (bandes), dite gaufrier. Le lecteur éprouve une sensation de pages moins denses, très faciles à lire, plus animées, avec un certain nombre de gros plans et de plans poitrine. Pour autant, elles ne semblent pas vides.



En effet, la taille un peu plus grande des cases donne de l’espace aux personnages, et permet également de contenir un nombre d’informations visuelles important sans donner l’impression de saturer l’espace délimité par les bordures. Ainsi dans la planche d’ouverture avec son dessin en pleine page, le lecteur peut voir les cinq livres sur la couverture du lit, les deux sur la descente de lit avec les chaussures juste à côté, la table de chevet avec sa lampe et son verre d’eau, les chaussettes au pied du lit, le rebord de la fenêtre, un rideau non tiré et le grand cadre qui surplombe la tête de lit. Par la suite, le lecteur découvre les autres pièces de l’appartement de Monsieur Jean : l’autre côté du lit, la salle de bain avec son lavabo et sa cuvette des toilettes sans oublier une petite étagère de livres, la table de cuisine et quelques placards de rangement au mur, la baignoire, le miroir en pied. Tout du long des neuf chapitres, les artistes vont l’emmener dans de nombreux endroits différents : un petit restaurant de quartier où mangent Clément & Jean, un bus, des rues parisiennes, le salon de Monsieur Jean avec son canapé et son poste de télé, un square avec ses bancs, un pavillon à la campagne pour un anniversaire, un plateau de télévision pour une interview, un autre restaurant, une gare parisienne, une cabine d’ascenseur, une autre maison à la campagne. À chaque fois, le dosage des ingrédients s’avère parfait : assez pour que chaque lieu soit spécifique, pas trop pour ne pas alourdir la case ou ralentir la lecture.



Pas de doute, c’est bien les mêmes dessinateurs, avec les mêmes caractéristiques pour les personnages : des gros nez ou parfois très allongés pour les hommes, des nez plus menus et plus effilés pour ces dames, des silhouettes aux contours un peu arrondis et très normales pour les hommes, des morphologies plus affinées et allongées pour les femmes, des tenues peu recherchées pour les hommes, et élégantes pour les femmes même lorsqu’elles sont simples. Les yeux des personnages se réduisent souvent à un simple point, ou un trait, de même que leur bouche. Les expressions de visage peuvent être exagérées pour un effet comique à l’occasion d’une émotion plus intense. Le langage corporel reste dans un registre naturaliste, sauf pour les poses vives ou intimidantes des trois porte-flingues. Les scènes avec de nombreux personnages montrent des interactions sociales très policées, entre gens de bonne éducation. Il se produit bien un ou deux agacements pouvant aller jusqu’à l’énervement de temps à autre, toutefois le lecteur sent bien qu’aucune situation ne peut virer au drame. Pour autant, les sentiments exprimés le touchent, ainsi qu’à nouveau la situation du jeune enfant Eugène, née de Marlène qui ne s’en occupe plus et qui l’a confié à Félix dont elle s’est séparé et qui n’est pas le père, l’enfant étant souvent pris en charge par Jean.



Les deux créateurs racontent neuf histoires courtes allant de cinq à vingt-six pages, avec des situations comme la présence intermittente des porte-flingues, un voyage dans le bus, du papotage entre potes, des considérations sur le désir masculin, un anniversaire à une soirée à la campagne, l’usage d’un grille-pain, Félix éméché et quelque peu désenchanté, Félix coincé dans un ascenseur, et pour finir Monsieur Jean acceptant d’aller se mettre au vert dans la maison de campagne des parents de Cathy. Dans un premier temps, l’artifice des trois tueurs laissent le lecteur perplexe. Par la suite, il retrouve cette ambiance parisienne et même parisianiste, entre personnes sans soucis financiers (sauf pour Félix) peu stressés par les responsabilités. Félix endosse le rôle de grincheux, de déçu de la vie, avec une vision certes pessimiste, mais aussi lucide. Au cours de l’incident dans le bus, il finit par faire le constat au profit d’un couple que dans la vie, il n’y a que les mauvaises choses qui peuvent tomber sur quelqu’un par hasard, jamais les bonnes choses. Il en conclut que c’est la raison pour laquelle partout ça va mal. Le lecteur finit par se dire que ces porte-flingues qui n’apparaissent que dans la première et la dernière histoire incarnent littéralement les oiseaux de mauvais augure, la dépression qui guette, la tentation de succomber au pessimisme, sans plus essayer de lutter. Finalement ces trois tueurs relèvent bien d’une incarnation de la mort au premier degré, le risque d’estimer qu’il ne sert à rien de faire face aux aléas de la vie car ceux-ci sont trop en trop grand nombre et de trop grande ampleur pour pouvoir espérer les surmonter. Dans le même temps, Monsieur Jean fait tout pour préserver sa bulle de protection, et surtout ne pas se laisser toucher par le malheur des autres. Comme pour les dessins, la tonalité de la narration tient tout drame à distance, avec des touches humoristiques légères et touchantes, pouvant aller jusqu’à l’absurde dans cette histoire de panne d’ascenseur, et encore plus dans ce mystérieux accessoire érotique qu’est le grille-pain.



Un album hors-série : est-ce bien la peine de s’investir dans une telle lecture ? Il suffit que le lecteur feuillète l’album pour qu’il tombe sous le charme des dessins d’une rare élégance, sans afféterie, d’une belle expressivité sans moquerie, d’une clarté remarquable. Il découvre une nouvelle après l’autre, et retrouve cette intimité émotionnelle pudique avec les personnages qui lui permet de se sentir frère en humanité, même s’il n’est pas parisien.
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Monsieur Jean, tome 6 : Inventaire avant tr..

On ne fait pas les mêmes rêves d’un lit à l’autre.

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Ce tome fait suite à Monsieur Jean, tome 5 : Comme s'il en pleuvait (2001). La première édition du présent tome date de 2003. Les deux auteurs, Philippe Dupuy et Charles Berberian, ont écrit le scénario à quatre mains et dessiné les planches à quatre mains. La mise en couleurs a été réalisée par Ruby. L’album compte cinquante-quatre planches.



On ne fait pas les mêmes rêves d’un lit à l’autre. Monsieur Jean est en train de rêver : il se trouve au volant de sa voiture, à l’arrêt à un carrefour, dans une toute petite voiture. Des camions arrivent à toute vitesse, et défilent sur la route perpendiculaire, l’empêchant de passer. Depuis une fenêtre d’un immeuble, un autre monsieur Jean l’observe avec sa femme à ses côtés, tenant leur fille Julie dans les bras. Ça y est, la voie est enfin libre, c’est à lui enfin. Mais il ne sait pas conduire. Voilà le genre de rêve qu’il fait depuis qu’il a déménagé. Il se trouve allongé dans un lit avec sa compagne à ses côtés, tous les deux habillés. Il lui dit de but en blanc qu’il n’aurait jamais dû laisser son lit à Félix. Cathy répond gentiment qu’ils ne vont pas revenir là-dessus, elle dormait mal dans son lit. Il commence à vouloir l’enlacer, mais elle lui rappelle qu’ils se trouvent dans un magasin de meubles. La vendeuse revient vers eux et il déclare franchement que c’est non pour ce lit. Cathy lui demande ce qui ne va pas : il trouve que les meubles sont trop neufs et qu’ils le seront toujours. Ils ne se patineront jamais ; ils se déglingueront d’un seul coup un jour, et vite en plus. Et alors ils les jetteront. Elle se moque gentiment : il fait une dépression parce qu’il a cédé son vieil appartement avec son vieux lit, à Félix, son vieil ami, pour commencer une nouvelle vie avec elle ? Elle décide de l’emmener au rayon vaisselle.



Dans le vieil appartement, Félix est allongé sur le vieux lit qu’il trouve très bien. Liette Botinelli, sa compagne, trouve que le matelas est trop mou. En plus, c’est un lit à ressorts et elle veut un lit à lattes. En outre, c’est un vieux lit et on ne sait pas qui a dormi dedans, y en a peut-être qui sont morts et elle ne peut pas supporter cette idée. Dans le grand magasin, Monsieur Jean s’est arrêté le nez en l’air : il a l’impression de voir flotter le spectre de ses grands-parents qui lui parlent. Il leur demande ce qu’ils font là. Le papy répond qu’ils ne sont pas très fiers de lui car il s’est débarrassé de leur lit. La mamy tempère : ce n’est pas lui qui voulait s’en débarrasser, mais elle, en pointant Cathy du doigt. Celle-ci se rapproche de son compagnon et lui demande ce qu’il pense des assiettes. Elle s’adresse à une vendeuse pour savoir si ce modèle existe en plus petit. Une autre vendeuse s’approche et s’adresse à la première s’étonnant qu’elle n’ait pas signé la pétition, celle à propos de la reconduction des contrats sur novembre : elles sont quatre à ne pas avoir leur contrat renouvelé, sans avoir été prévenues, sans raison. L’autre l’éconduit en indiquant qu’elle est avec une cliente. Les grands-parents spectraux continuent à faire des reproches à leur petit-fils qui recule, ce mouvement faisant basculer une pile d’assiette à terre, où elles se brisent. La deuxième vendeuse lui dit que ce n’est pas grave. Dehors, devant la devanture, deux personnes sans abri sont affalées et font la manche. Un employé essaye de les faire bouger, en pure perte. Cathy et Jean sortent et entendent quelques bribes de l’algarade. Dans le vieil appartement, la sonnette retentit : madame Poulbot vient se plaindre du comportement d’Eugène.



Mais quelle étape de vie reste-t-il encore à franchir pour Monsieur Jean qui a endossé bon nombre de responsabilité depuis le premier tome ? Le titre évoque une sorte de bilan avant des changements significatifs. L’histoire reste constituée de petits moments de vie plutôt banals, même s’ils sont spécifiques à cet écrivain que le lecteur ne voit plus du tout écrire, à cette vie un peu bohême, sans horaires fixes, sans difficultés financières, avec une femme aimante quasi sans condition, et des amis avec leur lot de problèmes. Le lecteur retrouve avec plaisir le personnage principal toujours un peu indolent, vaguement gêné aux entournures par des questionnements sur sa vie, qu’il n’a pas envie de formuler ; fidèle en amitié avec Félix père peu responsable et Clément séducteur un peu insistant. Tout du long du tome, il retrouve également le personnage en arrière-plan : Paris. Il peut identifier des bouches de station de métro, le canal Saint Martin et ses passerelles, des quais de métro parisien, et même la sortie du souterrain routier des Halles rue de Turbigo avec son renfoncement où dorment des personnes sans abri, et même une benne à ordures ménagères parisienne reconnaissable à sa couleur Vert bambou (AC533). La série reste fidèle à son décor parisien, visiblement bien connu des auteurs.



Ce tome commence par une planche consacrée à un rêve, avec une mise en couleur déclinant une teinte vert en plusieurs nuances. Monsieur Jean est le conducteur d’une voiture à l’arrêt, et il ne détient pas son permis : une métaphore de la vie dont il semble plus observer celle des autres, que de mener la sienne au petit bonheur la chance, faute de savoir comment la conduire. Le deuxième rêve occupe les deux tiers de la planche treize, avec la même approche de la couleur, la même déclinaison en nuances de vert : cette fois-ci, Monsieur Jean est son incarnation à la fenêtre, tenant sa fille dans ses bras, auprès de sa compagne, observant son autre lui-même en contrebas dans la voiture, arrêté. Un troisième rêve occupe la moitié de la planche dix-neuf, plus étrange, Monsieur Jean étant un géant allongé dans le canal Saint Martin qui le charrie doucement, avec un autre avatar l’observant depuis la fenêtre de son appartement, une autre métaphore de la vie qui s’écoule, indépendamment de sa volonté, doucement, mais inexorablement. Cette même métaphore occupe une des trois bandes de cases de la planche vingt-et-un. Puis encore case en planche vingt-six, cette fois-ci à l’intérieur de l’appartement de Cathy et Jean, alors que l’immeuble est secoué de tremblement.



Le lecteur arrive alors à la dernière séquence onirique : elle s’avère être d’une grande ampleur puisqu’elle s’étend de la planche trente-cinq à la planche quarante-quatre, soit dix pages. Au cours de cette séquence, Monsieur Jean en vient à rencontrer un ancien habitant défunt de l’immeuble, et la couleur change de teinte : du rouge décliné en nuances. Les dessins conservent leurs caractéristiques : des traits de contour un peu ronds, parfois gras, des personnages au visage caricaturé ou esthétisé, une simplification de la silhouette humaine, des décors aux détails simplifiés tout en conservant une forte densité d’informations. Les artistes mettent à profit les possibilités de la bande dessinée pour cette partie : éléments oniriques, angle de vue exagéré, ombres chinoises, effets spéciaux illimités, immeuble en train de se déplacer dans la ville, personnage passant par une large fente dans un mur dans une évocation visuelle de la sortie du nouveau-né lors de l’accouchement, rapprochement visuel entre deux décors, mutilation du personnage le privant de ses mains et de ses avant-bras le rendant ainsi incapable d’agir. Monsieur Jean écoute le locataire défunt exposer sa théorie sur la mémoire : Il existe une partie du cerveau où se cachent tous les souvenirs qu’on veut oublier. Au début, cette partie du cerveau est aussi petite qu’un point. Ensuite, elle grandit au fur et à mesure qu’on a des choses à oublier. […] Avec le temps, sa surface devient poreuse. Il y entre et il en sort des choses de manière anarchique. Brusquement on se souvient de ce qu’on croyait avoir oublié définitivement. Et un souvenir qu’on pensait garder pour toujours disparaît.



Dans un premier temps, le lecteur peut être un peu déconcerté par l’importance donnée à cette séquence de rêve, ainsi que par l’insistance avec laquelle les deux auteurs mettent en scène un duo de personnes sans abri, bientôt rejoint par un troisième à la stature imposante. Ils ne les habillent pas d’une aura romanesque : ils vivent mal de mendicité, ils dorment à la rue, ils mangent ce qu’ils peuvent, ils se méfient les uns des autres. Cette déchéance bien rendue visuellement contraste fortement avec la vie sans souci matériel des personnages principaux. La présence des grands-parents sous forme spectrale apporte également une touche comique douce-amère, en étrange décalage avec le ton de la série, une présence quasiment dépourvue de morbidité malgré leur condition. Le lecteur repense au titre ce tome, et il voit bien comment Monsieur Jean éprouve de grandes difficultés à faire le deuil de certaines choses : le lit de ses grands-parents à l’évidence, mais aussi sa vie à la dérive qu’il contemple avec ses yeux de père responsable et rangé, la notion même de disparition, et la mort. Les auteurs évoquent le deuil de manière directe en parlant de personnes défuntes, mais aussi le deuil de la vie d’avant, d’habitudes. Monsieur Jean ressent le fait que sa vie a évolué et qu’elle ne reviendra plus jamais à ce qu’elle était avant, ce qui lui cause une inquiétude sourde, la compréhension du temps qui passe inexorablement se faisant petit à petit, d’abord inconsciemment dans son esprit. Il voit bien que sa vie n’est plus la même, que la situation même de son ami Félix Martin a évolué. Il peut faire la comparaison avec la vie des clochards qui s’accommodent de leur routine, mais aussi avec celle de Clément qui continue à se comporter avec les femmes comme il l’a toujours fait alors que lui aussi a pris de l’âge et que ce comportement n’est plus de mise. Il sourit en voyant que Félix trouve sa place dans un milieu professionnel, comme sa vision du monde avait été en avance sur celle de son entourage, qu’il n’a pas changé et que c’est plutôt son entourage qui commence à le rattraper, un étrange constat de la part des auteurs.



Le temps passe, les choses changent, les gens prennent de l’âge : il n’est pas toujours facile de s’en rendre compte, d’adapter sa façon de voir le monde à ces changements, aux années qui passent. Dupuy et Berberian font courir cette thématique tout du long de l’album avec leur narration visuelle toujours aussi élégante et sophistiquée, entremêlant des fils narratifs qui suivent différents personnages, certains très inattendus, pour envisager la mort et cette certitude : dans la vie, il n’y a qu’une seule constante, et c’est le changement.
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Monsieur Jean - HS 1  : Journal d'un album

Je m’attendais à des critiques, mais pas de cet ordre

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Il s’agit du premier tome hors-série accompagnant la sortie de l’album Monsieur Jean, tome 3 : Les femmes et les enfants d'abord (1994), des mêmes auteurs. Ce tome peut se lire sans avoir lu un seul album de la série Monsieur Jean. Il exhale plus de saveurs si le lecteur connaît la série. Sa première publication date de 1994. Il a également été réalisé par Philippe Dupuy et Charles Berberian, toutefois dans cet ouvrage chacun réalise seul ses propres pages, et non à quatre mains comme les albums de la série. Il s’agit d’un ouvrage en noir & blanc, édité par L’Association alors que les albums Monsieur Jean ont été publiés par Les Humanoïdes Associés. Il comprend cent-vingt-huit pages de bande dessinée.



Mercredi 11 août 1993, Charles Berberian se trouve dans un taxi et le chauffeur lui raconte une anecdote : un type qui monte dans son taxi et qui lui demande de le ramener chez lui, puis qui s’endort sans avoir donné l‘adresse, rond comme une queue de pelle. Impossible de le réveiller, et le chauffeur ne sait pas où il habite, forcément. Du coup, il a roulé pendant trois heures, le temps qu’il émerge, et le compteur tournait pendant ce temps-là, forcément. Il a même pris un autre client pendant que l’autre poivrot ronflait, client qui faisait une drôle de tête, mais en même temps, il était trop content de trouver un tacot à trois heures du mat’. Charles imagine le chauffeur sur la scène de l’Olympia en train de raconter sa blague à un public hilare. Il se lance à son tour, avec une histoire : il monte dans un taxi et le chauffeur n’arrête pas de se racler la gorge. Au bout de cinq minutes, ça lui remonte dans le nez, du coup les clients ont droit à une vidange complète du nez à coups de raclements et de reniflements sonores. Le chauffeur reste sans réaction, sans même sourire.



Quelques jours plus tard, Berberian est en train de dessiner cette scène pour le journal de l’album. Son épouse Anne vient le regarder, en tenant leur fille Nina par la main, elle-même tenant un biberon. Charles s’interrompt, et ils passent dans leur chambre, Anne demandant s’il parle déjà d’elle, des vacances, du fait qu’ils soient en vacances chez sa mère à elle dans le Quercy. Ils sortent voir les animaux dehors, avec leur fille dans les bras de son père. Ils sont donc en vacances dans le Quercy, chez Viviane la mère d’Anne, et c’est là qu’il a commencé son journal. Ils observent les poules et les cochons. Certes tout ce qu’il raconte là n’a rien à voir avec Monsieur Jean, mais c’est-à-dire qu’avec le chauffeur de taxi, ils en sont venu à parler bandes dessinées, et il a dit des trucs pas idiots à ce sujet, en gros que Charles faisait des bêtises. Ça lui évoque Astérix et Obélix. Il se souvient qu’il se marrait bien en lisant ça, il se demande où ils vont chercher toutes ces bêtises, pas vrai ? Charles éprouve la sensation que le chauffeur le punit en le fouettant. Il explique que pour trouver ces bêtises, il regarde autour de lui, il observe les gens et il en fait des histoires.



Au bout de quelques pages, le lecteur comprend que le titre est à prendre littéralement : Dupuy & Berberian ont documenté leur processus de réalisation du troisième album de la série Monsieur Jean, sous la forme d’un album de bande dessinée. Le présent ouvrage se compose de quatre parties. La première réalisée par Charles Berberian, de quarante-et-une pages, composée de trois chapitres. La deuxième réalisée par Philippe Dupuy, comprenant quarante-huit pages, et se composant de quatre chapitres. Enfin une autre partie réalisée par Berberian comptant quatorze pages, et une dernière réalisée par Dupuy, de douze pages. Chaque auteur raconte donc sa tranche de vie correspondant à la gestation de l’album, depuis les premières idées jetées par Berberian, jusqu’à la parution du tome trois de la série Monsieur Jean et à la dernière question : quel éditeur pour le Journal d’un album ? Comme dans toute autobiographie, même si celle-ci est croisée, le lecteur sait que les auteurs ont retenu des moments choisis, et les présentent comme ils l’entendent. L’un comme l’autre l’évoque de front ou de manière incidente : que raconter ? Un trajet en taxi, des anecdotes familiales, les discussions avec les fondateurs de la maison d’édition l’Association (Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, David B., Mattt Konture, Patrice Killoffer, Stanislas), et bien sûr quelques-unes de leurs interrogations, de leurs doutes, des difficultés créatrices, mais aussi des difficultés matérielles, l’éditeur Les Humanos traversant une période difficile sur le plan financier et sur le plan juridique.



Il suffit donc au lecteur de savoir que l’appellation Dupuy & Berberian recouvre un duo de bédéistes, que leur personnage principal se nomme Monsieur Jean, et que sa série se focalise sur des moments de sa vie parisienne. Charles apparaît comme un monsieur sympathique, pas trop angoissé, ne sachant pas trop comment commencer son journal, ce qui nourrit les premières scènes. Il représente ses personnages de manière semi-réaliste, avec un trait de contour un peu fin, et une apparence qui s’apparente de près à celles des personnages de la série Monsieur Jean, gros nez compris. Les dessins comprennent un degré de caricature, avec des contours pas toujours très droits, comme mal assurés ou réalisés rapidement, un air de bande dessinée indépendante, ou un dessinateur peu porté sur l’application du travail d’encrage, ou encore une bande dessinée conservant sa spontanéité. Le lecteur suit bien volontiers cet auteur dans la banalité de son métier et de sa vie de famille, mais aussi dans l’exotisme de la profession de bédéiste.



Outre le fait que le personnage principal change, le lecteur remarque bien le passage d’un auteur à l’autre car le trait de Dupuy est plus appuyé, plus gras, plus agréable à la vue. Dans le même temps, il identifie également tout de suite la parenté avec les dessins de la série Monsieur Jean, même si ce dessinateur-là n’affuble pas ses personnages de gros nez. Il se révèle être également un excellent conteur, par exemple cette page où il évoque la vie de son père en seulement six cases. En comparant ces planches-ci avec celles de la première partie, il peut se faire une vague idée de ce qu’apportent un dessinateur et l’autre. Il constate que pour l’un, comme pour l’autre, les personnages représentés arborent tous un air sympathique, sans être nunuches, mais sans agressivité. L’un et l’autre savent poser un décor en quelques traits, tout en intégrant des éléments spécifiques qui rendent unique la ferme de Viviane dans le Quercy, ou permettent de reconnaître au premier coup d’œil, la gare Montparnasse. Ils utilisent avec la même aisance le glissement vers l’exagération visuelle, que ce soit avec Charles enfant, ou la mégalomanie débridée de Charles représenté par Phillipe lors qu’il abat une quantité de pages de Monsieur Jean, tout seul.



Cette lecture exhale un peu plus de saveurs pour celui qui a lu le tome trois de la série : il peut alors faire le lien avec une ou deux anecdotes de la vie personnelle de l’un ou de l’autre, et une aventure de Jean, ou bien encore identifier la métaphore du château assiégé par des femmes qui lancent des bébés aux soldats qui montent la garde sur les remparts. Au cours des séquences, Charles comme Philippe s’interroge sur leur rapport à la création, de manière superficielle, et plus sur leur comportement, leur mode de vie. Ça commence avec Charles qui estime qu’il est un adolescent attardé, ou même un enfant attardé à collectionner des figurines des Simpson, à accumuler des bandes dessinées (jusqu’à garder de vieux albums de Ric Hochet) alors que son appartement est plein à craquer. Ça continue avec Philippe qui trouve qu’il n’arrive pas à se faire à son âge, la trentaine : il continue à acheter des casquettes, à se balader en blouson et tee-shirt, voire même en baskets, comme un adolescent boutonneux, et à dépenser son argent en cinéma et en restaurants, alors qu’à trente-trois ans il devrait consacrer son argent à élever ses enfants (à son âge, son père avait quatre enfants).



L’épilogue de Charles le met en scène comme Robin, Philippe jouant le rôle de Batman, en costume l’un et l’autre. Il est question de leur amitié et de leur collaboration professionnelle, des incertitudes sur la parution de l’album de Monsieur Jean, et de leur rémunération. Il cite un passage d’un livre de Serge Rezvani, peintre, écrivain et auteur-compositeur-interprète français d'origine iranienne : À force de me situer à côté, en indiscipline et de la peinture et de l’écriture, prétendant à la transversalité, j’en suis venu à croire, comme le tireur à l’arc aux yeux fermés, que la pensée est à la fois flèche et but, et qu’il est donc inutile et distrayant de se préoccuper de quelle nature sont la flèche et le but, car seul d’arquer son arc sans décocher la flèche suffit. Charles s’interroge sur la beauté du geste, celui de dessiner et sur sa finalité. Puis Philippe évoque les étapes successives pour finir les planches de l’album jusqu’à sa parution : un vrai jeu de l’oie où le passage d’une case à la suivante est tributaire d’événements arbitraires, totalement indépendants des auteurs, à commencer par la santé financière de leur éditeur.



Charles Berberian et Philippe Dupuy ont fait le projet de réaliser un album de leur série Monsieur Jean, le troisième tome, et d’en documenter le processus sous la forme d’un journal à la narration libre, et séparée, chacun produisant ses chapitres seul, de son côté. Ils exposent leurs doutes sur la nature nombriliste d’une telle démarche, et réalisent des pages assez proches graphiquement de la série. Ils plongent le lecteur dans leur quotidien, au travers de morceaux choisis, et mis en scène, une autre forme de construction que celle de Monsieur Jean, mais pas une œuvre spontanée et sans réflexion ou formalisation. Le tout invite le lecteur aux côtés du quotidien de deux bédéistes, avec des personnalités différentes, des narrations visuelles assez proches, pour des tranches de vie banales dans ce qu’elles ont de pragmatique, mais aussi uniques car intrinsèquement liées à eux, à leur situation personnelle du moment, à leur l’étape qu’ils effectuent dans leur métier, à la fois une étape pour grandir, à la fois un reflet de la fragilité de l’artisanat.
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Rubrique Abracadabra

Cet album est un hommage à la Rubrique-à-Brac, œuvre emblématique de Marcel Gotlib, qui a marqué l’histoire de la bande dessinée. Pour cet hommage, un casting de rêve est réuni dans cet album : Zep, Berbérian, Léandri, Tardi, Belkrouf, Maëster, Dupuy, Binet, Boucq, Jannin, Mourier, Arleston, Barral, Chauzy, Mandryka, Goossens, Christin, Blutch, Lindingre, Tonino Benacquista, Bilal, Lefred Thouron, Antoine de Caunes, Jean-Yves Ferri, Margerin, Tronchet, Solé, Édika, Larcenet, Mézières, Guarnido, Julien/CDM, Ptiluc et Dal.

Chacun, dans son style, reprend quelques principes utilisés dans la Rubrique-à-Brac, quelques idées, quelques personnages. Le résultat est assez décevant, en tentant de s’accaparer le style du maître, la plupart s’y cassent les dents.

Dupuy & Berberian avec la girafe, et Blutch avec le matou matheux, reprennent et détournent un histoire de Gotlib et s’en sortent nettement mieux, ainsi que Solé, avec la morale finale sous forme de jeux de mots comme dans le tome 5 où quelques histoires avaient été scénarisées par Gotlib et dessinées par d’autre auteurs.

Manu Larcenet m’a vraiment fait rire, toujours très drôle, mais c’est du Manu Larcenet.

Le reste est assez moyen, en essayant de faire du Gotlib, ils ne parviennent pas à être drôle, même Binet et Goossens déçoivent, certains se plantent carrément, venant d'auteurs que j'admire d'habitude, c'est presque gênant.

Bref, un hommage raté et vraiment une grosse déception.
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Monsieur Jean, tome 7 : Un certain équilibre

Quand on dit : Les gens sont ceci ou cela, c’est de soi qu’on veut parler.

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Ce tome fait suite à Monsieur Jean, tome 6 : Inventaire avant travaux (2003). La première édition du présent tome date de 2005 et contient un marquepage en forme d’ex-libris. Les deux auteurs, Philippe Dupuy et Charles Berberian, ont écrit le scénario à quatre mains et dessiné les planches à quatre mains. La mise en couleurs a été réalisée par Ruby. L’album compte quarante-six planches, sous la forme de quarante-et-une histoires courtes, trente-six en une page, cinq en deux pages. C’est le dernier album de la série.



Jalousie : de nuit dans le quartier du Sacré-Cœur, Cathy et Jean rentrent à pied chez eux. Elle lui parle de son déjeuner du midi, avec un vieux copain de fac. Quand il l’a appelée l’autre jour, elle était surprise mais aussi intriguée. Elle avait envie de savoir ce qu’il était devenu. Elle continue : c’était vachement sympa, il est dans la recherche maintenant. Il a bossé trois ans au Brésil et là ça fait un mois qu’il est rentré en France. Il a un parcours intéressant, ça l’a changé en mieux. Monsieur Jean finit par se demander si elle n’essayerait pas de le rendre jaloux. Le portable : Jean regarde l’écran de son téléphone portable, avec angoisse. Ce qui l’angoisse, c’est l’indicateur du niveau de charge. Il ne sait pas pourquoi, mais il ne peut pas s’empêcher d’associer le nombre de bâtons au niveau de son compte en banque, ou pire au temps qu’il lui reste à vivre. Une chance au grattage : Cathy est en train de prendre un café avec sa copine Agnès célibataire, dans un troquet. Elles regardent les clients en train de gratter un jeu : le convulsif, le collectionneur, celui qui culpabilise et qui fait ça en cachette. Il y a quelque chose de sexuel dans le comportement des hommes qui grattent leur ticket de jeu.



Les gens 1 : Félix et Jean marchent dans une rue parisienne. Le premier fait observer au second qu’il a remarqué un truc. Quand on dit : Les gens sont ceci ou cela, c’est souvent de soi qu’on veut parler. Par exemple, on dit : les gens sont énervés, en fait c’est qu’on énervé soi-même. Mariage : Liette s’est lovée contre Félix sur le canapé, et lui demande s’il l’aime vraiment. Il lui répond si elle est en train de lui demander qu’ils se marient. Elle lui indique qu’elle aimerait juste qu’il s’occupe un peu plus d’elle. Avec lui, elle a l’impression de tout porter sur les épaules. Elle a l’air forte comme ça, elle peut prendre en charge plein de choses, mais elle a parfois besoin de se sentir en sécurité. Enfin bref, ce serait plus léger pour elle s’il cherchait au moins un boulot. À la boulangerie 1 : Monsieur Jean raconte à ses amis Félix et Clément qu’il rentre dans sa boulangerie et qu’il prononce un bonjour, sur un ton de voix normal. Personne ne lui répond. Il voit le coup venir : il va falloir qu’il redise bonjour, et c’est idiot car il l’a déjà dit une fois. Il ne va pas recommencer uniquement parce que ces deux abruties étaient trop occupées à discuter pour l’écouter. Quand son tour arrive et qu’il demande une baguette, la boulangère lui répond par un Bonjour peu amène.



À l’issue du tome précédent, Monsieur Jean était installé en couple avec Cathy, et ils avaient une petite fille Julie. Il avait affronté ses craintes de déchéance sociale, de peur de la séparation, de la mémoire de ses grands-parents et de leur valeur, et de la mort. Le lecteur s’interroge sur la prochaine étape qu’il va franchir dans la vie. Il découvre que les auteurs ont choisi de revenir au format de gags courts, en une page, à l’exception de cinq en deux pages. Il se rend compte que Monsieur Jean ne figure pas dans tous les gags : quinze sur quarante-et-un. Par comparaison, Félix Martin figure dans vingt-et-un. Il fait la connaissance d’une nouvelle venue : Agnès célibataire et copine de Cathy. Elle figure dans onze gags. Eugène, le fils adoptif de Félix, bénéficie également d’une bonne exposition, avec un petit air futé et malin, un préadolescent qui sait faire tourner son père en bourrique avec malice et à propos. La série se déroule toujours à Paris, avec un parisianisme peu marqué, un ou deux monuments, une bouche de métro, une colonne Morris, un trajet en métro, et une balade le long du canal Saint Martin avec la passerelle Bichat.



Ayant intégré le format d’anthologie d’histoires très courtes, le lecteur retrouve avec plaisir les personnages qu’il a côtoyés pendant les albums précédents, Monsieur Jean bien sûr, et sa compagne Cathy avec leur fille Julie, son ami Félix Martin avec son fils adoptif Eugène, et sa compagne Liette Botinelli, une courte apparition de Clément, et il fait connaissance avec Agnès, bien malheureuse d’être seule. Il retrouve avec grand plaisir les dessins avec leur esthétique si personnelle. Les personnages portent la marque des artistes : silhouettes longilignes, gros nez pour ces messieurs, nez fin et pointu pour ces dames, élégance discrète dans les tenues vestimentaires sans vêtement de marque ou de luxe, visage un peu plus expressif que dans la réalité sans aller vers la caricature comique, direction d’acteurs naturaliste. De temps à autre, le lecteur prend le temps de savourer un visage ou une apparence : la douceur du visage de Cathy, la malice dans celui d’Eugène qui n’a pas son pareil pour manipuler son père adoptif, les émotions, la déprime grandissante d’Agnès qui ne trouve pas de mec, puis son air fatigué et éteint quand elle est sous antidépresseur. Le plus effrayant devient Félix après que Liette l’ait quitté : amaigri et hagard, maniaco-dépressif : il fait peur à voir.



Le lecteur relève également que les artistes ont franchi un nouveau pallier dans la manière de représenter les décors : du grand art entre l’esquisse spontanée et le savant dosage d’informations visuelles. Impossible de se tromper dans la première bande de la première page : ces quelques traits évoquent le Sacré-Cœur, alors même qu’un regard prolongé sur cet arrière-plan finit par ne plus voir qu’un amas informe de traits hasardeux. Le lecteur parisien reconnaît sans difficulté sa ville, également grâce aux formes des mobiliers urbains, aux potelets, des détails qui attestent de la qualité d’observation des dessinateurs. Par la suite, il peut noter la petitesse des tables dans un bistro, la forme très épurée des voitures, l’exactitude du modèle de banquette dans un wagon du métro, l’étroitesse de certains trottoirs, les mauvaises surprises dans un espace vert parisien trop sollicité, et la fameuse passerelle Bichat. Cette narration visuelle ne transforme pas Paris en une version édulcorée ou fantasmée, mais rend compte du ressenti des personnages qui y évoluent.



Une fois accepté qu’il s’agit d’histoires courtes papillonnant d’un personnage à l’autre, le lecteur se dit qu’après le processus progressif de prise en charge des responsabilités d’adulte par Monsieur Jean, les auteurs mettent à profit la palette infinie des préoccupations du quotidien. Ils le font avec une verve entraînante, nourrissant leurs histoires d’une myriade de petits riens. La relation amoureuse se retrouve au cœur d’une bonne moitié de ces histoires : jalousie, comparaison avec le comportement des joueurs sur leur ticket à gratter, envie de mariage, solitude difficile à supporter, draguer avec un bébé en poussette, avoir un comportement trop intense quand on cherche à se mettre à la colle avec un mec, craindre l’âge et la nécessité de se maquiller, se faire larguer par sa compagne, tenter l’agence matrimoniale (les applis de rencontre n’existaient pas à l’époque), se comparer à une chaussette seule (Le monde est une machine à laver qui sépare ceux qui s’aiment.), constater que les filles sont lâches et que les hommes sont des imbéciles. Parmi les autres, le lecteur retrouve des situations qu’il a pu expérimenter : s’inquiéter démesurément de la charge de son téléphone, dire bonjour dans une boulangerie sans être entendu, sentir une forme de discrimination parce qu’on est trop jeune ou trop vieux, ressentir l’environnement urbain comme un milieu agressif, se contenter de réponses toutes faites, recevoir un postillon un peu trop grand, se laisser happer par un jeu sur console, se faire observer par un vigile dans un magasin. Le lecteur sent que Félix vole la vedette à Jean, avec sa déprime et son air de poète maudit, et il éprouve également une forte empathie pour Agnès désemparée de se retrouver seule dans la vie sans raison apparente.



Un dernier tome pour cette série qui est allée en se bonifiant de tome en tome. Plutôt que de se focaliser sur un chemin bien tracé pour Monsieur Jean, les auteurs font le choix d’ouvrir le champ de leurs observations à de multiples situations diverses, dont Monsieur Jean fait l’expérience d’une partie, et d’autres personnages du reste. Le lecteur se régale à chaque page, de la personnalité graphique des artistes, aussi convaincants qu’impressionnants dans leur façon de styliser les environnements, aussi bien en extérieur qu’en intérieur, et d’insuffler de la vie et de la personnalité dans les protagonistes. Les questionnements sur les relations amoureuses continuent au travers de la situation des personnages. Dans le même temps, Eugène, préadolescent, assure la relève des adultes. Il manipule son père adoptif avec une efficacité redoutable, et il pose des questions sur la survenance imprévisible de la mort (juste pour prouver que l’ignorance est donc source de bonheur et de légèreté), sur l’irresponsabilité d’un adulte qui devrait lui donner l’exemple, sur l’existence de Dieu. Un tome bien agréable, même s’il fait un écart avec la progression narrative de la série : il constitue un épilogue de grande qualité.
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Monsieur Jean, tome 3 : Les femmes et les e..

Tu attends un enfant, et tu ne sais pas qui est la mère ?

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Ce tome fait suite à Monsieur Jean, tome 2 : Les nuits les plus blanches (1992) qu’il vaut mieux avoir lu avant car les auteurs développent une continuité assez lâche en arrière-plan. Cet album a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Philippe Dupuy et Charles Berberian, avec une mise en couleurs réalisée par Claude Legris & Isabelle Busschaert. Sa première édition date de 1994, et il compte quarante-six pages de bande dessinée. Il se compose de cinq histoires courtes.



Les femmes et les enfants d’abord, quatre pages. La nuit, Monsieur Jean fait l’étoile de mer dans son lit quand la sonnette retentit. Il émerge difficilement du sommeil et va ouvrir. Sur le pas de la porte l’attend Véronique, enceinte, avec un mouchoir à la main. Elle pleure et lui explique qu’elle sait que ce n’est pas une heure pour le déranger, mais elle vient de se disputer avec son mari Jacques. Il lui prépare un café et vient s’assoir en face d’elle. Elle lui raconte que Jacques est rentré très tard vers trois heures du matin, qu’ils se sont disputés et qu’elle a choisi de partir en le plantant là. Elle ne lui reproche pas vraiment de sortir, mais du fait de son état elle dort tout le temps et ils ne passent plus de temps ensemble. Le téléphone sonne : Jean répond, et il indique à Jacques qu’il peut passer. En fait, ils sont sortis ensemble ce soir-là. Manureva, onze pages. Dans la voiture, Jean raconte son cauchemar à son ami Clément qui conduit : ils se retrouvent assiégés dans un château fort, lui et tous ses avatars qui montent la garde. Dehors des femmes guerrières en armure ont ramené des machines de guerre et elles les bombardent avec des bébés vivants, affamés et hurlants. Les deux amis sont arrivés à destination : une salle de sport. Une femme vient prendre le vélo à côté de celui de Monsieur Jean et elle entame la conversation. Le courant passe bien entre eux deux.



Cathy (Norvegienne Woude), huit pages. Monsieur Jean est dans son bain, en train d’essayer de se remettre de sa rupture avec Manureva. Il repense à sa première rupture. Il était troufion, et il revenait pour une permission. Étonnamment, sa copine Catherine n’était pas venue l’attendre à la gare. Il avait fallu qu’il se rend chez elle par ses propres moyens, en faisant du stop. Sur place, Cathy recevait Brigitte une copine et Christophe un copain. Une folle jeunesse, quinze pages. Félix sonne à la porte de l’appartement de son ami Monsieur Jean, ce qui oblige ce dernier à sortir de son bain. Félix lui explique qu’il vient de se faire larguer par Marlène, sa compagne depuis deux ans. Les pompiers toquent à la porte car il faut évacuer l’immeuble pour cause de fuite de gaz. Les vacances de Monsieur Jean, huit pages. Monsieur Jean et son ami Jacques sont en train d’essayer des manteaux. Jacques indique que Véronique a accouché de jumeaux. Il lui propose de se joindre à eux pour des vacances en Bretagne début juillet. Monsieur Jean accepte : sur place, il découvre que le couple a invité une amie, Catherine.



Le titre de ce troisième tome laisse sous-entendre que Monsieur Jean serait en train de virer sa cuti, qu’il serait susceptible de s’encombrer de responsabilités avec femme et enfants. La première histoire permet de se rassurer : il s’agit de la femme d’un ami, et de son enfant à venir. La deuxième évoque une courte relation entre Monsieur Jean et Pascale qui se fait appeler Manureva. Dans la troisième, le lecteur découvre la première rupture avec une femme. Dans la quatrième, Monsieur Jean doit héberger temporairement son ami Félix, avec Eugène, un jeune garçon, fils de l’ancienne compagne de Félix. Enfin, il accepte de passer des vacances avec son ami Jacques, ainsi que son épouse Véronique, et leurs jumeaux, sans oublier une invitée de dernière minute. Il est donc bien question de femmes, deux amours du personnage principal, celle de son ami Jacques, celle de son ami Félix même si elle n’apparaît pas, et des enfants des autres. Les dessins restent également dans le même registre que ceux des tomes précédents. Sans qu’il ne soit possible de savoir qui a dessiné quoi, les artistes ont conservé leur goût pour les exagérations des personnages : femmes filiformes sauf madame Poulbot la concierge et son amie madame Colin, hommes avec un visage marqué (le gros nez de Monsieur Jean, le gros menton de Clément, le nez pointu de Félix, la bouche légèrement de travers de Jacques), représentation des décors oscillant entre le simplisme et l’épure élégante. Pas de doute, le lecteur retrouve bien ce jeune trentenaire dégagé des contingences matérielles, un peu falot dans ses relations sociales, indolent dans son comportement, vaguement neurasthénique même, dans des aventures inconséquentes dépourvues de toute action spectaculaire, souvent parisianistes.



Dans le même temps, dès la première page, le lecteur remarque de petites évolutions, en particulier graphiques. Il note que les traits du visage de Monsieur Jean ont encore gagné en épure : ce gros nez qui tire son visage vers le bas, cette absence de menton, ce gribouillis pour ses cheveux, tout cela s’assemble parfaitement pour une allure générale, mais ne résiste pas à un regard soutenu qui les sépare un par un. L’arrivée de Véronique le conforte dans ce constat : un rendu très éloigné d’une apparence photographique, avec un arrondi pour le contour du visage, deux traits un peu plus épais pour les yeux à demi-clos, quelques traits en arabesque pour les cheveux, et apposition de couleurs qui donne une cohérence au tout. Quelques pages plus loin, il fait connaissance avec Manureva dont le dessin est tout aussi épatant, lui conférant un charme fou : une sorte de gribouillis pour les cheveux en chignon, un demi-triangle très allongé pour le nez, un body de sport très collant, des sous-vêtements noirs très basiques. Cathy est tout aussi craquante avec ses cheveux courts et son petit nez en trompette. L’âge a apporté une grâce peu commune à Madame Fabienne Delboise avec ses cheveux blancs sa longue silhouette mise en valeur dans sa robe noire. Monsieur Boris Zajac apparaît maigre, avec également un visage des plus réussis avec ses gros sourcils broussailleux, ces quelques traits qui forment une chevelure grisonnante et ce long nez aquilin.



Dès la première page, le lecteur constate également une évolution significative dans la représentation de l’aménagement intérieur du petit appartement de Monsieur Jean. Les artistes effectuent un véritable travail de décoriste, de décorateurs d’intérieur même : choix du modèle de lampe de chevet, modèle des fauteuils du salon, motif imprimé des rideaux, utilisation de l’âtre de la cheminée pour ranger les bouteilles d’alcool. Par la suite, il note un autre modèle de fauteuil dans le salon de Véronique & Jacques, la décoration plus datée chez les parents de Jean, une décoration plus jeune chez Catherine il y a quelques années, des pièces beaucoup plus spacieuses chez Mme Delboise, le retour de la fenêtre de la chambre de bonne parisienne. Il prend un plaisir similaire à s’attarder sur les environnements en extérieur : une promenade au parc des Buttes Chaumont, les rues de Lille sous la pluie, la rue parisienne devant l’immeuble où loge Monsieur Jean, une belle maison au bord de la plage en Bretagne, et bien sûr le château fort.



En effet, les auteurs ne se cantonnent pas de ronronner en progressant tranquillement : ils introduisent également de vrais éléments nouveaux. C’est ainsi qu’ils mettent en œuvre une métaphore visuelle avec laquelle ils s’amusent bien : le détachement de Monsieur Jean prend la forme d’un château fort avec un mur d’enceinte, un pont-levis, et même des assiégeantes en armure médiévale. Cette indolence apparente peut alors s’interpréter comme la volonté de se mettre émotionnellement à l’abri derrière un mur. Les ébauches de relation amoureuse deviennent alors des assauts donnés par la femme correspondante pour essayer de pénétrer dans l’enceinte fortifié. C’est une belle inversion de la représentation habituelle où l’homme fait des pieds et des mains pour développer une relation qui lui permettra de pénétrer sa partenaire sexuelle : ici, la femme essaye de pénétrer son partenaire affectif. De même, sur le plan narratif, les histoires se font plus longues, il n’y en a plus en deux trois pages. Il apparaît également une continuité plus consistante. Monsieur Jean part en vacances avec le couple Véronique et Jacques qui ont fini par se réconcilier dans son appartement. Ils sont rejoints par Catherine, la première relation amoureuse sérieuse de Monsieur Jean, qui est racontée dans la troisième histoire de ce tome. De même, apparaissent des thèmes plus adultes comme les disputes de couple, la peur de ne plus plaire, le sexe passion, les familles recomposées ou plutôt décomposées avec un enfant balloté d’adulte en adulte, le suicide des personnes âgées isolées souffrant de solitude, la peur de l’engagement, les blessures affectives, les attentes des parents vis-à-vis de leurs enfants. Les auteurs savent conserver un dosage élégant entre ces questions adultes, et un humour entre comédie de situation, autodérision, enfantillages.



Le lecteur était prêt à reprendre une portion de tranches de vie sans conséquence, de vague à l’âme dans un milieu parisien, témoignage d’une époque et d’un certain pan de la société. Il remarque que les dessins gagnent encore en élégance et en chic, que ce soient les personnages ou les environnements. Par ailleurs, les scénaristes se montrent plus ambitieux dans leurs histoires qui deviennent un peu plus longues et qui présentent une continuité entre elles. Dans le même temps, ils ont conservé leur humour pince-sans-rire qui participe au charme de la série, tout en évoquant des sujets moins frivoles. Le lecteur sent qu’il devient plus intime avec Monsieur Jean et que celui-ci sent que sa vie pépère ne le satisfait pas.
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Monsieur Jean, tome 2 : Les nuits les plus ..

Tout le monde sait que les livres gonflés à l’air du temps sont ceux qui se dégonflent le plus vite.

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Ce tome fait suite à Monsieur Jean, tome 1 : Monsieur Jean, l'amour, la concierge (1991) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant. Cet album a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Philippe Dupuy et Charles Berberian, avec une mise en couleurs réalisée par Claude Legris. Sa première édition date de 1992, et il compte quarante-cinq pages de bande dessinée.



Quatre saisons pour monsieur Jean, six pages. Monsieur Jean est dans la rue, devant un cinéma parisien, avec son ami Félix. Il lui demande ce qu’ils vont voir. Félix répond qu’ils ont le choix entre Massacre au coupe-ongles, en son Dolby THX et écran géant, et Prise de tête, un film de Jacques Oignon avec deux acteurs et un abat-jour. Monsieur Jean répond par un sarcasme : super, il adore les abat-jours. Félix en conclut qu’il vaut mieux qu’ils aillent manger un morceau. En attendant sa pizza, Jean continue de tirer la tronche. Félix lui demande de faire un effort car il se croirait dans un film de Jacques Oignon. Il essaie de deviner ce qui mine son ami : il aurait préféré une choucroute ? Il a le sida ? Sa concierge le trompe ? Son interlocuteur lâche le morceau : il a trente ans. Après le repas, chacun regagne ses pénates, et Monsieur Jean sent que la pizza passe mal. La nuit, il se tourne et se retourne de douleur dans son lit. Il cauchemarde qu’une armée composée de petits lui-mêmes défend une tranchée contre un ennemi invisible qui le bombarde de pizzas.



Insomnie 1, deux pages. Pas frais du tout après une nuit difficile, Monsieur Jean prend un café à une terrasse, avec son ami Clément. Il lui explique qu’en ce moment, il n’arrive jamais à s’endormir avant cinq heures du matin. Il a tout essayé : zapper pendant des heures devant son poste de télévision, lire au lit, par exemple Voyage au bout de la nuit de Céline. Rien n’y fait. Il est même allé au cinéma voir Prise de tête, le film de Jacques Oignon. Clément fait semblant de s’être endormi, tout en ronflant. Alors que Jean s’énerve que son ami se moque de lui, Clément lui donne son truc infaillible contre l’insomnie, un truc tout simple : laisser faire. – Le voyage à Lisbonne, quinze pages. Monsieur Jean est attablé chez ses parents, avec sur la table son gâteau d’anniversaire. Sa mère lui amène son cadeau, et son père se tient debout en train d’ouvrir la bouteille de champagne. Les parents se retrouvent dans la cuisine, la mère disant qu’ils auraient dû acheter le four à micro-ondes, le père rétorquant que leur fils avait besoin d’une perceuse. La mère retrouve son fils pensif dans la salle à manger. Il lui demande si elle n’aurait pas vu une boîte à chaussures dans laquelle il rangeait son courrier. Il ne l’a pas trouvé chez lui, et finalement il n’a pas le souvenir de l’avoir emportée. Concrètement, il cherche une lettre qu’il a écrite quand il avait quinze ou seize ans : elle s’adressait à l’homme qu’il serait à trente ans. Ça fait une semaine qu’il se creuse le crâne pour savoir où elle se trouve. Il a dû la mettre dans la boîte, ça semble logique.



Les co-auteurs continuent sur leur lancée, en narrant les petits riens du quotidien de Monsieur Jean, un auteur de roman. Il en a écrit au moins un : La table d’ébène, et celui-ci a rencontré un vrai succès. Au cours des histoires de ce tome, le lecteur comprend que le romancier travaille sur la traduction de nouvelles de William Somerset Maugham (1876-1965). Il est donc un peu question de culture de ci, de là, avec des références à Maugham, au film Le jour se lève (1939), de Marcel Carmé (1906-1996) avec Jules Berry (1883-1951), au groupe Genesis (un poster dans une chambre), à Frank Zappa (1940-1993, un autre poster), à Billie Holiday (1915-1959) & Thelonius Monk (1917-1982) par le biais de trois disque vinyle, et à Fernando Pessoa (1888-1935) lors du voyage de Monsieur Jean à Lisbonne. Le lecteur retrouve la structure en scénettes d’une à six pages, et une histoire plus longue de quinze pages emmenant Monsieur Jean à l’étranger, à l’instar de son voyage dans la campagne du côté d’Avignon dans le premier tome. À nouveau, les auteurs s’attachent à une forme de quotidien de leur personnage, la banalité de la vie pour lui, une forme d’exotisme pour le lecteur qui n’est pas romancier, ou pas parisien, ou qui n’a pas vécu à cette époque, ou tout cela à la fois. Il retrouve également les dessins empruntant à la ligne claire, sans en respecter toutes les caractéristiques, et évoquant de ci de là ceux de Frank Margerin.



Les artistes arrivent à un équilibre aussi élégant que savant entre dessins descriptifs avec un trait de contour d’épaisseur égale et des couleurs posées en aplats, et des touches d’exagération et de simplification pour les personnages. Sur le plan des décors et des accessoires, certaines cases peuvent donner une impression chargée : la première avec les affiches sur la façade du cinéma, la circulation, les immeubles, la queue devant le cinéma, l’eau qui s’écoule de l’appartement de Monsieur Jean dans l’escalier de son immeuble, le bureau de son éditeur, une rue de Lisbonne avec son tramway, le salon de Monsieur Jean, une rue de banlieue avec ses pavillons à deux ou trois étages. Par comparaison, d’autres semblent parfaitement équilibrées : un gros plan sur la tête de deux soldats Monsieur Jean, avec une ombre chinoise qui s’écroule en arrière-plan fauchée par une pizza, deux hippopotames amoureux dans une rivière, une demi-douzaine de personnes en train de danser au milieu du salon d’une maison en banlieue de Lisbonne, une vue de la gare de l’Est, Monsieur Jean disant au revoir à Alicia dans l’aéroport, Monsieur Jean allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, etc.



Cette image du personnage principal allongé sur son lit les yeux grands ouverts orne la couverture et s’avère saisissante dans cet état au-delà de la fatigue où le corps semble ne plus savoir comment s’éteindre. Dupuy & Berberian ont continué à travailler sur leur manière de représenter les visages, s’éloignant encore du réalisme photographique pour trouver des formes qui augmentent l’expressivité, qui font mieux apparaître l’état d’esprit du personnage. S’il commence à arrêter son regard sur le visage de Monsieur Jean, le lecteur constate qu’il a un gros nez, presque pas de menton, le plus souvent des points ou des petits traits pour les yeux et une sorte de gribouillis étudié en guise de cheveux. Par comparaison, celui de Félix est pourvu de cheveux avec une coupe à angle droit à l’arrière de son crâne et d’un nez proéminent pointu. Celui de Clément présente un énorme menton, une mèche de cheveux défiant les lois de la gravité, un nez tout aussi proéminent mais sans angle aigu. Peut-être que le lecteur ne prête pas plus attention que ça à Julie et Céline rencontrées dans la queue du cinéma, mais il est saisi par la beauté d’Alicia. Là encore, les artistes ont construit son visage en tirant vers une conceptualisation, avec son arrondi vertical parfait réalisé d’un trait élégant, son nez court, ses yeux un peu allongés. Pas grand-chose à voir avec la réalité, mais une puissance de séduction irrésistible. Dans la nouvelle Monsieur Négatif (en six pages), ils s’amusent à caricaturer une femme bien en chair, avec des jambes ridiculement petites, un torse beaucoup trop gros et long, raillant cette silhouette en l’affublant d’un jogging fluo, et faisant subir les derniers outrages à sa chevelure en la parant d’une véritable choucroute avec saucisses. Globalement, les personnages ne deviennent pas des pantins comiques pour faire rire : ils expriment une réelle personnalité, avec le plus souvent une réelle affection des auteurs pour eux, et parfois une moquerie qui ne verse pas dans la méchanceté.



Comme dans le premier tome, le lecteur se rend compte que Monsieur Jean ne lui est pas plus sympathique que ça. Un homme qui atteint trente ans, sans souci apparent, sans beaucoup de responsabilités, pas vraiment misanthrope mais plutôt vaguement ennuyé par les autres, pas assez pour être irrité contre les défauts de ses amis. Pour autant, il apprécie la compagnie féminine et prête au jeu de la séduction. Par ricochet, Félix devient même plus sympathique car il assume ses défauts, et il y met du sien en amitié, même si ce n’est pas toujours à bon escient. Pour autant, l’empathie envers Monsieur Jean fonctionne parce qu’il apparaît vulnérable, procrastinateur, la proie d’une angoisse sourde au point de ne pas réussir à dormir. Au fil de ces onze nouvelles, le lecteur retrouve ce milieu vaguement bourgeois bohème, cette vie en apparence facile sans réel souci économique. Il en vient à faire la comparaison avec les caractéristiques de sa propre vie, peut-être un travail avec des horaires très réglés à l’inverse de Monsieur Jean, ou des heures sans compter, ou un boulot alimentaire, son réseau d’amis, l’énergie qu’il peut mettre à séduire, la nature de sa relation de couple ou son célibat, ses moments personnels d’angoisse, et peut-être ses difficultés digestives. Le quotidien de Monsieur Jean ne laisse pas de marbre parce que sa banalité renvoie à celle du lecteur suscitant ainsi une réaction réflexe, ressentant ces facettes d’humanité qui le lient à lui, ce questionnement latent né de la conscience du temps qui passe et de la futilité d’être.



Un deuxième tome composé lui aussi d’historiettes sans conséquences, sans grande aventure, centrées sur un individu un tant soit peu pathétique ce qui l’empêche d’être considéré comme étant désagréable. En toile de fonds, la narration visuelle s’affine graduellement, solide et consistante, avec des personnages à la séduction émouvante d’autant plus étonnante que leur représentation flirte avec l’abstraction et la géométrie. Un milieu social bourgeois bohème et parisien, pouvant exciter les a priori du lecteur, mais en même temps des êtres humains comme tout le monde, pas plus avancés que les autres. À un moment, Monsieur Jean lit un commentaire sur son livre La table d’ébène et le critique écrit que : Tout le monde sait que les livres gonflés à l’air du temps sont ceux qui se dégonflent le plus vite. Le lecteur sourit en voyant Monsieur Jean affecté par cette remarque, et il se demande si elle s’applique à la bande dessinée qu’il vient de lire, ou si au contraire elle constitue l’exception qui confirme la règle, ou encore la preuve que ce jugement de valeur est erroné.
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Une époque fantastique

Waouh : c'est l' unique exclamation que l'on ne peut retenir en ouvrant l'album collector de Charles Berberian, compilation de ses plus belles planches dans Grazia, l'Obs et Spirou mais qui réserve aussi quelques surprises inédites.

Chaque page se découvre comme un tableau d'autant plus que le format de ce bel ouvrage nous donne l'impression d'être plongé dans chacune des illustrations. On aime particulièrement les fonds comme délavés qui rappellent des aquarelles.On aime aussi comment Charles Berberian utilise la couleur pour installer une atmosphère de douceur ou de farniente, d'été ou de fête, pour attirer l'attention du lecteur sur les personnages principaux ou sur un objet en particulier comme cette planche où tous les téléphones portables apparaissent en bleu sur un dessin en noir et blanc pour croquer notre addiction contemporaine au smartphone.



On se promène des toits de Paris croqués magnifiquement aux parcs parisiens, on quitte le métro pour le Riviera croisant beaucoup de gens qui dansent, font la fête, sont attablés aux terrasses de café, profitent de l'instant présent, bouquinent.



Sous cette apparente légèreté, Charles Berberian pointe nos travers, nos idéaux mis à mal, notre quête de sens, décrivant par petites touches notre humanité.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Un peu avant la fortune

Étienne le tient bien son billet de Loto, oh oui. Un billet gagnant affolant, à vous brûler les gants. Un billet qui le met au ralenti, l'étourdit, lui coupe l'appétit, le mène à la folie.

Complètement chamboulé, ce nouveau riche se sent « un peu comme s'il avait gagné un saut à l'élastique du premier étage de la Tour Eiffel ». La peur, le vertige face à l'avenir. Et aussi la crainte que les autres, autour de lui, ne soient plus comme avant. Pour éviter de trop réfléchir et d'avoir à prendre des décisions, Etienne s'assomme avec l'alcool. Mauvaise idée : il est victime d'hallucinations, frôle plusieurs fois la mort et n'arrête pas de perdre ce satané billet.



Album à la fois pertinent, amusant et crispant. Une variante beaucoup moins dramatique que celle de Steinbeck ("La Perle") sur le thème « l'argent ne fait pas le bonheur quand il vous déboule dessus du jour au lendemain ». Album léger mais pas superficiel, qui présente des réflexions intéressantes sur ce sujet pourtant rebattu, invitant le lecteur à s'interroger sur son propre rapport à l'argent et sur celui de ses proches. Connaît-on bien sa famille, ses amis ?



Les atermoiements de l'heureux gagnant / triste loser (oxymore ?) peuvent agacer, le tournant pris dans les dernières pages peut dérouter et sembler artificiel. Mais peu importe, on passe un moment bien agréable, le récit ne manque pas de suspense et on cogite pendant la lecture, et même après si on veut.
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Le Pigeon

On rassemble le dessin ligne claire de Stanislas, l’intérêt pour le polar cinématographique américain des années 50 de Jean-Claude Götting, et l’humour de Charles Berberian pour une courte farce morbide. Le trait est minimal, épuré, nos personnages évoluent dans des décors très années 50, un personnage, la jambe dans le plâtre épie de sa fenêtre, avec une longue vue, la petite place en bas de chez lui, La référence à “Fenêtre sur cour” d’Alfred Hitchcock est évidente. Sauf qu’ici, la victime à venir, c’est lui, c’est du moins ce qu’il imagine en voyant les pigeons morts, ceux à qui il a donné les gâteaux préparés par son épouse. C’est une lecture sympathique et drôle, on suit la montée dans la paranoïa, on vit les situations cocasses où il cherche des stratagèmes pour ne pas manger ce qu’elle lui cuisine, et on reçoit avec plaisir ce final inéluctable. C’est un petit exercice de style sans prétentions mais très agréable à lire, mettant en valeur, en 1988, de jeunes talents prometteurs.
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Une éducation orientale



Charles Berberian est né à Bagdad d’un père arménien et d’une mère grecque. A neuf ans, il a rejoint son grand frère (réalisateur connu aujourd’hui décédé) à Beyrouth pour habiter chez sa grand mère maternelle pendant 6 ans. En 1975, il fuit la guerre civile avec sa famille et s’installe en France. Il ne retournera au Liban que 30 ans plus tard.



C’est la première fois, avec Une éducation orientale, que Charles Berberian, parle de cette période de sa vie et de sa jeunesse et de son rapport au Liban, navigant dans la construction de sa bande dessinée, aussi bien dans le temps que dans la géographie, entre Beyrouth et Paris.



Ce que j’ai ressenti, en tant que lectrice, comme une certaine confusion, traduit l’instabilité de son récit rythmé par plusieurs explosions (la première et la plus commune, celle de l’orage et la plus récente celle du port le 4 août 2020).




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Monsieur Jean, tome 1 : Monsieur Jean, l'am..

Monsieur Jean est écrivain, il travaille dans son appartement, avec ses horaires décalés, et la concierge de l'immeuble n'a pas beaucoup de sympathie pour ce fainéant qui se lève tous les jours à midi.

Le dessin est simple, expressif, le livre est sous forme d'une suite d'histoires courtes, de petites anecdotes de la vie de Monsieur Jean, le personnage est très autocentré, un peu névrosé, un peu loser (il finit par avoir du succès quand même), le prototype du bobo parisien. le ton est léger, celui de la comédie, la lecture est distrayante et sympathique, mais pas inoubliable.
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Monsieur Jean, tome 1 : Monsieur Jean, l'am..

Celui-là, je me demande vraiment ce qu'il fait de ses journées…

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Ce tome est un recueil d'histoires courtes. le personnage a donné lieu à sept albums et deux hors-série : celui-ci (1991, Les nuits les plus blanches (1992), Les Femmes et les enfants d'abord (1994), Vivons heureux sans en avoir l'air (1997), Comme s'il en pleuvait (2001), Inventaire avant travaux (2003), Un certain équilibre (2005), et les deux hors-série Journal d'un album (1994) et La Théorie des gens seuls (2000). Ils ont été réalisés à quatre mains par Philippe Dupuy et Charles Berberian, chacun étant scénariste et dessinateur. Ils avaient précédemment réalisé la série le journal d'Henriette (3 albums de 1988 à 1991), avec une continuation sous le nom Henriette (4 albums de 1998 à 2003).



Ce tome regroupe onze histoires courtes. Monsieur Jean, 2 pages : il descend l'escalier de son petit immeuble parisien, en sifflotant. Au rez-de-chaussée, il salue Mme Poulbot la concierge, et madame Colin. Après son passage, celles-ci commencent à cancaner : Celui-là, la concierge se demande vraiment ce qu'il fait de ses journées… Jamais levé avant midi… Et sitôt debout, la musique à fond !!! de toute façon, elle ne l'a jamais vu partir travailler. À se demander de quoi il vit ! Et puis à n'importe quelle heure, c'est les copains qui débarquent. Et faut voir les copains ! Et puis, c'est pas pour dire, mais c'est pas les lames de rasoir qui doivent lui coûter cher ! Mais, c'est que ça plaît apparemment… Et pas toujours aux mêmes ! Madame Rose lui a même dit que parfois elle entendait des cris… le soir, madame Poulbot regarde la télévision et elle voit monsieur Jean qui est interviewé et présenté comme romancier. Chantal, sept pages : monsieur Jean retrouve son ami Félix devant l'entrée du Palais de Tokyo pour une exposition sur Henri Matisse (1869-1954). Ils font le poireau pendant trois quarts d'heure et Félix conclut qu'elle ne viendra pas. Il laisse son ami visiter l'exposition tout seul. À l'intérieur, Jean croise Chantal, une ex. ils évoquent leur relation passée.



Une bonne surprise, cinq pages : monsieur Jean prend son téléphone et appelle un copain mais celui-ci lui répond que Dominique est malade, Jean-Claude n'a pas envie, Philippe et Charles ont trop de travail, du coup il propose de remettre ça à un autre jour. Jean va chercher son carnet d'adresse et il appelle un autre ami qui lui répond qu'il n'a pas de fête en vue, peut-être la semaine prochaine. Ma concierge bien aimée, une demi-page : madame Poulbot est en train de laver les marches de l'escalier et que monsieur Jean descend et glisse. Monsieur Jean fait ses courses, six pages : Jean ouvre son réfrigérateur et constate qu'il n'y a pas grand-chose. Il commence à mentalement établir une liste de courses. Il croise madame Colin dans l'escalier. Au supermarché, il commence à remplir son caddy et repère une très belle femme blonde en tailleur rouge, en train de réaliser un sondage, un client après l'autre.



Lors de sa parution initiale, cette série a marqué les esprits en présentant la vie d'un parisien, romancier, dans ce qu'elle a de plus banale et quotidienne, un bobo, bourgeois-bohème, à l'opposé d'un héros musclé bravant les dangers et sauvant les demoiselles en détresse. de fait, la première histoire se pose là : monsieur Jean descend l'escalier et s'en va : le lecteur fait sa connaissance au travers des commérages de la concierge et d'une autre habitante de son immeuble. Glamour à mort, surtout qu'il s'agit de ménagères de plus de cinquante ans, bien empâtées. Les dessins jouent sur la caricature des visages, les expressions exagérées, pour une forme d'humour saturé de dérision. Dans un visage ou deux, le lecteur peut retrouver l'influence d'Yves Chaland (1957-1990). La mise en couleurs est de type naturaliste, avec des couleurs un peu plus vives par endroit. Il y a juste un dessin un peu coquin quand les deux rombières un peu aigries s'imaginent ce qui se passe dans la chambre de monsieur Jean, avec lui représenté en démon avec une fourche, et trois splendides jeunes femmes nues à ses pieds dans des poses lascives.



De fait, au travers de ces onze histoires courtes, le lecteur rencontre à quatre reprises la concierge qui lance des regards peu amènes à Monsieur Jean quand il emprunte l'escalier. Dans la deuxième, il rencontre une ancienne compagne et ils évoquent leur relation avec à l'esprit ce qui aurait pu être, dans une conversation douce, légèrement nostalgique. Dans la suivante, monsieur Jean essaye d'organiser une soirée entre amis pour finir par aller manger avec ses parents. Dans la cinquième, il va faire ses courses, s'imagine en train de draguer la jolie femme effectuant un sondage, pour finir par se rendre compte qu'il ne peut plus rentrer chez lui car il a oublié ses clefs sur la petite table à côté de la porte d'entrée. Par la suite, il doit garder le chat d'un copain avec la crainte qu'il ne saccage son appartement ou qu'il ne s'enfuit, aider un pote tire-au-flanc à bosser sur un slogan publicitaire. L'histoire la plus riche en suspense l'emmène dans la villa d'un producteur de ville dans le sud de la France pour améliorer un scénario de film, et il se retrouve face à deux gros bras souhaitant faire la peau du producteur magouilleur. On se rassure : pas de violence, pas de bagarre, pas de coup porté.



Le plaisir de lecture se trouve donc ailleurs : accompagner Monsieur Jean dans ses petits instants, dans sa vie ordinaire. Ordinaire à ceci près qu'il exerce un métier créatif lui donnant une liberté peu commune et qu'il ne semble pas avoir à se soucier de problématiques financières ou économiques. Les auteurs semblent prendre un malin plaisir à mettre en scène le personnage en faisant exprès de ne pas respecter l'horizon d'attente implicite. Il n'y a pas de flux de pensée du personnage qui permettrait de comprendre son processus mental ou d'avoir accès à ses opinions sans filtre, à ses valeurs implicites. Plus encore, Monsieur Jean apparaît comme un individu réservé, peu expansif, très posé, sans attachement affectif ou émotionnel. Il ne pontifie pas, il n'impose pas son point de vue, il se montre d'une politesse tranquille et peu engageante. Il ne cherche pas particulièrement à séduire, même si certaines femmes le trouvent séduisant. Il s'habille en pantalon avec un polo, un teeshirt, une fois avec une chemise et une cravate, de manière pragmatique sans recherche particulière. Il lui arrive régulièrement d'être mal rasé. Seul véritable signe particulier : il fume des cigarettes, avec une certaine nonchalance.



La première histoire montre une cage d'escalier peut-être un peu large pour un immeuble parisien. La seconde place le lecteur au pied de l'entrée du Palais de Tokyo, immédiatement identifiable. Puis elle l'emmène déambuler dans les salles de l'exposition. Dans le même temps les souvenirs évoqués entre Chantal et Jean les montrent sur les quais de la scène, dans une représentation simplifiée, tout en permettant de reconnaitre l'endroit. Dans la dernière page, les deux jeunes gens se trouvent sur un pont routier au-dessus d'un faisceau de voies ferroviaires facilement identifiable. L'histoire suivante montre Monsieur Jean dans son appartement parisien, décoré au goût de l'époque. La supérette où Monsieur Jean fait ses courses n'a rien de typiquement parisienne, en revanche l'appartement dans lequel il finit avec ses fenêtres et son toit en zinc ressort comme emblématique de l'urbanisme parisien. le séjour dans une belle villa aux alentours d'Avignon baigne dans une belle lumière ensoleillée, sans oublier la piscine. La dernière séquence de Ma concierge bien-aimée comprend une promenade dans le jardin du Luxembourg, avec le dôme du Panthéon en arrière-plan.



Monsieur Jean passe d'un environnement parisien à un autre, sans pénétrer dans les quartiers luxueux, mais sans non plus se trouver confronté à des personnes sans abri, à la pauvreté dans ce qu'elle a de plus dramatique. Sa condition de vie correspond bien à une image de bobo : aisance financière, parisien et parisianiste. Monsieur Jean ne semble pas avoir d'autre responsabilité dans la vie que de s'occuper de lui-même. Il entretient des amitiés qui semblent un peu distantes, à l'exception de celle qui la lie à Félix, et des amours avec une implication toute relative. Il apparaît comme un individu cultivé, pas forcément très doué de ses mains, mais assez intelligent pour manipuler deux gros durs. Par petites touches, il parvient à gagner la sympathie du lecteur : ses cauchemars mettant en scène sa concierge comme persécutrice, sa prévenance avec son ex-compagne, l'aide réelle qu'il apporte à son ami dans le besoin. Les auteurs mettent en oeuvre une forme d'humour froid et quelque peu distant qui fait mouche, générant un sourire chez le lecteur, quant aux infortunes de ce jeune homme blanc, économiquement indépendant, encore un peu gêné de d'assumer un repas chez papa et maman, de temps en temps.



Cette bande dessinée incarne le reflet d'une époque, le reflet d'une frange de la société parisienne. le tandem de dessinateurs a commencé à acquérir une personnalité graphique personnelle, mais elle va évoluer et s'affiner au cours des albums pour devenir très élégante. le quotidien de Monsieur Jean est fait de petits riens, pour autant ils ne sont interchangeables avec aucun autre, et ils présentent une saveur à nulle autre pareille.
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