Charles Dellestable

(Nathalie, l'aide à domicile, discute avec Maurice)

Vous auriez pu en rédiger une confidence, ai-je suggéré au vieil homme. Il m'a répondu les yeux remplis d'étonnement :
- Mais c'est grâce à vous que je viens de m'en souvenir à l'instant ! Vous voyez bien que je ne la perds pas tant que cela, la mémoire, Isabelle...
Du jour où Maurice a déposé le manuscrit entre mes mains, mes heure de liberté furent consacrées à enquêter sur ces Parisiens envolés. Sur Internet, je compulsai des dizaines d'archives et visionnai autant de photographies pour débusquer des traces, des vestiges de leur existence.

"Je l'imaginais snob, il me croyait illettrée. Idéal pour nouer le dialogue." (p. 26)

« Racontez-moi mon enfance, Nathalie. » (p. 41)

Le coeur, c'est bien le grenier des souvenirs, non?Faut faire du tri quand ça affiche complet.

Au début, ça ne m'intéressait pas, ce job. Je le faisais pour l'argent. Je les lavais, je les habillais, je repartais. Ils étaient des bestiaux fatigués avec des membres déformés. Je ne les écoutais pas écluser leurs souvenirs, évoquer leurs plaisirs démodés. Je m'en fichais pas mal. Je faisais hein-hein, mais je pensais à autre chose. Je ne leur répondais rien. Je regardais ma montre. Ils m'exaspéraient, les vieux. (P23)

Maman s'insouciait. J'ai créé ce verbe pour elle cette nuit, en toutes lettres, pour réparer une grave injustice, car s'il est naturel de se soucier, il devient extravagant d'entamer le processus inverse à tel point que le verbe n'a pas été jugé assez pertinent pour être admis par la langue française. Injustice réparée.

"L'amnésie des mots, c'est moche." (p. 15)

J'ignore pourquoi la présence de ces deux couples me réchauffe tant le cœur. Ce sont les membres d'un cirque un peu snob que le hasard a parachuté en plein Périgord. Ils sont venus redonner vie à une vieille bâtisse démodée que grâce à eux je réapprends à aimer.

... je décollais de Genève, convaincu que les feuilles dactylographiées dans la fougue de ma jeunesse allaient ébranler la littérature contemporaine. Comme à vingt ans, je remis à rêver d'une révolution syntaxique et d'un bouleversement narratif dont j'aurais été l'inventeur et l'initiateur. Je m'intronisais génie littéraire en contemplant les boursouflures des nuages que caressaient l'es ailes de l'avion. J'allais tutoyer le soleil sans imaginer croiser bientôt une étoile infiniment plus brillante que j'accompagnerais jusqu'à sa désintégration.

Rien n'est plus surprenant que d'apprendre sa mort au petit-déjeuner. J'en ai fait l'expérience l'année dernière. C'était en avril, le Léman face à moi et de la confiture au bout des doigts.