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Citations de Christoph Ransmayr (64)


En chemin depuis la gare routière Del Oriente où j’étais arrivé d’Oaxaca le matin même, j’avais vu des devantures de boulangeries et de pâtisseries où étaient exposés des squelettes, des têtes de morts et des cercueils en chocolat, en caramel ou en massepain, des devantures de magasins de meubles où des familles entières de squelettes, y compris ceux de leurs chiens et chats, installés dans une cuisine, un salon ou une chambre à coucher, affectaient les poses d’une vie heureuse : carcasses de femmes en tablier ou en costume, carcasses d’hommes en pyjama, salopette ou smoking, carcasses d’enfants en costume marin jouant avec des squelettes de poupées ; carcasses de nourrissons en langes noirs. À la devanture d’un marchand d’automobiles trônait un cabriolet à bord duquel se trouvaient deux squelettes en chemise hawaïenne qui regardaient à travers leurs lunettes de soleil un squelette de petite fille en robe courte et bottines lacées à hauts talons, tandis que dans une librairie, à peine cent mètres plus loin, un squelette armé d’une faux était penché sur un livre de recettes diététiques. C’était le 1er novembre au Mexique. Le pays fêtait El Día de los Muertos, le Jour des Morts.
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JE VIS une galaxie spirale dans la constellation de la Chevelure de Bérénice, une région discrète du ciel à laquelle l’astronome grec Aristarque de Samos se plut à donner au troisième siècle avant Jésus-Christ le nom d’une reine de l’Égypte ancienne : Bérénice avait fait vœu de sacrifier sa chevelure aux reflets d’or si son époux revenait indemne de sa guerre contre les Assyriens. Le pharaon rentra victorieux et Bérénice déposa les mèches de ses cheveux coupés aux pieds d’une statue de la déesse de l’amour. L’offrande ayant disparu dans la nuit, le pharaon crut à un vol et sa colère ne s’apaisa que lorsque l’astronome grec de la cour, la nuit d’après, lui désigna trois nouveaux astres et lui apprit qu’Aphrodite, la déesse de l’amour, avait accepté l’offrande de son épouse : métamorphosés en étoiles, les cheveux d’or de Bérénice étaient à présent accrochés là-haut, dans le ciel nocturne.
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Si chacune des graines d’araucaria qui tombèrent en pluie sur le cortège de deuil, sur la tombe, sur le jardin de fleurs, le toit de la maison de campagne et le cercueil recelait un arbre millénaire en puissance, alors –tandis que la fille de Herzfeld lisait un poème de Goethe d’une voix si faible que je n’en saisis que quelques mots entre deux coups de vent et que sa femme, les yeux perdus dans le vide devant la tombe ouverte, parlait une dernière fois à son bien-aimé Léon –, alors c’est une sorte d’éternité qui, avec ces graines, ruissela sur nous à cette heure, d’entre les branches.
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Après que sa femme avait perdu la vie dans un accident de la circulation, dix-neuf ans auparavant, il n’avait plus voulu habiter dans leur maison commune, à Dunedin, ni conduire des autocars longue distance à bord desquels il lui fallait penser jour après jour, des heures durant, aux accidents toujours possibles et à leurs victimes. C’était à cette époque-là qu’il avait réglé sa vie sur celle des albatros. Après l’accident de sa femme, sa fille cadette avait cessé de grandir pendant une année entière, oui ! carrément oublié de grandir, à trois ans seulement, pendant toute une bien triste année. Et la protestation de la petite –contrairement aux médecins, il avait en effet toujours considéré cette énigmatique interruption de croissance comme une sorte de protestation contre la disparition de la mère –n’avait pris fin qu’à partir du moment où il avait commencé à se rendre régulièrement avec ses filles à la colonie d’albatros de Taiaroa Head et à y passer des heures à observer, en leur compagnie, les merveilleux oiseaux en train de couver.
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En l’absence du moindre souffle, le silence était tel que j’entendais le bruissement du sang dans ma tête.
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JE VIS un arbre mort festonné de chiffons ou de fanions flottant au vent au bord d’une route côtière qui courait entre des étendues de désert et le rivage caillouteux de la mer Rouge, en direction de la ville portuaire yéménite d’Al-Hudaydah. Goudronnée sur de longues distances, se transformant par intervalles en une simple piste, la route se présentait à travers la vitre arrière du taxi-brousse comme un ruban de poussière ondoyant qui recouvrait tout ce que croisait la voiture avec ses cinq passagers et son chauffeur enturbanné et voilé pour se protéger du sable volant –dunes aplaties, criques encombrées d’épaves et de débris de verre, buissons épineux. Le ciel était couleur sable, les nuages étaient couleur sable, même la mer Rouge avait la couleur du sable, si bien que cet arbre dans le désert, le seul à des milles à la ronde, avec ses ornements multicolores évoquant des papillons, faisait l’effet d’une borne-frontière signalant la ville proche, l’annonce d’une fin imminente de l’uniformité et de la couleur unique.
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......comptant sur l’effet soporifique de la télé, j’avais fait défiler des animateurs de jeux, des commentateurs politiques et des prêcheurs criards mais aussi, en alternance, des couples avec enfants, dans un paysage idyllique, qui devaient tout leur bonheur à une marque de chocolat, un shampoing ou une lessive,....
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Plus très longtemps ? dit mon accompagnateur, plus très longtemps, en Russie cela pouvait signifier l’éternité.
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À travers le bruissement du vent, j’entendais confusément les si nombreuses voix qui s’étaient élevées au fil des millénaires et jusqu’à aujourd’hui pour affirmer qu’un homme appelé Homère devait forcément être immortel du simple fait qu’il n’avait jamais existé. Nul homme, nul poète ou conteur ne pouvait avoir eu la force d’engendrer à lui seul une foule pareille de héros, de dieux, de guerriers, de créatures vouées à l’amour, au combat, au deuil, nul ne pouvait avoir eu la force de chanter la guerre de Troie et les errances d’Ulysse en usant pour ce faire de tonalités, de rythmes si divers, d’une langue aux nuances si infiniment variées, non, cela ne pouvait avoir été que l’œuvre de toute une théorie de poètes anonymes, d’aèdes qui s’étaient fondus peu à peu en une forme fantomatique baptisée Homère par les générations ultérieures. Dans cet ordre d’idée, un tombeau édifié il y a deux ou trois mille ans sur l’île d’Ios ou sur quelque autre bande côtière de l’Asie mineure ou du monde des îles grecques ne pouvait être qu’un monument à la mémoire d’un chœur de conteurs disparus.
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Nos tentes, les seules habitations dans ce coin perdu, étaient plantées si près de l'eau que nous avions la sensation, bercés que nous étions par le clapotis des vagues au moment de nous endormir comme à l'heure du réveil, de dériver à bord d'un radeau à la rencontre des plus hautes montagnes du monde.
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L’empereur voulait que Cox lui construise des horloges pour les temps fuyants, rampants ou suspendus d’une vie humaine, des machines qui indiqueraient le passage des heures ou des jours - le cours variable du temps - selon qu’il était ressenti par un amant, un enfant, un condamné ou d’autres hommes, prisonniers des abîmes ou des geôles de leur existence ou planant au-dessus des nuages de leur bonheur. (..)
Le cours variable du temps.
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Sur le monument aux morts figuraient les noms des habitants du village tombés au cours des deux guerres mondiales, deux longues listes de noms gravés en lettres d’or sur une dalle de granit noir, le tout gardé par un soldat en béton coulé qui avait l’air épuisé ou grièvement blessé. Le monument se dressait devant la façade sud de l’église, entre deux grands mûriers qui portaient tellement de fruits l’été que le bedeau devait balayer chaque matin les baies qui jonchaient le chemin gravillonné, faute de quoi les gens qui venaient à la messe marchaient sur un tapis de mûres et laissaient ensuite sur le sol dallé de l’église des traces suggérant qu’ils avaient dû patauger dans le sang pour arriver jusque-là.
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Un homme a beau nourrir la folle croyance d’être le maître du temps, il n’en reste pas moins que pour lui aussi, alors même que d’année en année tant de choses en lui se font plus lourdes et plus lentes, la course du temps ne cesse de s’accélérer.
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Pendant la guerre du Vietnam, que l’on aurait aussi bien pu appeler guerre du Laos, lisait-on là en anglais et en français, les langues d’ennemis dont le souvenir n’était pas prêt de s’effacer, il était tombé –ce que le reste du monde avait ignoré durant des années et que le gouvernement américain avait nié non moins longtemps –davantage de bombes sur le Laos neutre que sur l’Allemagne et le Japon réunis durant toute la Seconde Guerre mondiale : deux millions de tonnes de bombes. Tout au long de l’histoire des guerres, nul pays au monde n’avait connu pareil déluge de bombes. Et cela principalement parce qu’il s’agissait de détruire une route mal famée, voie de ravitaillement du Vietcong connue sous le nom de piste Hô Chi Minh, un entrelacs de sentiers forestiers qui, par malheur, passait du Vietnam voisin à travers la jungle laotienne.
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Et volent les vagues aux longues crinières
comme chevaux noirs lâchés sur l’onde amère…
Detlev Liliencron
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S’il y avait un bruit qui plus que tout autre évoquait le flux du temps, c’était assurément le bruissement continu de la pluie qui unissait le ciel à la terre. Chaque cordelette de pluie, un fil qui cousait les nuages, cousait le firmament aux jardins et aux rivières, aux villes et aux mers et à l’obscurité de la terre, d’où toute chose émergeait pour accéder à la lumière.
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Les histoires n’arrivent pas, les histoires se racontent.
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Et ce bateau s'éloignerait dans la nuit en dansant sur l'eau, en même temps que des milliers d'autres esquifs faits de feuilles de bananier, de bambou et de soie, une procession de lumières vacillantes attestant que le cours du fleuve des Khmers s'était inversé: un serpent de feu se déroulant dans l'obscurité comme pour signaler que rien, ni l'eau, ni le temps, ni la vie voyageant à travers les abysses du ciel, rien ne suit une direction unique, qu'aucune direction n'est fixée à jamais.
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"Une horloge.Il allait donc proposer à l'empereur de construire à l'intérieur de ce palais, avec l'aide de Merlin et de deux assistants, une horloge qu'il enchâsserait dans un habitacle en forme d'escargot, de dragon ou de tigre, façonné dans un matériau qui savait être plus durable que les Millénaires ; un indestructible animal de platine, de verre, d'or et d'acier de Damas capable non seulement de mesurer le temps mais de le dévorer ."....
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Et même si la forêt vierge devait un jour reprendre ses droits et reconquérir les pâtures - ce qui arriverait d'ailleurs tôt ou tard de manière aussi certaine que la mort -, cela ne ferait que démontrer une fois de plus que toute terre, en dépit des titres de propriété, aussi authentiques fussent-ils, n'était jamais qu'empruntée à la forêt vierge.
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