Peste est la (fausse) biographie orale de Buster "Rant" Casey, composée à partir des recueils des témoignages de tous ceux qui l'ont cotoyé. Concrètement, le texte est formé d'un choeur de paragraphes enchevêtrés donnant chacun la parole à un personnage. Chaque chapitre forme un fil directeur, et au sein de chaque chapitre les paragraphes attribués à un personnage se suivent tout en formant une sorte de contrepoint aux interventions des autres. Ce puzzle peut paraître bizarre, mais il est très bien maîtrisé et la forme du roman est plus accessible que l'enchaînement des nouvelles de A l'estomac.
Puisqu'il s'agit d'une biographie, Peste décrit la naissance, la vie, la mort et la vie posthume de Rant Casey. Le fil de celle-ci est présentée dès la 3e page, par le biais du père de Rant alors qu'il est en route pour aller chercher le corps de son fils. Rant est le fruit du viol de sa mère, grandit dans un trou paumé du nom (approprié) de Middletown, gagne la ville, rejoint une secte de chauffards nocturnes, devient le vecteur d'une pandémie, meurt dans un accident de voiture en direct à la télé, et devient une icône de la jeunesse.
Dans le récit de la jeunesse campagnarde de Rant, on retrouve le Chuck des précédents livres : anecdotes et faits divers émaillent un récit peuplé de rebondissements surprenants et de personnages déjantés. Le microcosme de Middletown donne évidemment l'occasion de critiquer certains travers de la société américaine, mais cette vision sociale est moins prédominante que dans A l'estomac. Rant enfant est déjà sérieusement barré : piqué par une araignée dans son enfance, il devient accro au poison et passe son temps à fourrer ses membres dans tous les trous, tanières, crevasses, qu'il peut trouver. Il récolte quantité de morsures et maladies, dont la rage, dont il devient porteur sain et qu'il refile à toute la ville. Car Rant est populaire et, ado, sait reconnaître toutes les femmes de la ville rien qu'en reniflant leurs serviettes hygiéniques usagées. Car s'il est moins trash que A l'estomac, Peste reste quand même assez cru, et on retrouve ces références constantes aux sécretions corporelles (urine, salive, sueur, sperme, sang, mucus, etc.). Chuck conduit sur le corps de ses personnages les mêmes outrages que sur la société qu'il dépeint, en en exposant les tripes et viscères.
Après cette 1e partie bien déjantée où l'on retrouve la patte de l'écrivain, on suit Rant dans son exode rural et sa découverte de la grande ville. Et là, surprise, on découvre que l'on est dans un bouquin d'anticipation (pour éviter le terme cyberpunk). Les gens ont des cablages neuronaux qui leur permettent de se passer des "transferts", la population est séparée en diurnes / nocturnes, et Rant rejoint des adeptes du crashing, un loisir consistant décorer sa bagnole selon un thème donné à l'avance pour aller emboutir les voitures des autres participants. Entre les digressions anthropologiques sur la nature cathartique de ce passe-temps et la perte de la focalisation sur le personnage de Rant, cette partie m'a moins convaincue que le premier tiers du livre.
Le récit ne s'achève pas avec la mort de Rant, et acquiert bien au contraire une nouvelle dimension, et, pour la première fois à ma connaissance chez Palahniuk, une connotation franchement fantastique. Ce développement m'a pris complètement par surprise, et je n'en dis donc pas plus pour ne pas gâcher le plaisir. Au final, s'il ne s'agit pas du bouquin le plus réussi de l'auteur, Peste reste une très bonne lecture.
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