Citations de Clara Ysé (46)
Dehors, je courus à toute allure. Le vent frais séchait mes larmes, refroidissait mes cuisses, faisait danser mes cheveux autour de moi, mon cœur accélérait ses battements, se libérant de la nasse d’angoisse dans laquelle je l’avais jeté.
(page 49)
Il est des silences qui sont le signe d'un apaisement. D'autres suivent le coup lancé par un fusil dans la nuit et sont plus bruyants que la détonation qui les précède. Certains vibrent, habités par tous les sons, comme le noir est traversé de toutes les couleurs. D'autres encore soignent des plaies inguérissables.
La première fois que j’ai eu mes règles, j’ai pleuré. Le mois suivant, l’odeur me plut, elle me rappelait l’Amazone, je la trouvais âpre, presque carnassière, et il me semblait qu’elle me rapprochait un peu de la princesse Mononoké, l’héroïne de Miyazaki, avec ses lignes de sang séché tracées sur le visage pour faire peur aux hommes et signer son appartenance au royaume des loups.
(page 83)
L’Amazone avait cette forme d’insouciance qui ne se distingue de l’égoïsme que par l’inconscience qu’elle a d’elle-même, et peut-être aussi par une soif profonde de liberté.
(pages 16-17)
Ma tête reposait sur l’épaule de Gaspard qui avait le torse enserré par les cuisses de Quentin, dont le front était logé sous le sein de Golnâr, sa joue à elle reposant sur l’épaule de Camille, qui souriait à Elio, étendu entre mes jambes écartées.
(page 154)
Sa maladresse m’émut. Son incapacité à communiquer sans violence, sa solitude, son anxiété aussi, me rendaient triste, et faisaient naître en moi une tendresse dont j’avais peur, car elle nous menaçait, Gaspard et moi.
(page 77)
La peur a un vocabulaire physique qu’elle ne partage qu’avec l’amour. Et c’est peut-être pour cette raison que c’est toujours l’amour qui nous en sauve.
(pages 140-141)
Ses yeux s’embuèrent et les miens, immédiatement, répondirent à l’appel. Les larmes tombaient de ses paupières et dévalaient mon visage en écho.
Nouchka sort en volant de la voiture et tournoie autour du chêne-liège devant lequel on est garés. On l’a recueillie oisillon, sur ce chemin, treize ans plus tôt, et voilà qu’elle retrouve sa terre.
(page 184)
Le Lord pâlit. Il savait que la peur orchestrait nos rapports. Elle maintenait l’ordre au quotidien. Si elle cessait de nous régir, le pouvoir de notre oncle s’érodait.
(page 112)
La peur a un vocabulaire physique qu’elle ne partage qu’avec l’amour. Et c’est peut-être pour cette raison que c’est toujours l’amour qui nous en sauve.
Mes yeux se posèrent sur Elio dont le regard, tendre, me pénétra comme une petite clé en or dans un tiroir secret situé sous ma cage thoracique. (…) Il sourit et je sentis la clef d’or déclencher le mécanisme intérieur, la boîte s’ouvrir, l’air entrer dans mes poumons.
- C’est quoi, les amants ?
- C’est des grandes personnes qui se collent l’une contre l’autre quand elles sont ensemble, c’est plus fort qu’elles. Elles peuvent se décoller seulement avec une contre-pression intense.
- Ah …
- C’est comme les aimants. Ceux qu’il y a sur le frigo. C’est le même mot prononcé différemment.
De temps en temps, il s'asseyait devant la machine à laver pour la regarder tourner. ça durait des heures. Il réenclenchait le programme séchage. Le mouvement des drap s blancs projetés régulièrement sur le hublot incurvé, le ronronnement puis les tressautements de la machine l'hypnotisaient.
Gaspard et moi savons depuis que nous sommes petits que les contraires coexistent. Plus ils sont puissants, plus c’est perceptible. Quand la joie est forte, on sent toujours, en filigrane, la douleur et le danger l’habiter. Plus la colère est visible et plus on entend, en dessous, la fragilité.
Je me fondis dans la nuit, dans ce nouveau millénaire qui venait d'arriver. Car cette fois je le sentais, il était là.
Il voudrait prendre les coups pour ceux qu’il aime mais la violence s’abat parfois sans qu’on la voie venir. Elle est là, comme ces rapaces à l’arrêt au-dessus de leur proie. (…) Ça le ronge, cette sauvagerie du hasard, ou du destin, selon le nom qu’on donne aux oiseaux de proie.
Je voulais le prendre dans mes bras, lui dire que j’étais là, que j’allais recoudre l’espace autour de lui grâce aux points de croix que j’avais découverts sur les serviettes blanches de la table à manger. J’étais petite, mais je l’aiderais a tenir bon si la maison se désintégrait dans son esprit. Je l’accueillerait en moi, lui ferais voir le ciel azur à travers la fenêtre. Nous apprendrions, ensemble, à nouer de solides coutures pour que plus rien, jamais, ne menace de se déchirer.
En voyant la lettre entre ses mains, je suis saisie par une attente d’autant plus forte que je connais son dénouement. Ce sont à mon sens les attentes les plus difficiles, celles dont on ne veut pas voir l’objet dévoilé car on sait trop bien qu’elles changeront le cap de nos vies. Mais on ne peut pas geler le temps, arrêter le cours des choses. On y va, on glisse inexorablement sur cette piste qu’on n’a pas choisi. On préfère alors que le moment est de l’allure, et voilà que, ajustant nos mouvements à la trajectoire, on fait en sorte que cette pente soit témoin de la plus belle course qui soit. Pour le geste. Et pour trouver un sens à l’effondrement.
Il était sensible à tout ce qui est fragile, ce qui déborde, ne trouve pas sa place, trébuche, bégaye, oublie, s’arrête et réessaye.