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Citations de Claudio Morandini (41)


« Comme toi, j’estime que les mystères, les vrais mystères, forts, persistants, se trouvent toujours en dessous, sous nos pieds. Ils nous tirent vers le bas par les chevilles, pas vers le haut par les cheveux. En hauteur, tout au plus, il rôde des rêves sentimentaux, des obsessions métaphysiques sans intérêt. Mais la véritable peur de tout homme, c’est que quelque chose l’attrape par les chevilles et l’attire sous terre, ou qu’une longue langue froide sorte du sol pour lui lécher la plante des pieds, ou que des myriades d’yeux sertis dans la terre le fixent d’en bas, l’épient quand il passe, et se contentent de baisser leurs paupières sombres quand il regarde ses pieds ou qu’il leur marche dessus. »
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Depuis la plaine, la route se dirige tout droit vers l’horizon, en direction de la chaîne de montagnes d’un gris uniforme. À mesure qu’on approche, on distingue des différences de tons dans ce profil lointain, des échancrures, des dépressions. On dirait que la route vise un endroit précis mais indiscernable dans le décor opaque des montagnes. Soudain, l’endroit en question se révèle être un passage incroyablement étroit entre deux versants ténébreux et impraticables. La route s’y faufile, franchit une cluse et continue dans une petite vallée à peine plus large, juste assez d’espace pour quelques prés, quelques champs, une poignée de masures éparses ; elle semble aller se cogner contre une autre cluse dont elle ressort par miracle deux tournants après ; nouveau tronçon plus large ; nouvel étrécissement, plus encaissé et plus hostile, occupé par une colline morainique incongrue abandonnée au milieu, qu’un tunnel perce sans remords, permettant de déboucher de l’autre côté. Suit une déviation sur le versant gauche, mal indiquée et subite, qui a dû faire jurer plus d’un touriste ; puis virages sur virages, à négocier patiemment, l’autoradio allumé et l’estomac en alerte. La vallée où je ferai ma recherche est là-haut, cachée à ceux qui circulent en bas, un repli profond et sauvage entre des parois encore plus escarpées que celles que nous avons longées jusque-là.

(Incipit)
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Quiconque se retrouve à Crottarda pense forcément au roman de Charles-Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas, où il est question d'une communauté alpine qui regrette le soleil pendant tous les mois d'hiver, et d'un vieux fou qui raconte à la ronde que le soleil est malade et ne reviendra pas, qu'il passera ailleurs pour toujours. Va savoir, en vient-on à penser, si, à l'instar des personnages de Ramuz, les Crottardais craignent pendant les longs mois d'ombre que le soleil ait disparu pour toujours. Va savoir si, au printemps, à l'instar des montagnards du roman tâchant de résister à leur angoisse devant les prédictions du vieil Anzévui, ils s'élancent, impatients, sur des sentiers impraticables pour dénicher l'astre solaire et le prier de revenir éclairer les hommes.
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L’homme ne sent plus rien depuis un moment. Depuis qu’il a arrêté de se laver il est anesthésié à ses propres odeurs, et les pets qu’il lance la nuit sous les couvertures ne sont que de chaudes caresses, qu’il cultive avec une alimentation adéquate.
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J'entends les coucous : dans cette forêt, ils ne poussent pas leur chant bisyllabique en tierce mineure, mais ils dilatent l'intervalle de leur appel jusqu'à la quarte augmentée à la septième. Je les imagine gros, affamés, irascibles.
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«  Il y a des récits silencieux comme des cailloux et des récits qui parlent comme des arbres ou de petits animaux. »

GUILIANO SCABIA .Teatro con bosco e animali .
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«  C’était encore la préhistoire,
L’hiver était silence » .

UGO RONFANI , Mémorial des cavernes .
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Dès le premier matin passé ici avec mes parents, je fus frappée par les cris des bergers. J'étais au lit, je me souviens, et j'essayais de me réchauffer et de me tenir au sec enfouie sous plusieurs couvertures. De l'extérieur provenaient des sons étranges, lointains et pourtant nets, qui pénétraient sans difficulté par la fenêtre, comme émis par un haut-parleur : ils étaient à mi-chemin entre un cri et un chant, et modulés - me disais-je alors, repensant à des documentaires sur les milieux marins - comme les longs bramements dignes d'un opéra par lesquels les baleines communiquent d'un point à l'autre de l'océan. Ces voix, qui titillèrent ma curiosité, devaient continuer à me distraire du froid les matins suivants.
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En m'éloignant, seule, j'entends la voix de Bernardetta sortir de l'ouverture du gouffre. Et j'ai l'impression que quelqu'un d'autre - une seconde voix, je ne sais où - s'unit à son chant, dans un contrepoint oscillant entre dissonances et quintes parallèles.
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Ils oscillent, mes pauvres Crottardais, entre le besoin de se cacher et la nécessité de sortir à découvert, de respirer l'air de dehors ; entre l'exigence de s'exprimer et le mutisme, entre un festin des sens, de tous les sens, y compris ceux que nous autres ne savons plus exercer, et la fermeture de tous les orifices dans le silence, dans l'obscurité complète, dans l'absence de contact ; entre un au-dessus qui s'éloigne et devient inatteignable, ou qui écrase et oppresse, et un au-dessous dans lequel s'enfoncer, enfin, et continuer de nourrir du ressentiment et des inquiétudes ; entre humain et non-humain ; entre vivant et non-vivant. Les oscillants, ai-je envie de les appeler. Et je finis par me sentir un peu oscillante moi aussi.
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«  Pendant des générations, les hommes ont essayé de préserver des coins d’herbe dans cette cuvette ingrate , un peu de renoncules et de soldanelles , de primevères et de pulsatilles , de légumineuses et de graminées pour quelques vaches .
C’étaient des générations que la pauvreté et l’étroitesse des horizons rendaient obstinées . »
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- À ton avis, ils rêvent de quoi, les bergers ?
- Ils rêvent qu'ils sont marins.
- Et les marins, ils rêvent de quoi ?
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Le feu met longtemps avant de crépiter dans le poêle noirci amis, alimenté par le papier de vieilles revues humides, des brindilles et de l'alcool, il finit par prendre, et les flammes s'élèvent. C'est un feu qui n'éclaire pas et, pendant un moment, il n'est qu'une évocation de la chaleur. Au bout d'une demi-heure, quand dehors la nuit est tombée et que le froid est devenu insupportable, une chaleur définie commence à émaner du poêle. (p. 19)
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L'odeur de terre et de putréfaction qui accompagne le dégel devient si forte qu'elle les tient réveillés tous les deux, chien et homme.
La neige se retire, elle expose à l'air, les bêtes emportées par les avalanches ou surprises par la mort, de froid ou de faim. Elle les laisse tiédir au vague soleil printanier, et les vapeurs savoureuses qui s'élèvent en volutes de ces carcasses, attirent les premières nuées d'insectes. Ces derniers arrivent en vrombissant et se posent pour lécher et sucer les membres fumants des carcasses.
Les oiseaux arrivent ensuite, disposés à manger n'importe quoi pour échapper à la faim, puis les premiers carnivores, que l'odeur est venue réveiller dans leurs tanières, les renards, les belettes. Ils trottinent jusqu'aux carcasses, les reniflent longuement, ravis, et s'accordent une dégustation.
Ils en font découvrir le goût à leurs derniers-nés. À leurs aînés que l'hiver à épargnés, ils laissent choisir les morceaux.
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Il est des pensées que les mots ne savent pas traduire, qui sortiraient écorchées de notre bouche, et entreraient broyées dans les oreilles d’autrui.
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Un autre hululement animal, plus court et nonchalant, que sur le moment je prends pour une réponse. Non, ce soit être l'oiseau de tout à l'heure. Je pointe ma torche sur la végétation, que je découvre blanche de givre, immobile, puis vers les énormes masses de mousse qui font ployer les branches des arbres.
" Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ? "
Et si c'était aussi un oiseau qui chantait tout à l'heure, quand j'étais au lit ? Un de ces oiseaux farouches et donc assez peu connus, chantres versatiles des ténèbres que l'on confond souvent avec d'autres bêtes, ou avec des hommes.
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Dehors, le temps se gâtait, et les longues ombres des nuages traversaient le vallon, poussées par le vent comme un troupeau; les montagnes étaient déjà obscures et l'air résonnait de cet écho lointain qui précède parfois l'averse.
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Ici, à mi-côte, l'automne teint les mélèzes d'un jaune fané. Ce n'est pas l'automne pétulant et effronté du fond de la vallée, la palette outrancière des vignes et des forêts d'aulnes et de châtaigniers.
Ici, les feuilles meurent tout de suite, elles sèchent sur les branches avant même de tomber.

Autrefois, Adelmo Farandola se rendait plus souvent au village, pour écouter la fanfare les jours de fête religieuse. Il se cachait derrière les murs des maisons, et laisser la rumeur de la fanfare l'atteindre, confuse.
Mais il avait arrêté de le faire parce que quelqu'un l'avait vu, était venu vers lui, la main tendue pour lui serrer la sienne, et avait essayé d'échanger deux mots.
À présent, il lui arrive de descendre jusqu'au milieu du bois de hêtres et d'écouter la fanfare de là-haut, bien protégé par les feuilles et les troncs.
La musique monte, indistincte, un brouillamini d'échos de grosse caisse, de tubas et de son aigus de clarinette qui oscillent dans le vent. Mais ça lui suffit, et parfois il lui arrive de reconnaître une mélodie et il lui vient même l'envie de la fredonner, alors il le fait, tout bas, parce qu'il ne voudrait pas être découvert par quelqu'un qui passe par là, prêt à venir vers lui et à serrer la main et à ne plus lâcher et à lui demander des choses qu'il ne sait pas, ne se rappelle pas ou ne veut pas savoir ou ne veut pas dire.

Cependant, au bout de quelques minutes, la fanfare lui donne la nausée.
Ils lui paraissent trop nombreux, trop entassés, trop bruyants, trop joyeux.
Alors, il crache par terre, se tourne, reprend la côte vers chez lui en se disant que cette fanfare joue vraiment mal, que les habitants du village sont tous des imbéciles et que la musique ne sert à rien.
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Saponara se perdit à nouveau, pensant à combien il serait beau de vivre seul dans une forêt, dans un ermitage ignoré de tous, et de se nourrir de baies et de quelques bêtes qu'il aurait élevées, et de s'ensauvager dans l'ombre pérenne, dans le silence de la sylve, dans l'éternel chapelets de jours, mois et saisons monotones, à l'instar de certains vieillards solitaires de ces vallées qui quittaient la civilisation et désapprenaient à parler.
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Les histoires vraies ont un avantage sur la fiction : même si elles s'effilochent, s'enlisent,perdent du rythme et de l'allant, elles se terminent toujours d'une manière dont aucun cours d'écriture ne ferait jamais terminer une histoire inventée.
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