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Critiques de Colum McCann (785)
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Apeirogon

*** Rentrée littéraire 2020 #21 ***



Quelques kilomètres à peine séparent les deux personnages qui sont au coeur de ce récit kaléidoscopique. Cela pourrait bien en être 1000. Rami est israélien. Bassam palestinien. Deux frères de chagrin, unis par le destin. Pères en deuil, ils ont perdu leurs filles, l'une abattue par un soldat israélien de 18 ans, l'autre tuée lors d'un attentat-suicide commis par trois jeunes kamikazes palestiniens. Rami Elhanan et Bassam Aramin existent, ce ne sont pas des personnages de fiction. Deux amis inattendus, militants au sein des Combattants pour la paix qui oeuvre pour une coexistence pacifique israélo-palestinienne, envers et contre tout, parcourant ensemble le monde entier pour porter leur message, envers et contre tous.



Ceux qui ont lu les romans précédents romans connaissent le don de narration de Colum McCann. Apeirogon n'offre pas la satisfaction habituelle d'un roman arborant une trame classique ample et linéaire. C'est un livre étrange, hybride qui surprend d'emblée. L'auteur y explore le conflit sans fin entre Israël et la Palestine en échappant à toute catégorisation.



Le récit est explosé en 1001 sections narratives qui se baladent librement dans le temps et l'espace, numérotées de 1 à 500 puis de 500 à 1 avec un pont, la double section 500. On y découvre le parcours de Rami et Bassam , mais aussi bien d'autres choses sur la vie au Proche-Orient, sur la vie tout court avec des digressions disparates ( les oiseaux migrateurs, le dernier repas de François Mitterrand, des explications balistiques, les performances musicales à Theresienstadt, des apartés sur Borgès … ).



La connecxion entre ces fragments est parfois très hermétique, très intellectualisé ou demandant un gros effort intellectuel. On est clairement dans l'exercice de style et parfois, j'ai lu vite certains de ces à-côté pour me recentrer sur l'histoire de Bassam et Rami, mais lorsque je suis arrivée à la double section centrale 500, j'ai compris. Comme un uppercut, comme une grenade émotionnelle, les récits à la première personne de Rami et Bassam. L'écrivain Colum McCann disparaît avec ses extraits d'interviews donnés par les deux hommes.



Cette section centrale est d'une force inouïe, elle légitime la démarche de l'auteur en faisant écho à tout ce qui a précédé et tout ce qui va suivre. Sa constellation de mots patiemment construite est un formidable moteur d'empathie. On referme le livre en ayant habité l'intériorité d'êtres humains qui ne sont pas nous. Au-delà de la compréhension de la douleur de Rami et Bassam, on ressent ce qu'ils ont ressenti, de la colère au pardon, de la volonté d'anéantir l'Autre au besoin de tenir sa main, jusqu'à devenir son ami. Certains passages sont inoubliables : les portraits des filles assassinées faits de mille détails du quotidien, le récit des 7 années de Bassam dans les geôles israéliennes, sa transformation lorsqu'il découvre la réalité de la Shoah puis l'étudie.



Un apeirogon est un polygone au nombre infini de côtés. Il ne pouvait y avoir meilleur titre pour ce roman ambitieux, nuancé et sensible qui dit la réalité complexe multi-facettes du conflit israélo-palestinien avec une puissance de frappe remarquable. Marquant et impressionnant.



Lu dans le cadre des Explorateurs de la rentrée Lecteurs.com

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Apeirogon

L’Apeirogon est une figure géométrique abstraite au nombre infini de côtés, que l’auteur irlandais utilise comme métaphore afin de mettre le doigt sur les multiples facettes du conflit israélo-palestinien. S’inspirant d’une amitié réelle entre un père palestinien et un père israélien qui ont tous deux perdu leur fille à dix ans d’intervalle, Colum McCann partage leurs espoirs de paix tout en restituant toute la complexité de cette cohabitation impossible, constamment nourrie par la haine et la violence.



Rami Elhanan est juif israélien. Bassam Aramin musulman palestinien. Smadar avait treize ans lorsqu’elle a été tuée par un kamikaze palestinien qui s’est fait exploser dans son dos. Abir avait seulement dix ans lorsqu’elle est morte touchée à la tête par une balle en caoutchouc tirée par un soldat israélien de 18 ans. Au-delà de la colère et de la vengeance, les deux pères vont s’unir dans le deuil et militer au sein des Combattants pour la Paix dans l’espoir d’une coexistence pacifique entre ces deux peuples qui entretiennent un quotidien fait de peur et de souffrance.



En partageant l’histoire d’amitié et la lutte pacifiste de ces deux pères endeuillés et partisans de la paix, Colum McCann montre l’unique voie qui permettra de sortir de cet engrenage sanglant, tout en restituant ces petits détails du quotidien qui entretiennent continuellement ce climat de peur et de haine. Des Israéliens qui vivent dans le peur de l’attentat, espérant que le destin épargnera leurs proches à chaque nouvelle explosion, aux Palestiniens qui doivent accepter les restrictions de leur liberté tout en gardant leur calme lors des fouilles corporelles arbitraires et des interminables files aux nombreux check-points, l’auteur pointe du doigt un quotidien oppressant et particulièrement explosif.



Au-delà du récit de ces deux pères, Colum McCann livre un roman hybride, kaléidoscopique et fragmenté, parsemé de digressions et de sauts temporels, collant parfaitement au titre de l’ouvrage et à la complexité du conflit qu’il tente d’éclairer. Du dernier repas de François Mitterrand à la migration des nombreux volatiles qui survolent Jérusalem chaque année, en passant par des digressions historiques, philosophiques, musicales, poétiques, géographiques, politiques ou religieuses, l’auteur multiplie les angles d’approche et parsème son ouvrage d’anecdotes et de micro-récits qui font toute la richesse de ce roman.



Divisé en 1001 chapitres, clin d’œil aux célèbres contes des mille et une nuits, numérotés de 1 à 500 puis de 500 à 1, avec une double section à 500 qui constitue le cœur du récit, « Apeirogon » est un roman exigeant, singulier, instructif et nécessaire, d’une richesse et d’une justesse incroyable.
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Apeirogon

Apeirogon, une forme géométrique au nombre dénombrablement infini de côtés, une sorte de partition d’un cercle qui perd son identité. Et comme l’apeirogon, le récit est fait d’une multitude de notes, de confidences, de références historiques ou issues de textes sacrés, ou de de notions d’ornithologie.





C’est ainsi que Column McCann envisage l’état des lieux de cette poudrière aux dimensions réduites mais dont la configuration est une provocation à la haine et à la violence. La Palestine sous contrôle, enclavée au sein d’un territoire vécu comme une offense, et Israël défendant sa légitimité sur ces terres convoitées.



Toute la force de ce roman est de se placer du point de vue de deux familles, lourdement atteintes par le décès, à dix ans d’intervalle, de deux enfants. L’une était palestinienne, l’autre juive, et ont toutes les deux été victimes d’attentats aveugles. Et la force de ces pères, endeuillés et inconsolables, est d’être des partisans de la paix, de militer pour que cesse la loi du Talion, et les humiliations quotidiennes subies par les contrôles incessants, véritables armes à retardement. En insistant sur le fait queles coupables sont aussi des victimes d’un système inique et qui ne peut conduire qu’à des passages à l’acte qui n’atteignent pas la bonne cible, quand "leurs prêcheurs sont à l’abri de la bataille ».



La construction est particulière avec mille et une entrées, comme autant d’histoires destinées à éloigner la mort. Ce n’est pas une lecture facile, mais on oublie vite l’artifice de la structure, pris par l’intensité de ce que livrent les deux pères profondément touchés dans ce qu’ils avaient d plus précieux, la vie de leurs filles. Et leur démarche de paix en est d’autant plus bouleversante. L‘amour pour balayer la haine.



Récit qui compte parmi ceux qui laisse des traces indélébiles dans une mémoire de lecteur.
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Et que le vaste monde poursuive sa course f..

Le 7 août 1974, le funambule Philippe Petit tend un câble entre les deux tours du World Trade Center et traverse le vide à quatre cents mètres du sol. Un cliché immortalise sa petite silhouette noire posée sur le ciel entre les deux buildings, alors qu’au même instant, un avion surgi dans le champ photographique semble par illusion d’optique annoncer une collision prochaine. Autour de cette image réelle, si clairement métaphorique d’une ville de New York avançant, au bord du gouffre, vers son fatal destin, Colum McCann tisse ses propres fils pour dessiner l’Amérique des années soixante-dix…





Brièvement interrompues, comme en un arrêt sur image, par cette performance incroyablement audacieuse qui fait lever le nez et suspend le souffle des New-Yorkais, les vies au coeur de la fourmilière reprennent bien vite leur cours ordinaire. Toutes sont en quelque sorte aussi des exercices d’équilibristes, chacun cherchant sa voie à tâtons, meurtri, déboussolé, si ce n’est broyé par la machine infernale d’un monde emballé dans son irrépressible course folle. Dans l’enfer du Bronx, un prêtre irlandais, Corrigan, tente désespérément de soulager le sort de marginaux et de venir en aide à deux prostituées, Tillie et sa fille Jazzlyn, destinées à la prison. A l’opposé, dans les beaux quartiers de Park Avenue, pendant que son épouse cherche vainement un exutoire à sa douleur en rencontrant d’autres mères de soldats morts au Vietnam, le juge Soderberg constate, accablé, son impuissance face à l’incoercible marée de la délinquance, du crime et de la corruption.





Colum McCann aime s’emparer d’une image forte et réelle pour déployer ses fresques aux personnages inoubliables, à la croisée de la chronique sociale, du roman historique et de la mise en scène de nos désarrois face à notre absence de prise sur la trajectoire insensée du monde et de nos existences. Après Les saisons de la nuit, il nous plonge à nouveau dans les entrailles grouillantes de la ville de New York, au plus près de ses laissés-pour-compte, entremêlant réel et fiction pour un autre portrait coup-de-poing de l’Amérique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une fois entré dans son histoire et saisi par le rythme vibrant de son écriture, aiguisée par sa sobriété, l’on s’y sent au plus profond d’une réalité plus vraie que nature.





L’auteur nous sert encore une fois un roman magistral : d’un fait divers réel et de son expérience au contact des déshérités de l’Amérique, il tire une épopée impressionnante qui en dit long sur les réalités du Nouveau-Monde, mais aussi, sur notre quête de sens dans une société, qui, obsédée par ses priorités matérielles, en néglige les gouffres ouverts au fond de nous par son absurde inhumanité.


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Les saisons de la nuit

De 1916 à 1991, la même misère crasse règne sur l’envers du décor new-yorkais. Au début du siècle, le terrassier Nathan Walker est embauché au creusement des tunnels ferroviaires sous la ville. Il y risque sa vie dans des conditions innommables, gagnant juste de quoi subsister avec sa famille dans un taudis du Lower East Side. Soixante-quinze ans plus tard, le sans-abri Treefrog vit comme un rat dans un recoin de ces mêmes tunnels, sous Riverside Park, en plein Manhattan. Il est l’un de ces exclus formant à New York une cour des miracles confinée à l’abri des regards, sous la surface indifférente de la ville.





Des milliers de kilomètres de galeries forment les entrailles de New York : tunnels de métro, circuits d’adduction d’eau et canalisations d’égout, réseau de vapeur sous pression chauffant la ville, caves et salles autrefois aménagées en habitations pour les ouvriers qui creusaient ce dédale déployé sur dix-huit niveaux. S’y est progressivement réfugié tout un peuple-taupe, communauté invisible de déclassés clochardisés dont certains n’ont pas vu le jour depuis des années, monde inversé dont la ville en surface n’a bien souvent même pas conscience et où règnent obscurité, froid, peur et désespoir...





L’auteur, qui, à vingt-et-un ans, quittait son Irlande natale pour sillonner les Etats-Unis à bicyclette, exerçant mille petits boulots et croisant nombre de marginaux et de laissés-pour-compte, nourrit sa narration d’une expérience humaine qui lui confère authenticité et épaisseur. Transparents héros du quotidien, à réaliser silencieusement des tâches ingrates, souvent physiques, parfois dangereuses, qui, en échange de leur usure, les empêchent tout juste de ne pas sombrer dans une totale précarité ; misérables tombés pour de bon dans le bac à ordures de la société, relégués en des marges dont on détourne le regard : c’est une galerie de personnages méprisés et maltraités que l’écrivain met en lumière dans ce roman, leur redonnant humanité et dignité dans une évocation très largement impressionnante.





Nombreuses sont les scènes choc, à commencer par le spectaculaire accident venu ponctuer, en 1916, l’épique et mortel creusement du tunnel ferroviaire sous l’East River, mais aussi les vertigineuses et insensées acrobaties de ces « hommes-araignées » employés à la construction des gratte-ciel, et enfin, bien sûr, ce dantesque labyrinthe souterrain où, depuis les années soixante-dix, vient se terrer une population croissante de déshérités, réduits à partager l’existence des taupes et des rats. S’y mêlent blancs et noirs ; hommes, femmes, et même des enfants : tous avalés par la bête monstrueuse que paraît la ville de New York, coincés dans ses viscères enchevêtrés et obscurs pour une existence de pur cauchemar.





Jamais l’on ne s’ennuie dans cette vaste fresque couvrant plusieurs générations d’une même famille pour revenir inlassablement buter, en incessants allers-retours temporels, sur le destin souterrain d’un sans-abri à l’identité mystérieuse. Un livre magistral, reflet d’une réalité sociale qui, en ce qui concerne la frange des déshérités de l’Amérique, ne semble guère avoir progressé depuis un siècle. Coup de coeur.


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Apeirogon

Rami Elhanan est juif israélien, Bassam Aramin palestinien. Tous deux ont perdu leur fille : alors âgée de quatorze ans, Smadar a été tuée en 1997 dans un attentat-suicide perpétré par des Palestiniens. Abir, dix ans, est morte en 2007, abattue par un garde-frontière israélien alors qu'elle était sortie acheter des bonbons. Ils sont aujourd'hui membres de l'organisation Parents Circle-Families Forum, qui réunit des familles palestiniennes et israéliennes endeuillées à cause du conflit israélo-arabe, et qui milite pour la réconciliation et la paix.





Les personnages et les faits sont réels. Le récit nous les fait découvrir en même temps qu'un raisonnement qui, peu à peu, s'impose comme un leitmotiv : pour sortir de l'engrenage sans issue de la violence, Israël n'aurait d'autre choix que de reconsidérer sa politique d'occupation et de tenter de mettre en place une cohabitation égalitaire dans des territoires reconnus communs. L'auteur se fait le relais de ces voix israéliennes, vilipendées comme traîtres par leur opinion publique nationale, qui s'élèvent çà et là, accusant leur gouvernement d'induire la violence au travers d'actions et de comportements profondément injustes pour les Palestiniens. Courageusement, elles se regroupent dans des associations où Israéliens et Palestiniens prônent ensemble le dialogue, pour une meilleure compréhension mutuelle, préalable à toute possibilité de réconciliation.





D'une manière originale, le texte tisse autour de la trame du récit un tissu d'anecdotes et de considérations variées qui, souvent étonnantes mais toujours édifiantes, viennent renforcer le propos. La succession de chapitres, parfois très brefs et d‘apparence hétéroclite, dessine ainsi peu à peu le motif général d'une mosaïque, où se détachent notamment l'effarante ingéniosité humaine dans l'art de la guerre, mais aussi la miraculeuse et fragile variété de la vie qui devrait nous inciter à la protéger. Tout en se montrant parfaitement réaliste et lucide, l'ensemble laisse fleurir l'espoir que l'humanité puisse finir par prévaloir sur les instincts belliqueux. Même si, comme Freud l'écrivait à Einstein dans les années trente, ces derniers ne sont pas prêts de s'éteindre, il existe une chance de les combattre en cultivant les liens émotionnels et en favorisant le sentiment de communauté. "Regardez l'Afrique du Sud, l'Irlande du Nord, l'Allemagne, la France, le Japon, et même l'Égypte. Qui aurait cru que ce serait possible ?"





Un apeirogon est un polygone au nombre infini de côtés, comme le si complexe conflit israélo-palestinien, mais aussi comme cet ouvrage aux mille facettes, aussi étonnant que bouleversant, qui ouvre avec brio une réflexion pacifiste dont on espère qu'elle essaimera le plus largement possible.


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Les saisons de la nuit

Là, chef d'oeuvre. La puissance du récit impressionne. Colum McCann emmène le lecteur dans les entrailles de New York, dans l'humidité, la crasse et la peur pour y suivre un personnage étrange qui vit comme un rat et, dans une deuxième ligne narrative plus ancienne, dans la rude vie d'un noir embauché pour percer des tunnels de métro sous cette même ville.

Tout cela pourrait décourager le claustrophobe caché en moi. Mais non! Car heureusement, on construit aussi des gratte-ciels là-bas. Et en compagnie d'un des deux protagonistes à 300m, sournoisement, le vertige me prend ...



Pour préparer ce roman, l'auteur s'est introduit auprès de SDF. Ce réalisme si bien rendu contraste avec quelques moments d'évasion et une sorte de grâce qui s'installe peu à peu.

Conquis par ce roman il y a quelques années; depuis, je n'ai pas retrouvé un édifice aussi bien construit chez cet auteur.
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Apeirogon

Colum McCann est parti d'un drame réel, celui de deux pères, un palestinien et un israélien, unis dans la douleur. Tous deux ont perdu leur fille à dix ans d'intervalle. Tous deux font partie de l'organisation des Combattants pour la Paix et tous deux n'auront de cesse, ensemble, amis improbables, et dans le monde entier, de raconter leur histoire.



L'écrivain aurait pu en faire une romance touchante, voire larmoyante, sur la force de la paix, sur la résilience, le pardon et la rédemption, sur l'amitié israélo-palestinienne, il aurait pu écrire une histoire linéaire, chronologique. Et cela aurait été bien écrit, on n'en doute pas venant de cet écrivain dont je me remémore Les saisons de la nuit avec émotion. le drame de la mort de ces deux filles aurait été au centre du livre. Avant, l'auteur aurait relaté le parcours des pères, ensuite leur façon de se reconstruire et de s'approcher, de se comprendre. Oui, j'imagine bien ce livre de facture classique. Mais Colum McCann a eu l'intelligence et la force de narrer ce drame tout autrement. A la façon d'un apeirogon. C'est brillant et bluffant. Ce livre me fait l'effet d'une pierre précieuse noire aux facettes infinies. Chaque facette étant une variation sur un même thème. Un bijou.



Nous avons là en effet un récit fragmenté en une multitude de notes, de références historiques, de références théologiques, de leçons d'ornithologie, de confidences, de drames, d'explications techniques, de virées en moto, ce livre est construit à l'image de l'apeirogon, forme géométrique au nombre infini de côtés. Comme un cercle qui perdrait son identité. Ou une superposition d'ondes concentriques, c'est en tout cas comme ça que je le ressens. Des ondes qui tout d'abord se resserrent, comme un poumon qui se rétracte, image souvent évoquée dans le livre (tel Jésus qui est mort asphyxié sur la croix, ses poumons se rétractant). Et parfois nous suffoquons en effet. Comme autant de cercles en écho, libres dans le temps, tournoyant à Jérusalem pour l'essentiel. Numérotés de 1 à 500 puis de 500 à 1, avec une double section à 500, ces fragments sont percutants, vifs, tranchants, lumineux, à l'image des déflagrations ayant fauché la vie de deux filles, Abir et Smarda, les filles respectives de Bassam le palestinien et Rami l'israélien. Les deux chapitres 500 sont le coeur du livre, la source, l'explication. Oui c'est brillant. Comme si nous avions en face de nous une boule explosée, dont les fragments, divers, partent dans tous les sens, mais dont le coeur, pur, s'offrait à nous sous ces fragments. Cette image de l'apeirogon est également à l'image de la ville de Jérusalem, dont la beauté et la blancheur varie au gré des réfractions de la lumière, une ville si disparate aux constructions hétéroclites alliant les camps de réfugiés, les barbelés aux checkpoints jusqu'aux anciennes villas palestiniennes magnifiques laissées à l'abandon, ville dont le centre est sacré et pur. Les virées en moto sur des routes extrêmement sinueuses que nous faisons avec Rami nous offre ce spectacle de la ville. J'imagine que l'apeirogon, c'est aussi l'image de notre fonctionnement mental, composé de pensées souvent éparses et diverses, avec un centre, l'essence de notre identité, de nos raisons, de nos motivations. Oui, quelle incroyable façon de narrer cette histoire, sur la base de l'apeirogon ! Quel talent !



La jeune Smarda a été tuée dans attentat suicide en 1997, trois kamikazes s'étant fait sauter au centre de Jérusalem, alors que la jeune fille de 13 ans allait acheter avec ses copines des livres scolaires. La petite Abir, dix ans, en 2007, a reçu une balle en caoutchouc au centre en acier, à l'arrière du crâne alors qu'elle achetait des bonbons avant d'aller à l'école faire un devoir de mathématiques. Un devoir sur les tables de multiplication. La balle a été tirée par un garde-frontière israélien de 18 ans. Les deux filles furent au mauvais endroit au mauvais moment. Cet attentat et cette balle font des ricochets et sont le point de départ à de multiples réflexions sur les cercles et les tirs, allant de la bombe sur Nagasaki, en passant par le vol circulaire des oiseaux, la trajectoire des cailloux tirés par les frondeurs, les manifestations en Irlande…réflexion sur la trajectoire hasardeuse des ronds…armes rondes, vols ronds…sur leur dilatation et leur rétractation…comme un poumon…nous avons par moment vraiment du mal à respirer à l'image des parents dans ses interminables bouchons liés aux chekpoints qui ne savent pas si les attentats ont touché ou pas leurs enfants. du mal à respirer lorsque nous sommes témoins des sévices de Bassam en prison. L'air devient aussi épais que de l'eau. Presque sur le point d'exploser. Alors ces deux pères parlent, racontent, pour retrouver leur souffle, pour faire changer les mentalités et retrouver une cohérence, une ligne directrice. Comme écrit en hébreu sur la moto de Rami « Ça ne s'arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas ».



Oui, une pierre précieuse noire mais en même temps très lumineuse. La lumière de la rédemption et du pardon de la part de ces victimes pousse au respect et à l'espoir.

L'ensemble donne un livre extrêmement ambitieux, brillant, pédagogique (j'ai appris beaucoup de choses), un livre exigeant sur un sujet complexe et subtil.

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American Mother

Après Apeirogon et le véridique combat conjoint pour la paix de deux pères endeuillés en Israël et en Palestine, Colum McCann met à l’honneur une autre figure, elle aussi incarnation de l’humanité face à la barbarie, en se faisant la plume de Diane Foley, la mère du journaliste américain James Foley exécuté par l’État islamique après deux ans d’une terrible captivité en Syrie.





En 2012, le journaliste free lance James Foley tourne un reportage en Syrie lorsqu’il est pris en otage par Daech. Pendant deux ans, il est détenu et torturé, et, le gouvernement américain se refusant à négocier avec les terroristes, ceux-ci finissent par le décapiter en diffusant la vidéo dans le monde entier. Horrifié par ces images, Colum McCann décide d’entrer en contact avec les proches de la victime après être tombé sur une photographie montrant le jeune homme plongé dans l’un de ses romans dans un bunker afghan. Il se rend en Nouvelle-Angleterre, dans le Nord-Est des Etats-Unis, là où ont grandi James et ses quatre frères et sœurs et où résident toujours leurs parents. Diane Foley accepte de raconter l’histoire de son fils, sa vocation de reporter de guerre, son enlèvement et sa détention avec d’autres journalistes et des humanitaires ressortissant de divers pays qui, eux, se démèneront pour les faire libérer, l’intransigeance des autorités américaines dans leur refus de céder au chantage, les deux longues années d’attente aboutissant à sa mort – apprise sur Twitter.





Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car, pour surmonter l’horreur et le chagrin, Diane Foley se lance alors corps et âme dans un combat qui dure toujours et qui, de Barak Obama à Joe Biden, a complètement transformé la politique américaine à l’égard des otages et des individus emprisonnés de manière injustifiée. Aujourd’hui encore, cette « mère américaine » multiplie les engagements militants. En plus de la Fondation James Foley, elle a notamment cofondé l’association ACOS oeuvrant pour la protection des reporters free lance en zones de guerre. Animée d’une vraie foi, elle décide en 2021 de rencontrer l’un des assassins de son fils, tristement surnommés les « Beatles » parce qu’Anglais, convertis à l’islamisme et devenus soldats de Daech. Colum McCann l’accompagne alors dans son courageux rendez-vous avec cet homme, Alexanda Kotey, condamné à la perpétuité sans procès en échange de certaines obligations, comme celle de rencontrer les familles de victimes qui le souhaitent. Loin de tout esprit de haine et de vengeance, et parce que, pour mieux lutter contre la violence, il est essentiel d’essayer de comprendre, Diane vient pour écouter : « telle est maintenant sa mission. Elle doit écouter. »





Empli de sentiments contradictoires, le récit de l’entrevue est poignant. S’il ne sera jamais nettement question de regrets dans un échange trahissant un degré de sincérité variable chez l’assassin, ce dernier fera preuve d’émotion face à la si digne humanité de cette mère, tout en évoquant son ressentiment contre l’Amérique après des frappes qui tuèrent sous ses yeux l’épouse et le bébé d’un ami. L’homme laissant trois petites filles dans un camp en Syrie – pour quelle enfance ? –, Diane Foley qui, sans être sûre d’avoir tout à fait pardonné, dira ensuite avoir « réalisé que tout le monde était perdant », ira jusqu’à tenter de leur venir en aide…





Rédigée à la première personne pour mieux épouser la voix de cette femme impressionnante de courage et de force morale, cette non-fiction en tout point fidèle à la réalité fait de ce portrait, quasi hagiographique, un hommage appuyé à ces êtres qui, confrontés à la barbarie, trouvent les moyens de l’affronter de toute la force de leur humanité. « Parfois, on sait où est le bien. Parfois, on suit son instinct. Si on ne fait rien, rien ne se fait. »


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Et que le vaste monde poursuive sa course f..

"Être funambule, ce n'est pas un métier, c'est une manière de vivre. Une traversée sur un fil est une métaphore de la vie : il y a un début, une fin, une progression et si l'on fait un pas de côté, on meurt. le funambule relie les choses vouées à être éloignées, c'est sa dimension mystique."

(Philippe Petit cité par Marie-Noëlle Tranchant dans son article du Figaro "Le funambule entre deux tours" daté du 6 octobre 2008)

L'écrivain lui-aussi "relie les choses vouées à être éloignées" et surtout les êtres cabossés par la vie qui habitent le monde et plus particulièrement New-York que ces êtres soient pour la plupart des habitants du Bronx, prostituées, maquereaux mais aussi franciscain irlandais ou bourgeoise de Manhattan....

Le funambule Philippe Petit, s'inscrit en filigrane au cours de ce roman où l'on rencontre des êtres inoubliables, lumineux malgré une vie rude et sombre. Il fait que la course du temps soit suspendue, qu'un silence se crée quand les regards se lèvent pour le contempler, petit bonhomme fragile, et suivre, en craignant sa chute, sa progression sur le fil. Il permet à ceux qui sont là d'échapper à la pesanteur du temps, au poids de leur vie. C'est un intervalle, une brèche qui s'ouvre et en même temps un lien qui nait entre les personnes qui auront assister à cet événement ou en entendront parler.

Le fil que parcourt le funambule reliant les deux tours de Manhattan sera rattrapé par la course folle du temps par la lecture, qui peut paraître prémonitoire, d'une photo où la silhouette d'un avion s'invite dans cette traversée :

« Un homme là-haut dans les airs, tandis que l'avion s'engouffre, semble-t-il, dans un angle de la tour. Un petit bout de passé au croisement d'un plus grand. Comme si le funambule, en quelque sorte, avait anticipé l'avenir. L'intrusion du temps et de l'histoire. La collision des histoires. Nous attendons une explosion qui ne se produit pas. L'avion disparaît, l'homme arrive à l'extrémité. Rien ne s'écroule. 
C'est pour elle un instant qui fait date, un individu seul qui finalement triomphe, comme un héros mythique, de bien plus grand que lui. La photo est devenue un de ses objets fétiches – il manquerait sans elle une chose à sa valise, comme une sangle ou une serrure. Elle l'emporte toujours en voyage avec quelques autres souvenirs : une parure de perles, une mèche de cheveux de sa soeur.»

Et c'est ainsi que de petites choses, une photo, relient par delà l'espace et le temps tous les protagonistes de ce beau roman que le temps a emporté dans sa course folle.





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American Mother

Ooohh my God ! but what happened to Colum ?

Apeirogon ! Vous souvenez-vous de cet ouvrage brillant, érudit dans lequel Colum McCann relate le combat et le dialogue entre deux pères, l’un israélien et l’autre palestinien qui ont tous les deux perdu leur fille dans un attentat. Quel récit poignant, palpitant, avec ces hommes que j’avais quitté à regret. D’ailleurs, lors de la déclaration du nouveau conflit le 7 octobre 2023, une de mes premières pensées a été pour ces deux hommes et leur probable immense désespoir face à cette guerre et ces insupportables gâchis de vies.

Alors quand j’ai repéré sur babelio la sortie de ce nouveau livre de Colum McCann, il n’y avait aucun doute, j’allais dévorer cet ouvrage, d’autant que le sujet semblait aussi terrible que passionnant, la rencontre par l’auteur de Diane Foley, mère de James Foley, journaliste américain décapité par Daech en Syrie en 2014 devant les caméras dans une affreuse mise en scène.

Mais passé le premier chapitre qui raconte de façon oppressante et réussie la rencontre entre Diane Foley et le probable assassin de fils, on rentre ensuite dans un grand nombre d’énumérations de faits et d’anecdotes sur la vie de James Foley que j’ai trouvées d’un faible intérêt.

Une litanie lancinante est rapidement devenue insupportable lors ma lecture, la Foi de Mme Foley en Dieu et sa sainte-Trinité personnelle : en résumé : number One : Dieu, number two son fils, number 3 son mari.

La foi de Mme Foley est éminemment respectable, mais lorsqu’on a bien compris que toute la famille est formidable, très pieuse, patriote (3 autres enfants sont engagés dans l’armée), je me suis sentie indifférente face à cette caricature du modèle américain bien-pensant, bien comme il faut, avec la mère si parfaite et si digne avec l’american flag en étendard.

J’ai tout de même écarquillé les yeux en lisant page 89, les préoccupations de Mme Foley au sujet de son fils détenu par Daech, je cite : « Sur la route du retour, le chœur des questions a retenti dans ma tête. Comment était-ce arrivé ? Avec qui était Jim ? Était-il torturé ? Pouvait-il prier ? Avait-il à manger ? Allait-il s'en sortir ? ». Comme si le fait qu’il puisse prier était plus important que celui de s’en sortir ou de manger…. Il est sûr que je ne me serais pas posé les questions dans cet ordre.

Où est passé le regard acéré et lumineux de Colum McCann, son esprit critique percutant ?

Je n’ai trouvé ici aucune distance, peu d’analyse et de mise en perspective des évènements permettant d’élever le propos. Beaucoup d’ennui face aux multiples répétitions, à la gloire de Dieu, du fils, du mari, des autres enfants, et un certain satisfecit de Mme Foley vis-à-vis d’elle-même.

J’attendais un dialogue entre l’auteur et Diane Foley, des confrontations d’idées, de points de vue, hélas, rien de tout cela … S’il y a des passages et des réflexions fort intéressantes sur le terrorisme, les flux financiers afférents et la liberté d’expression (je posterai des citations) j’aurais souvent souhaité des analyses beaucoup plus fouillées et argumentées, et l’on reste malheureusement beaucoup trop en surface.

Les cinquante dernières pages se sont avérées plus intéressantes également (en partie grâce à la thématique divine moins présente), elles ouvrent un chemin d’espoir vers la paix et le pardon, mais j’ai trouvé décevant qu’un livre si court se soit révélé dans son ensemble aussi superficiel, avec Colum Mc Cann s’effaçant pour être le simple porte-voix ou porte-plume de Madame Foley.

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American Mother

Mon dernier coup de cœur est, comme « Triste tigre », un récit de vie poignant servi par une belle écriture.

Colum McCann donne la parole à Diane Foley, mère de Jim, un journaliste décapité en Syrie par Daech, qui a créé une fondation d'aide aux familles d'otages.

Les premières pages, inoubliables, présentent la rencontre entre Diane Foley et l'un des bourreaux de son fils, qui a été condamné à perpétuité et a accepté de rencontrer les familles des victimes.

L'écoute de Diane Foley, son attention à l'autre, son émotion dans cette situation surréaliste, forcent l'admiration, et la suite du livre nous aidera à comprendre cette attitude.



Revenant sur la carrière de Jim, ses engagements, ses reportages au Moyen-Orient jusqu'à la prise d'otages, Colum McCann écrit un récit à la première personne qui nous permet d'entrer dans la tête de cette mère au fil des événements.

Après la prise d'otages, apparaissent les démarches, les comités de soutien, les rencontres avec le gouvernement Obama, toutes les raisons d'espérer suivies des périodes de découragement avant la journée fatale.

Mais cette douleur sera utilisée pour aider toutes les autres familles d'otages, et la rencontre avec l'accusé, en début de livre, vient clore ce cheminement.



Colum McCann accompagne Diane Foley en utilisant le « Je » pendant toute la période d'espérance, avant l'annonce fatale, puis la troisième personne après, comme si c'était une autre personne.

Il suit l'évolution de ses pensées et de ses émotions avec pudeur, sans pathos, mais en étant au plus près de son ressenti.

Tout le cheminement d'une famille confrontée à ce drame est minutieusement décrit, le déni, le désespoir, l'espérance, et, dans le cas de la famille de Diane Foley, les multiples démarches auprès de l'administration américaine et d'Obama... pour qui il n'est pas question de négocier avec les ravisseurs, ni de payer de rançon, ni d'entreprendre d'action militaire pour le sauver.

L'auteur pose les mots justes sur les émotions de cette mère qui, telle une « Mater dolorosa », cherchera comment surmonter cette douleur, grâce à l'aide de sa foi mais aussi grâce à la communauté qu'elle a créée avec la fondation «James W Foley ».



Merci à Babelio/Masse critique et à Belfond

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Transatlantic

Un roman comme des poupées russes, que l’auteur de « Et que le vaste monde poursuive sa course folle » ou « Danseur » mène avec un sacré talent.

L’écriture de McCann est une nouvelle fois remarquable, Pourtant, bizarrement l’émotion peine à trouver sa place. Comme si à suivre le destin de ces femmes, McCann se refusait de s‘immiscer un peu plus dans ces portraits. Agréable mais sans emballements notoires.

Et puis, il faut finalement atteindre la dernière période pour enfin ressentir une vraie empathie. Et alors tout ce qui précède prend sa véritable place. La mélancolie vient s’immiscer, nous atteindre plein cœur. Et l’on se dit alors que McCann est un conteur hors pair. « Transatlantic » n’est peut-être pas son meilleur roman, mais son regard est toujours aussi juste et éclairé.

La classe.

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Et que le vaste monde poursuive sa course f..

L’auteur de « Danseur ou « Zoli » signe une nouvelle fois un magnifique roman sur les marginaux de cette Amérique (on est en début des années soixante dix) plus enclin à combattre le communisme qu’à s’occuper de ces compatriotes en souffrance. Tandis qu’un funambule français parcourt le lien suspendu entre les deux Twin Towers, en bas plusieurs personnages tentent de sortir d’un quotidien glauque et difficile. Qu’il se positionne en équilibriste ou en contraire dans les pas de ces personnages, McCann excelle pour donner chair et profondeur à ces hommes et ces femmes dont les vies sont sacrément chahutées. Car derrière les apparences, c'est souvent pour leur survie et leur dignité que se battent ces héros ordinaires. Avec un talent narratif remarquable, McCann réussit une nouvelle fois à nous chambouler, avec un texte dur et poignant, qui reste longtemps dans nos esprits. Encore un grand bouquin de McCann, c’est une habitude.
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Apeirogon

Apeirogon est une prouesse littéraire à mes yeux par le contenu qui retient l'attention du lecteur d'un bout à l'autre du roman. Colum McCann est un auteur surprenant .



Un roman fragmenté, un pays morcelé, des vies brisées en mille éclats.



Une histoire qui se reconstitue au fur et à mesure. Deux petites filles mortes Abir- Smadar, deux pères effondrés Rami-Bassam qui ne laissent pas la fatalité s'installer, racontent et demandent la paix à travers leur mouvement et leurs témoignages.



Un pays survolé par quatre cent espèces d'oiseaux libres se partageant le ciel alors qu'en bas ce pays est divisé en de nombreuses zones et ses habitants : israéliens et palestiniens n'arrivent pas à s'entendre…



Un livre passionnant qui montre les multiples facettes d'un pays avec son histoire, un livre qui ne juge pas mais qui donne à réfléchir. Un livre bouleversant .



Merci aux éditions 10/18 de leur confiance.



#Apeirogon#NetGalleyFrance

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Apeirogon

On fait la connaissance de deux amis, que l’on va suivre tout au long du roman. L’un, Bassam, est Palestinien, l’autre, Rami, est Israélien, tous les deux sont des pères en deuil, chacun ayant une fille tuée dans ce conflit qui n’en finit pas, à coup de pierres d’un côté et de balles en caoutchouc dont le cœur est en fait constitué de métal.



Bassam a passé plusieurs années en prison après avoir lancé des grenades sur des jeeps israéliennes, et il y a subi un traitement particulièrement dur. Une fois libéré, il s’est marié, a eu des enfants, s’est construit une nouvelle vie. Il est musulman pratiquant. Sa fille Abir, a été assassinée à l’âge de 10 ans par une balle perdue alors qu’elle allait acheter des bonbons, un bracelet de bonbons pour être tout à fait précise, bracelet que son père conservera longtemps.



« La balle était faite de métal en son cœur, mais revêtue à son extrémité d’un caoutchouc vulcanisé spécial. Lorsqu’elle heurta le crâne d’Abir, le caoutchouc se déforma légèrement, puis retrouva sa forme originelle, sans causer le moindre dégât notable à la balle elle-même. »



Rami est Israélien, un « Jérulasémite de la septième génération » comme il aime à le dire ; sa fille Smadar a été victime d’un commando palestinien qui s’est fait exploser dans une boutique où elle allait acheter de livres pour l’école.



Tous les deux auraient pu sombrer dans la haine, le désir de vengeance, mais malgré l’immensité de leur chagrin, ils décident de s’engager pour la paix, dans un groupe de discussion, « Le Cercle des parents » composé de personnes ayant perdu un enfant, un proche pendant cette guerre. Ils se réunissent dans un hôtel au milieu des pins : « l’hôtel Everest de Beit Jala, dans la zone B sur une colline faisant face à la station de baguage des oiseaux. »



J’ai adoré ce roman, car il est différent de tout ce que j’ai pu lire jusqu’à présent, la variation des thèmes abordés le processus de narration, les personnages… Tout, absolument tout. Il a 1001 portes d’entrée, autant de manières de l’interpréter car il est rempli de symboles.



La couverture est à l’image du récit, très belle : sur fond noir des milliers d’oiseaux dorés qui volent de concert, et perdus aux deux extrémités deux colombes blanches, Bassam et Rami, Palestine et Israël en paix…



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et la plume de l’auteur que j’ai très envie de retrouver avec par exemple « Et que le vaste monde poursuive sa course folle »



#Apeirogon #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Les saisons de la nuit

Dans le premier chapitre, 2 pages, en 1991, je rencontre Treefrog au bord de l'Hudson gelé avant qu'il ne regagne son nid dans les profondeurs d'un tunnel du métro. Dans le chapitre deux, en 1916, je fais la connaissance de Walker et de ses compagnons qui tous creusent le tunnel sous l'East River qui reliera Brooklyn à Manhattan. Et les chapitres se suivent, en alternance je partage la vie de Treefrog, SDF, et celle de Walker et de sa famille. La vie des ouvriers qui creusent où, sous les tunnels, la couleur de la peau n'a pas d'importance, ils sont tous frères dans leur pénible travail mais, une fois remonté en surface, Walker doit subir les inégalités et les quolibets, Walker est noir, un nègre comme disent les blancs. Toute la vie de Walker m'est racontée : jeune ouvrier il creuse le tunnel, il se marie, a des enfants, devient grand-père, meurt. Entretemps, je suis aussi la vie de Treefrog, sa vie de SDF dans le tunnel sous le métro ... Au deux tiers du roman, je découvre pourquoi Colum McCann me raconte ces deux vies en parallèle, enfin je comprends ! Je tiens à préciser que cette ignorance n'a en rien affecté ma lecture, tout simplement je découvre qu'il n'y a pas de hasard.

Colum McCann rejoint ma liste des grands écrivains, il a écrit ce roman sur des événements historiques et s'est sacrément documenté sur les vies des ouvriers et des SDF. À lire !
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American Mother

Diane Foley est la mère du journaliste américain James Foley, enlevé en Syrie en 2013 et exécuté en août 2014 par Daech, dans une mise en scène macabre (la vidéo, diffusée sur internet, de la décapitation du jeune homme, ironiquement affublé d'une combinaison orange semblable à celle des détenus de Guantanamo, avait profondément choqué à l'époque). Cette exécution (et celles d'autres otages par la suite) symbolise les représailles de Daech à l'encontre de l'intervention militaire de la coalition internationale en Irak et en Syrie, dans la foulée des printemps arabes, et emmenée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. le but : créer un sentiment de terreur, obtenir le paiement de rançons, mettre fin à l'ingérence occidentale.



Ce que Diane Foley ignore au moment où son fils est enlevé, c'est que le gouvernement américain n'a aucune intention de négocier avec les terroristes pour sauver ses ressortissants, contrairement à d'autres pays (la France ou l'Espagne, par exemple ; ce qui, soit dit en passant, n'a pas évité à ces Etats d'être frappés par des attentats sur leur propre sol). A l'instar du Royaume-Uni, les USA adoptent une position de principe : on ne discute pas avec les preneurs d'otages. Et même : on menace de poursuites judiciaires les familles qui tenteraient de négocier elles-mêmes. En dernier recours, on tente bien une mission commando de sauvetage, exorbitante en moyens humains et techniques, mais vouée à l'échec vu le manque de connaissances actualisées du terrain.



Quelle est l'alternative, dans ce cas ? C'est là toute l'horreur, tout le gâchis que découvre peu à peu Diane Foley : il ne se passe rien. « En toute franchise, notre gouvernement était en piteux état. Nous n'avions pas d'agence, pas de service chargé d'aider au retour des Américains enlevés à l'étranger. Beaucoup de bavardages, mais peu de réponses. Il y avait le département d'Etat, le FBI, l'armée et douze autres agences de renseignement, mais aucun ne savait vraiment ce que les autres faisaient. On sombrait dans le désordre. En matière de prises d'otages, les Etats-Unis appliquaient théoriquement une politique de non-négociation et de non-concession, mais c'était synonyme de paralysie. Nous soutenions des politiques, pas nos concitoyens ». Avec ce paradoxe cruel que la logistique de la capture, du procès et de l'emprisonnement des bourreaux aux USA (et il ne fait aucun doute que, comme tout Etat de droit, les USA se doivent de leur accorder toutes les garanties d'un procès équitable) a probablement coûté bien plus d'argent public que les potentielles rançons qui auraient ramené les otages vivants. « Pourquoi avons-nous eu droit à une équipe de bras cassés (avec une absence totale de coordination) quand Jim a été capturé, et à une unité d'élite (le meilleur de la justice américaine) après son assassinat ? Telle est la question qui me hante. Pourquoi avoir dépensé autant de temps et d'argent dans les conséquences de sa mort et si peu dans le prolongement de sa vie ? Pourquoi sommes-nous devenus d'une précision chirurgicale seulement après sa décapitation ? Où sont nos priorités ? »



Ce livre, mis en mots avec l'aide de Colum McCann, relate à la fois le parcours, dans les dédales de l'administration et jusqu'à la Maison Blanche, d'une mère combattant pour que son fils soit sauvé puis, après sa mort, pour qu'il ne soit pas oublié, ni les autres otages à travers le monde, et son lobbying pour que les USA développent enfin une « politique des otages » à l'étranger. Mais il y est aussi, évidemment, question de James et de la naissance de sa vocation à aller à la rencontre et à témoigner de la réalité des sans-voix. Diane Foley aborde aussi sa rencontre avec l'un des ravisseurs et le procès d'un autre de ceux-ci. Elle nous fait part de ses questionnements existentiels tout au long de cette épreuve : pardonner, accepter les excuses, se méfier d'une possible manipulation des sentiments, croire à l'amendement sincère, garder la foi face à une telle horreur ?



Hommage à son fils, travail de mémoire, plaidoyer pour un changement de politique et de lois, charge virulente – malgré un profond patriotisme – contre l'incurie de l'administration américaine, ce livre est le témoignage impressionnant d'une femme et d'une mère digne, droite, tenace, courageuse et remplie de compassion, qui n'a eu de cesse de chercher à comprendre et de continuer à avancer en s'accrochant à sa foi et à son humanisme.



En partenariat avec les Editions Belfond via Netgalley.

#AmericanMother #NetGalleyFrance
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Apeirogon

Ai mis beaucoup de temps à produire une critique pour ce livre lu l'an passé, sur recommandations diverses. Je profite de la publication du rapporteur spécial de l'ONU, Michael Lynk, sur la situation des droits de l'homme dans les territoires occupés qui affirme qu'« Israël impose en Palestine une réalité d'apartheid dans un monde post-apartheid » pour le faire, puisque c'est en gros la substantifique moelle de ce livre.

Livre vraiment bizarre dont la structure est complètement originale. Mélange de témoignages et de digressions diverses, dont le but est d'éviter un récit trop linéaire et de nous permettre des souffles de réflexion.

Car le fond...

C'est le conflit israélo palestinien.

Dont il devenu très difficile de parler en France (ailleurs je ne sais pas). le moindre faux pas discursif sera analysé, interprété, condamné ou loué selon le cas. Il ne semble pas y avoir de « neutralité » possible en l'espèce.

L'auteur parvient néanmoins à proposer un récit fort : celui des victimes civiles. Des parents de deux enfants forcément innocents tués dans cet endroit du monde qui a souvent attiré le regard et exacerbé les haines.

Ces parents, l'un palestinien l'autre israélien ont choisi l'impossible après les meurtres : la non-violence, l'apaisement, la compréhension des sentiments de l'autre, préliminaire indispensable à la résolution pacifique des conflits.

Ce n'est certes pas la mode en ces temps où la loi du plus fort semble prendre le pas sur la diplomatie et l'acceptation de l'autre, et ceci à toutes les échelles, nationales ou internationales.

De ce point de vue, ce livre peut participer à un remède au fatalisme ambiant. C'est un antidote individuel. Inutile donc d'un point de vue politique qui privilégie, malgré la volonté des peuples en majorité, là-bas comme ici et comme ailleurs demain le dialogue mélien.

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Apeirogon

Il faut être sacrément ambitieux pour se lancer dans l’écriture d’un livre traitant du conflit Israélo-Palestinien. Un conflit aux mille facettes, un imbroglio complexe mêlant histoire, politique, religion, et surtout une tragédie humaine. Pourtant ce livre relève le défi de manière surprenante l’auteur m’a surprise par son érudition et sa réflexion. Dit comme ça on s’attend à un livre soporifique et bien absolument pas.



J’ai tout d’abord était perplexe devant la quantité d’informations qui semblent complètement éparses au début du récit, avant de me rendre compte que tout finissait par s’articuler comme une horlogerie de précision. L’auteur fait des digressions, nous abreuve d’une cascade d’informations, fait des sauts dans le temps, … de quoi perdre n’importe quel lecteur. Pourtant tout fini par avoir du sens, même les choses qui semblent les plus inattendues ou les plus insignifiantes. Ce récit fait prendre tout son sens à la notion « d’effet papillon ». L’important c’est l’angle sous lequel on regarde les choses et Colum Mc CANN multiplie les angles de vision. Et puis il y a ces petites phrases qui reviennent tout au long du récit et qui ne cessent de gagner en consistance et de prendre du sens.



Mais pour moi la vraie force de ce livre est d’avoir ramené ce conflit à dimension humaine en nous parlant d’une histoire vraie : celle de Rami et de Bassam. Rami est Israélien, il a perdu sa fille Abir. Bassam est Palestinien, lui aussi a perdu sa fille, Smadar. Sans ce conflit qui s’enlise toutes les 2 seraient encore en vie. Ce drame est le fil rouge d’Apeirogon, et fait planer sur le récit une tristesse omniprésente. Elle en devient presque palpable. Les histoires de ces deux hommes distillées par petites touches font peser sur le lecteur ce deuil perpétuel. L’auteur choisi de ne pas nous jeter la vérité au visage dans des scènes de guerre violentes, il fait pire que cela. Il nous inocule cette peine à petite dose lentement, comme un venin qui se répand jusqu’à ressentir l’accablement et de Bassam et Rami. Le lecteur en apprend chaque fois un peu plus. Abir et Smadar deviennent de plus en plus réelles, de plus en plus vivantes grâce à tous ces petits détails du quotidien et en parallèle leur mort prend une autre dimension.



En nous racontant le quotidien de ces hommes Colum Mc CANN nous fait comprendre à quel point le tout est difficile. Ce conflit tue, rend la vie impossible aux 2 camps. Alors Rami et Bassam se battent pour y mettre fin, en racontant Abir en racontant Smadar. Deux combattants pour la paix, deux amis, deux frères. Ils mènent peut être un combat utopique mais que peuvent-ils faire d’autre ? C’est peut être une goutte d’eau dans l’océan mais si vous lisez Apeirogon monsieur Mc CANN saura vous montrer que les petits riens sont bien moins insignifiants qu’on ne le pense.
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