C’est un très beau texte, un long poème en prose pour parler d’une jeune femme dont la peinture et les dessins ont subjugué l’auteur. David Foenkinos nous fait une très belle description de la tragédie familiale, une famille de bipolaires avec des suicides multiples et un lourd secret pour Charlotte.
Il s’agit, ici aussi d’une exo fiction, l’auteur se mettant en scène lui-même, ce qui semble être à la mode pour cette rentrée littéraire 2014 (Cf. Patrick Deville et Eric Reinhardt). L’auteur intervient ici pour expliquer son attachement à Charlotte Salomon, son art mais aussi son histoire puisqu’il suit ses traces, revient sur les lieux où elle a vécu, rencontre des témoins qui l’ont côtoyée, ou leurs descendants il met ses pas dans les siens. Il y a donc un gros travail de recherche.
L’écriture est belle, il a choisi d’aller à la ligne à la fin de chaque phrase pour se laisser et nous laisser respirer, ce qui permet de ne pas se laisser submerger par l’émotion parfois. Dans les périodes difficiles, les phrases deviennent très courtes, parfois un ou deux mots, et il est même obligé de sauter des lignes tellement c’est dur : par exemple dans la scène immonde où le grand-père de Charlotte, fier de sa propre famille, vomit sa haine de la dépression mélancolique et du suicide ; en gros, c’est lui seul qui souffre, il n’a rien compris à cette maladie et il est tellement hors de lui qu’il crache la vérité sur le secret.
On s’attache à Charlotte, on sent qu’elle ne s’en sortira pas, l’auteur n’en fait jamais mystère, donc on vit chaque instant de la vie de cette artiste secrète, taiseuse, à Berlin puis en exil, probablement atteinte de la maladie elle-aussi.
David Foenkinos décrit bien les droits bafoués, l’antisémitisme, l’exclusion : Charlotte se voit peu à peu exclue de tout, surtout des Beaux Arts, où elle avait réussi à rentrer quand-même, désignée pour le premier prix, mais ne pouvant pas le recevoir car elle est juive.
On l’enferme en l’excluant, physiquement (interdiction de fréquenter certains lieux), au sein de sa famille aussi, dans l’exil et psychologiquement au niveau des sentiments, à part les moments avec Alfred son grand amour qui la nourrit intérieurement. Il y a enfermement dans la dépression, enfermement dans la ghettoïsation, l’ostracisme, les trahisons.
« Il parle d’elle de lui, et c’est l’histoire d’un monde.
C’est l’impromptu en sol bémol majeur de Schubert.
Ils sont le bémol des reclus, et le majeur des évidences ». P 114
Elle ne peut exprimer son ressenti que dans son art. La façon dont elle crée son œuvre est puissante, elle mêle peinture, dessins, textes pour raconter son histoire, pour qu’il reste quelque chose d’elle, elle s’enferme seule dans un appartement pour le faire. Elle confie son œuvre à quelqu’un de sûr en lui disant « c’est toute ma vie ». C’est une femme vraiment exceptionnelle, elle est fragile mais réussit à laisser une œuvre (qui sera reconnue par une exposition des années plus tard) afin de ne pas sombrer dans l’oubli. Cette œuvre s’appelle : « Vie ? ou Théâtre ? »
C’est un beau livre, plein de sensibilité, qui ne tombe jamais dans le pathos ; la pudeur, la dignité sont là, constamment. On connaît bien sûr le style de l’auteur, mais dans « Charlotte » il est allé beaucoup plus loin que l’empathie dont il fait preuve d’habitude, ce n’est pas le même registre que « La délicatesse » ou « Je vais mieux » où il se complaisait à parler de lui-même, à s’auto-apitoyer…
Ici, il est envoûté par la jeune femme, dont il est tombé amoureux, au travers de la peinture ; il trouve ce qu’il a toujours cherché, c’est une reconnaissance, comme s’il avait déjà vu et vécu tout cela ; et la façon de l’écrire s’impose à lui d’elle-même. Mais doit-il chercher à tout savoir sur elle ? Il a su mettre une limite à son investigation.
J’ai beaucoup aimé et ce livre rejoint les quelques élus du coup de cœur de la rentrée 2014. Encore un livre qui fait réfléchir, sur la souffrance de la maladie, de l’exil, du rejet de la haine. L’enfermement dans la maladie mentale alors qu’une Maladie bien plus grave avance, le Nazisme.
Il a reçu le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens
Note : 8,4/10
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