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Critiques de Didier Savard (25)
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Dick Hérisson, tome 4 : Le Vampire de la coste

Le Vampire de la Coste est la quatrième aventure de Dick Hérisson et sans doute la meilleure des quatre. Une synthèse réussie entre de ce qui a fait la qualité et le succès des albums précédents (enquête policière, ambiance années 30, une suspicion de fantastique, un graphisme de premier plan) et un humour léger et décalé.

1932, sur les routes du Lubéron, Jérôme Doutendieu et Dick Hérisson tombent en panne de voiture près du jolie et pittoresque village de La Coste (en vérité ce village existe et se nomme Lacoste en un seul mot).

Plusieurs jours sont nécessaires pour faire venir les pièces permettant la réparation, les deux jeunes hommes font du tourisme et sont, évidemment, vite mêlés à une histoire glauque. Des femmes dénudées et vidées de leur sang sont retrouvées et ce ne sont que les dernières d’une liste déjà longues. Comme ils sont là par hasard et que par hasard, ils ont plusieurs jours devant eux, ils se lancent donc dans leur propre enquête en marge de celle de la police.

Ces crimes sont-ils liés au château en ruine du marquis de Sade ? Est-ce l’œuvre de l’idiot du village, soit disant descendant du divin marquis ? Ou de nostalgiques de sacrifices humains issus des temps druidiques ?

Les pistes et les hypothèses se succèdent alors que des jeunes filles scouts, campant dans les environs pourraient bien être les prochaines victimes. Les esprits s’échauffent, les envies de lynchages risquent de ne plus pouvoir se contenir.

L’intrigue concoctée par Savard est délicieuse non pas par sa crédibilité, ce n’est pas sa marque de fabrique, mais par son atmosphère étrange, son côté hommage et parodie des romans feuilletons du XIXe siècle, du théâtre Grand Guignol, des films fantastiques du Hollywood des années 1930. Tout est digéré pour en faire un pastiche très réussi. Le côté humoristique ne prend pas le pas sur l’atmosphère fait d’étrange et de mystère. Dans cette histoire, l’équilibre est parfait.

Les personnages principaux continuent d’évoluer par rapports aux premiers épisodes. Jérôme Doutendieu est de plus en plus présent et de moins en moins le faire-valoir de Dick hérisson, au contraire. Les autres personnages sont caricaturaux comme il faut dans ce genre d’histoire, du commissaire sorte de Dupont et Dupond à lui tout seul au docteur Müller en adepte du marquis de Sade (L’île noire, ça vous rappelle quelque chose ?).

Le must de cet album, ce sont les dessins de Savard. Encore une fois, il réussit des décors magnifiques : le Lubéron, le village médiéval et ses ruelles inquiétantes la nuit tombée, les ruines du château du marquis. Le tout dans des cadrages dignes du cinéma expressionniste allemand. Les personnages sont mieux rendus et plus reconnaissables, même si leur rendu très ligne claire n’est pas l’atout maître de cette BD.

Un mot aussi sur la mise en couleur de Sylvie Escudié qui a fait là un travail remarquable pour rendre cet hiver provençal, tout en nuances, criant de vérité.

Cette série doit vraiment être redécouverte par les amateurs de Bandes dessinées des années 1980 et 1990.
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Dick Hérisson, tome 3 : L'opéra maudit

Troisième épisode des aventures de Dick hérisson, l’opéra maudit monte le niveau de la série d’un cran supplémentaire dans le dessin surtout avec un scénario toujours aussi inspiré par les romans populaires du début du XXe siècle (Harry Dickson bien sur, mais aussi Gaston Leroux).

Le détective enquête sur une série de cadavres sans têtes repêchés régulièrement sur les côtes niçoises. C’est alors qu’il échoue sur une île dont le riche propriétaire, Giuseppe Zito semble être un excentrique possédant un tigre en liberté, une demeure baroque et surtout une douce folie qui lui fait regarder toutes les nuits des films mettant en scène son épouse, Irina Drakulesco, diva de l’opéra, disparue et dont il entretient un souvenir très oppressant.

De retour sur le continent, Dick et son ami Jérôme Doutendieu assistent à la représentation de Turandot à la radio qui est interrompu par un accident, la mort par décapitation d’un des acteurs, en plein spectacle. Accident ? Lien avec les corps repêchés ? Meurtre ?

Les deux compagnons vont donc poursuivrent l’enquête dans ce milieu de l’opéra et sur celui, maudit entre tous de Turandot. On nage alors en plein mystère dans ce milieu de l’art lyrique niçois alors que le carnaval, beaucoup plus populaire, brouille les cartes.

La découverte du coupable n’est pas l’atout maître de ce volume, même si le final apporte son lot de surprise et de suspense.

Les points forts sont surtout en premier lieu une atmosphère incroyable qui se dégage des dessins et des décors, des scènes d’action et des personnages.

Les scènes initiales sur l’île s’inspirent du cinéma expressionniste allemand et sont d’une grande force, les nuits niçoises, le décor de l’opéra, la poursuite au moment du carnaval et dans les rues de la vieille ville, ou sur la corniche sont des hommages à Hitchcock chez qui le suspense se conjuguait avec la beauté des scènes et des paysages et des personnages à qui on pouvait s’identifier.

On est vraiment happé par ces dessins et cette histoire qui va à cent à l’heure. Dans cette troisième aventure, on n’a pas le temps de respirer. C’est du roman feuilleton à énigme. Ce n’est pas réaliste, mais c’est très efficace.

Les dessins mi ligne claire (pour certains personnages), mi semi réalistes pour les décors notamment, avec des couleurs lumineuses qui rendent parfaitement la douceur des hivers niçois soutient une histoire savoureuse qui se déguste comme un petit plaisir coupable.

Je perçois aussi une évolution dans le duo de personnages principaux. Doutendieu prend plus de place. Hérisson est moins sur de lui, moins Harry Dickson ou Sherlock Holmes. Ce rééquilibrage est une réussite. Espérons qu’elle perdurera dans les albums suivants.

Un bel opus d’une belle série qui mérite vraiment d’être redécouverte !
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Dick Hérisson, tome 2 : Les Voleurs d'oreilles

Deuxième aventure de Dick Hérisson, les voleurs d’oreilles remet en scène le détective et son ami journaliste Jérôme Doutendieu pour une nouvelle enquête dans la ville d’Arles.

Huit crimes ensanglantent la ville. La particularité des victimes : on leur a tranché l’oreille gauche. Arles ! une oreille coupée ! Ça vous dit quelque chose ? Oui ? Non ? Qu’importe après tout ! Notre duo de détectives se met en chasse de ce tueur en série avant l’heure d’une espèce un peu particulière. Un rejeton d’une riche famille du coin , troublé mentalement, pourrait faire figure de bouc émissaire mais sa mère aimerait que l’enquête s’oriente vers les étrangers ou les gens du voyage. Toutefois, Dick Hérisson et Doutendieu semblent plutôt s’intéresser au passé récent de la ville et notamment son lien avec un peintre alors inconnu qui est devenu célèbre.

Encore une fois Savard réussit à installer une atmosphère et une ambiance où l’on aime se perdre. Cette intrigue policière se déroulant à Arles dans les années 1930 semblent d’abord classique puis glisse vers quelque chose d’originale dans sa conclusion dont je ne dirai rien. On adhère ou pas !

Mais en lisant cet album on est plongé aussi dans le contexte social de l’époque avec ses préjugés raciaux, sociaux, médicaux. On y voit l’influence encore forte de la religion et le rôle du prêtre prononçant avec emphase que « Satan est une femme » !

Les dessins, dans une pure tradition ligne claire pourraient surprendre de prime abord, mais ils sont en phase totale avec le scénario. Savard réalise des décors détaillés, qui jouent un rôle important dans le déroulé de l’intrigue. Comme le dit Presence dans sa critique. Cette histoire là ne pouvait se dérouler qu’à Arles et nulle part ailleurs et la ville et ses habitants sont des acteurs de la résolution des crimes.

Une BD plutôt agréable à lire et qui donne envie de continuer les aventures de Dick Hérisson.
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Dick Hérisson, tome 1 : L'ombre du torero

L’ombre du torero est la première aventure de Dick Hérisson, détective de Bande dessinée créée par Didier Savard au début des années 1980. Comme son nom l’indique, le personnage est inspiré par Harry Dickson, le détective privé rendu célèbre par Jean Ray dans les années 1930.

L’ombre du Torero débute en 1929 en Camargue. Un médecin est retrouvé mort sur la route. D’après les premières conclusions il est mort de peur. Le détective Dick Hérisson, présent sur place remarque des traces de taureau. Le médecin était un familier d’une noble famille des environs et détective et policier se rendent sur place. Les membres de la famille du baron de Segonnaux sont les derniers à l’avoir vu vivant. Alors que Dick Hérisson mentionne les traces de taureau, le baron, sa fille et son gendre se troublent mais on n’en sait pas plus.

Dick Hérisson rencontre alors l’un de ses amis, Jérôme Doutendieu, journaliste au Petit Provençal, qui va devenir son acolyte tout au long de la série. Ensemble, ils vont pousser l’enquête pour apprendre que la fille du Baron connaissait le médecin depuis longtemps, qu’elle était mariée à un torero sans le consentement de son père et que le torero étant mort dans l’arène, elle s’est ensuite remarié avec le candidat que son père lui a choisi. Depuis, elle vit au bord de la folie, persuadée que son ex mari n’est pas mort. Mais peut-être est-ce lui le coupable, ou bien son fantôme ?

Savard nous concocte une intrigue policière très classique et linéaire, mais avec des éléments fantastiques et des ramifications dans le passé des personnages en s’inspirant du chien des Baskerville et de Harry Dickson dont les histoires flirtaient souvent avec le surnaturel. Mais classique et linéaire ne veut pas dire ennuyeuse, au contraire. L’ambiance années 30, la Camargue de Van Gogh, les Baux de Provence, la visite des cimetières la nuit créent une atmosphère délicieuse. Et l’intrigue tient la route jusqu’à sa résolution finale.

Les deux personnages principaux qui forment un tandem plutôt réussi sont assez crédibles. Dick Hérisson n’est pas infaillible et son ami n’est pas un faire-valoir, au contraire, c’est lui, qui, à certains moments, fait avancer l’enquête.

Les dessins de Savard, très ligne claire sont plutôt plaisant à suivre et permettent une lecture dynamique. Une sorte de mélange entre le Tardi d’Adèle Blanc sec et Edgar P. Jacobs. Savard excellent surtout dans certains décors et dans certaines ambiances.

Le petit plus, ce sont les multiples références à d’autres œuvres de la culture populaire, Tintin, Blake et Mortimer, Alfred Hitchcock, Tardi, Gaston Leroux, le cinéma expressionniste allemand et j’en passe (Repérez Groucho Marx dans une case!). Il faut faire attention et sans doute plusieurs lectures pour toutes les voir.

Une première aventure des plus réussie qui augure donc d’une série policière à la limite du fantastique dans la France (la Provence surtout) des années 1930 de très bonne qualité.

Vivement une nouvelle aventure !
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Leonid Beaudragon, tome 1 : Le fantôme du Mand..

Une BD qui m'a laissé un sentiment particulier. D'un côté, c'est l'une des oeuvres les plus drôles que je n'ai jamais lu ; mais de l'autre, ce qui s'annonçait comme le début glorieux d'une série débordante d'humour et d'imagination c'est in fine révélé une prouesse sans lendemain suivie de seulement deux tomes largement en deçà.



Triste. Il y avait un humour fou dans ce détective du surnaturel complètement à l'ouest confronté à un guerrier mandchou du Moyen-Age ayant décidé de venir hanter un immeuble haussmannien de la banlieue parisienne. La brochette de clients venue acheter l'immeuble valait son pesant de riz cantonnais, et l'explication finale était perchée comme un bateau sur la Mer de Glace. Et bien sûr, c'était la fidèle assistante du détective qui rattrapait régulièrement le coup.



Le dessin, au style assez caricatural et aux couleurs vives, pas forcément ma tasse de Souchong, avait l'avantage de présenter un excellent sens du mouvement et un art de la composition encore meilleur. Il y avait donc un sacré potentiel ; on ne peut que regretter qu'il n'ait pas été exploité plus avant.
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Dick Hérisson - Intégrale, Tome 2

Après avoir découvert un peu tardivement cette série avec le 1er tome de l'intégrale, je continue tout naturellement avec le tome 2.

Ce volume rassemble les albums 6 à 10, le 11 n'y figure pas, car Savard n'a malheureusement pas pu terminer la deuxième partie de cette aventure.



Dick Hérisson enquête sur des mystères à la lisière du fantastique, disons plutôt qu'il évolue dans des environnements étranges et des ambiances insolites.



Les aventures se situent dans les années 1930 surtout dans le sud de la France et plus particulièrement Arles et sa région.



Didier Savard ne cache pas ses influences, Hergé, Jacobs, pour le dessin et des auteurs comme Gaston Leroux et jean Ray pour les scénarii.

Il leur rend d'ailleurs hommage avec des petites références plus ou moins directes ; ici un élément de décor tiré d'un Tintin, là Leroux clairement cité...



Côté graphisme, nous sommes en pleine ligne claire, les décors très fouillés rappellent parfois ceux d'albums d'auteurs cités plus haut.



Une lecture nostalgique et référentielle hautement recommandable.
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Dick Hérisson - Intégrale, Tome 1

Créé par Didier Savard, Dick Hérisson est un détective parisien qui enquête sur des mystères frisant parfois le surnaturel. Aidé de son ami journaliste Jérôme il évolue dans les années 1930 dans le sud de la France...



Ce volume rassemble les cinq premiers albums de la série, si vous aimez l'ambiance des aventures de Rouletabille et d'Harry Dickson (le nom du héros est un hommage évident), la ligne claire et Hergé cette série a toutes les chances de vous plaire..!



Une BD de qualité, bourrée de clins d'oeil, qui mérite de passer à la postérité du genre !
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Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 7 : Le Tombeau d'Absalom (1996) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 1998. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 2 : qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 48 planches de bande dessinée.



En 1933, la nuit à Paris, Dick Hérisson traverse le pont Royal à pied. Il est agressé par derrière par un individu qui essaye de la pousser par-dessus le parapet. Hérisson se défend et profite de l'élan de son agresseur pour le faire basculer par-dessus le parapet à sa place. Puis Hérisson enjambe à son tour le parapet et se jette dans la Seine pour aller secourir son agresseur. Il le ramène sur la berge. Son agresseur lui demande pour quelle raison il l'a sauvé. Hérisson lui propose d'aller prendre un grog dans un café pour qu'ils s'expliquent. Une fois qu'ils sont attablés devant une boisson chaude, la discussion commence. L'agresseur demande à Dick Hérisson de se souvenir d'Arles en avril 1925. Le détective se souvient tout de suite : Marcel Derval, un acteur qui s'était pendu, et il en déduit que son agresseur est son fils. Il a été condamné à huit ans de prison pour faux témoignage. Le fils lui déclare qu'il sait qu'il ne s'agissait pas d'un suicide mais d'un meurtre. Il demande à Dick Hérisson de l'accompagner à Arles pour reprendre l'enquête et ainsi laver la mémoire de son père. Hérisson accepte de partir d'ici quelques jours.



Quelques jours plus tard, Marie-Rose Poux, la concierge, vient toquer à la porte de Dick Hérisson pour lui apporter une missive. Le docteur Voraz souhaiterait s'entretenir avec le détective dans son pavillon du Vésinet, le mercredi suivant. Le détective s'y rend et traverse un beau parc pour arriver jusqu'au perron de la belle demeure. Un domestique le fait entrer et l'amène jusqu'au salon où l'attend le docteur Voraz dans son fauteuil roulant. Il lui explique qu'il s'est disputé avec sa fille Huguette Pipélot (qui se fait Violette Duparc en tant qu'actrice) il y a quelques années et qu'elle lui écrivait quand même une lettre chaque année pour Noël. Or il n'a rien reçu cette année. Voraz fait appel à lui car elle a disparu dans la région d'Arles. Dick Hérisson accepte en l'informant qu'il allait se rendre dans cette région, curieuse coïncidence. Le docteur Voraz confie, à Hérisson, la dernière carte postale qu'il a reçue : Violette Duparc y évoque un tournage dans la région d'Arles, pour un film réalisé par le cinéaste John Carr, où elle interprète le rôle de Blanche Neige. Dick Hérisson prend congé et traverse à nouveau le parc en se faisant la réflexion que Tom Carr est le même cinéaste que celui avec lequel tournait Marcel Derval, étrange coïncidence. Le lendemain Dick Hérisson est dans le train avec le fils Derval et ce dernier lui fait lire des extraits du journal intime de son père dans lequel il est question du tournage du film Blanche Neige dont Tom Carr a dû modifier la dernière scène car l'acteur principal a été retrouvé pendu.



Didier Savard capte tout de suite l'attention de son lecteur avec un début peu banal : Dick Hérisson sauve son agresseur, et le lecteur peut apprécier l'architecture et la texture du pont Royal, ainsi que l'escalier permettant d'accéder à la berge et l'ambiance du bistrot parisien. Le personnage principal est tout de suite mis en porte à faux puisque ses déductions ont conduit à laisser filer un assassin et à entacher le souvenir d'un homme avec un suicide, alors qu'en fait il a probablement été assassiné. La deuxième séquence est tout aussi déstabilisante. Le parc du pavillon est magnifique sous la neige, et c'est en fait une construction à deux étages, avec une très belle architecture. L'intérieur est tout aussi impressionnant avec les hauts plafonds : l'entrée avec son escalier intérieur et son plafond correspondant à celui du premier étage, et la bibliothèque avec ses rayonnages et son plafond correspondant également à celui du premier étage. Les contrastes continuent puisqu'après la neige de la banlieue parisienne, succède un soleil d'hiver du Sud, avec une petite maison située sur le bord du canal du Rhône. Le lecteur constate le fouillis sur le sol, el placard défoncé, les cambrioleurs s'étant énervés au fur et à mesure qu'ils ne trouvaient ce qu'ils étaient venus chercher.



Alors qu'il pensait avoir anticipé à quoi s'attendre, le lecteur se rend compte que l'auteur le déstabilise avec chaque nouvelle scène. Didier Savard est toujours soigneux dans sa représentation des architectures et des lieux : le pont Royal à Paris, le canal du Rhône, la cuisine d'un petit pavillon, les magnifiques Baux de Provence, la superbe villa du réalisateur Tom Carr, quelques rues d'Arles. Il détoure les formes d'un trait précis, avec de minuscules variations dans l'épaisseur du trait, de rares traits non jointifs qui apportent les petites irrégularités de la réalité, de l'impression de profondeur et d'épaisseur. Il emmène également le lecteur dans des lieux moins attendus que ce soit une fête foraine dont les monstres de foire font penser à un hommage au film Freaks (1932, La monstrueuse parade) de Tod Browning, ou encore une étonnante maison perdue dans les bois, avec sept chaises minuscules et sept lits minuscules. Par rapport au début de la série, l'artiste se montre plus minutieux dans la représentation des décors intérieurs comme extérieurs, avec plus de traits pour en figurer les particularités. Il apporte le même soin aux costumes des personnages, avec une représentation plus légère pour ceux de Hérisson et Doutendieu. Comme d'habitude, les visages sont dessinés de manière plus simplifiée : parfois un simple trait vertical pour les yeux d'Hérisson ou Doutendieu, ainsi que pour leur bouche. Par contre, les autres personnages ont droit à des gueules plus marquées : le menton pointu du fils Derval et sa chevelure clairsemée, la bouille ronde de la concierge, la petite moustache et le galurin de l'inspecteur à la retraite sans oublier ses bretelles, la trogne de l'homme chien et sa pilosité, le regard habité par une forme de folie de Tom Carr.



L'auteur le déstabilise également avec la progression de l'intrigue. Ce n'est pas la première fois que les compétences de détective de Dick Hérisson sont remises en cause, mais c'est la première qu'elles le sont d'entrée de jeu. Ensuite, le lecteur tique un peu sur la coïncidence bien pratique qui fait qu'il est chargé de deux enquêtes en même temps, qui se trouvent dans la même région, et dont il s'avère dès la planche 7 qu'elles sont liées. Il est également bien pratique que le cirque soit en ville juste comme Hérisson & Doutendieu souhaitent interroger un de ses monstres. D'un autre côté, c'est aussi un outil narratif classique dans beaucoup de genres d'histoire à commencer par les histoires policières, donc le lecteur accorde le petit plus de suspension d'incrédulité consentie sans faire de difficulté. Aussi il apprécie l'évocation légère des débuts du cinéma avec des acteurs à la personnalité bizarre et à la vie bohème, et les Baux de Provence sont vraiment superbes. Lorsqu'Hérisson et Doutendieu découvrent le mobilier miniature, le lecteur se dit que l'auteur a souhaité intégrer une composante fantastique dans son récit. Le fait de réaliser des films sur la base de contes fait penser à Blanche Neige, mais aussi à Boucle d'Or. Il se produit alors une forme de mise en abîme qui se trouve renforcée lors de l'entretien avec le réalisateur Tom Carr déjà bien parti dans sa tête, enivré par sa capacité à créer une réalité dans ses films. Le lecteur se rend également compte qu'il ne sait plus très bien où il en est entre le meurtre déguisé en suicide de Marcel Duval, la disparition de Violette Duparc, et l'esprit dérangé de Tom Carr. Il sourit en se disant qu'au moins il a reconnu son nom d'emprunt : Atom Karaboudjan, un hommage à un album de Tintin.



Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises. Didier Savard donne l'impression d'utiliser des rebondissements prêts à l'emploi, des stéréotypes du genre policier, entre les suspects trop bizarres, les meurtres en série désignant clairement un coupable, les indices faisant penser au surnaturel. L'auteur a déjà prouver sa maîtriser des codes de l'enquête policière et le lecteur sait qu'il peut le mener par le bout du nez à sa guise, vers un dénouement aussi bien prosaïque, ou aussi bien fantastique. Cet usage élégant des conventions du roman policier va quasiment jusqu'à faire sortir le lecteur de l'histoire quand un personnage enlève d'un grand geste le masque qu'il portait sur son visage pour révéler sa véritable identité, dissimulée en dessous. C'est trop gros, trop grotesque, trop théâtral. D'un autre côté, il continue à rendre plaisir à visiter des lieux pleins de caractère (la bibliothèque poussiéreuse de l'association des amis du vieil Arles par exemple), et à s'amuser des rebondissements. Il se rend également compte que l'intrigue court sur le thème de la création, ou plutôt de la réalisation d'un récit, de la volonté du réalisateur de donner forme à ses visions, ce qui crée un écho avec le fait que Didier Savard donne lui à voir le récit qu'il a en tête. En fonction de ses attentes, le lecteur appréciera plus ou moins le dénouement très abrupt.



Au fur et à mesure de l'avancée de la série, la narration de Didier Savard devient plus personnelle, à la fois un plaisir évident de montrer et de représenter des lieux dont il apprécie la beauté, à la fois un jeu sur les conventions du polar. Le lecteur se prête bien volontiers à ce jeu, doublé d'un autre jeu sur l'art de donner corps à des histoires.
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Dick Hérisson, tome 9 : Le 7ème cri

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu (1998) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 2000. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 2 : qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 46 planches de bande dessinée.



Dans les années 1930, au muséum d'histoire naturelle de Paris, le conservateur Abel Glansec finit d'écrire une lettre adressée au directeur du muséum. Il la met dans une enveloppe, et la pose en évidence sous un crâne sur son bureau. Il sort en prenant son chapeau, ne répond pas à ses collègues qui le salue, et se rend au zoo, devant la fosse aux ours. Il retire posément sa blouse, enjambe le parapet et saute dans la fosse où il est dévoré par deux ours. Le lendemain, Dick Hérisson prend le train et lit le gros titre de la une du journal qu'est en train de lire le voyageur assis en face de lui : un suicide peu ordinaire, avec une représentation d'artiste de Glansec dans les pattes d'un ours. La conversation s'engage et le monsieur demande au détective s'il a déjà entendu parler de l'expédition Schnapsberg - Malhet. Il s'en souvient : une expédition au Tibet. Son interlocuteur lui rappelle que tous les membres de l'expédition ont échappé de peu à la mort : Auguste-Philippe Pincechat avec un cancer, Glansec seul rescapé du déraillement du Paris-Brest. Hérisson ajoute que son ami Félix Langoulvent a survécu par miracle après avoir été laissé pour mort par des bandits mexicains. Le monsieur ajoute que Malhet lui-même se faisait sauter la cervelle l'an dernier. Le train s'arrête à Kerpolic, et Dick Hérisson prend congé car il descend là.



Dick Hérisson se retrouve sur le quai de la gare de Kerpolic et constate que son ami Langoulvent n'est pas venu le chercher. Il hèle un employé et lui demande où il peut trouver un taxi. La réponse : il n'y en a pas, Dick Hérisson est bon pour marcher jusqu'à Crech'Morloc, une heure à pied à travers la lande, en suivant bien le chemin. Il suit bien le sentier comme recommandé, mais il arrive à une bifurcation sans indication. Il se fit à son sens de l'orientation et entend bientôt un gémissement bizarre. Il se rend compte en contournant un rocher qu'il s'agit d'un marin, Alcibiade Le Goulec, qui joue de la cornemuse. Le marin le rassure : Crech'Morloc se trouve juste derrière la dune, par contre Hérisson va devoir passer la nuit à l'auberge car le manoir se trouve de l'autre côté d'un bras de mer et n'est accessible qu'à marée basse. Dick Hérisson va prendre une chambre à l'auberge du Crabe Vert en se recommandant de Le Goulec. Alors qu'il fume sa pipe à la fenêtre, la femme de chambre accorte lui apporte une tisane, offerte par la maison. La nuit, Dick Hérisson est tiré de son sommeil par un gémissement insistant. Il se lève et descend voir au rez-de-chaussée. Dans une chambre, il observe une scène étrange : 5 personnes en habit de deuil autour d'un lit. Dans le lit, se trouve une femme qui émet le gémissement. Bientôt une sorte d'ectoplasme sort de sa bouche et il se forme une image : un homme court sur la lande, vers un phare. Hérisson le reconnaît : il s'agit de Langoulvent.



Didier Savard maîtrise l'art de la séquence introductive à la perfection : un beau plan d'ensemble sur la façade du muséum d'histoire naturelle de Paris, une première planche muette, deux bulles de dialogues dans la case supérieure de la deuxième page, et à nouveau des cases muettes pour les planches 2 & 3. Le lecteur retrouve sa minutie dans le rendu des bâtiments : l'exactitude avec les bâtiments et statues existants, la taille et la granulosité de la pierre. Par la suite, il peut admirer de la même manière une petite gare de province (à Kerpolic) déserte et plus vraie que nature, un beau château en Bretagne avec sa grille d'entrée en fer forgé et son propre phare, ka somptueuse demeure des Malhet et son domaine, une église à Arles, l'un des musées de Marseille, des bâtiments industriels d'une usine de fabrication de locomotive. Planche 23, il découvre une petite case correspondant à une vue du ciel partielle d'Arles, avec les arènes au premier plan, attestant de l'investissement de l'artiste pour donner à voir les différents lieux. Les décors intérieurs sont tout aussi soignés : l'aménagement du bureau d'Abel Glansec, la chambre de l'auberge du Crabe Vert, le salon du château de Langoulvent, l'institut médico-légal de Saint-Brieuc, le salon du château des Malhet avec sa belle bibliothèque, son hall d'entrée avec une arche et un très bel escalier avec sa rampe en fer forgé, les piliers et les arches de l'église fréquentée par Axel Malhet, l'intérieur plus simple de la maison de Jérôme Doutendieu, le spacieux bureau de Léon Malhet dans les locaux de l'usine de locomotive. Pour ce bédéaste, les lieux ont une histoire et une importance primordiale dans le déroulement du récit, et il apporte un soin remarquable à les décrire pour leur donner de la consistance.



Cette séquence introductive toute en image installe également tout de suite le mystère : un suicide inexpliqué, effectué par un individu quadragénaire, très posé, très calme, très méthodique absolument pas sous l'emprise de l'émotion. Découvrant la planche 4, le lecteur pense immédiatement la première planche de l'album Les 7 boules de cristal de Tintin, avec la discussion sur le retour des membres d'une expédition au Pérou et du mal qui les frappe. Dès le début, le scénariste joue avec son lecteur : membres d'une expédition dans une contrée éloignée qui sont frappés d'une malédiction, bruits bizarres sur la lande bretonne la nuit, cauchemar prémonitoire, étrange transformation d'une jeune femme de chambre accorte le soir en une quadragénaire replète le matin, décomposition anormalement rapide des cadavres des suicidés, et une expédition dont les membres ont dû être recueillis par des moines tibétains pratiquant le chamanisme. C'est l'habitude de la série : introduire une touche fantastique plus ou moins plausible, mais en tous les cas raccord avec la référence aux aventures d'Harry Dickson et avec l'esprit des romans d'aventures de l'époque. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut choisir de prendre cette approche pour de la dérision respectueuse, ou de se prêter au jeu d'y croire. Il constate que comme à son habitude Didier Savard prend plaisir à installer un climat étrange à la saveur surnaturelle, Hérisson et Doutendieu ne sachant pas trop sur quel pied danser, ce qui fait hésiter le lecteur quant à l'attitude à adopter, premier ou second degré. Il remarque aussi que l'auteur ne se sent pas tenu de tout expliquer, en l'occurrence la décomposition accélérée des cadavres.



Le lecteur prend également grand plaisir à observer les personnages, leurs postures, leurs expressions. Après le calme imperturbable d'Abel Glansec, il regarde les expressions blasées de l'interlocuteur d'Hérisson dans le compartiment, visiblement un individu sûr de ses conclusions, l'étonnement d'Hérisson sur la lande en entendant ce bruit inquiétant, le flegme de la serveuse de l'auberge (se déplaçant en charentaises), l'entrain de Jérôme Doutendieu en train de réfléchir aux informations dont ils disposent avec Hérisson, la gentillesse assurée de Véra Malhet, la prévenance polie de Léon Malhet, l'imperturbabilité d'Axel Malhet visiblement plus dans son monde que dans la réalité. L'artiste décrit des adultes se comportant comme tels, avec une personnalité bien affirmée. Au fur et à mesure que l'enquête progresse, l'auteur surprend régulièrement son lecteur avec des images qui sortent de l'ordinaire : la ménagerie du muséum d'histoire naturelle, les cinq personnes vêtues de noir autour du lit d'une femme allongée dont une matière ectoplasmique sort de la bouche, la chute lente du cadavre assis sur le banc du jardin du Luxembourg, le rassemblement pour l'allocution politique de Léon Malhet, etc.



S'il a commencé la série avec le premier tome, le lecteur sait qu'il n'a pas grand espoir de trouver le coupable avant Hérisson & Doutendieu. Il se laisse donc porter par leur enquête : discussions avec les personnes concernées, nouveau suicide, découverte des liens entre les personnages, et une ou deux morts supplémentaires. Depuis le tome 6, il a remarqué que Dick Hérisson n'est pas un si bon détective que ça : il peut se tromper complètement, ou se faire mener en bateau. La remise en question de ses compétences par le lecteur atteint un autre niveau au cours de l'histoire. Hérisson ne fait pas le lien par lui-même entre les différents morts et l'expédition sur les plateaux de Kaddesh dans le désert de Golög : il faut que ce soit Doutendieu qui lui dise. C'est encore Doutendieu qui remarque l'indice déterminant pour trouver le coupable, en planche 35. Sans avoir l'air de rien, Didier Savard sape la figure du détective, en faisant en sorte que finalement Dick Hérisson se contente d'aller voir les personnes intéressées et de leur poser des questions, mais que le vrai travail de déduction est effectué par Jérôme Doutendieu. Ce qui pouvait s'apparenter au hasard des avancées de l'enquête dans les tomes précédents devient une évidence dans celui-ci.



À nouveau Didier Savard reprend les conventions narratives des aventures d'Harry Dickson et de la littérature de ce genre à cette époque, pour les faire siens et raconter une enquête teintée d'un parfum de surnaturel. S'il se prête au jeu, le lecteur prend grand plaisir à cette possibilité d'une malédiction en provenance d'un pays mystérieux dans les années 1930, propice à enflammer l'imaginaire. Il peut se projeter dans des lieux consistants et spécifiques. S'il y prête attention, il se rend compte que l'auteur se montre subtilement facétieux envers son personnage principal, et donc avec les conventions du roman policier.
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Dick Hérisson, tome 7 : Le Tombeau d'Absalom

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 6 : Frères de cendres (1994) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 1996. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 2 : qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 50 planches de bande dessinée.



À Arles, la femme de ménage entre dans le musée Réattu (10 route du Grand Prieuré). Arrivée dans une des salles d'exposition, elle pousse un cri interminable. La police arrive sur les lieux quelques temps plus tard et le commissaire Caragnoux examine le cadavre découvert par la femme de ménage, avec 2 de ses hommes. Dick Hérisson & Jérôme Doutendieu arrivent eux aussi dans le musée. La victime a eu le crâne fendu en deux comme un melon, d'un coup de hache, comme la scène biblique représentée sur le tableau sur le mur. Il y a même des traces de sang sur le tableau. Henri Mortaille, le conservateur, vient se présenter au commissaire Caragnoux, estimant qu'il n'aurait jamais dû exposer le tableau. Il s'agit d'une œuvre réalisée par le peintre italien Arminius Valdo. Le commissaire, le détective et le journaliste sortent et dans la rue, Caragoux leur montre le papier qui a été retrouvé dans les poches de la victime. Il y est mentionné trois endroits où se trouve une œuvre de Valdo : une au musée de Réattu à Arles, une au Musée des Beaux-Arts à Nîmes, et une chez un collectionneur Léonid van der Houten à Nice. Hérisson & Doutendieu décident de se rendre au musée de Nîmes. Ils font le tour des salles d'exposition et finissent par trouver la place du tableau Martyre de Saint-Sébastien, d'Arminius Valdo (1502-1568), mais le tableau n'est pas accroché. Ils vont trouver le conservateur et exige de savoir ce qu'il est advenu du tableau. Il les emmène à l'atelier de restauration et ils découvrent Borniolles mort, transpercé de flèches.



Suite à cette découverte macabre, Hérisson décide d'appeler monsieur van der Houten et il lui explique qu'il n'est pas fou mais qu'il faut qu'il s'éloigne immédiatement de son tableau de Valdo. Effectivement le collectionneur le prend pour un fou, mais son corps est retrouvé décapité par la femme de ménage le lendemain. Dick Hérisson & Jérôme Doutendieu décident de rendre visite à Henri Mortaille pour qu'il leur en dise plus sur ce peintre italien. Il retrace la vie mouvementée d'un artiste accusé d'hérésie à la fin de sa vie, mort en maudissant ceux qui approcheraient de ses tableaux, dont les œuvres et les biens ont été confisqués par l'état. Hérisson lui demande s'il croit vraiment à la malédiction de Valdo. Il répond qu'il n'y croit pas mais que trois personnes ont déjà été retrouvées assassinées à côté d'un de ses tableaux. Dick Hérisson se dit qu'il faut contacter au plus vite les autres possesseurs d'une de ses toiles. Henri Mortaille accepte d'insérer un article dans la presse annonçant que le musée Réattu va organiser une rétrospective de l'artiste. Quelques jours plus tard, un antiquaire de Tréguier (dans les Côtes-d'Armor) se fait connaître. Hérisson & Doutendieu décident d'aller le voir. Ils arrivent alors que l'antiquaire vient juste de vendre le tableau.



Le tome précédent racontait une enquête dans laquelle Hérisson & Doutendieu avaient toujours un train de retard avec une fin très noire. Ce tome commence comme d'habitude à Arles avec une série de meurtres atroces avec une mise en scène macabre. Dans la première page, le lecteur peut admirer une partie des quais de la ville avec le Rhône au premier plan dans une case de la largeur de la page qui transmet l'impression de longueur à la fois pour le fleuve et pour le musée Réattu. Le lecteur peut compter sur l'artiste pour montrer des éléments urbains et architecturaux fidèles à la réalité : l'intérieur et l'extérieur du musée Réattu, pareil pour le musée des Beaux-Arts de Nîmes, la gare, l'église et les rues de Tréguier (chef-lieu de canton du département des Côtes-d'Armor), le splendide manoir de la famille Kercroix avec son cellier, son caveau et la crypte souterraine, ou encore un vieil hôtel désolé au bord de l'océan. L'artiste est passé maître dans l'art de reproduire fidèlement ces bâtiments, de les détourer avec un trait modulé qui rend compte des irrégularités des contours, avec de courts traits à l'intérieur figurant la texture des matériaux de construction et de finition, faisant montre d'un savoir-faire digne d'EP Jacobs et de Jacques Martin. Le lecteur voyage ainsi dans des lieux où il peut laisser son regard s'imprégner des détails, s'y projeter.



Comme à son habitude, Didier Savard reprend les artifices des romans policiers du début du vingtième siècle avec des assassinats dont la mise en scène sensationnelle, macabre et sordide laisse supposer qu'ils sont l'œuvre d'un esprit dérangé : un crâne éclaté par une hache, un individu décapité, un corps fiché dans un pilier en bois à l'aide de flèches, un homme mort noyé surpris par une marée galopante. Il ne s'agit pas d'une bande dessinée gore pour autant, car les dessins ne montrent pas les blessures et les plaies en gros plan. Au contraire, Savard recouvre le premier corps d'une bâche, le second est montré en plan large dans son atelier, l'œil du lecteur étant plus attiré par les nombreux outils du restaurateur, le dessin du troisième ne montre pas la tête tranchée, ni même le cou sectionné. Il attire plutôt l'attention du lecteur sur la mise en scène en montrant les tableaux dont s'inspire le crime : le martyre de Saint Sébastien, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste. Cet élément rehausse le caractère sensationnel des meurtres, propre à marquer les esprits. Planche 9, Hérisson & Doutendieu sont assis dans le bureau du conservateur adjoint Henri mortaille et l'écoutent raconter l'histoire du peintre fictif Aminius Valdo (1502-1568), l'auteur développant l'aspect historique de son récit avec cet artiste ayant vécu au temps de la Réforme. Le lecteur se laisse entraîner avec plaisir dans cette enquête évoquant celles de Harry Dickson (un détective américain recréé par Jean Ray, de son vrai nom Raymond Jean Marie De Kremer, 1887-1964).



Le lecteur apprécie également que Didier Savard ne reste pas dans l'hommage basique, reprenant un personnage en lui changeant juste de nom. À nouveau dans ce tome, Dick Hérisson est un archétype de détective privé sans beaucoup d'autre personnalité que d'être posé, capable de passer à l'action et de faire des déductions. Il en va de même pour Jérôme Doutendieu. L'auteur ne dit rien sur leur vie privée, sur leurs convictions, sur la manière dont s'est développée leur amitié. Il leur a imaginé une apparence facile à mémoriser. Ils changent de vêtements en fonction du temps et du moment de la journée, mais ils ne font pas l'objet d'une étude de caractère, et ils n'évoluent pas d'une enquête à la suivante. Après coup, le lecteur se rend compte qu'il ne peut pas non plus les qualifier de héros d'action car finalement ils ne tirent pas de coup de feu, ils ne se battent pas, ils ne courent même pas. Si les deux personnages principaux restent assez monolithiques, les personnages spécifiques au récit ont une apparence plus marquée, parfois teintée d'une touche légère de caricature. Henri Mortaille est un petit monsieur dont le visage porte la marque de l'inquiétude permanente. Mathilde est une belle jeune femme, bien habillée, sans ostentation, s'étonnant avec élégance, un peu en retrait, laissant les hommes mener les discussions et les actions. Savard les anime d'émotion sans les ridiculiser, les rendant plausibles et concrets.



Alors que l'enquête progresse, le lecteur apprécie l'humour discret de Didier Savard. Planche 16, Mathilde Kercroix écorche le nom de Doutendieu, comme pouvait le faire Bianca Castafiore avec celui d'Archibald Haddock. Elle l'appelle Espérendieu, ce qui confirme la référence au personnage de Robert Espérandieu dans Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec de Jacques Tardi. L'inspecteur Caragnoux indique à Doutendieu qu'il espère bien que le journaliste ne donnera pas dans le titre racoleur et sensationnaliste (genre : les tableaux qui tuent) et les circonstances font qu'il le fait. Quelques expressions de visage prêtent également à sourire : un policier peu commode (planche 34), des usagers d'une bibliothèque agacés par la voix trop forte de Doutendieu (planche 36), le criminel confronté à l'absence de trésor (planche 42). L'enquête se déroule de manière fort agréable, Didier Savard alliant avec élégance les moments incongrus et inquiétants (les cadavres, la voiture recouverte par les flots, l'hôtel déserté), avec de très beaux paysages (la chaussée pavée à demi immergée par les flots, la promenade dans l'immense parc du manoir des Kercroix, la marche sur la lande rocheuse pour rejoindre l'hôtel, la découverte du caveau sous le mausolée).



Ce tome propose une nouvelle aventure du détective Dick Hérisson et de son ami journaliste Jérôme Doutendieu, archétypes de héros enquêteurs confrontés à des crimes commis selon un mode opératoire à sensation. Didier Savard est un auteur complet, emmenant son lecteur dans des endroits réels et superbement montrés, pour une enquête bien fournie qui repose sur les mystères plus que sur l'action. Un récit de genre qui en maîtrise toutes les conventions et qui rend hommage à ses inspirations de manière intelligente sans être servile.
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Dick Hérisson, tome 6 : Frères de cendres

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 5 : La Conspiration des poissonniers (1993) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. La première édition date de 1994. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 2 : qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié. Il compte 46 planches de bande dessinée.



Petrus Patarouste se fait conduire par son chauffeur à l'abbaye Saint Pierre de Montmajour qui est en chantier. Il vient inspecter les travaux en tant que propriétaire de l'entreprise qui les effectue. Il sort de la voiture en tenant fermement son chapeau à cause du mistral. Le chef de chantier lui annonce encore un mois de travaux : Patarouste exige que tout soit fini dans 15 jours. Un moellon descellé tombe depuis le sommet d'un mur et fracasse le crâne du chef d'entreprise. Quelque part dans un appartement, un individu ricane tout haut en apprenant la nouvelle dans le journal. Gontran Patarouste (le fils de Petrus) revient au domicile paternel pour s'occuper de l'enterrement. En pénétrant dans la chambre ou repose son père, il trouve sur le corps la photographie d'une île, avec huit allumettes tenues dessus par un bout de scotch, dont une consumée. À l'enterrement de Petrus Patarouste, le sculpteur Calixte Coudoux vient trouver César-Auguste Fouille en disant qu'il doit lui parler, car il est très inquiet de cette photographie et de ces allumettes, beaucoup moins de l'arrivée d'un détective privé dont il écorche le nom : Nick Porképic. Peu de temps après, Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu sont reçus par Gontran Patarouste qui les engage pour enquêter sur la mort de son père qu'il trouve suspecte. Ils se rendent au bar que fréquentait le défunt et écoute le barman leur en parler. Il pointe derrière lui une photographie où l'on voit Petrus Patarouste avec 6 amis.



Le soir, Pépito Dominguez se rend chez Calixte Coudoux pour évoquer les circonstances de la mort de Petrus Patarouste. Le sculpteur est persuadé qu'il s'agit d'un assassinat et qu'ils y passeront tous. Le torero est sûr que ce n'est rien. Après le départ de Dominguez, Coudoux entend du bruit dans le jardin : la balançoire est en train de grincer et dessus se trouve une bougie et la photographie d'un enfant. Le lendemain matin, Calixte Coudoux est retrouvé pendu à la balançoire : l'inspecteur Garagnoux conclut à un suicide. Dick Hérisson reste persuadé qu'il s'agit d'une série d'assassinats car Coudoux était sur la photographie du bar. Il se rend, avec Jérôme Doutendieu, aux archives du quotidien La Gazette Provençale, et ils retrouvent une copie de la photographie. Ils se demandent bien pourquoi il y avait 8 allumettes scotchées sur la photographie de l'île, alors qu'il n'y a que 7 hommes sur l'autre photographie. Le lendemain, ils vont interroger l'instituteur Bénezet Mornetoise à la sortie des classes.



En commençant un nouveau tome de cette série, le lecteur ne sait pas trop à quel genre d'aventures s'attendre. Il s'agit d'une enquête du détective Dick Hérisson, accompagné du journaliste Jérôme Doutendieu, avec des meurtres, et peut-être une composante surnaturelle ou pas du tout. La première page rappelle que Didier Savard situe ses histoires dans le sud de la France. Effectivement, il emmène le lecteur faire un tour dans le château de Montmajour en réfection, dans les rues d'Arles, aux arènes d'Arles pour une corrida, dans un cabanon sur les rives du Rhône, sur le pont de Trinquetaille, dans Abbaye de Lérins sur l'île de Saint Honorat. Il est toujours aussi agréable d'accompagner les personnages dans ces lieux représentés avec minutie fidèlement à la réalité, au gré de leur déplacement pour chercher des indices et aller interroger des témoins ou des connaissances des victimes. Outre ces lieux remarquables d'Arles et ses environs, le lecteur détaille les tombes et les monuments funéraires dans le cimetière lors de l'enterrement de Petrus Patarouste, le corps de ferme dans lequel Calixte Patarouste a installé son atelier de sculpteur, l'école municipale où exerce Bénezet Mornetoise, avec sa cour spacieuse non protégée, ses grandes fenêtres, ses couloirs avec les portemanteaux à hauteur d'enfant, la salle de classe avec son tableau noir, ses pupitres et son squelette, le salon bourgeois de César-Auguste Fouille, la grande salle de la ferme de Porphyre Figocelles et sa grange et le modeste cabanon de Jean Méjean.



Le lecteur sait également qu'il va suivre Dick Hérisson et son fidèle ami Jérôme Doutendieu dans une enquête de type policière. Comme dans les tomes précédents, ces 2 personnages principaux ne sont pas développés : ce n'est pas l'objet du récit. À tel point d'ailleurs qu'ils n'apparaissent que dans 14 pages sur 46. Dick Hérisson porte les mêmes vêtements du début jusqu'à la fin (sûrement parce qu'il est en déplacement) même s'il enlève parfois son pardessus, et Jérôme Doutendieu doit avoir 3 tenues différentes. Le lecteur fait la connaissance avec d'autres individus singuliers, à la fois des stéréotypes, à la fois des gens uniques grâce à une petite touche en plus. Il ne croise Petrus Patarouste que le temps de 2 pages, mais sa trogne sur a photographie dans la rubrique nécrologique est tellement expressive que le lecteur n'éprouve aucun doute quant à sa propension systématique à arnaquer tout le monde. Le barman n'apparaît que le temps d'une page, mais impossible d'oublier ce monsieur très sec, avec un béret sur la tête, la clope au bec, son tablier bleu rehaussé par le torchon posé sur l'épaule et l'assurance blasée du type qui a tout vu. Calixte Coudoux revêt bien sûr une large blouse pour protéger ses vêtements dans son atelier, avec un calot sur la tête, des touffes de cheveux blancs et bouclés dépassant de part et d'autre, et un bouc de poils blancs rebelles. Il a un visage beaucoup plus expressif que les autres. Bénezet Mornetoise correspond au cliché du maître d'école sévère mais juste avec sa blouse grise, tout en exprimant une forme de nervosité grandissante au fur et à mesure que Dick Hérisson lui pose des questions. Chaque personnage dispose d'une identité graphique expressive et unique.



Cette histoire est construite sur une structure différente des précédentes, en cela que le lecteur observe les crimes commis au fur et à mesure, Hérisson & Doutendieu ayant toujours un peu de retard sur le criminel. Cela donne un rythme particulier à l'enquête et explique que les personnages principaux n'apparaissent que dans si peu de pages : il faut que les crimes progressent dans le même temps. Dans ces moments, l'auteur préfère laisser parler les images, plutôt que de développer de longues explications en mots. Le lecteur prend plaisir à lire 7 pages muettes (totalement dépourvues de mots), et 7 autres pages ne comportant qu'une seule case avec 1 ou 2 phylactères. Dans ces moments, il est plus facile d'apprécier la qualité de la narration visuelle qui est impeccable, d'une parfaite lisibilité, sans incompréhension du déroulement des événements ou de ce que font les personnages. Le lecteur se rend progressivement compte que Didier Savard joue un pervers avec lui, le transformant en voyeur de ces assassinats, faisant en sorte qu'il attende le suivant pour découvrir comment il va être perpétré. Alors que les dessins sont d'une propreté méticuleuse, avec un regard à la fois attentionné et un peu moqueur sur les personnages (il faut voir la dégaine du facteur par exemple), les meurtres comportent une dimension horrible, parfois mâtinée de grotesque. Le lecteur ne sait pas trop s'il sourit en voyant le pendu à la balançoire tirant une langue bien rouge, ou s'il en frémit. Il réprime un frisson de dégoût en voyant une autre victime s'empaler sur les griffes d'une herse agricole, même si le personnage était franchement antipathique. La dimension macabre se trouve renforcée par une exécution sur la place publique avec usage de la guillotine.



Mine de rien les pages dessinent bel et bien une réalité sociale : le patron d'entreprise pas à cheval sur les lois (il paraît que ça existe), le maître d'école craint par les enfants, le spectacle de la corrida et la solitude du torero, le patron de ferme solitaire, l'individu s'étant mis à l'écart de la société pour s'installer dans une cabane en bord de Rhône, et le dernier vivant une autre forme de vie à l'écart du monde. Alors qu'il peut se trouver fasciné par la morbidité des morts violentes successives, le lecteur jette bien son regard sur différentes facettes de la société de l'époque à cet endroit-là de la France. Didier Savard se montre encore plus habile que ça. Il joue avec les conventions de l'enquête de type policière attribuant une fonction décalée à Dick Hérisson, et le mécanisme de la succession de meurtres révèle une situation sensiblement différente de ce à quoi pouvait s'attendre le lecteur.



Encore une fois, Didier Savard sait donner au lecteur ce qu'il attend tout en le surprenant. Il bénéficie bien d'une visite de lieux du coin, d'une enquête, et du calme de 2 personnages principaux. Il a tout loisir d'apprécier la qualité de la narration visuelle, que ce soit sa dimension descriptive, sa façon de donner vie à des personnages uniques, ou encore sa capacité à porter seule le récit dans des planches sans dialogues ni cellule de texte. L'auteur continue de réaliser une reconstitution en creux de la société de l'époque. Dans le même temps, l'enquête repose sur une structure narrative différente et personnelle, sur un motif de vengeance, mais qui se manifeste d'une manière originale et inattendue, avec un autre motif caché derrière.
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Dick Hérisson, tome 11 : L'Araignée pourpre

Ce tome fait suite à Dick Herisson, tome 10 : La Brouette des morts (2002) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 2004. Il n'a pas été intégré dans les deux tomes de l'intégrale. Il a fait l'objet d'une réédition en 2018 comprenant en plus une trentaine de pages : un texte de 2 pages de l'éditeur retraçant la vie de l'auteur, des photographies de l'auteur, des pages de sketchs, des pages de scripts, un texte du page de son fils sur l'état d'avancement du scénario de la deuxième partie, et 2 pages de notes de Didier Savard sur quelques éléments de cette deuxième partie. Il s'agit de la première partie d'un diptyque dont la seconde n'a jamais vue le jour du fait du décès de l'auteur. Il a été réalisé par Didier Savard (1950-2016), pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 48 planches de bande dessinée.



En novembre 1933, monseigneur Cafarelli, le légat du pape, est en train de marcher dans les rues de la casbah d'Alger, accompagné pas des prêtres et des militaires. Il est interpellé par une vieille femme voûtée qui le tire par le bas de sa robe. Son mari est malade et elle souhaiterait qu'il bénéficie de la magie de l'évêque. Contre l'avis de son conseiller, il accepte de suivre seul la vieille femme. Ils arrivent dans un appartement et la silhouette ôte le capuchon qui lui recouvre la tête : il s'agit de Achmed Zobi Ben Zoba qui remet à Cafarelli une cassette fermée par un sceau. Ben Zoba attend son paiement. L'évêque vérifie que la cassette correspond bien à ce qu'il attendait, puis il éclate le crâne de son interlocuteur avec la lourde croix métallique qu'il porte en pendentif. Il rejoint son escorte dans une artère plus large de la casbah, en les rassurant sur le fait qu'il ne lui est rien arrivé. Quelques jours plus tard, l'évêque et sa suite rentrent à Rome à bord d'un paquebot. Une fois dans sa cabine, il brise le sceau apposé sur la cassette, et l'ouvre. Il pousse un hurlement d'effroi.



Passant devant la cabine avec des rafraîchissements, un serveur sursaute en entendant le cri et va alerter les autres membres du clergé. Un passager en profite pour rentrer dans la cabine et voler la cassette. Il est surpris par les autres en train d'arriver : ne voyant pas d'échappatoire, il décide de se jeter à l'eau, en pleine mer. Il ne refait pas surface. L'évêque reprend conscience et s'exclame : là, l'araignée pourpre ! À Paris, Dick Hérisson est allé assister au spectacle de madame Nevroska, une voyante extralucide qui se produit sur scène. Elle s'évanouit avant la fin de son numéro en prononçant ces mots : l'araignée pourpre. À la sortie, le professeur Hovny Ratzescú s'adresse à Dick Hérisson pour savoir ce qu'il en a pensé. Puis il se présente : il est professeur d'ethnologie à l'université de Bucarest. Hérisson explique qu'il ne s'autorise pas à exclure le phénomène de voyance auquel ils viennent d'assister, mais qu'il n'y porte pas plus d'intérêt que ça. Il n'est venu que parce qu'il avait reçu un billet d'invitation, envoyé anonymement par une personne qui ne s'est pas fait connaître ce soir. Le professeur Ratzescú ajoute qu'il doit bientôt participer à un symposium à (ou en ?) Arles, et il demande si Hérisson à un hôtel à lui recommander. Ce dernier lui suggère de descendre à l'hôtel, Nord-Pinus, sans hésitation. Ils se quittent. Dick Hérisson rentre à pied chez lui et, à sa grande stupéfaction, il reconnaît le docteur Istéric Nulpart, pourtant mort sous ses yeux. Ce dernier l'entraîne dans une fumerie d'opium clandestine en plein Paris.



En entamant ce récit, le lecteur doit avoir conscience qu'il ne lira jamais la fin de l'histoire. Les 2 pages de notes retrouvées par le fils de l'auteur constituent des pistes, contiennent des indications sur quelques éléments de l'histoire, sans en lever tout le mystère, sans apporter de résolution. Du coup, ce onzième tome s'adresse avant tout au complétiste, au lecteur tombé sous le charme des histoires de Didier Savard, de la saveur très particulière de ses récits, de sa narration visuelle. Depuis plusieurs tomes, il a constaté que l'auteur a développé des idiosyncrasies marquées : des scènes bizarres qui ne reçoivent pas d'explication, rationnelle ou non. Il a aussi noté, surtout dans le tome 10, que le dessin se fait moins élégant, s'éloignant toujours plus de la ligne, claire, pour apparence plus dense, des traits moins épurés. Dans son introduction, l'éditeur indique que ce trait plus fébrile est la conséquence de la maladie de Parkinson, occasionnant des difficultés de mouvement et des raideurs. Pour autant, il s'agit d'une nouvelle aventure de Dick Hérisson imaginée et racontée par son créateur. Il n'y a pas tromperie pour le complétiste ou pour le fan, et l'album est bien achevé, que ce soit pour les dialogues, les récitatifs, les dessins, l'encrage, la mise en couleurs.



S'il a apprécié les précédents tomes, depuis Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu (1998), le lecteur retrouve les coïncidences troublantes, les situations semblant frappées du sceau du surnaturel, les phases d'enquête intrigantes mais dont les conclusions donnent une impression de cul-de-sac laissant le lecteur perplexe (Est-ce que ça avait finalement un lien avec l'intrigue principale ?), les mystères annexes faussement expliqués qui demeurent entier (sans compter que l'intrigue principale ne connaît pas de fin). Comment la médium Nevroska a-t-elle pu avoir connaissance d’existence de l'araignée pourpre ? Comment le docteur Nulpar a échappé à la mort, alors que Hérisson y assisté ? Est-ce que Dick Hérisson a vraiment participé à la répression d'une manifestation qui ne se déroulera que dans deux mois et demi ? Césaire, un moine ayant vécu aux alentours de l'an 500 a-t-il prévu ce qui allait arriver au dernier archevêque d'Arles en 1792 ? Faut-il vraiment prendre pour argent comptant l'éventualité d'une forme de voyage dans le temps, ou au moins de prédiction de l'avenir, comme la référence à Nostradamus (1503-1566) le laisse supposer ? Autant de questions sans réponse, autant de figures relevant du genre d'enquête surnaturelle, où l'un des enjeux pour l'auteur est de se montrer inventif pour créer ce type d'incertitudes, de jouer sur la possibilité du surnaturel. Le lecteur se rend compte que l'auteur le fait sciemment quand Dick Hérisson répond à Hovny Ratzescú qui lui demande s'il croît au surnaturel : Je n'ai pas de préjugés sectaires qui m'autoriseraient à exclure tel phénomène, telle croyance ou pratique ; le simple fait qu'il y ait des gens pour y croire leur donne déjà une sorte de réalité.



Qu'il l'ait remarqué ou pas dans le tome précédent, le lecteur ressent que les cases semblent plus occupées, que les traits sont plus tourmentés, mais cela n'enlève rien a plaisir de la narration visuelle. Le lecteur retrouve bien Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu, fidèles à leur apparence initiale, et il peut même reconnaître le docteur Nulpar. Les têtes peuvent comporter une touche de caricature, parfois empruntée à Jacques Tardi, et les visages sont expressifs : la suffisance et la convoitise de l'archevêque Cafarelli, le regard possédé de madame Nevroska, le visage dur et fermé des Croix de Feu défilant dans la rue, les expressions de doute et de surprise de Dick Hérisson, le visage fatigué d'un client de bistrot, l'air excédée d'une voyageuse importunée par la fumée de la pipe d'Hérisson dans le compartiment, les marques de dégénérescence sur le visage des individus dans l'abbaye de Psalmody, etc. L'artiste est toujours attentif aux tenues vestimentaires : correspondant aux époques, aux fonctions, à l'occupation de l'individu. Le lecteur retrouve toute la richesse visuelle de la série, y compris pour les décors : les rues de la casbah d'Alger avec l'architecture des maisons, l'aménagement de la cabine de l'archevêque Cafarelli, les rues de Paris et les façades correspondantes, les nombreux détails de l'ameublement et la décoration du salon de Dick Hérisson, les venelles de Venise et leurs façades, etc. Il remarque également que Savard continue de faire des clins d'œil visuel à l'œuvre d'Hergé : Les Aventures de Tintin, tome 9 : Le Crabe aux pinces d'or et les étroites ruelles de la casbah de Bagghar, Les Aventures de Tintin, tome 05 : Le Lotus bleu lorsque Tintin est allongé dans une fumerie d'opium.



Didier Savard se montre facétieux à plusieurs reprises. Il fait donc revenir le docteur Nulpar, décédé dans l'album Dick Hérisson, tome 5 : La Conspiration des poissonniers (1993). Il joue avec la forme de la narration et avec les attentes du lecteur. Il y a ce moment fort inattendu où Dick Hérisson se laisse convaincre en 3 cases d'accepter une pipe d'opium, ce qu'il fait, en décalage totale avec ce que pouvait supposer le lecteur en comparaison du comportement de Tintin dans le Lotus Bleu, ou même des valeurs morales d'un héros. L'auteur n'hésite pas à s'éloigner du mode de narration classique (images avec des phylactères et le héros qui pense tout haut pour le bénéficie du lecteur), pour passer à des images avec le texte des mémoires du professeur Nulpar. Lorsque Dick Hérisson reprend sa lecture dans le train, la narration prend la forme de deux pages de texte en gros caractère, sans aucune image ou illustration. Pendant les 8 pages suivantes, Savard réintroduit les images (d'abord une seule pour illustrer le texte), jusqu'à revenir à des cases disposées en bande, avec toujours un texte prenant entre la moitié et un tiers de la place dans la case. Quand il découvre la forme de l'idole adorée par les moines de l'île Psalmody, le lecteur se dit qu'il l'a déjà vue quelque part. Revenant en arrière, il se rend compte qu'il y a la même sculpture en exposition dans le salon de Dick Hérisson, en planche 17.



Oui, il est un peu frustrant de se dire qu'on ne connaîtra jamais la fin de l'histoire. D'un autre côté, il est très satisfaisant de retrouver une fois encore Dick Hérisson & Jérôme Doutendieu pour une histoire toujours aussi déstabilisante, avec une narration visuelle soignée et riche en détails. Un album qu'on aurait souhaité ne pas être le dernier, car la qualité est intacte.
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Dick Hérisson, tome 3 : L'opéra maudit

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 2 : Les Voleurs d'oreilles (1985). La première édition date de 1987, regroupant les pages prépubliées dans Pilote & Charlie : la BD en fusion, du numéro 12 au 17, en 1984/1985. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 1 qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié.



Le 27 février 1931, au large des côtes de Nice, Dick Hérisson se trouve sur un bateau de pêche, l'Hydragon. Au grand étonnement du capitaine du bateau, il est venu étudier le lieu où on a repêché un cadavre sans tête. Le détective explique au marin que plusieurs cadavres sans tête ont été repêchés dans les parages, mais ayant séjourné trop longtemps dans l'eau pour pouvoir espérer les identifier, ce qui n'est pas le cas du dernier. Utilisant ses jumelles, Hérisson aperçoit une petite île dans le lointain. Le marin explique qu'il s'agit de l'île aux sirènes, propriété rivée d'un riche italien. Le brouillard se lève : le marin indique qu'il faut rapidement revenir au port. Contre ses habitudes et ses appréhensions, il va devoir passer au plus près de l'île, malgré sa mauvaise réputation. Soudain, Hérisson et lui entendent une voix de femme en train de chanter : ils pensent qu'il s'agit d'une sirène. Le marin se rend compte que le bateau file droit sur les récits. Les 2 passagers tombent à l'eau, et Dick Hérisson se charge d'amener le marin évanoui jusqu'au rivage de l'île. Hérisson laisse le marin inanimé sur la grève et s'enfonce dans l'île. Il se retrouve devant un tigre.



Pour se mettre hors de portée du tigre, Dick Hérisson monte le long du tronc d'un arbre. Il aperçoit une pagode au loin. Finalement une voix l'appelle depuis le bas. Hérisson redescend et sert la main de Giuseppe Zitto, accompagné par son serviteur chinois. Les 2 hommes l'accompagnent jusqu'à la demeure avec un toit de pagode. Zitto offre à Hérisson des sous-vêtements pour se changer. Le soir venu, ils dînent ensemble pendant que le marin continue de se reposer dans une chambre. Après le repas, Hérisson va se coucher dans une autre chambre. Il est réveillé par le chant d'une femme. Il suit le son pour en déterminer la provenance et il découvre une pièce au sous-sol dans laquelle Zitto est en train de regarder un film où Irina Drakulesko interprète Cléopâtre dans un opéra. Hérisson lui présente ses condoléances, la cantatrice étant décédée il y a 5 ans. Le lendemain soir, Dick Hérisson apprécie un feu dans la cheminée de la maison de Jérôme Doutendieu. Hérisson explique à son ami comment il a retrouvé l'identité du cadavre sans tête. Doutendieu allume la radio pour écouter la retransmission en direct de l'opéra Turandot. Au moment où Liu, une jeune esclave, s'empare d'une épée pour se donner la mort, un grand cri retentit. L'interprète Madeleine DeProust vient de se donner la mort sur scène, au passage exact où Puccini est décédé dans l'écriture de son opéra.



En se lançant dans ce troisième tome, l'horizon du lecteur est déjà bien formé. Il s'attend à une enquête, avec des crimes sensationnels présentant une présomption de surnaturel et de folie, une forte attention portée aux décors, des personnages avec des gueules marquées, et un humour discret teinté de sarcasmes. La scène introductive le prend par surprise, Dick Hérisson enquêtant sur le lieu où a été retrouvé le cadavre : en pleine mer, comme s'il était possible de trouver des indices en pleine mer ! La suite s'avère tout aussi surprenante avec ce séjour sur une île, entre tigre et salle de cinéma privée. Il peut s'interroger un instant sur le degré de plausibilité du chant de la sirène, et se souvenir que le phonographe n'était pas encore très répandu, et accepter les interrogations du marin et d'Hérisson comme une forme de licence d'auteur. Le séjour sur l'île apporte lui aussi son lot de bizarreries, que ce soit l'excentrique chef d'orchestre à la retraite, ou la décoration de sa vaste demeure qui fait penser à un musée consacré à sa muse défunte. Tout du long du récit, Didier Savard s'amuse en jouant sur les caricatures de chinois, en péril jaune et Chine fantasmée, que ce soit avec les masques de théâtre grimaçants et indéchiffrables, ou avec le visage caricaturé apparaissant le temps d'un instant à la vitre du compartiment de train. La représentation étant tellement exagérée (jusqu'au parler avec des L à la place des R), il est impossible d'y voir une forme de racisme, plus une moquerie de stéréotypes culturels en vigueur au début du dix-neuvième siècle.



À nouveau tome, nouvelle enquête : les crimes sordides sont bien là, avec une épidémie de cadavres décapités. Le lecteur appréciera différemment l'enquête suivant s'il est familier de l'argument de l'opéra Turandot ou non. À l'évidence, Didier Savard le connait bien et s'amuse avec cette malédiction qui plane sur les représentations maudites, s'achevant avant la fin à cause d'un drame atroce. Du coup, il n'y a pas beaucoup d'enjeu dans le mystère de savoir qui est responsable, mais plus de savoir quelle raison motive une telle mise en scène, en se doutant bien qu'il y a une forme de folie à l'œuvre. Comme dans les tomes précédents, le lecteur retrouve une représentation assez particulière des personnages. Visuellement, le visage de Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu pourrait avoir leur place dans une bande dessinée relevant de la ligne claire, ce qui les rend éminemment sympathiques. Par contre, les autres personnages ont un visage plus marqué, en particulier les douairières empâtées et les vieux beaux mal entretenus. Il faut contempler les spectateurs de la représentation de Turandot dans la planche 39 pour voir des spécimens de l'humanité incarnant de vieux pervers impuissants jouissant de leur argent pour s'offrir un spectacle décadent.



Petit à petit, Didier Savard se lâche aussi dans les costumes. Il commence calmement avec un imperméable très neutre pour Hérisson, et une vareuse bleue par-dessus un pull à col roulé complétée par une casquette avec une ancre marine pour le marin. Avec l'apparition du premier chinois, l'artiste joue sur les costumes stéréotypés du chinois, de type longue tunique d'un autre âge. Il poursuit avec les riches costumes d'influence chinoise lors des différentes représentations de l'opéra Turandot, mais aussi les riches vêtements de luxe des vieux spectateurs, les tenues de soirée plus classiques d'Hérisson et Doutendieu ou encore les déguisements bigarrés des participants défilant pendant le carnaval de Nice. De ce point de vue, il s'agit d'une production qui a investi beaucoup d'argent dans les costumes. Les décors ont également bénéficié d'un budget pharaonique. Comme dans les tomes précédents, le lecteur est impressionné par le soin apporté à représenter les différents lieux, en particulier les bâtiments. L'artiste ne se contente pas de tracer rapidement une forme générique sur laquelle il calque deux ou trois caractéristiques pour lui donner du caractère. La demeure de Giuseppe Zitto impressionne avec son double escalier permettant d'accéder à la porte d'entrée, ses 2 étages, ses 2 tours avec un toit en pagode, ses persiennes, et la mousse qui commence à envahir la façade. Lors de la recherche de la source du chant féminin, le lecteur peut découvrir l'aménagement intérieur : les couloirs avec le carrelage, les arches, les décorations murales, le mobilier de la chambre d'Hérisson, l'équipement de la salle de projection privée.



Par la suite, le lecteur bénéficie également d'une planche (13) dans laquelle il peut détailler chaque élément du salon du pavillon de Doutendieu. L'arrivée en train à la gare de Nice est l'occasion d'admirer sa structure métallique de l'intérieur, puis sa façade, et après celle de l'opéra. La course-poursuite à l'intérieur de l'opéra se déroule pour partie dans les cintres qui sont représentés avec une minutie épatante. Le lecteur peut également admirer l'enfilade de façades depuis la promenade anglais, le port et ses pavés humides, et le magnifique opéra privé où se déroule la dernière représentation. Didier Savard réalise des scènes de foule touffue, avec une multitude de personnages différenciés pour le défilé du carnaval (planche 28), pour les flâneurs de la promenade des anglais (planche 31), pour la fuite du théâtre (planche 43). Le lecteur peut donc se projeter dans chaque endroit, regarder autour de lui pour admirer les bâtiments et les lieux, côtoyer des individus singuliers. L'attrait principal n'étant pas l'enquête policière, il ressent l'impression de se retrouver dans une farce macabre où se croisent des individus aux motivations glauques tout d'abord non explicitées, Hérisson et Doutendieu ressentant ce décalage entre la normalité d'individus sains de corps et d'esprit, et l'anormalité des individus dont ils perçoivent les conséquences de leurs actions. Il ressent que l'auteur s'amuse bien à installer ce malaise né du décalage, tout en facétie, que ce soit pour le chant des sirènes ou pour le sort de l'île qui évoque celui d'une autre île explorée par Tintin.



Avec ce troisième tome, les enquêtes de Dick Hérisson gagnent encore en saveur. Didier Savard continue son hommage à Harry Dickson, avec une série de meurtres horribles, un meurtrier un peu dérangé, tout en conservant le ton unique de la série, en la situant dans le sud de la France, avec deux héros très différents de ceux de Jean Ray. Au fur et à mesure, le lecteur absorbe la richesse des planches, entre ligne claire et touches grotesques discrètes, dans des environnements représentés avec un soin méticuleux.
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Dick Hérisson, tome 1 : L'ombre du torero

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre qui en compte 10. La première édition date de 1984, regroupant les pages prépubliées dans Charlie Mensuel, du numéro 21 au 26, en 1983/1984. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 1 : qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié.



En novembre 1929, en Camargue, 5 hommes sont penchés sur le cadavre d'un autre étendu par terre. En présence d'un autre inspecteur, d'un gendarme, et du détective Dick Hérisson, l'inspecteur Caragnoux demande au médecin légiste ce qu'il peut dire. Ce dernier lui indique que le décès remonte aux premières heures de la nuit, vers onze heures, minuit, et que l'homme a succombé à une crise cardiaque, voire qu'il est mort de peur. Le défunt est le docteur Batistin Billardot, bien connu à Arles. Dick Hérisson indique en réponse à une question de l'inspecteur qu'il a dû s'arrêter ici du fait de son réservoir vide. L'agenda du médecin révèle que son dernier client fut le Baron de Segonnaux, propriétaire de manades, d'actions dans le chemin de fer, et des usines de sel du Salins. Hérisson remarque des empreintes de taureau à proximité de la voiture du docteur. L'inspecteur Garagnoux se fait conduire en voiture par le gendarme, jusqu'à la demeure du Baron, accompagné par Hérisson. Ils y sont accueillis par le majordome Cyprien qui les mène jusqu'au propriétaire de la demeure. Ils lui apprennent le décès du docteur, ce qui ne surprend pas trop le baron, vu l'état éthylique chronique du docteur. Hérisson commence à parler des empreintes de taureau, ce qui fait que le Baron marque le coup. Sur ces entrefaites, arrivent Jean Verdier et sa femme Élisa. Au cours de la conversation, cette dernière laisse échapper qu'elle connaissait le docteur depuis septembre 1925.



L'inspecteur et le détective prennent congé du Baron et de son gendre. L'inspecteur dépose Dick Hérisson à son hôtel à Arles. À sa grande surprise, alors qu'il est en train de prendre une bière à table, arrive son ami Jérôme Doutandieu, journaliste au Petit Provençal. Hérisson raconte à son ami l'objet de son enquête et lui demande ce qu'il sait d'Élisa, la fille du Baron. Il se souvient vaguement qu'elle avait été mariée à Pedro Espargo, un toréro, contre l'avis de son père, Espargo étant décédé lors d'un combat dans l'arène en septembre 1925. Hérisson raccompagne son ami au journal, et va lui-même faire un tour à la bibliothèque pour retrouver la coupure de presse relatant le décès du toréro. Il y découvre qu'il avait été pris en charge par le docteur Billardot après avoir été blessé par un taureau. Le lendemain matin, Hérisson est réveillé dans sa chambre par l'inspecteur Garagnoux qui lui apprend la découverte d'un deuxième cadavre, la voiture de Jean Verdier ayant été accidentée. Le corps de Verdier n'a pas été retrouvé ; seul le corps de son chauffeur était à proximité. Ils vont annoncer la nouvelle au Baron Segonnaux. Sa fille les attend sur le pas de la porte et leur indique que son mari est vivant et qu'il vient de téléphoner. Se sachant observée, elle donne rendez-vous le lendemain à Hérisson dans le musée Arlésien (Museon Arlaten) à quinze heures.



En voyant le nom du personnage principal, le lecteur pense tout de suite à Harry Dickson, un détective américain recréé par Jean Ray (Raymond Jean Marie De Kremer, 1887-1964) dont il a écrit 103 nouvelles sur les 108 publiées. Le lecteur retrouve effectivement l'archétype du détective privé, sans beaucoup de personnalité, avec une capacité de déduction supérieure à celle des inspecteurs de police officiels, et menant des enquêtes sur des crimes sordides. D'ailleurs s'il y prête un peu attention, il se rend compte que Didier Savard intègre régulièrement des clins d'œil à d'autres auteurs comme Gaston Leroux (1868-1927, créateur de Joseph Joséphin en 1927, dit Rouletabille), à Frédéric Mistral (1830-1914, écrivain et prix Nobel de Littérature), au personnage de Demaesmeker (en référence à De Mesmaeker, personnage créé par André Franquin), Jacques Tardi, ou encore Alfred Hitchock (1899-1980, apparaissant sur le quai de la gare dans la planche 43). S'il est familier de ces références, le lecteur est en terrain connu : une enquête où un détective privé collabore avec facilité avec la police, pour découvrir un coupable dans un meurtre dont l'apparence laisse présager l'intervention d'un phénomène surnaturel. Effectivement le doute plane rapidement sur le retour d'entre les morts du torero Pedro Espargo (Est-il bien mort ?), et sur les capacités du taureau, un personnage citant explicitement Le chien des Baskerville (1902) de Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930).



Didier Savard débute directement par la découverte du cadavre dans la première page, et par la possibilité d'une créature surnaturelle dès la page 2. L'enquête se déroule de manière conventionnelle en allant voir les personnes qui ont croisé le docteur, dont son dernier client. Dick Hérisson ne fait jamais usage de la force, il ne s'agit pas d'un polar hard-boiled. Il se rend à la bibliothèque, au musée pour recueillir plus d'informations. Il écoute ce que disent les uns et les autres. De manière inattendue, l'auteur adjoint un compagnon à son personnage principal, et le journaliste Jérôme Doutendieu s'avère tout aussi perspicace que Hérisson, participant activement à l'enquête, n'étant pas cantonné au rôle de faire-valoir, ou de confident. L'enquête amène les personnages chez un notable riche et puissant, pour faire connaissance avec lui, sa fille et son gendre. L'auteur ne se brosse pas un portrait psychologique de ces individus, et ne se livre pas à une analyse sociologique. Il est apparent que son scénario repose entièrement sur l'intrigue et sur la mécanique de l'enquête, sans l'ambition d'un polar qui agirait comme le révélateur d'un milieu social.



Les personnages se présentent avec des caractéristiques qui les rendent aisément identifiables : forme du visage et coiffure, tenue vestimentaire, morphologie. L'artiste leur apporte une certaine élégance, que ce soit les toilettes d'Élisa Verdier, ou les costumes d'époque pour les hommes. Il épure leur visage, façon ligne claire. Il a tendance à simplifier également les expressions de leur visage, qui donnent une sensation de jeu d'acteur un peu emprunté, pas tout à fait naturel. Les postures et les mouvements sont plus réalistes. Rapidement le lecteur se rend compte que la représentation épurée des personnages tranche avec la finition plus détaillée des décors. Même si le choix des couleurs est parfois déconcertant, donnant une impression un peu criarde, il constate que Savard a soigné la décoration du salon du Baron Segonnaux. Dans la planche 7, il admire la qualité du rendu de la façade de l'hôtel dans lequel séjourne le détective, ainsi que la statue sur la place devant, celle de Frédéric Mistral, et les modèles de voitures, ainsi que la forme des chaises à l'intérieur.



Effectivement, tout du long de ce tome Didier Savard s'investit pour représenter avec minutie les différents endroits. Ainsi, le lecteur peut admirer l'architecture de la façade du journal de Doutendieu, celles du musée Arlésien qui existe vraiment, son aménagement intérieur avec ses poutres apparentes, la cour de l'hôpital Van Gogh à Arles, les baux de Provence vus d'en bas, les pierres tombales du cimetière, ou encore une usine désaffectée à l'écart, une belle locomotive sortant de la gare d'Arles et passant sous un portique métallique avec 2 colonnes en pierre de chaque côté et une statue de lion sur chacune. De temps à autre, il tique un peu sur le choix des couleurs, souvent naturalistes, mais donnant l'impression de combiner plusieurs intensités lumineuses différentes. Il est possible d'y voir une intention d'introduire une sensation d'étrangeté, mais alors elle n'est pas assez assumée. Si l'intrigue ne rend pas compte d'une dimension sociale ou historique, les paysages sont à l'opposé d'environnements génériques et inscrivent le récit dans un lieu précis et concret, donnant l'impression au lecteur de pouvoir le visiter, ou de retrouver des lieux qu'il a déjà visités.



Dès ce premier tome, la personnalité de l'auteur transparaît dans l'histoire. Il affiche ses références en toute transparence, rendant hommage aux auteurs de romans policiers français et belge, avec une pointe de Conan Doyle. Il déroule une histoire de facture classique, à base d'entretiens de quelques personnes de l'entourage de la victime. Il recrée une époque, en représentant les tenues et les véhicules d'époque, effectuant une reconstitution historique honnête, sans verser dans le roman historique. Il ménage le suspense quant aux méthodes du criminel, laissant la bride abattue à l'imagination du lecteur s'il souhaite se prêter au jeu de savoir si les crimes sont purement matérialistes, ou si un élément surnaturel a pu entrer en jeu, tout en donnant une réponse claire et tranchée à la fin. Le lecteur peut être étonné par la répartition des rôles entre Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu en cours de récit. Il finit même par se demander si ce Jérôme a quelque chose à voir avec Jérôme K. Jérôme Bloche d'Alain Dodier, pourtant apparu 2 ans plus tard en 1985. Si l'enquête n'agit pas comme un révélateur social ou psychologique, les dessins emmènent le lecteur dans une visite guidée de la région, avec une qualité d'immersion inattendue.
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Dick Hérisson, tome 2 : Les Voleurs d'oreilles

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 1 : L'ombre du torero (1984). La première édition date de 1985, regroupant les pages prépubliées dans Charlie Mensuel, du numéro 33 au 37, en 1984/1985. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 1 qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié.



Au pont de Langlois à Arles, un matin de septembre 1930, un groupe de quatre femmes vient laver du linge à la rivière. L'une d'elle se met juste sous le pont et des gouttes de sang viennent tâcher sont drap. Dans les locaux de la police, le commissaire vitupère contre ses troupes qui n'ont pas le moindre début de piste, alors qu'il s'agit du huitième cadavre à qui l'assassin a tranché l'oreille gauche. À Paris, Dick Hérisson reçoit une lettre de son ami journaliste Jérôme Doutendieu qui lui propose de venir passer quelques jours à Arles pour enquêter sur cette affaire. Il se dit qu'il peut bien laisser de côté l'affaire des bijoux de la comtesse Gorodiche, pendant quelques jours. Arrivé sur place, Doutendieu l'emmène directement sur les lieux du premier crime : au pied de l'abbaye d'Arles. Ils entendent des cris : le berger Prosper est en train d'administrer une correction à Mathias Unheimlich, 18 ans et bossu. Il est repris par Pandora Sporghersi qui lui indique qu'il a outrepassé sa place.



Pandora Sporghersi repart en automobile (une Bugatti) avec Mathias Unheimlich. Prosper explique à Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu que la famille Unheimlich possède le mas Calu tout prêt d'ici et que Mathias y vient souvent et s'en prend à ses bêtes. Il ajoute que Pandora Sporghersi exerce une influence néfaste sur Mathias. Le lendemain, Dick Hérisson va rendre l'arc de Mathias à sa mère dans leur demeure. Madame Unheimlich le reçoit dans son salon. Elle veut l'engager pour trouver le responsable des meurtres avec coupage d'oreille, et lui suggère qu'il serait de bon ton que l'assassin appartienne à une basse classe sociale, parmi les étrangers, les nomades, les voyous. Dick Hérisson prend congé d'elle froidement, en lui expliquant qu'un crime est un crime et qu'il lui importe de trouver le véritable assassin. Le lendemain, Pandora Sporghersi emmène Mathias Unheimlich au cirque. Devant la cage du tigre, il profite de son inattention pour sortir une sarbacane et tirer sur le tigre. Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu viennent eux aussi pour assister à la représentation, mais surtout pour surveiller Sporghersi et Unheimlich. Alors qu'un funambule fait du monocycle sur une corde tendue au-dessus de la cage aux lions, Mathias ressort sa sarbacane et tire sur le funambule. Déstabilisé, celui-ci tombe dans la cage aux lions et se fait attaquer par les félins.



Le premier tome de la série faisait déjà montre d'une personnalité narrative particulière, proposant une enquête dans la région d'Arles, mené par un détective privé, avec une ambiance un peu étrange rendant hommage à Harry Dickson de Jean Ray (1887-1964). Le lecteur revient pour ce deuxième tome avec un horizon d'attente assez bien délimité : une enquête sur des crimes bizarres, aux alentours de 1930. Il est comblé dès la première page, avec le pont de Langlois et le sang qui tombe sur le drap blanc dans une mise en scène macabre très réussie. Par la suite, l'auteur lui en donne pour son argent avec l'abbaye de Montmajour, l'église saint Trophime, la nécropole des Alyscamps, le pont de Trinquetaille. À nouveau, le lecteur peut observer le soin que Didier Savard apporte pour dessiner les éléments architecturaux, des bâtiments classés aux façades anonymes de la ville. L'enquête progresse de manière organique dans la ville d'Arles, totalement intégrée à l'histoire de la ville. La mise en couleurs de Sylvie Escudié est plus naturaliste que pour le premier tome, et elle transcrit avec justesse la qualité lumineuse du mois de septembre dans cette région.



L'artiste investit également beaucoup de temps dans la représentation des autres éléments. Le lecteur peut constater que l'aménagement des rives du canal de navigation est conforme à la réalité, le talus herbeux comme l'escalier permettant de descendre au niveau de l'eau. Le dossier à sangle posé sur le bord du bureau du commissaire semble tout droit sorti d'un catalogue de fourniture de bureau. La décoration du salon des Unheimlich repose sur des mobiliers et des bibelots d'époque ; le lecteur peut même admirer les tableaux au mur. Au fil des séquences, il peut prendre le temps de regarder les roulottes du cirque, d'admirer la chaire dans l'église, de regarder la décoration du café où s'installent Hérisson & Doutendieu, de laisser errer son regard dans la galerie de la faculté de médecine, de contempler l'aménagement intérieur tape-à-l'œil de l'hôtel du Lotus Bleu. L'époque et le lieu de l'enquête ne sont pas de vagues prétexte : l'auteur consacre beaucoup de temps (l'équivalent du budget) pour une reconstitution historique fidèle et nourrie, que ce soit pour les décors ou pour les tenues vestimentaires.



Le lecteur observe que l'artiste a choisi un parti pris un peu différent pour les personnages. Leur tenue vestimentaire est représentée avec la même approche naturaliste et le même souci d'une reconstitution fidèle. Par contre, les mains et les visages sont représentés de manière plus simplifiée. Les yeux, le nez ou la bouche peuvent être représentés d'un simple trait. Du coup, les visages oscillent entre naturalisme et caricature : Doutendieu et sa houppette (plus longue que celle de Tintin), Hérisson avec son nez aquilin, Mathias avec son visage bouffi, la comtesse Unheimlich et son visage très allongé et très étroit, Pandora et sa coupe garçonne. Ce choix permet de faire porter plus de personnalité aux visages, et de faire ressortir les personnages par rapport aux décors, leur donnant ainsi plus de vie. Ce mode de représentation permet également de rester cohérent en exagérant certaines expressions de visage, par exemple lorsque le coupable pérore devant un individu ligoté sur une chaise, pour expliquer ce qui justifie une série de crimes avec vol d'une oreille.



En se plongeant dans cette histoire, le lecteur constate que l'enquête policière menée par Hérisson & Doutendieu s'avère d'autant plus intéressante qu'elle s'intègre dans l'environnement où elle se déroule, et que celui-ci participe au mystère et aux motivations du tueur. Il ne s'agit pas de découvrir un tueur générique opérant là parce que l'auteur connaît bien la région, mais de trouver un assassin dont les motivations sont organiquement liées au lieu et à son histoire. Cette affaire n'aurait pas pu se dérouler dans une autre ville. Pour dérouler son enquête, Didier Savard a choisi une trame narrative chronologique. Sur 46 pages de bande dessinée, Dick Hérisson est présent dans 38 pages. Il n'apparaît pas dans les 2 premières qui servent de prologue. Pour les 6 autres, le lecteur suit une phase de l'enquête menée par Jérôme Doutendieu. D'une certaine manière, le scénariste joue franc jeu avec le lecteur, lui faisant découvrir l'enquête en même temps que le personnage principal. Bien sûr, le scénariste connaît auparavant le dénouement et l'identité du coupable. Le lecteur se prête volontiers au jeu de bâtir des conjectures, tout en sachant très bien que l'auteur distille les indices comme bon lui semble, sans obligation contractuelle de faire en sorte que le lecteur puisse réellement trouver par lui-même. Au final, Didier Savard s'est montré honnête avec son lecteur et a conçu une motivation originale et élégante pour son meurtrier.



En découvrant le titre de ce tome, le lecteur sait bien qu'il s'agit pour l'auteur de l'intriguer avec une accroche sensationnaliste et mystérieuse. Effectivement, l'enquête a pour objet une série de meurtres sordides, l'œuvre d'un cerveau dérangé. Didier Savard sait très bien jouer avec ces conventions de genre, pouvant se montrer très cruel avec la mort grotesque du funambule dévoré par les lions. Il sait aussi confronter des personnages à des éléments réalistes dérangeant : Jérôme Doutendieu se retrouvant face aux professionnelles du Lotus Bleu qui pensent qu'il vient pour une passe, la tenancière de l'établissement qui est posée et intelligente (à l'opposé d'un portrait caricatural), l'homélie du curé jouant sur les bas instincts de la foule, le raisonnement dérangé du criminel. Sous une apparence relativement gentille de récit de genre, se dissimulent de réels comportements déviants par rapport à la norme, certains réprouvés par la morale mais tolérés (la prostitution), d'autres toxiques pour les individus et la société (la maladie mentale conduisant au meurtre).



Sous des dehors de bande dessinée très traditionnelle et un peu sage, jouant sur le sensationnalisme de son titre, le lecteur retrouve les 2 héros (Hérisson & Doutandieu) un peu lisses (certains diraient fades ou stéréotypés) pour une nouvelle enquête. Comme dans le premier tome, les meurtres sont indissolublement liés au contexte de la région et de l'époque, et la reconstitution des lieux est impeccable. Mieux que dans le premier tome, l'enquête est plus organique et naturelle, et les meurtres sont plus horribles et mieux motivés. Didier Savard raconte une histoire policière en phase avec la société de l'époque, les meurtres devenant l'expression de ses pulsions refoulées.
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Dick Hérisson, tome 5 : La Conspiration des p..

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 4 : Le Vampire de la coste (1990) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. La première édition date de 1993. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 1 : qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié. Il compte 56 planches de bande dessinée.



À la gare de Lyon en mars 1933, Dick Hérisson descend de son taxi et se rend au café situé à l'étage du hall dans la gare. Il y retrouve le docteur Nulpart qui l'appelle par son vrai prénom Richard, comme il l'appelait quand il était enfant. Le docteur lui apprend qu'il est malade et qu'il aimerait que Dick s'occupe de sa maison de campagne à Arles. En effet, elle contient un terrible secret : un coffret que son frère, navigateur impénitent, lui confia avant de mourir. Le docteur confie, à Dick Hérisson, la clef de sa maison du quai Saint-Pierre, ainsi qu'une enveloppe contenant ses instructions. Il s'agite soudain en sentant une odeur de poisson pourri. Il est victime d'une attaque cardiaque et passe de vie à trépas dans l'instant. Le lendemain à Arles, Dick Hérisson a retrouvé son mai Jérôme Doutendieu, et ils sont à pied d'œuvre devant la demeure du docteur Nulpart. Ils pénètrent dans la grande maison et voient les meubles sous drap, ainsi que les traces d'humidité sur les murs. Comme précisé dans les indications, ils descendent à la cave envahie par l'eau. Doutendieu s'enfonce dans l'eau jusqu'à la taille. Il récupère le coffret, tout en sentant quelque chose lui frôler la jambe. Ils repartent rapidement en voiture, sans se rendre compte qu'ils ont été observés par une silhouette.



Le soir, chez Jérôme, Dick Hérisson ouvre le coffret : il y trouve le journal de bord de Théotime Nulpar, pilotin à bord du Rosenkreutz, en 1887. Les premières pages sont moisies, mais les suivantes sont intactes. Dans le coffret se trouve également une effigie en bois sculpté, de quelque divinité démoniaque. Dehors un orage éclate, et l'électricité est coupée. Jérôme Doutendieu décide de lire le journal de Théotime Nulpar à la lumière du feu de bois dans la cheminée, les deux amis bien calés dans leur fauteuil. La première entrée indique le 11 mars 1887 : pas d'événement notable depuis que nous avons quitté Bassorah avec notre nouvelle cargaison, quelque vestige archéologique provenant de fouilles en Mésopotamie, franchi le détroit d'Ormuz. Hérisson se lève pour aller prendre un atlas et le consulter. Le journal raconte comment l'équipage du Rosenkreutz franchit le détroit d'Ormuz, et vogue sur l'Océan Indien. Ils font escale à Aden pour décharger les trois quarts de leur fret. Puis le navire s'engage sur la Mer Rouge. Le 27 mars, des pirates ont silencieusement abordé le navire aux premières heures du jour. Sous la menace de leurs antiques pétoires, ils ont rassemblé tout l'équipage sur le pont. Leur chef les a contraints à le conduire dans la cale, bien qu'ils aient tenté de lui expliquer que toutes les marchandises avaient été débarquées à Aden. Dans la cale, il ne restait plus que l'imposante caisse chargée à Bassorah.



En entamant ce cinquième tome, le lecteur sait ce qu'il en attend : une enquête, une touche de surnaturel plus ou moins appuyée, des individus plus ou moins grotesques, et vraisemblablement un hommage littéraire. Il ne faut pas longtemps pour qu'il identifie la source d'inspiration de l'auteur : un navire transportant un artefact maléfique, d'anciennes créatures ayant existé sur Terre avant l'homme, un culte voué à ces grands anciens (en particulier Shub-Ur-Kur) et une odeur de poisson pourri, tout désigne la mythologie développée par Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), en particulier L'appel de Cthulhu (1928). Mais à la fin de sa lecture du journal de bord, Jérôme Doutendieu désigne explicitement les Aventures d'Arthur Gordon Pym (1838) d'Edgar Allan Poe (1809-1849).



Le lecteur attend également de pouvoir prendre son temps pour observer des sites remarquables. Ça commence dès la première page avec une vue générale de la principale salle du Train Bleu, le restaurant gastronomique créé en 1901 au sein de la gare de Lyon, de style néo-baroque et Belle Époque, avec son escalier à double révolution et sa hauteur sous plafond de 8 mètres, sans oublier ses peintures murales. Ça continue avec la maçonnerie de la cave du docteur Nulpart, avec le manteau de cheminée en pierre du salon de Doutendieu, la représentation du navire sur lequel se trouve le pilotin Théotime Nulpar, la silhouette de la basilique Notre-Dame de la Garde, les balcons du théâtre de l'Alcazar à Marseille. S'il n'est pas encore rassasié, le lecteur bénéficie encore d'une séquence de 6 pages se déroulant dans le Tunnel du Rove, un tunnel-canal maritime percé sous la chaîne de l'Estaque, qui fait communiquer le nord de la rade de Marseille avec l'étang de Berre. L'artiste ne s'investit pas uniquement pour représenter ces environnements dans le détail, il s'investit tout autant pour les autres endroits à chaque case, montrant un goût affirmé pour les façades (par exemple planche 23, à proximité du muséum), ou les ruelles de Marseille.



Pour ce cinquième tome, Didier Savard dispose d'une pagination étendue, étant passé de 46 planches à 56 planches. Cela lui permet de plus développer la mythologie du récit, avec les 8 pages du journal de bord du Rosenkreutz, les 2 pages consacrées au peuple antédiluvien qui dominait la Terre et qui adorait Shub-Ur-Kur. Cela le conduit également à découper son récit en 2 chapitres : (1) Le testament du docteur Nulpart, (2) Celui qui dort sous les eaux. En cours de route, le lecteur relève également un ou deux autres clins d'œil : Jérôme Doutendieu qui revêt un scaphandre pour une descente en profondeur qui rappelle celle de Tintin dans Les Aventures de Tintin, tome 12 : Le Trésor de Rackham le Rouge, une partie de cartes dans un troquet de Marseille rappelant celle de Marius (1929) de Marcel Pagnol, une boutique d'antiquaire très encombrée, avec une réplique miniature de bateau dans une bouteille évoquant un autre album de Tintin. À chaque fois, ces références sont parfaitement intégrées à la narration, et le lecteur qui ne les connaît pas ne perd pas pied dans l'intrigue. Celle-ci repose sur la résurgence du culte voué à Shub-Ur-Kur, ainsi que sur la récupération du mystérieux vestige archéologique. L'amateur de créatures fantastiques et de culte maléfique est en terrain connu et apprécie la capacité du dessinateur à donner une forme bizarre et inquiétante à cette divinité d'une autre ère, entre trilobite et limule. L'ambiance de la cave humide et à moitié inondée par l'eau est moisie à souhait, la lecture au coin du feu est à la fois confortable et inquiétante. Le temple immense dressé pour le culte à Shub-Ur-Kur évoque les pyramides aztèques et leurs sacrifices humains. L'intérieur du Tunnel du Rove constitue un environnement fermé, propre à générer une sensation de claustrophobie du fait de l'absence d'échappatoire.



Pour ses personnages, Didier Savard a trouvé le juste équilibre entre la ligne claire et les exagérations de Jacques Tardi. Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu sont montrés comme deux individus d'une trentaine d'années, (Jérôme étant peut-être plus jeune que Dick, dynamiques et élancés. Les marins du Rosenkreutz sont affligés d'une trogne qui laisse supposer qu'ils ne sont pas très futés, enfermés dans des croyances où les superstitions ont la part belle. La barbe du docteur Grottendiche impressionne par sa longueur et sa forme en trapèze. Les adorateurs de Shub-Ur-Kur valent le déplacement. Savard a pris la peine d'introduire un personnage féminin, Alice Berg, sympathique et qui ne fait pas que de la figuration, mais qui n'échappe pas au rôle de demoiselle en danger, élégante, sans être sexualisée. Son mode de représentation des personnages lui permet de très bien réussir les expressions d'effroi ou de grotesque. Le lecteur se souviendra longtemps de la tête de l'antiquaire noyé dans son aquarium au sous-sol, ou de l'apparence parodique d'Ange-Gabriel Bellaparte.



En se lançant dans cet ouvrage, le lecteur pénètre dans une solide reconstitution des différents environnements, dans une intrigue qui se nourrit d'un pan de littérature du dix-neuvième siècle et de sa descendance du début du vingtième siècle, ainsi que d'autres éléments culturels du vingtième siècle. Didier Savard n'a rien perdu de sa capacité à raconter une aventure l'enquête progresse régulièrement avec des éléments variés, comme un journal de pilotin, un cambriolage nocturne, une visite dans une basilique, une plongée sous-marine, un incendie, un dîner à haut risque avec un responsable du crime organisé, et encore une visite dans un campement de vagabonds dans une région sauvage. La narration est ainsi faite qu'il est possible de lire ces péripéties au premier degré, comme d'y voir un exercice postmoderne très réussi où l'auteur sait mettre à profit des éléments culturels identifiés, avec quelques touches d'humour, aboutissant à un récit très savoureux. Il peut aussi se voir comme un commentaire sur le genre littéraire de l'aventure, à la fois du point de vue de la forme (journal de bord, évocation de mythes oubliés, action spectaculaire) que sur le fond (événements passés dont il est difficile d'établir l'authenticité, mythe généré par une époque avec ses spécificités socioculturelles, exotisme d'endroits inconnus).



Avec ce cinquième tome, Didier Savard progresse encore dans sa narration. Il sait mettre à profit aussi bien des mythes que la dimension touristique des environnements parcourus par ses personnages. Le lecteur prend autant de plaisir à suivre le déroulement de l'enquête, qu'à découvrir des endroits pittoresques, à croiser des individus singuliers et à observer des pratiques grotesques, entre horreur et humour.
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Dick Hérisson, tome 4 : Le Vampire de la coste

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 3 : L'opéra maudit (1987) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. La première édition date de 1990. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 1 : qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié. Il compte 46 planches de bande dessinée.



En novembre 1932, Jérôme Doutendieu conduit sa voiture sur une route escarpée du Lubéron, Dick Hérisson étant assis sur le siège passager. La voiture tombe en panne et Hérisson sort pour continuer le chemin à pied, faute d'une autre possibilité. Avançant à pied sur la route, les deux amis aperçoivent une borne kilométrique qui indique que le village de La Coste se situe à trois kilomètres. Ils arrivent en vue du village perché à flanc de montagne, en fin de journée, alors que la neige commence à tomber paresseusement. Ils pénètrent dans le village dont toutes les maisons sont déjà fermées, apercevant une femme qui claque la porte de sa maison avant qu'ils ne puissent lui adresser un mot. Un individu un peu difforme part en courant en les apercevant. Finalement ils entrent dans le café Chez Gothon où il y a plusieurs clients et ils se font servir une soupe au lard (le seul et unique plat restant) en écoutant les conversations qui portent sur la dernière cliente qui est partie sans payer sa chambre. Du coup, le patron accepte de la louer à Hérisson & Doutendieu. Une fois à l'intérieur, le patron retire les affaires de la demoiselle, Dick Hérisson allume sa pipe et Jérôme Doutendieu se met à lire un livre qui traînait sur Les rites druidiques en Provence.



Alors qu'il ouvre la fenêtre pour faire partir l'odeur de tabac, Dick Hérisson aperçoit des lumières dans les ruines du château. Le lendemain, Doutendieu & Hérisson vont voir le garagiste qui leur indique qu'il en a pour 3 jours réparer la voiture, le temps de faire venir un delco. Ils en profitent pour aller faire un tour dans le château en ruine. Ils se font interpeller par le gardien des lieux qui les informe qu'il s'agit d'une propriété privée. Il en profite d'ailleurs pour chasser Aldonze en lui jetant une pierre, individu simplet, estimant être un descendant du marquis de Coste. Jérôme Doutendieu fait le lien entre le Marquis de La Coste et le Marquis de Sade, et le gardien confirme qu'il s'agit bien des mêmes personnes. Le journaliste lui glisse quelques billets et les deux amis peuvent ainsi se promener à leur guise dans les ruines. Hérisson retrouve l'endroit où il a vu de la lumière la veille au soir. Il y a une volée d'escalier qui mène à la chambre rouge. Doutendieu a la surprise de voir un cadavre dénudé de jeune femme enchaînée en bas des marches.



L'entrée en la matière établit rapidement la nature du récit : route de montagne, village isolé, population méfiante, château hanté, pratiques sacrificielles, idiot du village, victimes retrouvées nues et exsangues. À l'évidence, le récit ne se prend pas au sérieux, utilise des conventions du Grand-Guignol et l'auteur en rajoute une couche avec l'ombre de Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814). Le lecteur sourit devant la panne de voiture dans une région peu fréquentée, le livre qui traîne par hasard sur les rites druidiques (sujet des plus courants), les lumières dans le château, les cadavres exsangues, l'inquiétant idiot du village, la réunion nocturne de conspirateurs, jusqu'à l'assaut donné au château par des villageois armés de fourche venant faire justice eux-mêmes. Didier Savard maîtrise ses classiques des films d'horreur du studio Universal des années 1930/1940. La narration graphique montre ces événements au premier degré, sans amoindrir leur intensité dramatique, sans les tourner en dérision, et les clins d'œil sont évidents pour le lecteur qui dispose des références correspondantes.



Le lecteur retrouve cette même combinaison dans l'intrigue. D'un côté, Didier Savard joue le jeu avec une histoire de cadavres de jeunes femmes, de rituel meurtrier peut-être païens, de descendance dégénérée et d'influence des valeurs du Marquis de Sade. Effectivement, Doutendieu et Hérisson effectuent une enquête : inspection sur place pour faire des constats par eux-mêmes, discussion avec la population, recherche d'informations auprès d'experts et dans une bibliothèque. Ils ont un regard critique sur ce qui leur est raconté à commencer par le prétendu expert du Marquis de Sade qui ignore les circonstances de sa mort. D'un autre côté, le lecteur éprouve des difficultés à prendre l'intrigue au premier degré : l'évocation de pratiques sacrificielles est superficielle sans socle de croyance, la présence de bonnes sœurs effarouchées est caricaturale, les noms des scouts font sourire (Belette Besogneuse, Fourmi Mélomane) et le motif du criminel est peu plausible. Il n'y a pas de doute : l'auteur a réalisé un pastiche nourri de de références, mais aussi d'éléments qui ne font pas sérieux, mais qui font naître un sourire très agréable.



Cette façon de jouer sur une forme de comique complice n'obère en rien la qualité de la narration graphique. Pour commencer, le lecteur observe que Sylvie Escudié continue de faire évoluer sa mise en couleurs vers un domaine plus naturaliste, sans rien perdre en sensibilité. Le lecteur ressent l'ambiance lumineuse d'un temps de neige dans la première page, ainsi que la clarté régnant dans le village à la nuit tombante. Planche 13, elle apporte des informations supplémentaires sur les différences de couleur des végétaux en fonction de leur espèce, sur la manière dont ils ressortent sur la pierre. Du coup, cela donne plus d'intensité et de force aux mises en couleurs vives pour les 2 pages de cauchemar (planches 24 & 25), évoquant là aussi les jeux d'éclairage artificiel des vieux films d'horreur. En cela, son travail est en phase avec les choix de l'artiste. Il investit toujours autant de temps et d'énergie pour la représentation des différents environnements. Le lecteur a l'impression qu'il se trouve sur la route du Lubéron et qu'il voit arriver la voiture (modèle d'époque), avec le panorama des montagnes boisées en arrière-plan. Sur la deuxième planche, il bénéficie d'une vue imprenable et magnifique sur le village de La Coste représenté avec soin et fidèle à la réalité. Il a ensuite l'impression de ressentir l'irrégularité du sol sous ses semelles en explorant les ruines du château. Il sent l'air frais du site du fort de Buoux. Il ressent la fraîcheur de la nuit en voyant es fragiles tentes sous lesquelles dorment les scouts. Il assiste navré à la mise à sac de la bibliothèque du docteur Müller.



Didier Savard continue de choisir de choisir de représenter les personnages avec une forme de simplification : des traits de visage légers, une chevelure indomptée par Doutendieu, des gueules exagérées pour les figurants. Il faut voir la populace déchaînée au pied du château. À plusieurs reprises, le lecteur peut voir l'influence de Jacques Tardi dans les visages des habitants, aussi dans la silhouette d'Aldonze. À nouveau, ce mode de représentation fonctionne à la fois au premier degré (des êtres humains montrés sans fard, avec leur altérité), et des gugusses à la tronche patibulaire renvoyant à des esprits obtus et donc dangereux. D'un côté, Doutendieu et Hérisson conservent leur dignité du début jusqu'à la fin, avec un peu de recul quant à ce qui leur arrive, et des réactions émotionnelles devant les crimes ou quand l'urgence se fait sentir. Il n'y a que lorsque que Jérôme Doutendieu est déguisé que l'artiste passe dans un registre un peu plus outré, générant un comique visuel irrésistible. Face aux deux héros, tous les autres personnages semblent bizarres : l'aubergiste Gothon particulièrement bourru, le docteur Müller faussement distingué, les charmantes scouts trop indépendantes pour être vraies, etc.



Au bout de quelques pages, le lecteur apprécie le récit comme un pastiche avec des références qu'il n'est pas nécessaire de connaître pour sourire, mais qui apportent un plus quand on les connaît. Le lecteur de Tintin assimile tout de suite les déformations du nom de Doutendieu, à celles que Bianca Castafiore fait subir au nom de Haddock. Il se rend également compte que derrière le ton léger et l'ambiance au second degré, l'auteur met en scène des thèmes comme les superstitions, la dangerosité d'une foule, la défiance provoquée par la différence, les comportements criminels irrationnels, l'incidence de la littérature (la manière dont les écrits du Marquis de Sade continuent d'influencer des vivants, des années après sa mort). La tonalité du récit n'est pas réaliste du fait de l'emploi de clichés en toute connaissance de cause, ce qui rend le récit plus divertissant, sans pour autant empêcher l'intégration de thématiques plus sombres.



Avec ce quatrième tome, Didier Savard donne l'impression de pousser sa narration dans une orientation plus affirmée que dans les précédents. Le lecteur retrouve tout ce qui l'avait intéressé dans les premiers tomes : une enquête sur des crimes sordides, une description vivante et fidèle d'une région, des conventions classiques de la littérature d'évasion et d'aventure. Didier Savard s'implique toujours autant dans la représentation de sites régionaux, avec une grande qualité. Il a un peu augmenté l'étrangeté des individus rencontrés par ses héros, ce qui renforce la sensation d'altérité. Il a choisi d'augmenter la part du pastiche, avec un savoir-faire qui permet au lecteur qui ne connaît pas les références de ne pas se sentir exclu. Il marie avec élégance les éléments humoristiques et les éléments plus graves.
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Dick Hérisson, tome 1 : L'ombre du torero

J'ai beaucoup aimé les dessins qui sont très agréables, notamment la balade aux Baux de Provence. J'ai trouvé l'histoire un peu courte. Dick Herisson enquête sur la mort qui se veut naturelle d'un docteur dans le marais, il aurait eu une crise cardiaque en voyant un taureau fantôme.
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Dick Herisson, tome 10 : La Brouette des mo..

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 9 : Le 7ème cri (2000) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 2002. Il a été réédité dans Dick Hérisson l'Intégrale, Tome 2 : qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard (1950-2016), pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 48 planches de bande dessinée.



Au tout début des années 1930, Trégomeur arrive à Tonquédec en voiture, sous la pluie. Il s'arrête devant le château de Tonquédec et y pénètre à pied. Au détour d'un passage, il a la tête tranchée par un individu avec un heaume sur la tête, maniant une épée. Deux jours plus tard, Clarence Beaufixe arrive à Locquémeau en voiture. Il s'arrête chez un antiquaire et y déniche une photographie du manoir de Coat an Drez, mais situé dans la forêt, alors qu'en réalité il est situé en plein bourg. Il veut acheter la photographie, mais l'antiquaire lui dit qu'elle n'est pas à vendre. Déçu, Clarence Beaufixe reprend la route et parvient au château de Coat an Drez, en peine forêt. Il est dans un état de délabrement avancé. Beaufixe pénètre à l'intérieur et constate le fort état de dégradation. Il monte à l'étage et a la surprise de trouver une pièce en parfait état. Il y pénètre : il s'agit du bureau de son psychothérapeute le docteur Schnitt. Il s'allonge et lui raconte son rêve : la mort de Trégomeur, et que c'est lui qui portait le masque et qui l'a décapité sans pouvoir s'en empêcher. Lorsqu'il s'arrête de parler et qu'il rouvre les yeux, il se rend compte que Schnitt a arrêté de parler. Il se retourne et découvre que son analyste a lui aussi été décapité. Puis il se réveille au volant de sa voiture, arrêtée sur un bas-côté. Quelques jours plus tard, il se rend à sa consultation chez le docteur Schnitt, s'allonge et lui raconte tout ça. Quand il a fini, il se retourne et découvre que Schnitt a été décapité. Il pense qu'il va se réveiller, mais la police arrive et l'arrête.



Le lendemain, Mathilde Beaufixe, épouse de Clarence, (ex Mathilde de Kercroix), contacte Dick Hérisson et le rencontre dans un café de Montparnasse. Elle lui demande son aide pour innocenter son mari. Il accepte et se rend à l'asile Saint Yves à Tréguier. Grand admirateur de ses aventures, le responsable de l'établissement accepte de lui faire rencontrer Clarence Beaufixe dans sa cellule, restreint par une camisole de force. Beaufixe raconte toute son histoire à Hérisson. Ce dernier se rend à Locquémeau pour visiter la boutique de l'antiquaire. Il y retrouve le cadre, mais il n'y a plus la photographie du manoir de Coat an Drez situé dans la forêt. Alors qu'il hèle l'antiquaire, il en découvre le cadavre dans l'arrière-boutique, décapité. Il décide de retourner à l'asile Saint Yves, ce nouveau meurtre disculpant sans doute possible Clarence Beaufixe. Lorsqu'il y arrive, le responsable de l'établissement lui apprend que Clarence Beaufixe s'est évadé.



Depuis le tome 8, c'est devenu une marque de fabrique de la série de jouer ce qui est réel ou non. Didier Savard s'en donne à cœur joie avec la séquence d'ouverture. D'abord un meurtre à l'épée dans un château abandonné, puis une visite sans aucun rapport chez un antiquaire qui refuse de vendre une photographie, puis une visite dans un manoir abandonné avec une unique pièce en parfait état… mais c'était un cauchemar, mais les faits se reproduisent à l'identique dans la réalité. Au fil des pages, le lecteur se rend compte que l'intrigue est très dense, et il a bien du mal à distinguer l'anecdotique de ce qui relève du fil directeur. Par exemple, il s'attache à cette question de manoir situé en plein bourg et pas dans la forêt. Le scénariste fournit une première explication impliquant le retour de Pendrouët d'Amérique du Sud avec une diva et qui fait construire ledit manoir. Mai en fait cette première explication en planche 16 est complétée par une deuxième en planche 19 qui vient complexifier l'histoire, sans vraiment être très claire. L'enchâssement des séquences oniriques est également construit pour déstabiliser le lecteur. Finalement le premier décolletage à l'épée est un rêve, mais en fait non. Le deuxième dans le manoir abandonné en est un aussi, en fait oui, mais en fait non. Le troisième est un, en fait non pas du tout puisque que Clarence Beaufixe est bel et bien arrêté… mais le scénariste n'explique pas par la suite comme le psychothérapeute a été décapité à côté de Beaufixe, ni ce qu'est devenu la tête manquante, ni la raison pour laquelle la police fait irruption dans le cabinet juste à ce moment-là. Le lecteur se demande si le scénariste lui-même n'a pas rajouté des éléments au point de ne plus tout maîtriser, comme par exemple le personnage appelé Trégomeur au début, qui est appelé Kergomeur par la suite.



Ce n'est pas d’ailleurs la seule fois où Didier Savard raconte un événement, souvent un meurtre, qui ne reçoit pas d'explication rationnelle par la suite. Il avait déjà utilisé ce genre de dispositif narratif dans des tomes précédents, dans celui-ci il l'utilise à plusieurs reprises. Cela induit une certaine gymnastique de l'esprit pour le lecteur pour distinguer les faits qui font avancer l'intrigue, et les moments qui relève de la licence artistique, et qu'il est prié d'accepter en l'état. Le lecteur fournit un petit effort pour suivre le déroulement de l'intrigue qui s'avère dense et un peu échevelée, macabre et peuplée d'individus peu recommandables. Il constate également que Mathilde de Kercroix est de retour : elle était l'un des personnages principaux dans Dick Hérisson, tome 7 : Le Tombeau d'Absalom (1996). Il est également question de Tom Carr, cinéaste, personnage de premier plan dans Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu (1998). Enfin, Dick Hérisson fait une référence explicite à une situation similaire à celle où il se trouve avec Jérôme Doutendieu, survenue dans Dick Hérisson, tome 5 : La Conspiration des poissonniers (1993). L'auteur tisse ainsi une continuité entre plusieurs de ses albums, sans que le récit ne devienne inintelligible si le lecteur ne les a pas lus. Il effectue d’autres références explicites, à Chéri-Bibi (1913, 1919, 1925) de Gaston Leroux (1868-1927), Les contrebandiers de Moonfleet (1955) de Fritz Lang (1890-1976), Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock (1899-1980). Il reprend également une scène tirée d'un Tintin comme il l'avait fait dans le tome précédent : cette fois-ci il s'agit d'un individu enfermé dans une cave et tapant sur les canalisations pour se faire remarquer, à l'identique d'une scène dans Les aventures de Tintin, tome 18 : L'Affaire Tournesol (1956).



Comme pour l'histoire, le lecteur observe que la narration visuelle s'est également densifiée. Au fil des albums, Didier Savard s'est éloigné d'une ligne claire propre et aérée, ses traits de contour devenant plus fins, moins réguliers, donnant une sensation d'images plus compactes et un peu rugueuses. Cela ajout fortement à l'impression que l'histoire est complexe et difficile à bien saisir. Pour autant, cette évolution n'enlève rien au plaisir de la lecture. Les personnages restent visuellement bien définis et fidèles à leur apparence pour Hérisson, Doutendieu et Mathilde de Kercroix/Beausite. Comme à son habitude, l'artiste exagère les autres personnages en leur donnant des trognes marquées, que ce soit Trégomeur, l'antiquaire, les pensionnaires de l'asile Saint Yves dont un se tourne vers le lecteur pour lui faire un signe, les trois habitués du café Le Korrigan qui semblent être en provenance directe de la partie de cartes de Pagnol, ou encore la mère Marchandeux. S'il y prête attention, le lecteur remarque que Savard s'amuse aussi avec des personnages apparaissant le temps d'une case, par exemple la vieille matrone bretonne en costume traditionnel qui emprunte un livre de Sade à la bibliothèque (planche 28), ou encore le gros monsieur qui lit un livre dans la même bibliothèque, livre contenant une lettre de l'alphabet par page.



Cette fois-ci l'enquête n'emmène pas Dick Hérisson à Arles, et c'est Jérôme Doutendieu qui fait le déplacement en Bretagne. Didier Savard a choisi des lieux existants pour la plupart comme Belle-Îsle en terre ou Tonquédec, Tréguier, Saint-Brieuc. Le lecteur constate que l'artiste s'implique toujours autant pour décrire avec minutie les décors réels. Il se régale donc en contemplant le château de Tonquédec, mais aussi les petits immeubles de ces villes, avec leurs poutres apparentes. Il investit autant de temps et d'énergie pour les deux manoirs Coat an Noz et Coat an Drez, ainsi que pour la belle maison des époux Beaufixe et son jardin, le labyrinthe de haies du jardin de la mère Marchandeux. Les intérieurs valent également que le lecteur s'y attarde pour les savourer : le local encombré de l'antiquaire, l'intérieur en ruine de Coat an Drez, l'aménagement du bureau du psychothérapeute, les meubles très simples du troquet Le Korrigan, la boutique du photographe Birlot, la bibliothèque municipale, la cave incroyable de Schnitt. En ce qui concerne ces décors, les traits moins réguliers et plus secs leur donne plus de consistance et de texture, les rendant palpables.



Ce dernier tome complet de la série comprend une évolution significative, entre les dessins donnant une sensation de fouillis, sans avoir perdu en précision, et une narration qui use allègrement du dispositif qui consiste à créer une situation bizarre et macabre, exigeant un supplément de suspension consentie d'incrédulité sans jamais recevoir d'explication. Dans le même temps, cela ne diminue en rien le plaisir visuel de la lecture, ainsi que le plaisir de ressentir les frissons liés à la possibilité du surnaturel, dans une intrigue très riche. Le lecteur referme ce tome avec un petit pincement au cœur en sachant qu'il ne reste plus qu'un tome inachevé, l'auteur étant décédé avant de pouvoir le finir.
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Dick Hérisson, tome 1 : L'ombre du torero

Dick Herisson, détective privé, et un ami journaliste viennent palier le manque d’efficacité de la police sur une enquête de meurtres. L’intrigue est très bien construite et on découvre les motivations du meurtrier dans les dernières planches ce ; le suspens est conserver jusqu’au bout. En ce qui concerne le dessin, celui-ci plonge les personnages dans des décors sobres, l’attention du lecteur est davantage portée sur le scénario. Une très bonne B.D. pour les amateurs de polars.
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