Treize ans après Cyrano de Bergerac, cette pièce-fable mettant en scène un coq et sa basse-cour rappelle par certains points l’immense succès du fier mousquetaire au long nez et à la pointe infaillible (ou phrase coup de poing). Le héros-coq est à la fois grandiose et naïf, idéaliste s’aveuglant lui-même comme le Don Quichotte, sensible et se relevant toujours comme un Chevalier du Zodiaque de Saint Seya, serviteur éternel de sa divinité, le Soleil. L’évidence de l’impossibilité de sa quête (anéantir la Nuit en chantant le Soleil) la rend d’autant plus noble. La tendance de Rostand à enfiler en cascade les prouesses de rimes et de bons mots, trouvailles, allonge et disperse le propos, affaiblit les moments forts de la pièce (c'est pourquoi il est apparu nécessaire aux metteurs en scène de la pièce de sélectionner, de couper).
Comme dans une fable, les animaux sont des symboles qui représentent des caractères humains (le chien est un bon compagnon fiable, les poules sont des groupies, la faisane est une bohémienne sauvage…) et les oppositions inévitables qui se créent entre eux (jalousie, mécontentement des rapaces nocturnes dérangés par le chant du coq, bataille de coqs, incompréhension entre cultures domestique et sauvage…). Mais le « mal » n’est pas tant représenté par les opposants naturels ou ennemis déclarés (autres coqs, rapaces, chat), que par des personnages comme le merle moqueur et la paon m’as-tu-vu. La vanité et le cynisme sont des poisons qui détruisent les rêves, les beaux idéaux, et l’envie de faire au mieux en allant vers ceux-ci. Ils ruinent toute entreprise humaine, agents du nihilisme. La critique radicale des effets dévastateurs de la dérision (qui réduit tout au dérisoire, gratuitement, rappelle la scène finale de L’Homme qui rit de Victor Hugo, dans laquelle la moquerie gratuite des lords anéantit la puissance argumentative du discours de Gwynplaine (cousin défiguré de Cyrano ?).
L’humain présent ici par sa seule balle tueuse, « race méchante », est dominé par cet appétit de destruction, ou pulsion de mort, qui semble vouloir jalousement casser les jambes de toute personne qui souhaite se lever et construire. Ainsi se résume le dilemme de Chantecler : faut-il abandonner cette civilisation assoiffée de vides sophistiqués, et retourner à une existence sauvage, un bonheur simple d'exister, ou persévérer dans l'utopie d'un monde meilleur ?
Lien :
https://leluronum.art.blog/2..