[...] ... - "Comme romantique, tu te poses là.
- Y a pas de risques. C'est toi le romantique, quand tu refuses d'accepter la réalité parce qu'elle ne satisfait pas ton idéal romanesque de l'amour.
- De toutes façons, on est cinglés à se raconter ces idioties. On discute d'un sujet qui est purement théorique - pour l'un comme pour l'autre. L'amour est tout en bas de la liste de mes besoins. Il y a tout un tas de choses qui passent avant.
- C'est vrai. Au vu de notre position, ce n'est pas pertinent. Ca pourrait peut-être même être un handicap. Regarde Jerry. Mon premier souci, c'est de trouver le moyen de ne pas être capturé pour passer le reste de ma vie dans une cellule. Juste après ce coup-ci, je fais mes bagages et je quitte le pays. C'est ce que j'aurais dû faire après la banque, mais je n'avais jamais rien mis sur pied à ce moment-là.
- Et maintenant ?
- J'ai un faux diplôme de dentiste, un visa de tourisme mexicain et je suis en correspondance avec une ville du Yucatán. Je parle l'espagnol et c'est là-bas que je vais me bâtir une nouvelle existence. Ici je ne réussirai jamais à me faire passer pour dentiste sans y laisser de plumes mais là-bas, les gens se baladent encore à dos de mulet et ce qui les intéresse, c'est qu'on les débarrasse de leurs rages de dents, et pas la paperasse.
- Mais le Yucatán, c'est la jungle. C'est primitif. Est-ce que c'est tout ce que tu veux de l'existence ?
- Ce que je veux, ce n'est pas ça la question. Ce qui importe, c'est ce dont j'ai besoin. Et j'ai découvert, au fond d'une cellule de prison - et ça, c'est quelque chose de primitif - que j'avais très peu de besoins.
- Et la vengeance, qu'en fais-tu ? Tu n'éprouves donc aucune haine - pour le système, la société ?
- J'ai brûlé de haine pendant deux années - ensuite, je me suis trouvé à court de combustible. Il se pourrait bien que la vengeance soit une chose délicieuse à assouvir, mais elle ne vaudrait pas le risque encouru. Je compte encore à mes propres yeux ... Ce n'est pas comme toi.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ta philosophie, c'est : "Rien à foutre." Ca t'est égal. Regarde-toi.
- Je me regarde, effectivement, je n'arrête pas. J'aime le risque, mais tout ne m'est pas égal, je compte encore.
- Pas suffisamment, je crois. Pas suffisamment." ... [...]
[...] et s'il possédait quelque conviction politique, le marxisme en faisait partie. Les gens ne seraient jamais égaux, mais la différence devrait s'établir entre une maison à vingt mille dollars et une à cinquante mille, et non pas entre une masure infestée de rats et une propriété d'un demi-million de dollars. Et cette différence devrait s'établir au vu des capacités de chacun.
Peut-être est-il impossible à quiconque de dire la vérité.
Ce que l'on mérite et ce que l'on obtient sont souvent deux choses tout à fait différentes.
Les temps durs font les gens durs.
A trop délirer sur l'extérieur, sans raison, le prisonnier devient fou à lier.
La paranoïa est une caractéristique essentielle du criminel.
- Ce que l'on mérite et ce que l'on obtient sont souvent deux choses tout à fait différente.
Je roulais vite sur l'autoroute de bord de mer
à travers le crépuscule orangé,
au milieu d'une circulation chargée,
et l'idée me vint soudain que ma vie tout entière s'était passée
soit verrouillé à double tour dans une cellule minuscule,
soit en train de me précipiter tête en avant destination nulle part.
Il souffrait, c'était le début du manque,
et j'étais capable de sympathie pour son état.
Il n'existe rien de comparable à cette combinaison de torture et de désir ardent,
à la fois mentale et physique.
Un toxico malade préfère un fixe au salut.
Ce que je veux, ce n'est pas ça la question.
Ce qui importe, c'est ce dont j'ai besoin.
Et j'ai découvert au fond d'une cellule de prison
- et ça, c'est quelque chose de primitif -
que j'avais très peu de besoins.
Sa forme d'aveuglement,
fondée sur un sens inébranlable du bien-fondé de ses actes,
était inexpugnable.
Rien ne lui ferait jamais entrevoir le fait
que si les gens comme moi étaient la maladie,
les gens comme lui en étaient les porteurs.
L'angoisse ne peut pas naître d'espérances anéanties
lorsqu'il n'y a pas d'espérances.
Un tourbillon de solitude, de furie et de désespoir mêlés
m'emporta dans une folie aveugle, noyée de larmes.
Je plaidai en silence : "Oh ! s'il vous plaît, aidez-moi."
Ma supplique s'adressait à la Chance, au Destin, à Dieu,
ou à une puissance qui n'avait pas de nom,
cette supplique qui s'arrache du cœur de tout homme
à un moment de son existence.
Seuls ceux qui se sont trouvés mis en cage
peuvent comprendre toute l'horreur d'une clé qui verrouille une serrure.
Mon père était devenu un bébé impuissant, sénile, idiot et solitaire.
A quinze ans, le concept de mort n'avait pas pour moi de réalité,
mais je comprenais la solitude avec une clarté limpide.
Et cet épisode très bref de mon existence fut pour moi
l'illumination de la destinée humaine dans toute sa crudité.
C'était cela, la condition humaine, loin de la gloire des livres et de l'histoire.
Tout le monde sort un jour ou l'autre, conditionnelle ou boîte en sapin.
Les hommes ont usé de bibliothèques entières
pour justifier le mal qu'ils perpétraient ;
moi, j'étais confronté à la situation où je devais justifier
ma volonté de ne pas faire le mal.
Maintenant ma liberté était absolue,
d'une qualité qu'il est donné à peu de gens de vivre.
Que j'aille au nord comme au sud,
à l'est comme à l'ouest,
ne faisait absolument aucune différence.
C'était la liberté au point de me sentir exister dans un vide.
Ce que l'on mérite et ce que l'on obtient sont souvent deux choses tout à fait différentes.