Citations de Elena Ferrante (2096)
Il faut peu de temps à une conviction fragile pour faiblir et finir par céder
Oui, c’est Lila qui rend l’écriture difficile. Ma vie me pousse à imaginer ce qu’aurait été la sienne si mon sort lui était revenu, à me demander ce qu’elle aurait fait si elle avait eu ma chance. Et sa vie surgit constamment dans la mienne, dans les mots que j’ai prononcés et derrière lesquels il y a souvent un écho des siens, dans mon geste déterminé qui est la transposition d’un de ses gestes, dans mon habitude d’être en deçà qui correspond à sa manière d’être au-delà, dans mes tentatives d’aller au-delà qui exagèrent ses façons d’être en deçà. Sans même mentionner ce qu’elle ne m’a jamais dit mais m’a laissé deviner, et ce que je ne savais pas et que j’ai lu ensuite dans ses cahiers. Ainsi le récit des faits doit-il tenir compte de toutes sortes de filtres, retours en arrière, vérités partielles et demi-mensonges : et cela me conduit à la tâche exténuante de mesurer le temps passé en me fondant sur le mètre étalon bien incertain des mots.
Je me présentai assidûment aux examens et étudiai, selon mon habitude, avec une impitoyable discipline. J’étais terrorisée par l’échec et par l’idée de perdre tout ce qui, malgré mes difficultés, m’était immédiatement apparu comme le paradis sur terre : un espace à moi, un lit à moi, un bureau à moi, une chaise à moi, des livres, des livres et encore des livres, une ville aux antipodes du quartier et de Naples, et autour de moi rien que des gens qui faisaient des études et discutaient volontiers de ce qu’ils étudiaient.
Je commençai à me remettre en question : avais-je été aveuglée, m’étais-je bercée d’illusions ? Comment avais-je pu imaginer lui plaire, ne serait-ce que le temps des vacances, moi la petite ronde à lunettes, certes appliquée mais pas intelligente, moi qui me prétendais cultivée et informée mais ne l’étais pas ? D’ailleurs, y avais-je vraiment cru ? J’examinai mon propre comportement avec soin. J’étais incapable d’exprimer clairement mes désirs. Non seulement j’étais attentive à les dissimuler aux autres mais je ne me les avouais que sans trop y croire, sans conviction. Pourquoi n’avais-je jamais dit franchement à Lila ce que j’éprouvais pour Nino ? Et pourquoi ne lui avais-je pas crié la douleur qu’elle m’avait causée avec sa confidence au beau milieu de la nuit ? Oui, pourquoi ne lui avais-je pas révélé qu’avant même de l’embrasser, Nino m’avait embrassée, moi ? Qu’est-ce qui me poussait à me conduire ainsi ? Avais-je tendance à étouffer mes propres sentiments parce que j’étais effrayée par la violence avec laquelle, au plus profond de moi, je désirais les choses, les personnes, les louanges et les victoires ? Craignais-je que cette violence, si je n’obtenais pas ce que je voulais, n’explose en mon cœur et se transforme en d’horribles pensées, comme celle qui m’avait amenée à comparer la belle bouche de Nino au corps d’un rat mort ? Cela signifiait-il que, même lorsque je m’exposais, j’étais toujours prête à rebrousser chemin ? Était-ce pour cela que j’avais toujours un sourire gracieux et un petit rire satisfait à disposition lorsque la situation tournait mal ? Était-ce aussi pour cela que, tôt ou tard, je trouvais toujours quelque moyen de justifier ceux qui me faisaient souffrir.
Mais que faisions-nous, en réalité ? Était-ce vraiment une discussion ? Un entraînement afin de pouvoir nous mesurer, dans l’avenir, à d’autres personnes ayant appris à manier le langage comme nous ? Était-ce un échange de signaux destinés à nous prouver que les fondements d’une amitié longue et fructueuse existaient ? Ou encore une manière cultivée de dissimuler nos désirs sexuels ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que je n’avais aucun intérêt particulier pour ces questions ni pour les faits ou personnes auxquels elles renvoyaient. Tout cela ne faisait partie ni de mon éducation ni de mes habitudes, mais comme toujours je m’efforçais de ne pas faire piètre figure. Toutefois ce fut un beau moment, c’est certain, qui me rappela la fin de l’année scolaire, quand je découvrais la liste de mes notes et lisais « admise dans la classe supérieure ». Mais je compris vite que ce n’était en rien comparable aux échanges que j’avais eus, des années auparavant, avec Lila, ces conversations qui enflammaient mon imagination et au cours desquelles les paroles de l’une entraînaient celles de l’autre, dans une atmosphère électrisée comme un ciel d’orage. Avec Nino, il n’en était pas ainsi. J’eus l’intuition que je devais être attentive à dire ce qu’il voulait que je dise, en lui cachant à la fois mon ignorance et le peu de choses que je savais et pas lui. C’est ce que je fis, et j’étais fière qu’il choisisse de me confier ses convictions.
En fin d’après-midi, quand je rentrais du Sea Garden et rendais ses gamines à la papetière, je passais presque toujours à l’épicerie pour voir comment allait Lila et si son ventre grossissait déjà. Elle était nerveuse et n’avait pas de bonnes couleurs. À mes questions prudentes sur sa grossesse, soit elle ne répondait pas, soit elle me tirait hors du magasin et me donnait des réponses plutôt insensées du genre : « J’ai pas envie d’en parler, c’est une maladie, j’ai à l’intérieur de moi un vide qui me pèse ! »
Je relis des instants et des faits éloignés les uns des autres, jnetablissais des convergences et des divergences. (...) c'était comme si, par quelque vilain tour de magie, la joie ou la douleur de l'une impliquaient la douleur ou la joie de l'autre.
"Lina ne t'a rien dit ?
- A quel propos ?"
Il serra les lèvres, mal à l'aise, et lâcha :
"Bon, c'est moi qui vais te raconter ce qui s'est passé : hier je l'ai embrassée"
Cela débuta ainsi. Le reste de la journée fut consacré à parler de Lila et lui.
Je suis morte mais je vais bien
So much fuss about the greatness of this one and that one, but what virtue is there in being born with certain qualities, it's like admiring the bingo basket when you shake it and good numbers come out.
To write, you have to want something to survive you. I don't even have the desire to live, I've never had it strongly the way you have. If I could eliminate myself now, while we're speaking, I'd be more than happy. Imagine if I'm going to start writing.
She has explained to me that I had won nothing, that in the world there is nothing to win, that her life was full of varied and foolish adventures as much as mine, and that time simply slipped away without any meaning, and it was good just to see each other every so often, to hear the mad sound of the brain of one echo in the mad sound of the brain of the other