Citations de Emil Cioran (2664)
Nous mourons vers le bas, nous nous éteignons à l’ombre de nos paupières, au lieu de mourir les muscles tendus, tel un coureur qui attend le signal, la tête renversée, prêt à braver l’espace et à vaincre la mort dans l’orgueil et l’illusion de sa force ! Je rêve souvent d’une mort indiscrète, complice des étendues…
Je n’ai besoin d’aucun appui, d’aucun encouragement ni d’aucune compassion, car, si déchu que je sois, je me sens puissant, dur, féroce ! Je suis, en effet, le seul homme à vivre sans espoir. C’est là le sommet de l’héroïsme, son paroxysme et son paradoxe.
GLOSSAIRE :
MANGER :
Qu'ai-je au fait appris en France ? Avant tout ce que signifient manger et écrire. Dans l'hôtel où je logeais au Quartier latin, à 9 heures tous les matins le gérant élaborait avec sa femme et son fils le menu du déjeuner. Je n'en revenais pas. Jamais ma mère ne nous avait consultés sur un tel sujet, alors que dans cette famille-là, se tenait une conférence quotidienne à trois. Je pensais au début qu'ils attendaient des invités. Erreur. L'ordonnance des repas, la succession des plats faisaient l'objet d'un échange de vues comme s'il s'était agi de l’événement capital de la journée, ce qui d'ailleurs était le cas. Manger - j'en fis alors la découverte - ne correspond pas seulement à un besoin élémentaire, mais à quelque chose de plus profond, à un acte qui, aussi étrange que cela puisse paraître, se dissocie de la faim pour acquérir le sens d'un véritable rituel. J'ai donc appris à l'âge de 27 ans seulement ce que manger veut dire, ce que cet avilissement quotidien a de remarquable, d'unique. Et c'est ainsi que j'ai cessé d'être un animal.
Avec Gerd Bergfleth, 1984.
Est libre celui qui a discerné l’inanité de tous les points de vue, et libéré celui qui en a tiré les conséquences.
Il faut être mélancolique jusqu'à l'excès, extrêmement triste. C'est alors que se produit une réaction salutaire. Entre l'horreur et l'extase, je pratique une tristesse active.
Les gens exigent qu'on ait un métier.
- Comme si vivre n'en était pas un –
et encore le plus difficile !
Exaspérations
Une dame d'un certain âge, au moment de me dépasser crût bon de proclamer sans me regarder " aujourd'hui je ne vois partout que des cadavres ambulants " Puis, sans me regarder davantage, ajouta : " Je suis folle, n'est-ce pas, monsieur ?- Pas tant que ça ", ai-je répliqué d'un air complice.( p.107)
Il est des regards féminins qui ont quelque chose de la perfection triste d'un sonnet.
Chaque fois que je me promène dans le brouillard, je me découvre plus facilement à moi-même. Le soleil vous rend étranger à vous-même, car en découvrant le monde, il vous lie à ses tromperies. Mais le brouillard est la couleur de l'amertume.
« Le cafard est universel. Même les poux doivent le connaître. Aucun moyen de s’en prémunir. »
S'il tient à préserver une quelconque dignité spirituelle, l'homme doit négliger son statut de contemporain.
S'il y a des heureux sur cette terre, que ne hurlent-ils pas, que ne descendent-ils dans la rue pour proclamer leur joie? Pourquoi tant de discrétion, tant de réserve? Si je ressentais en moi une joie permanente, une irrésistible propension à la sérénité, j'en ferais part à tous les hommes, je donnerais libre cours à mon euphorie.
Si le bonheur existe, on doit le communiquer. Mais peut-être les individus réellement heureux n'ont-ils pas conscience de leur bonheur. S'il en est ainsi, nous pourrions leur offrir une part de notre conscience, en échange d'une part de leur inconscience.
Marcher dans une forêt entre deux haies transfigurées par l'automne, c'est
cela un triomphe . Que sont à côté suffrages et ovations ?
Les enfants que je n'ai pas eus ne savent pas ce qu'ils me doivent.
N'est profond,...n'est véritable, que ce que l'on cache. D'où la force des sentiments vils.
La mélancolie me dispense de l'alpinisme. Lorsqu'on commence à comprendre les montagnes d'en bas. . .
p.417
VI - LE CRÉPUSCULE DES PENSÉES
Si tu en sens le besoin, crache vers les astres, tu seras plus proche de leur grandeur qu’en les contemplant avec bienséance et dignité.
Il est des nuits que le plus ingénieux des tortionnaires n'aurait pu inventer. On en sort en miettes , stupide, égaré, sans souvenirs ni pressentiments, et sans même savoir qui on est. Et c'est alors que le jour paraît inutile, la lumière pernicieuse, et plus oppressante encore que les ténèbres.
La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur.
Lu dans Distant Voices de T21
Les solitudes prêtent leurs voix innombrables à ceux qui ont trop à dire pour pouvoir encore parler !