Citations de Emily Fridlund (91)
Je n’avais pas de destination précise, je voulais simplement partir.
Les bois défilaient langoureusement, leurs branches un enchevêtrement bleu vert de l'autre côté des vitres.
Par certains aspects, les bois m'étaient familiers, mais j'y découvrais toujours des choses que je n'avais jamais vues avant.
Les bois étaient un genre d'atelier pour la non-pensée, pour apprendre simplement à voir et vadrouiller.
Chaque arbre, même les rangées rectilignes de pins plantés des années plus tôt par le service des forêts, était unique à mes yeux : celui dont la résine cloquait sous la chaleur, celui dont une branche avait été arrachée, laissant dans le tronc un visage de gnome.
Année après année, les bois continuaient de se déployer, de s'épanouir et de se défeuiller, et cet état de flux constant était chargé d'un sens à demi révélé, à demi tu -- un mystère, certes, mais un mystère rendu prévisible par le changement même, les bois couvrant et recouvrant leurs traces.
Ce n'est pas ce qu'on pense, mais ce qu'on fait qui compte.
L'aube est un laissez-passer.
Jour après jour, l'aube inondait la chambre de sa lumière grise.
Les trembles et les peupliers lâchaient leurs graines par rafales cotonneuses, qui s'accumulaient -- comme de la neige -- le long du sentier de terre.
Elle était incapable de décider ce qui importait le plus : les bonnes actions ou la grâce de Dieu.
Peut-être qu'il existe un moyen de s'élever au-dessus de tout, une échelle ou une perspective magique, un poste d'observation offrant une vision claire et dégagée des événements.
C'était une journée idyllique, type boule à neige -- partout des mouettes flottaient jusqu'au sol, le ciel était un dôme virginal de ciel bleu.
Claquant des dents dans le canoë, je me rhabillai. Je pagayai jusqu'au rivage, rinçai la boue sur mes pieds avec un peu d'eau du puits, grimpai l'échelle du grenier au-dessus de la chambre de mes parents et me masturbai tristement, mes doigts accrochant mes poils pubiens rêches. Après quoi je m'endormis profondément.
Après six mois d'hiver, j'étais d'une blancheur aveuglante : mon menton, mes tétons et mes genoux affleuraient à la surface. Après un temps, la lune émergea furtivement de sous un nuage, projetant une traînée de lumière sur le lac. Il aurait été aisé de regarder par n'importe laquelle des fenêtres de la maison et de me voir. J'étais justement là pour être vue.
Je roulai mon T-shirt, mon jean et mes sous-vêtements en boule dans le canoë, puis je plongeai dans l'eau si vite que j'eus l'impression d'être avalée. Des algues pourries remontées du fond du lac s'enroulèrent autour de ma jambe gauche. Je m'éloignai du canoë en battant des pieds et flottai sur le dos, misérablement, mes tétons minuscules et durs braqués sur Scorpion.
Vous savez bien comment vont les étés. On les attend impatiemment, impatiemment, mais il y a toujours quelque chose qui cloche. Où que l’on regarde, les insectes font bourdonner l’air; les oiseaux, énormes, pillent les arbres; les feuilles alourdissent les branches.
L’épaisseur visqueuse de l’eau glissait sous moi -- combien d’années d’étés étais-je restée étendue sur ce lac? Je sentis l’empreinte exacte laissée par mon corps dans l’eau, l’estampe d’une fille maigre, et après avoir flotté un moment à la surface, je retins ma respiration et plongeai.
L'aube est un laissez-passer. Je l'ai toujours pensé. Entre quatre et sept heures, le temps appartient à quelques oiseaux agités, à une dernière chauve-souris peut-être, fondant sur les moustiques.
Aujourd'hui encore, il y a tant de gens qui admirent le manque. Ils pensent que le manque vous aiguise, comme la beauté, faisant de vous quelque chose qui pourrait les blesser. Inconsciemment, ils y mesurent leur propre force, se préparant soit à vous plaindre, soit à vous combattre.