Citations de Emma Donoghue (211)
Je pense à Grand Méchant Nick qui me met dans son camion et j'ai la tête qui tourne comme quand je tombe.
"La peur, voilà ce que tu ressens, explique Maman, mais tu te montres aussi très courageux.
-Hein ?
-Peureux et courageux.
-Peurageux !"
« Moi je crois qu’elle peut expliquer : elle veut pas, c’est tout. Mais tu peux me le dire, j’ai cinq ans maintenant. » (p. 92)
Madame Lucarne commence à s'éteindre.
Au dîner, c'est du fromage tout suant et du brocoli à moitié fondu. Maman dit que je dois manger sinon j'aurai encore plus froid.
Elle prend deux a-mal-gésiques et avale un grand coup.
"Pourquoi tu as encore mal si Dent Malade y est plus?"
Les statues peuvent rester toutes nues même si c’est des adultes ; peut-être qu’elles sont obligées. Beau-Papy dit que c’est pour ressembler à des vieilles statues d’autrefois qui étaient toujours déshabillées à cause des Romains qui trouvaient les corps humains plus beaux que tout.
Pour oublier les singes, je pense à tous les enfants du monde qui sont pas que de la télé : ils existent en vrai, ils mangent, ils dorment, ils font pipi et caca comme moi. Si j’avais un truc pointu et si je les piquais, ils saigneraient, si je les chatouillais, ils rigoleraient. J’aimerais bien les voir mais ça me donne le tournis de savoir qu’ils sont vraiment beaucoup alors que moi, je suis tout seul.
Moi, j’aime pas les W-C intelligents qui regardent nos fesses.
« En fait c’était une cabane de jardin au départ. Un simple local d’un peu plus de trois mètres sur trois aux cloisons en acier doublées de vinyle. Mais il a ajouté une lucarne insonorisée et plein de mousse isolante à l’intérieur des murs, plus une couche de tôle de plomb, parce que le plomb absorbe tous les bruits. Ah oui, et une porte blindée avec un code de sécurité. Il lui arrive de se vanter du beau boulot qu’il a fait. »
Les forêts existent que dans Madame Télé comme les jungles et les déserts, et aussi les rues, les immeubles et les voitures. Pareil pour les animaux sauf les fourmis, Petite Araignée et Mademoiselle Souris mais elle est partie maintenant. Les microbes existent pour de vrai, comme le sang. Les petits garçons n’habitent que dans Madame Télé mais ils me ressemblent un peu, enfin à moi dans Monsieur Miroir où j’existe pas en vrai non plus, juste en image.
Comme il est 5h39, on peut dîner : c’est des nouilles instantanées. Pendant qu’on les laisse dans l’eau bouillante, Maman trouve des mots difficiles sur la brique de lait pour me tester, comme nutritionnel qui veut dire à manger et pasteurisé qui veut dire germes tués au pistolet laser. Je veux encore du gâteau mais elle dit d’abord les cubes de betterave bien juteux.
On rentre dans un bout de Gouvernement pour prendre une nouvelle carte de Sécurité sociale à Mamie vu qu'elle a perdu la vieille; il faut attendre pendant des années et des années.
« On est comme les personnages d’un livre et lui, il ne laisse personne l’ouvrir »
Sauf que le nourrisson a des lèvres rouge-noir et que sa peau bleuie par endroits se desquame comme après un coup de soleil, alors même qu’elle n’a jamais vu la lumière. Une fille. Une toute petite fille mort-née.
Mère de cinq enfants à 24ans, descendante sous-alimentée de générations d’Irlandais sous-alimentés, le teint livide, les yeux rouges, la poitrine presque inexistante, les pieds plats et les membres maigrelets, avec des veines semblables à un entrelacs de ficelles bleues, Eileen Devine à marché toute sa vie adulte au bord d’un gouffre. Au fond, cette grippe l’a juste fait basculer dans le vide.
Une femme n’aime pas son mari si elle ne lui fait pas douze enfants. Dans d’autres pays, certaines prendraient peut-être des mesures pour éviter ça. Mais en Irlande, de telles choses ne sont pas seulement illégales, elles sont aussi taboues.
En haut du portail de l’hôpital, il y a ces mots en fer forgé et doré sur lesquels la lumière des réverbères cessera bientôt de se refléter : Vita gloria vita. La vie, la glorieuse vie.
Une pensée me traverse l’esprit : on ne pourra signer aucun traité avec la grippe. La guerre que nous menons dans les hôpitaux est une guerre d’usure, une bataille sans merci livrée pour chaque corps.
-Vous savez quelle partie du corps d’une infirmière est la plus importante? lui dis-je à l’oreille.
Elle reste d’abord perplexe.
-Ses mains? Ses pieds?
Je montre mon visage et me compose une mine sereine.
-Si une infirmière a l’air inquiète, ses patients s’inquièteront eux aussi. Surveillez votre expression.
Tant de vétérans, à l’image de mon frère, sont rentrés chez eux bien cabossés, sans une égratignure sur le corps peut-être, mais l’esprit couvert d’hématomes invisibles.
Retour à la réalité. Qu'attendra-t-on de moi ce matin ?Je vais retrouver Delia Garrett, en pleurs dans son lit. Honor White, la femme sans mari, toujours à suffoquer. pourvu que ses poumons remportent la bataille. Mary O'Rahilly : S'il vous plaît, faites que l'accouchement soit derrière elle et qu'elle ait son bébé dans ses bras.
Sa vie est régie par le même ordre religieux qui a dirigé le prétendu foyer dans lequel elle a grandi. Un monde secret et sans queue ni tête, où les enfants sont privés d'anniversaire et où les sœurs n'ont plus de liens de parenté. Un lieu pour les rebuts de la société. Une simple portion d'égout, comme elle le dit elle-même.