L'autobiographie de E V Salomon débute alors qu'il est cadet à l'académie militaire quelques années après la première guerre mondiale et sous la république de Weimar ( qui est proclamée au cours de la révolution de 1918, le 9 novembre 1918, soit deux jours avant la fin des hostilités de la Première Guerre mondiale) où Ernst est trop jeune pour combattre.
Il sera de tous les combats en mettant ses capacités et sa vie au service de son pays mais surtout pour mettre à mal le régime en place; ce qui lui vaudra des années de prison ( pour avoir participé à l'assassinat de Walter Rathenau, ministre des affaires étrangères en 1922) mais ne se résignera jamais.
Une génération "coincée" entre deux conflits qui se cherche dans les tourments de l'histoire.
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A l'heure où, en France, des foules en liesse célèbrent la victoire chèrement acquise, en Allemagne, le retour des soldats est un événement terriblement amer qui révèle déjà le fossé considérable qui existe entre les populations civiles et les soldats. Parmi les jeunes gens qui s'attendent au retour des héros, et observent au contraire les faces grises, ternes et terribles de ceux qui ont côtoyé la mort au plus près pendant quatre ans, Ernst von Salomon, élève à l'école des Cadets de l'empereur, bout déjà d'une colère profonde. Von Salomon n'est pas un cas isolé. Il est l'un de ces jeunes hommes qui, durant la décennie 1920 en Allemagne, vont s'engager dans les Corps Francs (Freikorps) et déstabiliser la jeune République de Weimar, déjà peu légitime à cause de la signature du traité de Versailles en 1919.
Le livre est divisé en trois parties chronologiques. On assiste en premier lieu à l'engagement du jeune von Salomon avec les Freikorps dans les combats menés dans les provinces de la Baltique (actuelles Lettonie, Estonie et Lituanie mais anciennement province de Prusse orientale) et de la Silésie (actuelle Pologne). La deuxième partie s'intéresse à son retour en Allemagne et son activisme dans l'organisation Opération Consul, organisation secrète qui agita la société allemande d'après-guerre. Enfin, la troisième partie évoque l'arrestation et, surtout, l'emprisonnement cinq ans durant d'Ernst von Salomon. Cette masse d'événements ne laisse pas d'étonner lorsque l'on sait que von Salomon les vécut avant l'âge de 26 ans.
La première partie est très intéressante car, au-delà des mouvements de troupes et de la description des conditions de vie de soldat, difficiles mais rendues supportables par l'esprit de camaraderie, elle montre surtout la grande précarité de la situation géopolitique de l'Europe dans les années 1918-1921, lorsque les Corps Francs allemands se projetaient à toutes les frontières du Reich pour le défendre d'un démembrement promis. Le terme de "Réprouvés" désigne d'ailleurs les membres de ces Corps Francs dont l'action était reniée par les gouvernements de la République de Weimar. Cette réprobation officielle s'accompagnait, par ailleurs, d'une autorisation officieuse, notamment de la part des Britanniques et des Français qui voyaient, dans les Freikorps, un rempart nécessaire contre la poussée bolchevique en Europe de l'est, et notamment dans les pays baltes. Les Corps Francs connurent toutefois un échec durable puisqu'ils ne purent empêcher la prise de Riga par les Lettons, ni l'occupation finale de la Silésie par les Polonais, pourtant inférieurs sur le plan militaire d'après von Salomon.
La deuxième partie, elle, montre l'agitation frénétique des organisations nationalistes, dont était l'Opération Consul, qui luttent à la fois contre les séparatistes en Rhénanie, contre les communistes et qui ne reconnaissent pas la légitimité de la République de Weimar, accusée d'avoir signé un traité de Versailles honteux. L'activisme brutal des hommes de l'Opération Consul était étroitement surveillé par les services de renseignement allemands et français, étant entendu que la France, jusqu'en 1925, occupe la Ruhr. Se pose alors la question de la stérilité ou de la fertilité de ces actions, avec une dominance pour la première option. On voit aussi, entre les lignes, le contexte économique national très difficile dans lequel vivent les Allemands, notamment une très forte inflation, lequel contexte permet cependant à Von Salomon, par un procédé mercantile qui relève de l'abus de confiance, de financer les activités du groupe. Von Salomon ne fait pas partie des cadres de l'Opération Consul mais, ayant l'oreille d'un responsable (Kern), il participe indirectement à l'assassinat de Walther Rathenau en juin 1922. Rathenau symbolisait, en effet, l'acceptation par l'Allemagne des traités d'après-guerre et des conditions d'occupation, ainsi que sa adhésion aux modes de pensée et aux volontés occidentaux (comprendre : britanniques et français). La troisième partie narre l'enfermement et l'isolement du détenu Von Salomon, condamné à 5 ans pour la participation à l'assassinat de Rathenau et à 3 ans pour coups et blessures sur un ancien membre de l'Opération Consul, un nommé Weigelt, soupçonné de trahison. L'univers carcéral lui assure l'illégitimité du système établi, ne serait-ce que par l'hypocrisie de ce système qui proclame des principes humanitaires et traite les détenus comme des bêtes féroces. Par conséquent, cette expérience lui prouve la justesse de son combat et la vérité de son destin. Cette étape de sa vie confirme aussi à Von Salomon qu'il est autant un réprouvé en prison qu'il le fut en combattant dans les Freikorps.
Les Réprouvés est un grand récit puisqu'il constitue un témoignage direct et puissant d'un combattant allemand, dont l'analyse permet, en filigrane, de comprendre la montée du nazisme. Les phrases de ce livre ont un impact fort qui restitue la rage d'une partie de la jeunesse et de la population allemandes, que les traités d'après-guerre condamnaient à la soumission et à la honte. Enfin, Les Réprouvés interroge la notion de modernité, que d'aucuns qualifieraient aujourd'hui d'aseptisée, ainsi que les valeurs qui en découlent, notamment celles ayant un lien avec la justice et le droit. Cette jeune génération allemande connaît alors de nombreux échecs (dissolution de l'armée allemande, perte des territoires du Reich, persistance dans le modèle libéral ou bourgeois par une majorité de la population allemande ...) mais l'ensemble de ces traumatismes (politique, économique, militaire, social ...) furent un terreau fertile pour la naissance et la poussée du national-socialisme, dont on devine, dans les écrits d'Ernst von Salomon, les premiers bourgeons.
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Un des rares récit de Baltikummer, en France nous n'avons malheureusement que peu de récits des Freikorps et de l'effervescence de pensée politique qu'ils constituaient. cet ouvrage taillé à la baïonnette, relate les événements troubles du Kampfzeit.
Situé a l'époque ou un Homme partait physiquement se battre pour ce en quoi il croyait, ce récit nous offre une belle fresque de la situation politique allemande de l'après 14-18 et de ce que militer signifiait.
La frustration, la colère et l'indignation y côtoient le goût de l'inconnu, de l'aventure et du néant.
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Ernst von Salomon fait partie de ces écrivains allemands encore relativement mal connus en France, et c’est fort injuste. Ce roman en grande partie autobiographique raconte avec passion l’époque des Corps Francs allemands, au lendemain de la Grande Guerre. Ces Allemands, humiliés par la défaite, et qui refusaient de l’admettre.
Dans la même veine que Les Réprouvés, on pourra lire avec autant d’intérêt Le Questionnaire, du même auteur.
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Il est paradoxal de se nommer Von Salomon et de contribuer aux corps francs, ce roman a bercé ma jeunesse, mais pas son essence.
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Je relis ces derniers temps avec plaisir, une littérature qui avait touchée ma jeunesse. Je viens ainsi de finir « Les cadets » de Ernst Von Salomon.
Ce livre autobiographique décrit la vie d'un jeune nobliau prussien qui intégra à 11 ans une académie militaire de cadets.
Il y a dans ce livre beaucoup de violence. L'apostrophe de bienvenue donne le ton : « Messieurs, vous êtes ici pour apprendre à bien mourir.». L'auteur ne connaîtra pourtant de la 1e guerre mondiale, que l'espoir déçu de faire son devoir au front.
La fin de la guerre et la dissolution du corps des cadets marquent l'écroulement d'un monde. Ce témoignage est très intéressant car il permet de comprendre ce mouvement des tripes qui conduira au nazisme de nombreux allemands. Elevés dans le désir du don de soi pour la patrie, nombreux sont ceux qui embrasseront la cause d'une Grande Allemagne, davantage nourris par un désir de laver l'affront fait à leur nation, que par sympathie politique réelle.
C'est une belle réflexion sur l'exaspération des peuples sur la valeur du sacrifice de soi et sur la fidélité à ses engagements.
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Ernst Friedrich Karl von Salomon (1902-1972) a été membre des corps-francs après la fin de la Première Guerre Mondiale. Après le "coup de poignard dans le dos" qu'a constitué la signature de l'armistice en 1918, les corps francs - constitués de soldats volontaires, qui étaient souvent d'extrême-droite - ont été utilisés pour mater la révolte spartakiste et rétablir brutalement l'ordre dans une Allemagne affaiblie et humiliée. Von Salomon a toujours été dans la mouvance ultra-conservatrice, même si, plus tard, il s'est abstenu de soutenir publiquement le nazisme.
Ce roman autobiographique est moins connu que "Les réprouvés", mais il est fort instructif. Il commence un peu avant la Grande Guerre. Les garçons entrent dans le corps des cadets à l'âge de 11 ans ( ! ). Ils sont accueillis par cette phrase d'un officier: « Vous êtes ici pour apprendre une chose qui donne à notre vie sa plus haute signification. Vous êtes ici pour apprendre à mourir ! ». De gré ou de force, ces jeunes apprennent la discipline militaire prussienne, participant à d'innombrables exercices: gare à eux s'ils ont deux secondes de retard ! Bien entendu, une partie de leur vie quotidienne est rythmée par les habituelles sottises de soldats. La guerre ayant éclaté, ils attendent d'avoir l'âge minimum requis pour aller au combat, tout en souffrant des restrictions qui affectent tous les Allemands, civils comme militaires. A la fin de la guerre, leur corps est officiellement dissous; mais les cadets - définitivement "formatés" - refusent cette dissolution. On comprend alors comment sont nés les corps francs.
Il m'est très difficile d'éprouver de la sympathie pour les personnages. Le militarisme ambiant dans ce livre a, pour moi, quelque chose d'étrange et même de repoussant, compte tenu du climat où nous vivons actuellement. Pourtant cette tradition militaire, au moins aussi vieille que le royaume de Sparte, a eu pignon sur rue en maints lieux et maintes époques. Qui sait si, dans l'avenir, on n'en reviendra pas à ces vieilles lunes ?
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