Citations de Fadhma Amrouche (20)
J'étais toujours restée « la Kabyle : jamais, malgré les quarante ans que j'ai passés en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française, jamais je n'ai pu me lier intimement ni avec des Français, ni avec des Arabes. Je suis restée, toujours, l'éternelle exilée, celle qui, jamais, ne s'est sentie chez elle nulle part.
Aujourd'hui, plus que jamais, j'aspire à être enfin chez moi, dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide, affamée de liberté, d'indépendance, l'âme de Jugurtha !
« La vieille et la chèvre vivaient côte à côte dans une masure délabrée en dehors du village. Tous les jours, la vieille sortait avec sa compagne ; l'une mangeait les pousses vertes, l'autre ramassait les brindilles de bois et faisait un fagot tout en choisissant les herbes comestibles destinées à son repas. À la nuit, toutes deux revenaient dans leur masure jusqu'au lendemain où elles recommençaient la même vie.
« Mais cette année-là, le mois d'Inayer (janvier) fut très mauvais ; pendant trente jours et trente nuits il ne cessa de pleuvoir ou de neiger, et la vieille et sa chèvre restèrent tout ce temps enfermées.
« Le mois de janvier passé, février commença par une journée merveilleuse : le ciel était bleu, le soleil resplendissant annonçait le printemps ; la vieille et sa chèvre purent enfin sortir de leur retraite et aller de nouveau dans les champs. La vieille cependant, ayant regardé le ciel, cracha sur le mois qui venait de s'écouler.
« Elles passèrent toute la journée dans la forêt, la chèvre mangeant les pousses tendres, et la vieille faisant un gros fagot et cherchant les petites herbes qui perçaient sous la neige. Mais quand elles voulurent rentrer, le vent souffla en rafales, le ciel s'obscurcit, de lourds nuages noirs crevèrent en grosses gouttes. En un instant le ruisseau qu'elles avaient traversé le matin charria des eaux tumultueuses et bourbeuses, et quand elles voulurent repasser pour rentrer à leur masure, elles furent emportées par le courant ; ce n'est que quelques jours plus tard qu'on retrouva leurs corps au bord de la rivière.
je viens de le lire avec un grand plaisir moi kabyle ca ma fait voyagé a travers c livre histoire triste a la fin j ai de la peine
"Tichret-iw xir tmira n yergazen"
"Mon tatouage vaux mieux que la barbe des hommes"
Pour les Kabyles, nous étions des Roumis, des renégats. On nous enviait le peu de confort que nous avions acquis, après combien d'efforts, de privations et d'exil. Pour l'armée, nous étions des bicots comme les autres.
Ne sois pas impatient
Puisque Dieu est là.
Comme aujourd'hui la tristesse nous sera enlevée.
L'hiver passera tel un vilain songe,
Les froids nous quitteront
Et les nuages, les pluies et les vents.
L'herbe repoussera
Les prés en deviendront tout verts
Et fleuris de fleurs entrouvertes
Et des troupeaux y viendront paître.
Toutes les femmes aiment le temps des olives, car c'est celui où elles peuvent sortir. Elles rentraient aux étoiles, éreintées mais heureuses.
« J'ai fait pour toi plus que pour les autres : je t'ai fait donner l'instruction. La plume que je t'ai mise entre les mains vaut mieux que tous les biens de la terre. »
J'ai pensé souvent, depuis, aux jours glacés où, levées avant l'aube, il fallait grimper ces sentiers pour aller à l'étude, à la lumière d'une lampe fumeuse. À quoi bon toute cette peine, me disais-je, à quoi bon ces souffrances ? À quoi cela aurait-il servi ?
J'arpentais maintenant ces grandes classes vides où mon enfance s'était écoulée ; je contemplais, l'une après l'autre, ces images des Fables de La Fontaine qui en tapissaient les murs : le Héron au long bec, le Loup et la cigogne, le Renard et le bouc, l'Enfant et le maître d'école. Toutes ces fables, je les avais apprises par cœur. Pendant dix ans je m'étais assise sur ces bancs. À quoi cela avait-il servi ?
« Il faut me réveiller de très bonne heure afin que le soleil ne m'atteigne pas dans la montée d'Aït-Frah. » Elle était rude, cette côte, pour mes petites jambes ! Car, pour aller de chez nous au Fort, il faut toujours monter. « De quelque côté que tu aille à Fort-National, il faut toujours monter », dit le proverbe.
Les mœurs kabyles sont terribles. Quand une femme a fauté, il faut qu'elle disparaisse, qu'on ne la voie plus, que la honte n'entache pas sa famille. Avant la domination française la justice était expéditive ; les parents menaient la fautive dans un champ où ils l'abattaient. Et ils l'enterraient sous un talus.
Si tu rencontres deux êtres qui vivent en harmonie, sois sûr que l’un d’eux est bon.
À priori, chez ces gens, une femme indigène qui sort, le visage découvert devant des hommes, n'était pas une femme honnête. Je compris cela plus tard. Tant que nous vivions dans un milieu italo-sicilien ou à Bab-Aléoua, cela pouvait passer inaperçu : pour les Italiens, j'étais la Française mariée à un Arabe, car mon mari s'est toujours refusé à quitter sa chéchia, même quand il s'est agi d'obtenir de l'avancement (or, parmi tous ses collègues, y compris son chef de bureau, il était le seul à avoir le brevet élémentaire).
J'ai toujours aimé la compagnie des vieilles personnes ; elles étaient, pour moi l'étrangère, l'exilée, secourables et de bon conseil. C'est ainsi que Taïdhelt m'avait suggéré d'apprendre à travailler la laine, afin d'habiller mes enfants car, disait-elle, les enfants ne naissent pas tout habillés. Elle m'avait même lavé une toison de laine, me l'avait peignée, cardée, et j'apprenais à filer.
Mon beau-père Ahmed, à l'époque, devait avoir une douzaine d'années. C'était, m'a dit la grand-mère Aïni, un garçon haut sur jambes, très maigre et très brun. Il était fort gâté et fut surnommé aggoun — l'idiot — parce qu'il baragouinait l'arabe et le kabyle ; quand la famille allait ramasser les olives, il avait un tout petit couffin ; chaque fois qu'il le remplissait d'olives, son père lui . donnait un sou et, derrière le dos d'Hacène-ou-Amrouche, les femmes remplissaient le couffin du petit Ahmed pour qu'il ait plus de sous ! Mais il semble que cela empêchait l'enfant de prendre goût au travail.
— Des hommes ? mais il n'y a que Négro.
— Eh bien, et Négro, ce n'est pas un homme ?
— Non, ma Sœur, fis-je d'un ton convaincu.
— Qu'est-ce que c'est ? Une femme ?
— Non, ce n'est pas une femme, ce n'est pas un homme, c'est un être à part, c'est Négro, voilà tout !
Tout le monde parlait de Dieu, tout devait se faire pour l'amour de Dieu, mais on se sentait épié, vos paroles étaient pesées et rapportées à la Supérieure. Moi qui croyais retrouver l'atmosphère de camaraderie de Taddert-ou-Fella, je fus déçue et déroutée. Quand je disais que toutes les religions avaient leur bon côté, on considérait cela comme un blasphème.
On avait traduit les prières en kabyle : l'Ave Maria, le Pater, le Credo, et les Sœurs s'escrimaient à faire entrer ces phrases dans nos têtes rebelles. Et j'avais un sourire aux lèvres, dès que j'entendais la Sœur prononcer le kabyle à sa, façon.
« Quand dans une fressure il manque le cœur et le foie, à quoi peut servir le poumon ! »
J'étais assez bonne élève pour les choses qui me plaisaient ; j'étais première en histoire de France, mais j'avais horreur de la géographie — je n'ai jamais pu savoir les sous-préfectures des départements, tandis que je me souviens très précisément de la succession et des alliances des rois, de la Révolution française et de l'époque napoléonienne. J'aimais le français, mais pas quand il fallait expliquer des proverbes ou des maximes ; ce que j'aimais c'était raconter, inventer des histoires. Je n'étais pas mauvaise en calcul.
Le monde est méchant, et c'est « l'enfant de la faute » qui devient le martyr de la société, surtout en Kabylie. Que de coups, que de bousculades, que de souffrances n'ai-je pas subis ! Il arrivait, lorsque je sortais dans la rue, que je sois renversée et piétinée.