Dans les catacombes .
En septembre 2013, une exposition au Musée du Montparnasse et en partenariat avec La Règle du jeu, dévoilait pour la première fois des créations artistiques inédites de l?artiste et dramaturge mondialement reconnu, Fernando Arrabal. Dans cet entretien intitulé «Dans les catacombes», tourné à son domicile, projeté lors de l?exposition, l?artiste absolu explique le processus créatif de ces oeuvres regroupées sous le terme de Poèmes plastiques, et confie la genèse de quelques-unes d?entre elles.
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La radio reposait sur l'ancienne table de nuit de grand-mère. Dans le tiroir de la table - où elle rangeait ses médailles, ses petits livres de messe, ses pastilles - tu mettais maintenant ton jeu de cartes, un grand agenda et des papiers. Dans le bas de la table de nuit - où grand-mère mettait son pot de chambre - tu rangeais maintenant le bottin.
Ils m'ont dit qu'il fallait aimer la patrie, qu'il fallait se sacrifier pour elle, qu'il fallait être fier de ses héros, qu'il fallait respecter l'ordre du pays, qu'il fallait dénoncer les traitres, qu'il fallait haïr les ennemis. Toi aussi tu me l'as dit. Quand je leur ai posé une question ils m'ont répondu. Puis je n'ai plus posé de questions.
Mon père, qui était un "rouge", était né à Cordoue, en 1903. Sa vie, jusqu'à sa disparition, fut l'une des plus douloureuses que je connaisse. Je me plais à penser que j'ai les mêmes idées artistiques et politiques que lui. Et comme lui je chante l'émotion tremblante, les miroirs nageant dans la mer, et le délire.
Eugène Ionesco
-Oui. Aussi bien politiquement qu'artistiquement, elle a déterminé toute mon existence. Je n'ai jamais pu être...d'extrême droite. Je n'ai jamais pu être de gauche ou d'extrême gauche. Je n'ai jamais pu être non plus pour les bourgeois; Si bien que je suis nulle part. Mais le gens qui ne sont nulle part ne sont pas assez nombreux. et je vais écrire un article ou un essai dont le titre sera paradoxal : " Solitaires de tous les pays, unissez-vous. " (Il rit) (p. 131)
Papa est mort. Peut-être cela vaut il mieux pour tous. Il aurait été une lourde charge. D'ailleurs il a été puni à cause de ses péchés; n'oublie pas que même Dieu punit les coupables; dans l'histoire sainte il dit : "Je châtierai Baal à Babylone."
Mais, il faut que tu le saches, je n'ai rien, moi, à me reprocher. Je n'ai vécu que pour vous. J'ai toujours été trop bonne.
LES JUGES
Un sablier géant,
à l'intérieur le sable est remplacé par des hommes qui tombent sans cesse.
Au sommet du sablier des femmes donnent naissance à des enfants.
Le fond du sablier est jonché de squelettes.
Voix provenant de derrière les spectateurs.
VOIX. - Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt
il reste seul
s'il meurt
il portera beaucoup de fruits
Vous serez chassés
vous serez précipités dans une fosse
et vos têtes seront submergées par des cadavres
et les cadavres des cadavres
jusqu'à la fin des temps.
Vous naîtrez dans la douleur
et périrez de même
et tes frères et tes parents
ne te pleureront qu'une saison.
Vos vies sont des fleuves
qui vont se jeter dans la mer
qu'est la mort.
Mêlées à cela des voix très gaies chantent.
LES VOIX. - Heureux, heureux chantons
la vie, l'amour
le baiser de ta bouche
ton ventre d'ivoire
et tes lèvres de printemps.
Mangeons les fruits délicieux
de ce jardin des délices
et sous un pommier
nous nous enlacerons
jusqu'à la frénésie.
Heureux, heureux chantons
la vie, l'amour.
Le fond du sablier est jonché de squelettes.
Bruit de train.
Pleurs de nouveaux-nés.
Pleurs de vieillards.
Rires de jeunes enfants.
La vie continue sur son rythme habituel.
Extrait d'Apokalyptica
Il y a des langues dans lesquelles le mot "bonheur" n'existe pas, et d'autres dans lesquelles il y a vingt, cent, mille synonymes pour désigner cette rareté. Ainsi les premiers sont-ils heureux sans le savoir, et les autres inquiets de ne pas trouver le mot juste.
Tante Clara m'a mis une serviette autour de chaque poignet, puis elle m'a ligoté encore avec une corde qu'elle a attaché de chaque côté du lit. Elle avait les mains froides. Moi, j'avais les yeux fermés; Quand je les ouvrais je voyais la lampe qui pendait du plafond.
Tante Clara ne m'a pas mis une serviette autour des chevilles. Elle me les a attachées avec une corde de chaque côté du lit. J'ai senti ses mains froides, mais je l'ai pas regardée.
Tante Clara m'a frappé avec la ceinture. Pour qu'on ne nous entende pas, je n'ai pas crié. Puis elle les a pris tous les deux dans ses mains froides. Je lui ai dit que ça, non. Tante Clara a dit que le Christ n'avait pas hésité à souffrir pour nous sauver. Elle me les a serrés petit à petit. Alors j'ai crié.
Tante Clara respirait comme lorsque je la fouettais. Puis j'ai senti qu'il se passait quelque chose de différent.
Quand tout a été terminé, tante Clara m'a dit que je devais aller me confesser tout de suite.
LE curé est venu voir ma mère et il lui a dit que j'étais fou.
Alors ma mère m'a attaché à ma chaise. Le curé m'a fait un trou dans la nuque avec un bistouri et il m'a extrait la pierre de la folie.
Puis ils m'ont porté, pieds et poings liés, jusqu'à la nef des fous.
Michel Déon va d'île grecque en île grecque, puis se fixe. Il a trouvé son paysage, qui fut dessiné par quelque dieu ami. Spetsai le rend heureux. Il découvre sa maison et regarde la vie qui, paisible, suit son chemin. Il l'accompagne sans fatigue. La mer et le ciel le poussent à la bienveillance. On ne sent pas de méfiance ou d'ironie. Bien qu'étranger, il est chez lui. C'est un voyageur qui a posé sa valise. On lui fait fête, il respire largement. Il est à la fois proche et lointain. Pour mieux aimer, il garde ses distances. Il prend son plaisir, mais il n'est pas dupe. Le bonheur est fugitif. Il passe, il a passé.