Extrait de La Célestine de Fernando de Rojas
Mise en scène de Christian Schiaretti (TNP)
Le silence défend et couvre à l'ordinaire
Et langue embarrassée et absence d'esprit.
Bavardage, au contraire, porte atteinte publique
A qui parle beaucoup sans avoir réfléchi.
Comme fait la fourmi qui cesse son trajet,
Heureuse qu'elle était sur terre avec sa provision,
Elle vante ses ailes, cause de perdition.
Les ailes l'emportèrent, et ne sait où aller.
Je le vois qui se perd ; il n'est rien de pire que de poursuivre un désir sans espoir d'en venir à bout.
Quand une porte se ferme, la fortune en ouvre toujours une autre, et cette plaie, même cruelle, se refermera.
Ne sais-tu pas que le premier échelon de la folie, c'est de se croire savant ?
On doit fréquenter ceux qui nous rendent meilleurs, et abandonner ceux qu'on croit rendre meilleurs soi-même.
(Acte I)
La femme, ou aime beaucoup celui qui la prie d'amour, ou lui vaut une haine mortelle. C'est pourquoi, quand elles cessent d'aimer, elles ne peuvent plus tenir leur haine en bride.
Car la jeunesse ne s'arrête qu'au présent, ne s'occupe qu'à le regarder, mais l'âge mûr ne néglige ni présent, ni passé, ni avenir.
Aie deux amants au moins, c'est compagnie louable, comme tu as deux oreilles, deux pieds, deux mains, deux draps dans ton lit et deux chemises pour te changer.
Il faut que tu aimes si tu veux être aimé.
(Acrostiche.)
extrait 3
Étudiant avec soin l’écrit que j’avais découvert
Et qui est profond et spirituel autant que bref,
Émerveillé, j’y découvris au moins deux mille sentences
Toutes doublées de grâce, d’esprit et de gaîté.
Non, Dédale, adroit par excellence, n’eût pu faire jamais
Aucun travail plus remarquable et mieux fini
Qu’eût été l’œuvre de Cota ou de Mena, si l’un d’eux,
Unique et inimitable écrivain, eût pu l’achever.
Il n’exista jamais dans la langue romaine
Tant d’esprit ni un style aussi riche et aussi beau ;
Dans tous mes souvenirs et dans ceux de personne
Aucune œuvre n’est digne de celle-là,
Ni grecque, ni toscane, ni même castillane.
Ses sentences vaudront à l’auteur une éternelle renommée ;
Louanges lui soient données par Jésus Christ,
Et qu’il l’accueille dans sa gloire au nom de sa passion.
Bons et crédules amants, prenez ce livre pour exemple ;
Opposez aux dangers les armes qu’il vous indique ;
Unissez vos efforts pour ne pas succomber ;
Rendez hommage à Dieu en visitant son temple ;
Gardez-vous de céder aux exemples pernicieux
De ceux que les séductions de l’amour ont entraînés,
Elles sont votre perte, et vous poussent vers la tombe.
Mon cœur se déchire quand il songe à tout cela !
Ô dames et matrones, jeunes gens et maris,
Ne perdez jamais de vue cette triste aventure !
Tenez sous vos yeux le souvenir de cette fin désastreuse ;
À d’autres pensées qu’à l’amour consacrez vos loisirs ;
Livrez à ceux qu’il aveugle le secret de sa tyrannie ;
Vivez avec prudence, avec sagesse et chasteté
Afin d’être toujours heureux. Et que le dieu Cupidon
Ne vous prenne jamais pour but de ses flèches dorées.
/ Traduit de l'espagnol par Germond de Lavigne