Citations de Fiona Melrose (32)
Parfois je me mettais en colère alors que j’aurais mieux fait d’être inquiet ou contrarié. On aurait dit que je ne connaissais qu’une seule manière de ressentir les choses.
Le visage de Pa était mouillé, les larmes lui sortaient des yeux comme le sang sort de la gorge des agneaux quand on y pose un couteau.
Gin avait l'impression que la sueur montait de sa taille et, en même temps, dégoulinait du haut de sa tête, d'un endroit affreux, froid et humide. Elle marchait et courait alternativement, appelant Juno. Elle arrêta les gens dans les rues pour leur demander s'ils n'avaient pas vu un chien blanc et roux à la queue à long poil. Personne ne l'avait vu. La chaleur était si accablante que Gin en conçut une sorte de colère au moment même où ses larmes commencèrent à couler. Elle aurait voulu pouvoir échapper à son corps et nager dans des abîmes infinis de froid, en la seule compagnie des bulles glissant sur son visage à chaque expiration. Elle plongerait dans les profondeurs, puis avec un battement de pieds, cambrant la colonne vertébrale, elle disparaîtrait.
D’après Ma, on peut survivre à tout du moment qu’on sait où sont ses racines.
Des années durant j’avais refoulé les souvenirs. Je les avais toujours sentis gratter dasn les recoins les plus sombres de mon esprit, encore à l’état sauvage.
Le secret de cette ville, c'est que ce sont les femmes qui portent le fardeau de toutes nos larmes. Cet endroit doré, nos murs et nos rues ont été bâtis à l'aide des grains de sucre laissés au fond de leurs tasse en fer-blanc. (p.140)
Qu'est-ce que ça faisait de perdre sa raison d'être dans le monde que vous aviez vous-même créé ? Tante Virginia avait eu une meilleure idée. Elle avait marché dans la mer à Plettenberg Bay, vêtue de sa robe du soir à paillettes. Elle avait toujours été une drôle de vieille chose (un visage d'oiseau -, mais mariée, elle, et non pas seule. C"était si loin, à présent. (p67)
Alors, le garçon sortait marcher. Je ne l’ai plus jamais empêché. Au fil des ans, il ressemblait de plus en plus à un garçon au crâne rempli de rats en colère qui le rongeaient, la tête éternellement penchée en avant, on aurait dit une pomme tardive.
C’était ça Johannesburg : le commerce était le nouveau colonisateur, et tout ce qui existait avant était déprécié et éliminé.
C'était une ville où la fameuse blonde et son homme à la carrure athlétique menaient des existences qu'ils croyaient extraordinaires. Où des comptables faisaient des plaisanteries sur les "ennuyeux comptables" sans jamais s'inclure dans le lot. Où des femmes commençaient presque toutes leurs phrases par "Mon mari dit que", en se rendant à un énième déjeuner au volant de leur 4 x 4. Un 4 x 4 acheté sur les conseils d'amis qui tous conduisaient la même voiture, toujours gris métallisé. Ils poursuivaient cette parodie inconsciente d'une vie qui existait déjà des décennies plus tôt et semblait persister et se propager.
Le mariage et les enfants étaient des hobbies, tout autant que l'évolution d'une relation. C'était ce à quoi s'occupaient les gens le week-end, avec quoi ils comblaient le silence; les mariages, les fêtes prénatales, les enterrements de vie de jeune fille, l'achat du landau et ainsi de suite, comme s'il n'y avait rien d'autre au monde qui ait de la valeur, rien pour attirer leur regard ou leur donner à réfléchir.
Et ça, cette infinie vacuité, était censé offrir à Gin une sorte de consolation. Elle était censée la trouver nourrissante, substantielle. Elle était censée attacher sa propre vie à cette vapeur et y puiser une satisfaction profonde et durable.
Plutôt mourir.
Il y avait un bon bout de chemin à parcourir jusqu’au bois et c’était dur d’avancer dans l’humidité. La campagne était superbe. La moindre feuille était fumante de froid. Des toiles d’araignées avaient gelé, ainsi que chaque brindille et chaque broussaille. Poteaux, charrues et arbres tombés à terre étaient tous recouverts de neige et le ciel promettaient encore. Un troupeau d’oies sauvages a traversé le ciel en route vers chez elles. La lumière du jour allait disparaître sous peu, même s’il faisait encore assez clair pour que je trouve mon chemin. Le froid me râpait la gorge et mon souffle s’est accéléré à cause de l’effort de la marche. Je sentais tous les ennuis de ces derniers jours assis dans mon corps et près d’en partir. Le gel traversait mes grosses chaussures et mes orteils se rétractaient un maximum pour y échapper. Le froid pouvait y entrer comme la moisissure dans une botte de foin. Au début on le remarquait à peine, puis une fois qu’il était installé, c’était trop tard. Rien à faire pour l’éliminer. Il n’y avait que de l’acier là-haut dans cette brume et ces nuages, je le savais.
La mort était partout et se présentait sous toutes formes. Le simple fait d’être
en vie était dangereux et survivre un défi.
La ville, au fil du temps, l'avait réduit à n'être plus que des éléments de lui-même. Comme s'il était une espèce d'immeuble délabré au fin fond du quartier de Hilbrow, un immeuble dont quelques fenêtres seulement restaient allumées dans le brouillard de la nuit, des lumières qui s'éteindraient une à une. (p.109)
Il arrive un moment où l'on franchit un seuil, où l'on n'est plus une personne d'un certain âge, mais un vieux. Où, au lieu de simplement tomber, il est dit qu'on a "fait une chute". C'est devenu un événement. (p. 245)
A la seule idée de m'imaginer passer le restant de ma vie au même endroit, avec les mêmes conversations et en faisant les mêmes choses chaque jour de chaque semaine de chaque année, j'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer.
L'autre chose importante à propos de la beauté, autrement dit de l'équilibre, c'est de ne pas laisser les autres vous la dicter.
Elle laissa le savon couler le long de son dos en marées laiteuses et, passant les mains sur ses hanches, éprouva le pic rassurant des os qui saillaient sous sa peau. Une ligne nette, une frontière géographique ; ici, c'est moi, et là commence le monde. Elle détestait les lignes floues, un voile mouvant entre une chose et une autre, les marges confuses, les marges imprécises.
Richard mit de l'ordre sur son bureau. Il aimait que les choses soient à leur place. Carrées, rationnelles. Pas ces pleurnicheries et ces débordements d'émotion.Il y avait un message lui demandant d'appeler Mogomotsi. Une histoire d'actionnaires. Ça c'était quelqu'un. Pas le genre à pleurer. Voilà pourquoi on pouvait lui faire confiance pour bien gérer les dossiers.
Richard ouvrit le journal. En une, un portrait pleine page de Mandela et le titre : Une Nation En Deuil.
Un si bel homme.
Johannesburg était la grande prêtresse de l’agitation permanente. Elle était bâtie sur l’or. Ce serait toujours une ville frontière, une ville pionnière (…) C’était toujours pareil. L’assaut d’exigences.
La mort lui apparaissaient si souvent comme une option parmi d'autres dans cette affaire de vie. L'idée de pouvoir y recourir était parfois la seule façon pour elle de survivre aux vents violents qui frappaient les vitres, à la lumière incertaine, au danger quasi permanent que constituait l'existence. Disposer d'une option, même l'option de la mort, lui permettait de ne pas se sentir coincée. Ça la libérait de sa peur, et cette liberté de choisir une autre voie lui donnait le courage de continuer quand parfois, en ces journées à vif, elle ne voyait aucune raison de le faire.