Citations de François Coudray (18)
Ça veut dire quoi partir
mes mots ne cherchent pas ailleurs (ni le temps
soudain traversé ni
la respiration de se savoir passer
partir) mais dans l’herbe
du talus l’eau perle et la poussière sur le bord du
sentier
quand la lumière tremble et la bise
descend de la montagne
et bien plus bas ce paysage ( notre enfance)
qui était notre peau
(le pré en pente la forêt
comme une arène la falaise la plaine et le vaste appel
miroitant
du massif)
me déchire
me respire
ton absence parfois n’est plus
que l’évidence bée
de ça qui ne reviendra pas
et de ce pas à faire
encore
sans toi
inédits de Manille
inédit 6
depuis plusieurs jours le ciel ronge la terre
acide et doucereux
érosion lente et fade
sans déchirure
sans jouissance
et ce matin à nouveau
le ciel semble échapper à la ville
la lune a pris du champ
et je la suis
dans le lointain sillage d’un poème
inédits de Manille
inédit 5
ce soir la lune boit
toutes les rumeurs de la ville
les noie
et sourd un chant lointain
l’entends-tu ?
comme venu des profondeurs du temps
noir de terre mêlé
je colle mon oreille contre l’herbe la nuit
je n’entends que
l’eau la pierre
cet autre chant, intérieur
tout ce qui fuit
résiste en moi
à la simple fuite de tout
inédits de Manille
inédit 4
je croyais le ciel sans heur *
mais de larges nuages dessinent enfin sur la ville
la déchirure
qui ouvre à l’enfant le jardin
l’arbre des fugues des cabanes
dans le pépiement des oiseaux des langues inventées
* heur : vieux, Bonne fortune.
synonymes : bonheur, heureux
inédits de Manille
inédit 3
l’arbre que j’ai cru sans saison vibre et s'éclaire ce matin d’un
vert tout neuf
en quelques jours seulement ses feuilles ont roussi
et les jeunes pousses
s’agrippent au jour comme les mille mains d’un enfant
tendresse d’une ronde où dansent tous les âges
automne et printemps mêlés dans un même bosquet
inédits de Manille
inédit 2
je croyais le temps impassible
mais après une nuit sans fraîcheur
la lumière grise du petit matin sur la ville pose
un nouvel été sur l’été
comme on empile le linge de maison dans l’ombre
poussiéreuse du salon aux persiennes closes
et la chaleur imprime un nouveau canevas sur le drap usé du
jour immobile
inédits de Manille
inédit 1
pluie de décembre sans saison
on est parti en plein après-midi dans les rues désertées de la
ville
on rêve marcher dans la fraîcheur de ce qui s’enfuirait le
ciel et la terre lourde enfin d’un hiver à venir ou la terre
écrivant au ciel comme un fragile adieu
on rêve cette étreinte mais le ciel est sans déchirure
immuable et lisse ciel sans arrière-pays
et à l’éclat des verts, pourtant lavés d’enfance, à l'éblouissant
feu des fleurs d’hibiscus
manque l’obscure sève que seule éveille la blessure
Extrait 10
quelques chiens se répondent, aboient en échos, de ferme en ferme,
isolées sur les coteaux
le grelot diffus des clarines
une voiture au loin sur la route du col
l’enfant
bouche de terre
à l’intérieur de moi
Extrait 9
redescendre dans la nuit
suivant le sentier entre les roches, les pâtures, les bosquets
la forêt
marcher sentir au creux du dos
le mufle de la nuit
respirer
l’humide le froid la terre les herbes sèches
la pierre à fleur de paume ronces écorces bois morts
la menthe l’ortie le serpolet
les bêtes et les branches
frémissent
et c’est comme un appel, sourd et lointain
le lourd galop du temps
Extrait 8
rechercher tout ce qui de ma chair fait corps
la respiration de la pierre
le cri de la chevêche dans la nuit qui tombe
l’empreinte des mousses des lichens comme morsure torse
et plus bas la terre la fuite des eaux toutes les eaux le sable nous emportent
l’humidité gagne mon être avec le froid la nuit
et c’est matière d’être rendu à l’éphémère dans la danse des ombres grandes et des lambeaux de lune, étranges ramures, entre les blocs, dans la combe
nuit de cris et de chants
dans l’herbe noire
contre la pierre
Extrait 7
l’enfance n’est pas un refuge
mais elle desserre la corde étranglée du soir sur la ville
avec la nuit les mots à force d’essayer tissages incertains béances abandons
dénouent le chant
l’air sur la peau descend de la montagne
le dos contre la pierre la nuit
la ville
respirent
la lumière tremblante des phares
la solitude d’un poème
et le corps-lappiaz
de l’enfant écoute
Extrait 6 bis
une autre image les alpages dans la lumière d’un matin d’automne
la vallée se creuse et c’est bientôt beaucoup plus qu’une ombre
vaste
et tout le ciel
les herbes
grasses encore
sèchent sur les lauzes
dans les creuses, sur les pentes accrochées entre les falaises
une paume dans la terre
contre la roche
et quoi les mots m’ont-ils donner à vivre ?
Extrait 6
il aimerait
être emporté dans le filet d’une eau glaciale qui cherche son chemin
entre les graviers saillants dans la terre noire
dans la lumière rasante des mélèzes sur la neige
que déchirent les branches nues des vernes, des embrunes, des rosages
et les herbes brûlées
respirer avec la pierre
Extrait 5
retrouver le goût de la terre
sous la langue les ongles
des mots
mon sang
ne pas se laisser séparer
retrouver l’enfant
me lover contre lui dans la terre
comme le vide au creux de ma main
et c’est ma main encore
quand si loin regarder une image
avoir bouche de terre
pour essayer encore de
creuser l’image
Extrait 4
parfois l’enfant perdu
on marche
dans le murmure fou de la ville, horizontale sans fuite
on essaye des mots
déchirer
le poing contre les pierres
de murs qui n’existent pas
la paume ouverte à la coupure des herbes
Extrait 3
le vent dans les fougères dans les rues de la ville folle
on marche
comme sous un ciel plus bas
dans la lumière torve du couvert des sapins
sur le béton
tapis d’épines, humus, mousses, épilobes et digitales
et quelques roches
on chemine entre les tours
l’enfant erre en ce chant
Extrait 2
l’enfant de la falaise couché sur le bitume
chant sans fin
et ce n’est plus le chant
brûlant
sans déchirure
au creux de la grand ville folle
de ses tours sans ombre
je dis falaise et j’entends le souffle de la pierre
je ferme les yeux, elle me respire
Extrait 1
y a-t-il encore, toujours, une enfance au-devant de nous ?
l’enfant peut-il guérir de la douleur d’aimer ?
il dessine une plaine qui s’évase et ravit au loin l’image d’une montagne
les pieds dans l’herbe bleue et l’eau froide fuyante
l’enfant rêve une errance
parfois les mots s’effondrent et le monde vacille
et la cité de verre, de fer, de béton, de fumées traverse et troue le corps de
l’enfant déchiré