Citations de François Nourissier (199)
Entretenir l'impatience et l'avidité des héritiers. Faire un trône de son tas d'or et, de là, régner - de la royauté dérisoire et tremblante des vieillards. Malheur au patriarche qui se dépouille, distribue ses biens, joue les généreux, à peine sera-t-il sans un qu'on le laissera s'enfoncer dans sa nuit.
À peine un des conjoints, dans un couple, découvre-t-il que l'autre entend mal, il se met aussitôt à parler bas, tout en feignant de ne plus comprendre goutte à ce que lui crie l'autre. Oreille sourde? Aussitôt la voix de l'autre s'assourdit. La communication (comme ils disent), dans un ménage usé, est faite de paroles inaudibles jetées à regret, et que l'autre laisse tomber dans un puits de négligence.
On ne peut pas solliciter du même mouvement l'honneur des outrages et la douceur des honneurs.
J'appelle frivolité la pudeur. Ne pas encombrer les gens de nos embarras, fièvres de brumes, angoisses. Savoir se taire, savoir s'en aller, mais, contraint de rester, de parler, faire sourire, faire rire, comble de la politesse.
Ce livre, entièrement composé des nostalgies qui me condamnent, écrit dans une manière qui me condamne, où je choisis d'évoquer les oeuvres, les ombres, les expériences qui font de moi un homme du passé et comme tel me condamnent - comment l'assumer? Quand on a pris conscience d'être rejeté sur le côté de la route, l'élégance consiste-t-elle à saluer les jeunes gens qui passent ou à leur courir au train sans vergogne?
La mort exerce une force centripète, elle nous aspire vers l'oeil du cyclone. Aujourd'hui, du petit au grand, tout me mène à elle et aux réflexions que sa proximité inspire. Je croyais mon horreur d'elle totale, et qu'elle ne ferait que croître; je me trompais; des nuances se glissent dans la peur, une envie de repos, de déposer les armes.
La diagonale, le survol et « parcourir » et « flairer » sont différentes formes de complicité avec les assassins des textes. On tue la raison d'être de nos vies. Alors que la lecture que j'appelle « amoureuse » passe le texte à travers un tamis - les cailloux, la boue et l'eau dans le tamis de l'orpailleur afin d'y recueillir l'or
Soviétique, nazi ou chinois, le totalitarisme suscite cette raréfaction de la pensée respirable, cette glaciation sociale et intellectuelle.
Sans doute, demain, d'autres remous nous imposeront-ils à nouveau proscriptions et excommunications. Il faudra les refuser avec le même inlassable éclectisme qui est, face aux tyrannies de la bêtise, la seule attitude inflexible. À défaut d'être des héros, nous continuerons d'être de grands lecteurs : il y faut parfois une espèce de courage.
Presque aussi surprenante que l'intolérance : l'ignorance. La volonté de l'ignorance.
Bien sûr, la vie se chargea de m'apprendre qu'on est toujours puni de n'avoir pas choisi. On paie la circonspection, l'hésitation plus cher que les coups de tête.
C'était convaincant comme une tapette au ressort bien tendu convainc les sceptiques que les souris doivent mourir.
Une vie pourrait se raconter aussi à travers les voyages que l'on n'a pas faits.
À quoi tient le pouvoir des citations placées en épigraphe? Grâce à elles, on se sent moins seul. On marche dans le noir avec moins d'angoisse, on fanfaronne.
Comment imaginer un patriotisme commun aux lourds habitants de la « Bible belt » ou du Sud et les foules alanguies de Peace and Love sur lesquelles flottaient les parfums de l'Herbe? Et quel effort intellectuel ne faut-il pas tenter pour établir un lien logique, respectable, entre les grandes aventures des nationalismes européens, de 1830 à la chute du Mur, et les élans populaires qui dressèrent contre nous des peuples exténués d'humiliation, du Vietnam à l'Algérie?
Désobligeante, difficile à avouer et à formuler, la vérité est une drogue : pourquoi en refuser l'ivresse?