Gaïto Gazdanov :
Le Retour du BouddhaOlivier BARROT, présente le livre "Le retour de Bouddha" (éditions Viviane Hamy) de
Gaïto GAZDANOV à bord du bus 47 (à Paris). Une femme montre le livre. Un homme demande à Barrot (qui est maintenant dans le
jardin des
plantes., s'il a du feu, il lui répond qu'il ne fume pas.
–Voyez-vous, mon ami, se disputer est à mon avis une perte de temps. Si je m’adresse à quelqu’un, qu’est-ce qui m’intéresse chez lui ? Ses idées, sa façon de penser. Mon but, et pas seulement le mien, est de le pousser à exprimer ses idées et à essayer de les comprendre. J’irais jusqu’à prétendre que plus elles sont éloignées des miennes, plus elles m’intéressent. Je ne cherche pas à convaincre mon interlocuteur de partager mon avis. D’ailleurs, si l’on poursuit ce raisonnement jusqu’aux extrêmes, on s’aperçoit que celui qui réussit à imposer ses opinions finit par entendre répéter ses propres propos ; la conversation n’a ainsi plus de sens. L’intérêt commence là où les opinions et les personnalités divergent.
–Tu te reposeras dans l’au-delà, Spiridon Ivanovitch, intervint Volodia,......... Là-haut, j’imagine, il n’y a que des nuages et des anges, rien d’autre.
-De l’or non plus, remarqua l’un des clients.
-Ça, c’est à voir, objecta Volodia. Un jour, je suis entré à Notre-Dame de Paris et j’ai découvert une boîte à offrandes portant l’inscription « pour les âmes du purgatoire ». Cela veut dire qu’on y reçoit quand même de l’argent.
Il tenait la plupart des économistes pour des imbéciles ;.........
-Non. Pourtant, vous-même, vous avez consacré beaucoup de temps à ces questions.
-Oui, malheureusement, coupa-t-il. Mais cela n’a rien donné qui vaille, ce sont des sornettes, de la poussière ; la société n’a qu’un seul fondement : le vol mutuel –or, aucun traité d’économie n’en souffle mot.
Une vie ne devient lisible - j'entends dans son dessein et ses traits spécifiques - que dans l'instant ultime.
J'ai toujours pensé que la vie ressemblait à un voyage en chemin de fer; l'existence de l'individu est ralentie et prisonnière d'un mouvement extérieur rapide ; on jouit d'une sécurité factice, d'une illusion de pérennité, jusqu'au moment où, brusquement, se présente un pont effondré ou un rail déboulonné : il s'agit de la rupture du rythme que nous appelons " mort ".
Je crois que par la simultanéité toujours inexplicable des attirances mutuelles, Elena éprouvait ce que nous appelons en russe " un mouvement de l'âme" semblable au mien - comme sont semblables une lentille convexe et une lentille concave de même courbure, mais complémentaires.
Je savais que le souvenir silencieux et presque inconscient de la guerre poursuit la majorité des anciens combattants et qu’un fragment de leur âme demeure à jamais fracassé.
Sa philosophie de l'existence excluait l'illusion : le sort de l'individu ne compte pas ; chacun porte en lui sa propre mort, qui correspond à la rupture d'un rythme et se produit généralement de manière brutale ; chaque jour, des quantités d'univers naissent et meurent, et nous passons à proximité de ces invisibles catastrophes cosmiques, persuadés, à tort, que l'espace restreint qui nous est perceptible, constitue un microcosme. Il croyait pourtant en un système difficilement intelligible de lois générales, ... : ce qui nous semble hasard aveugle est le plus souvent nécessité. La logique n'existait que dans les créations presque mathématiques de l'esprit. ; quant à la mort et au bonheur, il les considérait d'essence similaire car l'une et l'autre impliquait l'idée d'immuabilité.
- Et les milliers d'être qui vivent heureux ?
- Vous parlez de ceux qui vivent en aveugles ?
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- Si vous possédez ce courage dur et triste qui contraint à vivre les yeux ouverts, comment pouvez-vous vivre heureux ? ... Shakespeare ne pouvait pas être heureux. Pas plus que Michel-Ange.
- Et Saint-François d'Assise ? ...
- Il aimait le monde comme d'autres aiment les petits enfants. Mais je ne suis pas sûr qu'il était heureux. Jésus était triste, ne l'oubliez pas ; sans cette tristesse, le christianisme serait impensable ... J'ai toujours pensé que la vie ressemblait à un voyage en chemin de fer ; l'existence de l'individu est ralentie et prisonnière d'un mouvement extérieur rapide ; on jouit d'une sécurité factice, d'une illusion de pérennité, jusqu'au moment où, brusquement, se présente un pont effondré ou un rail déboulonné : il s'agit de la rupture du rythme que nous appelons mort"...
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c'est pour cela que j'étais journaliste : au lieu de me consacrer aux travaux littéraires, ... qui... auraient exigé du temps et des efforts désintéressés, je m'adonnais à des besognes irrégulières... dans leur diversité... Je traitais n'importe quel sujet, de l'article de politique intérieure au compte rendu sportif en passant par la critique cinématographique. Cela ne demandait ni efforts notables ni connaissances précises...
L'amour n'est qu'une tentative pour maîtriser son destin, et une illusion brève et naïve d'immortalité... Mais c'est peut-être ce qu'il nous est donné de meilleur à connaître, même s'il est aisé d'y reconnaître aussi l'œuvre lente de la mort. "Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit", notait déjà Balzac dans La peau de chagrin.