Citations de Gaston Bachelard (544)
Le rêve est une cosmogonie d'un soir. Toutes les nuits le rêveur recommence le monde. Tout être qui sait se détacher des soucis de la journée, qui sait donner à sa rêverie tous les pouvoirs de la solitude, rend la rêverie à sa fonction cosmogonique.
La fonction épistémologique de l'atome, c'est de construire théoriquement le phénomène.
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Les intuitions sont très utiles : elles servent à être détruites.
Et comme toujours, pour l’organisation des sciences physiques, ce n’est pas à la base qu’est la solidité, mais dans l’extrême puissance de construction, dans la richesse des déductions qui rejoignent, dans leur vérification, un énorme domaine d’expériences.
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Il nous faut donc dépasser les descriptions phénoménologiques qui restent, par principe, soumises à l’occasionalisme des connaissances. Tout devient clair, net, droit, sûr, quand cet intérêt de connaissance est l’intérêt spécifique pour les valeurs rationnelles.
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Au contraire, si l’on accepte la valorisation par l’application que nous proposons, l’idée appliquée n’est pas un simple retour vers l’expérience primitive, elle augmente la « distinction » de la connaissance au sens cartésien du terme. L’idée n’est pas de l’ordre de la réminiscence, elle est plutôt de l’ordre de la prescience. L’idée n’est pas un résumé, elle est plutôt un programme. L’âge d’or des idées n’est pas derrière l’homme, il est devant.
Pas d'échec radical mais pas de succès définitif. La pensée scientifique, du fait de ses progrès mêmes, est en voie de constantes transformations de ses bases, en voie d'incessants réaménagements.
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Peut-être aurait-on une large voie d'accès vers les problèmes du fondement de l'être si l'on commençait à étudier simplement les problèmes de la solidité de l'être, si au lieu de développer une ontologie de l'intuition immédiate d'un cogito initial, on poursuivait la lente et progressive recherche d'une ontologie discursive où l'être se consolide par sa connaissance.
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Il [l'existentialiste] passe du toujours connu au jamais connu avec la plus grande aisance. Il n'envisage pas vraiment un existentialisme de la connaissance progressive.
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Parfois des intuitions philosophiques générales sont éclairées par des intuitions contraires.
L'enfance coule de tant de sources qu'il serait aussi vain d'en faire la géographie que d'en faire l'histoire.
Et, puisqu'il est de bonne méthode, quand on termine un livre, de se reporter aux espérances qu'on nourrissait en le commençant, je vois bien que j'ai maintenu toutes mes rêveries dans les facilités de l'anima. Écrit en anima, nous voudrions que ce simple livre soit lu en anima. Mais tout de même, pour qu'il ne soit pas dit que l'anima l'être de toute notre vie, nous voudrions encore écrire un autre livre qui, cette fois, serait l'œuvre d'un animus.
GASTON BACHALARD
« Je tiens le flot de la rivière comme un violon. »
Paul Éluard, Le livre ouvert.
(...) Comment aussi expliquer autrement que par la poésie des sons des eaux tant de cloches englouties, tant de clochers submergés qui sonnent encore, tant de harpes d’or qui donnent de la gravité à des voix cristallines ! Dans un lied rapporté par Schuré, l’amant d’une jeune fille ravie par le Nixe du fleuve joue à son tour de la harpe d’or (1). Le Nixe, lentement vaincu par l’harmonie, rend la fiancée. Le charme est vaincu par le charme, la musique par la musique. Ainsi vont les dialogues enchantés.
(…) Dans la peine et dans la joie, dans son tumulte et dans sa paix, dans ses plaisanteries et dans ses plaintes, la source est bien, comme le dit Paul Fort, « le Verbe se faisant eaux ». À écouter tous ses sons, si beaux, si simples, si frais, l’eau, semble-t-il, « en vient à la bouche ». Faut-il taire ; enfin, tous les bonheurs de la langue humide ? Comment comprendre alors certaines formules qui évoquent l’intimité profonde de l’humide ? Par exemple, un hymne du Rig Véda, en deux lignes, rapproche la mer et la langue : « Le sein d’Indra, altéré de soma, doit toujours en être rempli : telle la mer est toujours gonflée d’eau, telle la langue est sans cesse humectée de salive (2). » La liquidité est un principe du langage ; le langage doit être gonflé d’eaux.
Conclusion (extraits) – La parole de l’eau, p. 256-8.
1. Schuré, Histoire du Lied – 1868.
2. Le Rig-Véda ou Livre des hymnes.
(trad. Langlois, tome 1, édition originale : 1848-51)
On lit, par exemple, dans le Prélude de Wordsworth : « Celui qui se penche par-dessus le bord d’une barque lente, sur le sein d’une eau tranquille, se plaisant aux découvertes que fait son œil au fond des eaux, voit mille choses belles — des herbes, des poissons, des fleurs, des grottes, des galets, des racines d’arbres, — et en imagine plus encore » (IV, pp. 256-273, trad. E. Legouis). (...)
Wordsworth a d’ailleurs développé cette longue imagerie pour préparer une métaphore psychologique qui nous semble la métaphore fondamentale de la profondeur. « C’est ainsi, dit-il, c’est avec la même incertitude que je me suis plu longtemps à me pencher sur la surface du temps écoulé. » Pourrait-on vraiment décrire un passé sans des images de la profondeur ? Et aurait-on jamais une image de la profondeur pleine si l’on n’a pas médité au bord d’une eau profonde ? Le passé de notre âme est une eau profonde.
Et puis, quand on a vu tous les reflets, soudain, on regarde l’eau elle-même ; on croit alors la surprendre en train de fabriquer de la beauté ; on s’aperçoit qu’elle est belle en son volume, d’une beauté interne, d’une beauté active. Une sorte de narcissisme volumétrique imprègne la matière même. On suit alors avec toutes les forces du rêve le dialogue maeterlinckien de Palomides et d’Alladine :
L’eau bleue « est pleine de fleurs immobiles et étranges... As-tu vu la plus grande qui s’épanouit sous les autres ? On dirait qu’elle vit d’une vie cadencée... Et l’eau... Est-ce de l’eau ?... elle semble plus belle et plus pure et plus bleue que l’eau de la terre...
— Je n’ose plus la regarder. »
Une âme aussi est une matière si grande ! On n’ose pas la regarder.
Chapitre II, 3 (p. 74-5)
Mais si le regard des choses est un peu doux ; un peu grave, un peu pensif, c’est un regard de l’eau. L’examen de l’imagination nous conduit à ce paradoxe : dans l’imagination de la vision généralisée, l’eau joue un rôle inattendu. L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve. Nos yeux ne sont-ils pas « cette flaque inexplorée de lumière liquide que Dieu a mise au fond de nous-mêmes »? * Dans la nature, c’est encore l’eau qui voit, c’est encore l’eau qui rêve. « Le lac a fait le jardin. Tout se compose autour de cette eau qui pense*» Dès qu’on se livre entièrement au règne de l’imagination, avec toutes les forces réunies du rêve et de la contemplation, on comprend la profondeur de la pensée de Paul Claudel : « L’eau ainsi est le regard de la terre, son appareil à regarder le temps...*. »
*Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le Soleil levant, 1927.
Chapitre I, 5 (p. 45-6)
Le langage est au poste de commande de l’imagination.
Nous comprenons la Nature en lui résistant.
Les dépenses sont notre signature.
« Un jaune de Van Gogh est comme un or alchimique, un or butiné comme un miel solaire. Ce n’est jamais simplement l’or du blé, de la flamme ou de la chaise de paille : c’est un or à jamais individualisé par les interminables songes du génie. Il n’appartient plus au monde, mais il est le bien d’un homme, le cœur d’un homme, la vérité élémentaire trouvée dans la contemplation de toute une vie »
« Dans quel espace vivent nos rêves ? Quel est le dynamisme de notre vie nocturne ? L’espace de notre sommeil est-il vraiment un espace de repos ? N’a-t-il pas plutôt un mouvement incessant et confus ? Sur tous ces problèmes nous avons peu de lumière parce que nous ne retrouvons, le jour venu, que des fragments de vie nocturne. »