Citations de Herbert Lieberman (86)
Je crois qu'en réalité, tout est là : nous ne sommes rien d'autre qu'une poignée de créatures serrées les unes contre les autres dans un désert, et qui se portent mutuellement assistance en attendant, au long des heures froides et obscures qui précèdent le matin, une aurore qui n'a même pas promis d'être au rendez-vous.
Mais n'empêche que, depuis près de quarante ans qu'il exerce, qu'il contemple les témoignages les plus monstrueux de l'inépuisable génie que l'homme manifeste pour la cruauté,il n'a jamais pu se blinder devant le spectacle d'un enfant mutilé.
Elle avait le coup d'œil, la dame : tamiser la boue et y trouver le truc essentiel, elle n'avait pas son pareil. La routine et la logique policière ne l'intéressaient guère. Non, Fritzi, c'était l'inspiration et, tous les parieurs vous le diront, au bout du compte, l'inspiration, ça ne paie pas. Ce qui, pour être statistiquement vrai, la laissait de marbre. Depuis qu'il la connaissait, et cela faisait quand même pas mal d'années, inspiration ou pas, au dollar misé, elle était toujours gagnante - et de très loin.
L'injustice, c'est ainsi. Une fois qu'elle a commencé, elle se répand comme une épidémie. Au départ, il y a une toute petite injustice, puis une conjuration générale de toutes les injustices suivantes est nécessaire pour entretenir et pour soutenir l'injustice initiale. Et c'est ainsi que très vite l'atmosphère entière d'un endroit est irrémédiablement polluée.
Mais voilà : le subconscient, lui, il n'oublie pas. C'est comme un compte d'épargne : tous les mauvais souvenirs que tu y as déposés, il les garde. Et si toi, tu tires pas sur ton compte, consciemment s'entend, les intérêts finissent par monter et, un jour, ça fait un joli paquet.
Le Mossad connaissait bien Asher. Il avait été un de ses agents au début des années soixante-dix, dans une période particulièrement agitée. Mais on n’allait pas tarder à découvrir que les talents d’Asher, aussi grands qu’ils aient été, ne pouvaient lui permettre de devenir un agent scrupuleux et discipliné. Sa dépression nerveuse à la suite de la guerre de 73 fut le coup de grâce pour sa carrière d’officier des renseignements. Son évasion de l’hôpital et ses activités « sauvages » le firent passer pour quelqu’un de particulièrement dangereux, tout spécialement à cause du fait qu’il continuait à se faire passer pour un agent du Mossad.
Mais, en vertu de la nature particulière des organisations de contre-espionnage où les agents vivent en cercle fermé mais demeurent très loyaux les uns par rapport aux autres, l’agence ne put se résoudre à prendre des mesures draconiennes à l’encontre d’un camarade dans l’erreur. Le père d’Asher avait été l’ami intime de plus d’un officiel du Mossad ; après tout, c’était un héros de l’Irgoun. Ils avaient renvoyé son fils à contrecœur. On pouvait difficilement leur demander de le mettre au pas. Si ses activités se déroulaient à l’extérieur du pays et n’entraient pas en contradiction avec les actions menées par l’agence, ils avaient décidé de ne pas intervenir. Les anciens criminels de guerre n’étaient plus, depuis longtemps, sur la liste des priorités gouvernementales. Si c’était ce qu’Asher voulait faire, après tout, cela leur était égal. Pendant ce temps, il ne risquait pas de se mettre dans leurs jambes. Tacitement, ils avaient même décidé de financer certaines de ses opérations et de détourner pudiquement les yeux si un agent actif du Mossad, tel que Dovia Safid, devait lui prêter main-forte dans une de ses opérations illicites. C’est toujours un peu de cette façon qu’on fonctionne dans le milieu de l’espionnage. Il n’est pas question de se demander où est la morale dans tout ceci. Il n’y en a pas.
C'était à cette époque un quartier peuplé de travailleurs - des Irlandais, des Allemands, des Polonais, des Juifs -, des gens besogneux, forts en gueule, pieux, austères, qui étaient plus ou moins parvenus à s'adapter les uns aux autres et à vivre en paix. Accaparés par leur incessant combat contre leurs ennemis communs, la misère et la peine, ils n'avaient pas le temps de s'entre-déchirer.
A dix ans, on trouve que vingt ans, c'est vieux. Quand on en a vingt, les gens de trente ans vous font l'effet de vieillards. Quand on atteint la quarantaine, on commence à se dire qu'on a la plus belle moitié de sa vie derrière soi. Par contre, à cinquante ans, on s'efforce de se persuader qu'on est encore jeune. Il eut un petit rire, lui lança un regard en coin et reprit : Mais la quarantaine, ce n'est pas le milieu de la vie, Ollie. Si c'était le cas, nous vivrions tous jusqu'à quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans. A cinquante ans, on n'est pas jeune. On est vieux. On a dépassé, et de beaucoup, la moitié de sa vie. Or, j'ai cinquante ans, Ollie. Il laissa retomber sa tête et se prit à rire, comme si cette pensée lui causait une vive et secrète satisfaction. Eh oui, messieurs, reprit-il gaiement, j'ai cinquante ans, et en ce moment - et pour la première fois de ma vie - je me sens vieux et las.
L'ai entendu avant de le voir. Ou alors, c'était dans l'autre sens ? Peut-être que je l'ai vu avant de le voir vraiment. C'est comme ça avec moi. Des fois, je vois des trucs dans ma tête avant de les voir en vrai. Et puis, avant que je m'en rende compte, v' là qu'ils arrivent, juste sous mon nez. Le Doc dit que c'est pas possible. Il dit que peut-être je les imagine. Sauf qu'il a tort. Même s'il est médecin. Peut-être que ça tourne pas rond là-haut, mais au moins, je sais faire la différence entre un truc que j'ai vu et un autre que je crois seulement avoir vu. Enfin... je crois.
Après tout, personne ne lui avait forcé la main. Lui, le brillant interne en cardiologie, un jeune homme de vingt ans promis au plus bel avenir, il avait brusquement abandonné une voie sûre et confortable pour bifurquer vers le désert inconnu d'une spécialité obscure et misérablement rémunérée - la médecine légale. Deux conférences de Banhoff auxquelles il avait assisté par pur hasard et en fait sans autre motivation qu'une vague curiosité, et soudain le monde s'était renversé.
Konig est installé dans un petit laboratoire attenant aux salles d'autopsie, une loupe de bijoutier vissée dans son orbite, la main aux ongles laqués posée en équilibre devant lui sur un bureau. La main est maintenant pétrifiée. Dure comme de la pierre, figée dans un geste de béatitude, parée d'une étrange expression de repentir, comme une main arrachée à un saint de plâtre.
L'odeur d'une salle d'autopsie est bizarre.Odeur de mort et d'assa foetida.De formol et de peur.Qui la sent une fois ne l'oublie jamais.
On finirait bien par voir que lui, Dounskoï, était un soldat loyal et un bon citoyen ; et, alors qu'il ne lui serait jamais venu à l'idée de défier les ordres de ses supérieurs et les désirs du Soviet Suprême, il n'était pas tout à fait prêt cependant à sacrifier son enfant unique sur l'autel de l'ambition personnelle.
_ Cela dit, avec tout ce que tu as, moi, je serais assez prête à parier que l'inventeur, c'est le Noiraud. C'est lui qui gribouille des chiffres après ses petits dessins, et c'est aussi lui fauche après avoir violé. Le Blondin, lui, les chiffres et les affaires, ça ne le passionne pas... Non, je te l'ai déjà dit, le Blondin, c'est un rêveur. Un poète. Le genre passif... suiviste. Tandis que le Noiraud, c'est un découvreur. C'est le type qui va essayer de te feinter à tous les coups. Crois-moi, Mooney. Celui qui danse, c'est le Noiraud. Le Blondin, lui, c'est jamais que son ombre.
Et ça, Konig ne peut pas - il ne veut pas le tolérer. Aussi quelle importance qu'il ait triché un peu ? Ce ne serait ní la première ni la dernière fois. I recommencerait, et sans hésiter, s'il estimait avoir des raisons de le faire. Et d'ailleurs ce n'était pas totalement un mensonge. Tout aurait parfaitement pu se passer comme l'avait décrit Konig. Très probablement cela s'était bassé ainsi. Konig en est convaincu. Son sens de la justice le lui dit, et, après tout, cela lui suffit. Il l'avait eu, le salaud.
Il est triste de parvenir au milieu de son existence, et de s'apercevoir qu'on a passé celle-ci dans une sorte d'hébétude dénuée d'intelligence et de discernement, un peu comme un enfant que l'on aurait seulement nourri d'inventions.
Ainsi, le moment est enfin venu. Plus tôt, à vrai dire, qu’il ne s’y attendait. Il s’était imaginé qu’ils resteraient au moins quelques jours à se concerter entre eux derrière leurs portes closes. À fignoler un plan pour se venger et sauver la face au nom de la justice. Une alliance entre le maire et les autorités judiciaires pour extirper le mal et l’incurie des services municipaux. Ce que les éditorialistes de la presse nomment d’ordinaire « le coup de balai ». Châtiment et disgrâce. Mais, bien entendu, tout ça en douceur. Entre gens civilisés. Pension complète. Retraite anticipée pour raisons de santé. Règlement de comptes entre gros bonnets, main de fer mais gant de velours.
De longues bandes de toile pendaient, telles les entrailles d'une créature vivante que l'on vient d'éviscérer...
L'humidité est monstrueuse. Elle imbibe la terre comme une serviette trempée sous laquelle il n'y aurait pas un brin d'air. Il est impossible d'y échapper et on ne peut s'en protéger nulle part. Elle est partout. Il y a plus d'un mètre trente de pluies par an. C'est le monde des lichens et des champignons ; la végétation est tellement prodigue qu'elle en devient étouffante. Tout ici est en mutation et hors de proportion, y compris la vie animale - les immenses chauves-souris, les énormes rongeurs et les anacondas qui pèsent plus de cent kilos et dont certains atteignent un diamètre de trente centimètres. On peut en rencontrer dans la forêt, enroulés aux branches, pendant comme l'animal allégorique d'une contrée mythique. Les gens qui vivent ici, les blancs au moins, n'y sont que parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Il y en a de deux sortes - les criminels et les prêtres ; les uns viennent pour la rémission des péchés et les autres sont là pour faire oublier les leurs.
En regardant le Dr Ngongoro franchir la gigantesque porte à tambour pour monter dans la limousine qui l'attendait devant la porte de l'hôtel, Paladine se demanda ce qu'avait bien pu lui dire la femme de chambre. Dans sa précipitation à tout nettoyer et remettre en ordre dans la suite 1804, aurait-il oublié un détail ?
fin du chapitre 10