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Critiques de Israël Joshua Singer (68)
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Yoshe le fou

Israel Joshua Singer raconte dans D'un monde qui n'est plus: “Parmi les differentes histoires que les Juifs raconterent au repas, mon pere lui aussi en raconta une, celle de Yoshé le fou ; d’un fils de rebbe, Moyshe-Haim Kaminker, qui avait quitte sa femme, la fille du rebbe de Shiniave ; et quand il revint plusieurs annees plus tard aupres de son epouse abandonnee, des Juifs l’accuserent de n’etre pas Moyshe-Haïm Kaminker le gendre du rebbe, mais un mendiant du nom de Yoshé Kalb, qui avait abandonne sa femme, une demeuree… Mon pere avait connu Yoshé Kalb et raconta tres bien aux convives, ce jour-la, toute la confusion qui se produisit dans la vie juive autour de cette histoire… Tout le monde etait assis la bouche et les oreilles grandes ouvertes, plein de curiosité pour cette enigme que personne n’avait pu resoudre ; j’etais moi-meme comme frappe de stupeur”.





Le petit Israel Joshua n'oubliera pas cette histoire. Plus tard il en fera la matiere de son premier livre, Yoshe Kalb (Yoshe le veau), ou, dans sa traduction francaise, Yoshe le fou.



Un livre en trois volets. Au premier, le Rabbi des hassids de Nyesheve, Melech, a perdu sa femme et veut se remarier une troisieme fois (ou quatrieme? J'ai perdu le compte) avec une toute jeune fille. Mais pour cela il doit d'abord marier sa fille Sourele. Il precipitera ce mariage, lui trouvant un tout jeune homme, Nahum, verse dans les saintes etudes, qui ne saura comment se comporter avec sa femme, qu’il n'apprecie pas, mais (miracle!) tombera amoureux de sa jeune belle-mere. Ils consommeront leur amour (malheur!), il ne pourra se le pardonner, elle tombera enceinte et en mourra, il fuira, abandonnant Sourele et Nyesheve.



Deuxieme volet. Arrive a Bialogora un jeune homme taiseux qui passe ses journees a recite des psaumes a la porte de la synagogue. Il ne parle a personne et ne demande rien, on l'appelera Yoshe le fou. Le bedeau en fera son aide, son homme a tout faire et l’amenera chez lui, ou sa fille, demeuree, croira fermement qu'on lui a amene un futur mari. Quand cette fille se fait violer, on accusera Yoshe et on l'obligera a la marier. Et la ceremonie ie du mariage a peine finie, il fuit.



Troisieme volet. Un homme arrive a Nyesheve, disant: Je suis Nahum. Sa femme, Sourele, le reconnait, il est fete par tous et bientot admire pour son savoir et son ascetisme. Mais arrive un pelerin de Bialogora qui affirme le reconnaitre comme Yoshe le fou. Est-il marie a deux femmes en deux endroits differents? S’ensuivra une grande querelle entre la communaute de Bialogora et la cour hassidique de Nyesheve, dans laquelle tous les grands rabbins de Pologne, Hongrie, Lituanie devront prendre parti, et meme les autorites civiles autrichiennes seront melees. Le vieux Rabbi de Nyeveshe en mourra, mais alors qu'on pense a Nahum pour lui succeder, il fuit.





L'histoire est prenante. Israel Joshua Singer est un grand conteur. Mais surtout, j’ai senti que derriere les descriptions de la vie et des coutumes des juifs, hassidiques ou autres, emerge sa critique de toute cette societe.



Chez les hassidim qu'il decrit, le Rabbi, le chef, est venere comme un saint miraculeux, alors que la plupart des fois il n'est pas un grand erudit, bien au contraire, souvent un rustre mal leche qui ne pense qu'a obtenir de plus en plus de dons de ses suiveurs, de ses fideles. Cette direction etant hereditaire, ses enfants se disputent pour la succession, pour le gros lot. Et comme chaque cour veut agrandir son influence, les masses de ses fideles et par la ses revenus, elles se livrent entre elles de vraies guerres d'influence qui peuvent conduire a des altercations et des empoignades entre les suiveurs jusque quand les synagogues: “Les disciples hassidiques de Nyesheve et de Gorbitz s’empoignaient, on assista a des scenes scandaleuses. Sous l’effet de ce nouveau conflit des rivalites professionnelles se transformerent en haines frenetiques. Des communautes en excommunierent d’autres, solennellement. Il y eut des mariages brises. Les parents rappelerent leurs enfants maries et leur ordonnerent de divorcer. Les fanatiques de Nyesheve refusaient d’acheter la viande abattue par leurs ennemis et le vin qu’ils vendaient pour la benediction. Cette viande, affirmaient-ils, était impure. Ils ne voulaient pas etre enterres cote a cote dans les cimetieres. L’agitation s’etendit aux femmes. […] Les journaux viennois publierent des articles enflammes sur la guerre civile qui faisait rage chez les « Juifs a papillotes », les fanatiques de Galicie”.



Les simples juifs ne sont pas mieux servis chez Singer. Leur religion est impregnee de superstitions et de pratiques plutot paiennes. Les differences economiques, de classe, sont enormes. Une multitude de mendiants passe de village en village, de bourg en bourg, et ils peuvent devenir menacants: “Le premier matin apres la foire, les mendiants prirent la ville d’assaut. Comme toujours, les habitants essayerent de distribuer des proutos, mais personne n’en voulut. La foire avait été exceptionnellement reussie. Les mendiants le savaient, et n’acceptaient que les vraies pieces. Ils étaient en greve; ils refuserent les proutos, le sucre et les quignons de pain, qu’ils jetaient avec rage. « Vous pouvez etouffer avec! Donnez-nous de l’argent! » Les villageois grognaient et sortaient leurs groschens”. (Apres le pain et le sucre, les proutos etaient l’aumone la plus miserable. C’etaient des morceaux de papier remboursables par la communaute a un taux bien inferieur a celui de la plus petite piece de monnaie). Et nombreux sont ceux pour qui tous les moyens sont bons afin de s'enrichir, ne serait-ce que peu. Ainsi le bedeau de la synagogue de Bialogora eteint les cierges poses par les fideles pour se garder la cire, et n'hesite pas a pecher dans les caisses de charite. Et qu'en est-il des grands rabbins erudits? Ils sont certes un modele de morale, mais le rationalisme leur est completement etranger. En fin de livre, quand tous les grands magistrats rabbiniques se reunissent pour juger Nahum/Yoshe, le dernier mot sera celui du “Saint de Lizhane": “Vous etes une reincarnation, l'ame errante d'un mort! […] vous n'etes rien vous-meme… vous etes un mort errant dans le chaos du monde!”





Il m'est clair que Singer ne pense pas beaucoup de bien de la facon de vivre et de penser des juifs des shtetl et autres petites communautes provinciales. Et encore moins des cours hassidiques. Son heros, Nahum, est une ame pure, et sa seule salvation est la fuite. Quitter ces societes fermees, anachroniques, obsoletes, non pour etre un mort errant comme on l'a accuse, mais justement pour vivre, arriver a vivre dans une societe qui, plus ouverte, pourra lui permettre de s'affirmer.



Singer lui-meme a fait ce parcours. Il a fui la communaute hassidique de ses parents pour s'ouvrir au monde, a la civilisation occidentale, tout en restant juif et ecrivant en yiddish. Et son ecriture reste attachante, enivrante, meme en traduction francaise. Yoshe le fou, son premier livre, en est deja un bel exemple.

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Les frères Ashkenazi

Je poursuis ma lecture de l'oeuvre du grand frere Singer.



Ce roman date de 1936 mais il avait ete deja publie, en partie ou en entier, en feuilleton dans le celebre journal Yiddish de New York, le Forverts.



C'est la saga d'une famille, les Ashkenazi. L'ascension et la chute d'une famille. La saga d'une ville, Lodz. Son expansion et son essor industriel jusqu'aux convulsions de crise, de recession, de declin. La saga d'une certaine judeite polonaise, en une epoque de bouleversements, de revolutions. Son agitation, sa fermentation, ses espoirs contradictoires, finissant par sa destabilisation, son detraquement, sa decomposition.



Ce qui precede peut etre percu comme un resume tout a fait acceptable. Mais moi je ne sais me satisfaire de deux phrases. J'avertis donc: elles vont se multiplier.





Premiere approximation: la ville. Apres les guerres napoleonniennes, apres les soulevements revolutionnaires du Printemps des peuples, la Pologne attire des tisserands allemands et leur permet de s'intaller dans la ville de Lodz. Les quelques juifs de la ville et de nombreux autres des alentours venus travailler pour eux apprennent le metier et les surpassent, developpant une petite industrie textile artisanale. Tres vite eclot tout un quartier d'artisans juifs, Balut. Tout aussi vite certains s'associent et grandissent, arrivant a accumuler affaires et capitaux qui leurs permettent vers la fin du 19e siecle de construire de grandes usines travaillant a la vapeur et employant des centaines d'ouvriers. le debut du capitalisme industriel a Lodz. Pour beaucoup un capitalisme juif. Singer met en scene deux grandes usines qui se concurrencent, une usine allemande et une usine juive. Mais passee une seule generation l'usine allemande sera aussi rachetee par un juif. Et je dois dire que Singer reflete assez fidelement la vraie histoire de celle qui fut appelee un moment “ la Manchester polonaise".

La premiere guerre mondiale commencera par une flambee de commandes (il faut habiller les armees) mais finira en un retrecissement qui deviendra grande crise sociale. Double crise pour les juifs qui seront depossedes de leurs biens par le nouvel etat polonais.





Mais le livre est titre Les freres Ashkenazi. Passons donc a la saga familiale. En fait l'histoire de deux freres, deux fils d'un riche marchand de draps. Jumeaux mais differents. Tres differents. L'un, Simha Meyer, petit et maigrichon, peu sociable, jaloux de tout et de tous et surtout de son frere, mais doue d'une grande intelligence et anime d'une puissante volonte de reussir, d'une ambition insatiable. L'autre, Yacov Bunem, grand, beau, rieur, charmant et charmeur, aimant la vie et sachant vivre, sans faire de grands efforts pour quoi que ce soit.

Simha semble promis a une carriere rabbinique mais a peine marie il prefere s'integrer dans les affaires de son beau-pere, qu'il fait rapidement fructifier. A force de magouilles il est promu directeur des ventes de la grande usine allemande, la Huntze, qu'il finit par s'approprier. Son enorme reussite pendant la guerre russo-japonaise fair de lui “le roi de Lodz", s'appelant desormais Max Ashkenazi. Mais de grandes greves et les aleas de la premiere guerre mondiale le forcent a fermer et transporter son usine a Petrograd ou tres vite la revolution lui enleve tout. Completement demuni, son frere devra venir le chercher pour le ramener a Lodz.

Quant a Yacov, sa beaute et son charme font que tout lui reussisse sans grands efforts. Il fait un mariage d'argent et mene la grande vie, changeant lui aussi son nom en Yakub, a la polonaise. Il arrive meme a diriger la deuxieme grande usine, la juive, la Flederbaum. Quand il comprend que son frere est perdu a Petrograd en pleine revolution il part le sauver. En chemin de retour des soldats polonais cherchent a les humilier, les avilir. Trop fier, il gifle un officier, qui en reponse vide un chargeur sur lui. Digne mort? Ou indigne?





Tout cela nous donne deja une belle saga, mais pour moi la grande reussite du livre est la fresque haute en couleurs de la vie juive dans une grande ville polonaise au tournant du siecle, son effervescence, ses changements, ses combats interieurs et exterieurs. Il decrit l'arrivee de juifs venus de petits shtetls chercher du travail chez les tisserands allemands. Quand les plus degourdis se mettent a leur compte et que cette industrie grandit c'est l'afflux, creant une communaute majoritaire de proletaires juifs, et chez nombreux une nouvelle conscience proletaire. Les moeurs changent et meme s'ils ne delaissent pas les rites juifs beacoup ne jurent plus par la Bible mais par Marx ou Bakounine. Singer, ne se limitant pas a exposer l'ascension d'industriels juifs, consacre de longs chapitres a des agitateurs, qui s'opposeront a leurs congeneres riches industriels, provoqueront des greves dans leurs usines, seront pourchasses et certains feront la Siberie. J'ai senti a travers les pages l'empathie de Singer envers ces proletaires eveilles, mais il sait qu'eux aussi, et non seulement les capitalistes juifs, excitent un antisemitisme rudimentaire. Pour arreter une greve les autorites russes de la ville se servent d'un moyen sur: ils ebauchent un pogrom vers le quartier juif de Balut auquel se joignent tres vite les ouvriers chretiens. Les ouvriers juifs sont sideres: “Et dire que c'est nos frères, nos camarades de travail qui ont fait tout ça ! et pas la police, pas nos patrons exploiteurs !” Et les femmes de pleurer: “Vous n'aviez vraiment rien de mieux à faire que de cavaler comme des fous avec vos bouquins et vos tracts clandestins ? Vous ne saviez donc pas que dans ces occasions-là le sang juif finit toujours par couler ?”

Singer sait que pour toutes les autorites le pogrom est dans la region le plus sur moyen de calmer les masses, il faut donner un palliatif a leur colere. Ainsi quand il decrit le retour des troupes russes, battues par les japonais, qui se defoulent sur les juifs. Ainsi quand a la fin de la premiere guerre mondiale des polonais qui se battent pour leur independence, les legionnaires de Cracovie, les "Crocus", font un enorme pogrom a leur conquete de Lemberg (la Lviv d'aujourd'hui): “Tous les journaux polonais rapportèrent le récit de la libération de Lemberg comme une victoire spectaculaire sur les insurgés bolcheviks.” […] “Tous les Juifs de Lemberg assistèrent aux obsèques des victimes du pogrom. Parmi les quarante mille hommes et femmes en noir se détachait un uniforme bleu pâle : c'était Felix Feldblum, les épaules basses, les yeux tristes, la barbe en bataille. Officier de la Légion polonaise, socialiste, champion des opprimés, patriote polonais, il était venu conquérir la ville. Il avait eu beau intervenir auprès du commandement polonais, on ne l'écouta pas. « L'ordre est de livrer les Juifs aux soldats pour quarante-huit heures », lui avait-on répondu.” Tout lecteur rapprochera ce passage, et d'autres du meme genre, a la mort de Yacov Ashkenazi, qui ne peut etre consideree un detail anodin ou bizarre. Apres sa mort, apres la guerre, Singer trace succintement les nouvelles directions des juifs: les uns s'alignent pour aider la revolution bolchevique, d'autres s'entichent des nouvelles idees sionistes, nombreux essaient de partir pour l'Amerique, et les plus nombreux restent, essayant de reconstruire ce qui peut l'etre, de vivre dans la nouvelle Pologne independante.





Et Max Ashkenazi dans tout cela? Max ne sera plus Max. Il est redevenu Simha Meyer. Apres la mort de son frere il revient a un judaisme qu'il avait pratiquement abandonne. Lui mourra recitant des psaumes. Et je me demande si Singer ne lui a pas concede cela comme une ultime faveur, comme une sorte d'absolution.





Concluons: J'ai beaucoup aime, bien que j'ai senti des fois quelques longueurs peut-etre dues a la premiere publication en feuilleton. Et elles ne sont peut-etre pas superflues. Et ce sont peut-etre elles qui m 'ont le plus emu. Il en faut surement pour ecrire une belle saga.

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La famille Karnovski

Israel Joshua Singer, le grand frere Singer, publie ce roman en 1943. Moins d'un an apres, il meurt d'une crise cardiaque, a 50 ans. Son dernier roman, ou il quitte, pour ainsi dire, sa zone de confort. Il quitte les juiveries d'Europe de l'Est pour installer cette fois sa trame en Allemagne. Et c'est le grand roman de la surprise des juifs allemands, de leur ahurissement face a la montee des “hommes bottes" (le terme “nazi" n'est jamais utilise). le drame de leur confusion, de leur embarras, eux qui etaient allemands d'esprit et de coeur, qui avaient combattu en 14-18, qui travaillaient tous les jours pour la grandeur de l'Allemagne, qui etaient petris de sa culture, imbus d'elle. Ils sont ebranles dans leurs certitudes, destabilises, bien avant que ne leur arrive le pire (le livre est ecrit en Amerique, quand on ne sait encore rien de la “solution finale", quand on ne peut meme pas l'imaginer). A leur stupefaction “on voyait souvent dans les rues de la ville des jeunes déchaînés qui poussaient des hurlements sauvages, incitant à exterminer tous les Juifs du pays. Et ça n'était pas des gens du peuple, mais des étudiants, des gens instruits, éclairés. Des rues portant des noms de philosophes, Kant, Leibniz, voyaient déambuler des personnes cultivées, armées de gourdins qui appelaient à la violence et au meurtre.” Par leur desillusion, c'est la sienne que transmet I. J. Singer, lui qui avait reve dans sa jeunesse, comme tant d'autres, de Vienne et de Berlin.



Singer vehicule cela a travers la saga d'une famille, les Karnovski. David Karnovski, ebloui par les idees eclairees du philosophe Moses Mendelssohn, quitte sa bourgade polonaise pour s'installer a Berlin et essaie de son mieux d'adopter la forme de vie et de pensee des juifs occidentaux, de se faire admettre dans leurs rangs, meprisant autant sinon plus qu'eux les “Ost-Juden" dont il est issu. Son fils, Georg, devient un medecin tres prise et, eloigne de tout judaisme, marie une “goy", une chretienne, au grand dam des deux familles. Il incarne la culmination de l'assimilation et de la reussite sociale de la famille. Pour peu de temps, car il perdra tout avec la montee des hommes bottes, emigrera in extremis en Amerique, ou on ne reconnaitre pas son titre, et tombera peu a peu dans la misere. Il aura un fils, Jegor, faible de corps et de nature, haineux, qui collectionnera les caricatures antisemites et, une fois en Amerique, se mettra au service d'un groupe nazi, demandera meme son rapatriement, et aura une fin tragique.



La saga d'une famille. L'ascension et la chute d'une famille a travers trois generations. La saga d'une certaine juiverie. L'ascension et la chute d'une certaine idee de l'assimilation a travers trois generations. Dans un livre qui evoque de nombreux conflits, internes et externes, entre generations, classes sociales, confessions, nationalites, plus les conflits intimes ou se debattent les personnages qui ne marchent plus sur de la terre ferme, sur ce qu'ils percevaient comme terre ferme. Dans un livre ou viennent s'imbriquer bien d'autres histoires qui n'egarent pas le lecteur mais au contraire continuent a eveille son interet. Comme le destin de Salomon Bourak, l'antithese de David Karnovski, l'ost-jude qui ne se laisse pas aveugler par les “lumieres" berlinoises, qui n'oublie ni les croyances ni les habitudes ni les chansons de son shtetl. Lui aussi emigre en Amerique, mais sans etats d'ame il se fait colporteur et finira par ouvrir un magasin, comme a Berlin. Ou cette fille d'un medecin qui soignait gratuitement les pauvres, qui se lance en politique, se fait elire depute socialiste et depuis est en butte a la calomnie et a la brutalite physique pour finir par etre emprisonnee. Ou les deboires de la famille Holbek, qui perdent durant l'inflation leur maison, leurs bijoux, leurs meubles, jusqu'a leurs vetements. Ou les tres nombreux juifs qui larguent et renient d'anciennes connaissances, d'anciennes amities, esperant ainsi se sauver eux-memes. Beaucoup d'histoires tangentes qui n'alourdissent pas mais enrichissent la saga. Car elles permettent une appreciation des tourments economiques et sociaux de la republique de Weimar et des horreurs domestiques du nazisme, acharne contre ses opposants comme contre les hesitants. Elles permettent aussi dans la troisieme partie une reflexion sur cette constante de l'histoire humaine qu'est l'emigration.



Une fois ma lecture finie je ne peux m'empecher de penser que Singer porte un regard desillusione sur son temps et son peuple, consterne, afflige. Des trois generations qu'il decrit, chacune tourne le dos a la precedente, la desavoue, la conteste. David Karnovski reprouve le judaisme etrique des bourgades polonaises et embrasse avec passion le nouvel “aufklarung" juif de Moses Mendelssohn. Georg renie toute attache juive, et Jegor, en une sorte de maladie autodestructive, s'allie a ceux qui veulent eliminer son pere.



Et le regard que Singer porte sur le judaisme, ou les judaismes, les differentes facons de vivre la judeite, n'est pas plus souriant. le judaisme du shtetl a vecu et n'a pour lui aucun avenir. Mais la voie de l'assimilation n'est elle pas aussi un leurre? L'integration des juifs allemands ne passait-elle pas par le rejet d'autres juifs? “On se méfiait enormement aussi des coreligionnaires à cheveux longs et mal habillés venus de Russie pour étudier dans la capitale. Les étudiants bruns aux yeux noirs de l'Ouest, évitaient les étudiants bruns aux yeux noirs venus de l'Est, encore plus que leurs condisciples blonds ne les évitaient. Ils ne voulaient rien avoir à faire avec ces « mendiants » et ces « nihilistes » dont le judaïsme oriental faisait ressortir le judaïsme occidental qu'eux, les Allemands de religion mosaïque, s'efforçaient tant de camoufler”. Et de toutes facons Singer ne peut que constater que l'assimilation n'a pas mene a l'integration: “La vie est une farceuse, rabbi Karnovski, elle aime à nous jouer des tours. Les Juifs voulaient être des Juifs à la maison et des hommes à l'extérieur, la vie est arrivée qui a tout embrouillé : nous sommes des goyim à la maison et des Juifs pour l'extérieur”. C'est comme si Singer se demandait: et qu'en sera-t-il en Amerique? Y aura-t-il un essai autre, qui pourrait reussir, d'assimilation tout en gardant une certaine judeite? J'ai cru apercevoir, derriere sa morosite desabusee, une lueur d'espoir. En la personne de Salomon Bourak. Un juif sans grande education, sans grande foi, pour qui la judeite tient en de petits gestes, des melodies, des mets rituels, quelques mots d'antan qui traduisent un lien tribal, quelque blagues venues de loin (loin d'ou?), qui n'a pas peur de se plier a de nouvelles regles sans pour autant s'y perdre. Bourak reussira a New York, peut-etre justement parce que, colporteur, il n'arrete pas de siffloter un vieil air, un vieux “nigoun". Ses enfants seront surement de bons americains, assimiles. S'ils gardent le nigoun rien n'est perdu. Contrairement aux Karnovski qui, eux, avaient perdu leur nigoun depuis le debut, avec David envoute par les choeurs des grandes synagogues allemandes.



Un dernier mot sur l'ecriture de Singer. Il semble dedaigner toute experimentation de forme et il s'appuie sur un style simple, qui devient lumineux a la longue, expressif et chaud, et sur des dialogues dont le langage est particulierement adapte a chaque interlocuteur. C'est tres reussi et j'applaudis le travail de la traductrice. Je suppose qu'en yiddish c'est encore plus savoureux.

Un grand livre. Peut-etre le meilleur de Singer.

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D'un monde qui n'est plus

Je vais le dire d'emblee: ce livre, les souvenirs d'enfance d'Israel Joshua Singer, m'a plu plus que celui de son petit frere, Isaac (Au tribunal de mon pere). C’est que le gosse est beaucoup plus eveille, plus impetueux, plus delure, beaucoup moins docile et beaucoup moins naif. Son regard sur tout ce qui l'entoure, sur tout ce qui se passe, est beaucoup plus acere, beaucoup plus critique. Et le livre est tout aussi bien ecrit, tout aussi pittoresque, et beaucoup plus piquant, par endroits beaucoup plus drole et par endroits beaucoup plus affligeant, dechirant meme.





Israel Joshua raconte son enfance a Lentshin (Leoncin en polonais), un tout petit shtetl de quelques dizaines de familles juives, et ses vacances chez son grand-pere a Bilgoray, un bourg beaucoup plus important. Dans les deux cas la nature est omnipresente, contrairement au recit de son petit frere Isaac, ancre a Varsovie. Et le petit Joshua est epris de cette nature. On veut l'enfermer dans des maisons d'etude, dans les livres, comme il convient a un fils de rabbin, mais lui ne fait que se moquer de ses maitres, tous plus bizarres, plus fous les uns que les autres, et il fuit dehors a chaque occasion. Il aime les champs, les forets, les animaux, les gens qui travaillent de leurs mains. “Moi, il ne me venait même pas à l’idée que j’aurais pu comprendre ce que j’étudiais, dont à la vérité je me désintéressais complètement. C’est vrai que j’étudiais extensivement les lourdes pages du Talmud, mais je les avalais comme un médicament amer. Tout mon être était à l’extérieur, plein de désir pour la liberté, la terre, l’eau, les animaux, les gens, le mouvement et la vie”. Il aime sentir l'odeur des copeaux chez un menuisier et surtout l’aider a raboter une piece. Quand il voyage avec sa mere a Bilgoray il aime s'assoir a cote du cocher et tenir les renes. “Ma mère me demandait souvent si ce n’était pas trop dur pour moi. J’avais envie de rire. Comment ça, dur ? J’étais prêt à m’asseoir sur le plus dur des sacs de sel, en haut d’un tonneau, pourvu que je pusse voyager sur ce chariot, entendre claquer les fers chevalins, frotter les roues, siffler le voiturier, et ses cris rauques continuels. […] Bientôt on entrait dans les forêts, les forêts épaisses du comte Potocki, et bien que dans ces forêts vécussent des brigands, à ce qu’on disait, il y avait, en même temps que de la crainte, un plaisir vivifiant à les traverser, à respirer les parfums délicieux, à entendre les chants des oiseaux. Le mystère de la forêt vous remplissait d’une crainte pleine de douceur.” […] “Ensuite on repartait en cahotant ; on descendait du charroi quand la route montait, et on y rentrait quand ça descendait. Ensuite le chariot se retournait carrément et se retrouvait sens dessus dessous, les roues en haut ; les Juifs gémissaient, les femmes, embarrassées dans leurs robes, se lamentaient ; je nageais en plein bonheur”. Son plus grand plaisir est de disparaitre pour quelques jours et se meler aux cueilleurs de fruits d'ete: “Quand nous n’allions pas passer l’été chez mon grand-père, il m’arrivait souvent de rejoindre les vergers autour du shtetl. […] Pour moi commençait une époque de bonheur. Je restais avec Nosn (son copain) dans les vergers, mangeais des fruits des arbres, aidais à cueillir les cerises, mettais les fruits dans des paniers et dans des tonnelets qu’on allait vendre à Varsovie au marché. Encore plus beaux que les jours, dans les vergers, étaient les soirs. Les garçons de Moyshe Mendl faisaient des rondes, montant la garde contre les voleurs, ils sifflaient et criaient, suscitant des échos· Freydl et ses copines, qui s’étaient embauchées dans leur verger pour la cueillette, chantaient dans la nuit de satin noir leurs chansons d’amour nostalgiques. Du ciel tombaient des étoiles, des petits feux scintillaient aux chaumières villageoises, des chiens aboyaient. Le bonheur me submergeait”.





Pas bete pour un sou, il saisit vite ce qui se cache derriere l'adoration des “rebbe" hassidiques: “À Bilgoray débarqua un jour le tsaddik Rabbi Motélé de Kuzmir venu recueillir de l’argent chez ses hassidim ; Mon grand-père, comme à son habitude, se mit aussitôt à parler érudition avec son hôte. Mais le tsaddik n’avait pas grande envie de parler érudition, domaine dans lequel il était à ce qu’il semble peu versé ; il préférait fredonner des airs hassidiques, faire des gesticulations et autres simagrées rebbéiques. […] Le trésorier du rebbé commença aussitôt une vente aux enchères. Sitôt que le rebbé avait goûté une prune, le trésorier vendait aux enchères ce qu’il en restait, les shirayim (les restes). — Un rouble d’argent pur pour une prune ! s’exclamait-il sur un certain air, comme quand on vend des montées à la Torah. Un rouble et demi… deux roubles… Les hassidim surenchérissaient l’un sur l’autre. Bientôt arrivèrent en courant des femmes et des enfants, ils demandèrent au rebbé de les bénir. Le rebbé bénissait, mais le trésorier faisait payer à l’avance chaque bénédiction. Avant que le rebbé ne quitte la maison de mon grand-père, le trésorier vendit le soutien. Le rebbé de Kuzmir boitait d’un pied, et on devait l’aider à marcher. Le privilège de soutenir le rebbé dans sa marche s’achetait…”.

Tous ces Rebbe sont ignares pour la plupart: “Car ce rebbé de Vorké qui habitait à Otvotsk, une bourgade voisine de Varsovie, n’était pas (qu’il me pardonne) une vraie lumière de l’érudition. On disait que non seulement il était incapable de lire une page du Talmud, mais même qu’il n’était pas un grand connaisseur du Pentateuque. En revanche il était profondément dévot, terriblement pieux, et tels étaient aussi ses hassidim. Les hassidim de Vorké priaient énormément, ils pleuraient et broyaient du noir ; leurs mélodies étaient funèbres, leurs paraboles lamentables”. Et quand ils ne sont pas incultes, il raille leur savoir, pire qu'inutile: “Ce Reb Yishayélé Rakhéver avait écrit une foule de livres où il prouvait que tout ce qui existe au monde est interdit. D’après ces livres il n’y avait absolument plus rien qu’un Juif eût le droit de faire”.





Lui aussi, comme son frere apres lui, voit les differences entre ses parents, et il met beaucoup moins de precautions a nous les transmettre, apres avoir note que ce n'etait pas un cas particulier: “Comme la plupart des couples dans des foyers rabbiniques, mari et femme n’étaient pas sur la même longueur d’onde, même quand ils s’entendaient le mieux possible”. Sa mere ne respire que quand elle va visiter ses parents a Bilgoray: “Plus qu’à l’accoutumée encore pesaient sur nous la tristesse et la pauvreté de Lentshin, ce trou perdu, quand nous rentrions de nos visites à Bilgoray. Ma mère, qui chez son père revivait, retombait dans son mutisme et sa tristesse perpétuels.” Elle en veut a son mari, qui ne reussit pas a gagner correctement sa vie, qui n'essaye meme pas, et dit pour toute excuse: “— Quand j’arriverai dans l’autre monde et que les anges du ravage voudront me jeter en enfer pour mes grands péchés, j’aurai un intercesseur en la personne de Rashi (un celebre commentateur), parce que je l’ai justifié, et ses mérites me défendront. Bien que je fusse encore un gamin, j’eus très envie de rire de la peur qu’avait mon père et des grands péchés dont il s’accusait. Ma mère ne rit point, mais elle le regarda de ses grands yeux gris qui voyaient tout, et dit abruptement : — Rashi se débrouillera bien tout seul. Tu ferais mieux de penser à nourrir ta maison. C’est aussi un commandement…”. Le pere est un reveur, composant des commentaires qui n’ont d’interet que pour lui, effraye par sa femme, credule et vole par un cordonnier volubile, devalise par des pickpockets quand il met le dernier bijou de sa femme au mont se piete, terrorise par un chien, voire emporte par un cheval emballe, et d’une façon generale un peu ridicule. Mais, a y bien regarder, il n’y a pas dans les souvenirs de Joshua Singer un seul mot qui condamne son pere. Que sa bonte fasse de lui une victime n’entache pas sa valeur.





L'enfant regarde avec des yeux avides autour de lui, et s'il est charme par les paysans (et les paysannes) polonais, par leurs processions hautes en couleurs, il decrit aussi leurs beuveries, leurs rixes et la peur que celles-ci inspirent aux juifs, qui craignent qu'elles ne degenerent a leurs depens. Un chapitre est tout de meme consacre a une accusation avortee de meurtre rituel a Lentshin…





En fait, tres tot, tres jeune, il se rend compte de l'anachronisme de la facon de vivre de ses parents. Quand il ecrit cela, vers 1943, il sait que la societe juive du shtetl etait deja mourante, condamnee, revolue a l'epoque de son enfance. Il decrit, non pas le monde d'hier (pour paraphraser un titre de Zweig) mais le monde d'avant-hier. Et c'est un requiem, bien qu'etant en Amerique, il ne savait pas vraiment ce qui se passait en Europe, ne pouvait pas concevoir l'ampleur du genocide nazi. C'est un requiem parce qu'il sait que ce qu'il a connu pendant son enfance n'avait deja alors aucun avenir. Pas par hasard, a peine ses parents quittent Lentshin et s'installent a Varsovie, il abandonne ostensiblement leur mode de vie et fait tout pour entrainer son jeune frere, Isaac, apres lui. Comme le dit son traducteur dans sa postface, c’est de ce monde qu’il prend distance, de façon progressive et enfin violente : comme bien des étudiants de yeshiva de son temps il devient un maskil, un « éclairé », un sceptique, et c’est cet éloignement et cet éclairement que voulait sans doute raconter son autobiographie.





C'est en definitive un tres beau livre. Comme a mon habitude, je l'ai abondamment cite dans ce billet. Mais j'ai note de nombreux autres passages, de petits joyaux, que je mettrai peut-etre en citations.

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La famille Karnovski

C'est avec beaucoup d'émotion que je tourne la dernière page de cette grande saga d'une famille juive. Et si j'ai mis un "certain temps" pour venir à bout des 750 pages, ce n'est absolument pas par ennui ou désintérêt mais tout simplement parce que nous avons été très sollicités par la délicieuse présence de nos enfants et petits enfants...Cette remarque personnelle pour faire un parallèle avec cette famille Karnovski, rejetée , humiliée, chassée au simple prétexte qu'elle était juive, d'abord allemande mais, au final , surtout juive. Pourquoi tout le monde n'a-t-il pas droit au même bonheur? Pourquoi nous ? Pourquoi pas eux?

On connaît bien sûr le sort réservé à des millions de juifs durant la seconde guerre mondiale, j'avoue que je connaissais moins cette montée haineuse si générale dans les années précédentes et vivre les événements relatés du point de vue des Karnovski est particulièrement émouvant et atroce. Certes, ce roman mériterait une analyse approfondie et serait sans doute très intéressant à faire étudier en parallèle avec les événements politiques de l'époque et la vie quotidienne des "goys".

Pour ma part, je ne m'y hasarderai pas, mais, après cette lecture, on s'étonne moins de l'extermination incroyable de gens qui aimaient leur pays, "l'Allemagne" et avaient bien des difficultés à croire à ce qui allait se passer.

C'est un livre dur et, encore, l'auteur ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer "en face", c'est dire.

Oui, ce livre comporte quelques longueurs, quelques maladresses, quelques redondances, c'est vrai, mais qu'est ce qu'il est émouvant , que les personnages, avec leurs opinions, leurs agissements, leur hypocrisie, leur fierté, leur sagesse ou leur haine sont bien campés, s'emboitent comme des pièces de lego (tiens,ça c'est parce que j'ai joué avec mon petit...)pour former un reflet de la société dans laquelle nous sommes plongés avec eux.

A mon humble avis, cette saga va bien au delà du roman, il me semble y voir un document extrêmement bouleversant.

Choisir un ouvrage après cette lecture va être difficile.....mais je vais y parvenir.
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La famille Karnovski

Il est des vêtements qui s'ajustent à vous d'emblée et des chaussures qui épousent vos pieds à la perfection. Eh bien il est des livres dans lesquels on rentre comme s'ils étaient fait sur mesure dans une sorte de rencontre coup de foudre, dans un bonheur immédiat et profond. Cette histoire d'une famille juive allemande qui finit par partir aux USA pendant la montée du nazisme est à la fois réaliste, profonde, riche en humanité avec des personnages entre ombres et lumière, dans un style narratif à la fois léger, précis, ni trop lent ni trop rapide, sans défauts. On vit avec les personnages comme avec des proches et on apprend beaucoup de choses sur le plan historique et religieux à travers leurs yeux, à travers leurs qualités et leurs défauts. Ici ce ne sont pas les événements qui comptent, mais bien plutôt la façon dont ils sont ressentis, ce qui les rend encore plus réels et plus proches du lecteur. Bref vous l'aurez compris j'ai adoré ce livre, qui est à la fois une excellente saga familiale et un témoignage humain d'une rare intensité sous sa douceur apparente.
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La famille Karnovski

Foisonnant! C’est le mot qui me vient à l’esprit pour parler de ce roman. Comme son titre l’indique, Singer nous conte l’histoire de la famille Karnovski sur 3 générations. Il entrelace habilement la vie quotidienne de cette famille, famille au sens large puisqu’on côtoie les amis de chacun ce qui implique une plongée dans la communauté juive, et l’Histoire. Singer nous distille une quantité impressionnante d’informations sur le contexte politico-historique sans jamais devenir rébarbatif. Même si j’admets qu’il y a quelques longueurs surtout sur la fin. Une grande partie de ce livre se déroule dans l’Allemagne d’entre deux guerre, on assiste donc en spectateur impuissant à la montée du nazisme ou comme le dit Singer à l’avènement des « hommes bottés ». Singer nous permet d’appréhender le quotidien des citoyens Allemands et l’impact des conflits sur l’économie du pays, sur la fierté des vaincus et les conséquences sur les soldats désœuvrés et en colère. Un cocktail qui constitue le terreau idéal pour faire naître la colère et l’alimenter jusqu’à la haine.



Singer fait également preuve d’une grande connaissance de la culture et de la religion juive. En s’écartant de la caricature du juif il nous montre tout un panel d’individus : des érudits, des très croyants, des non croyants, des familles mixtes, des petites gens, des commerçants, des médecins, des intellectuels sans le sou, des originaux, des pragmatiques… bref tout ce qui compose n’importe quelle société. Ces hommes et ces femmes ont des personnalités variées, pleines de consistance et de relief et l’auteur les fait évoluer au fil des pages et des années de manière cohérente en conservant leurs traits de caractères et leurs âmes mais en prenant en compte leurs vécus. J’ai regretté que parfois il insiste lourdement sur certains traits de caractères (l’entêtement des Karnovski, la soumission d’Héléna, le côté blagueur de Bourack…) ou physiques (oui on a compris les Karnovski ont un grand nez et les Holbek rougissent pour un rien…) le livre fait 700 pages alors forcément ça fini par être agaçant.



La description des lieux est un des atouts de ce roman. En quelques mots Singer fait naître une ambiance, on entend la rumeur de la rue, l’effervescence du commerce de Bourack, on respire l’air frais en accompagnant le Dr Landeau en randonnée et on ressent l’ébullition des participants en suivant Elsa dans ses meetings. Par contre si l’écriture est fluide je l’ai parfois ressentie comme sèche, sévère, il y a comme de la colère contenue chez SINGER. Mais c’est très subjectif.



Mon seul vrai bémol réside dans les personnages féminins certains passages les présentent comme des être guidés uniquement par leurs sentiments et dépourvues de raison ou encore comme des êtres soumis ne pouvant trouver leurs bonheur que dans la maternité et le mariage. Ou encore appréciant comme petit mot doux « femme stupide » voire quand ces messieurs rabrouent gentiment leurs moitiées « oie stupide »… bref tout cela est un peu désagréable quand le lecteur est une lectrice ! Même si Elsa semble sortir du lot car elle est forte et émancipée l’auteur n’a pu s’empêcher de la ramener dans un passage du livre à sa condition de femme qui ne peut trouver le bonheur sans enfants. D’ailleurs elle passe son temps à materner son père. Alors oui ce livre a été écrit dans les années 40 mais même en resituant dans le contexte historique ça m’a hérissé le poil !



Toutefois, j’avoue m’être régalée avec ce roman qui nous éclaire sur l’histoire populaire de l’Allemagne (pas seulement mais il faut lire pour tout savoir). L’auteur qui est mort en 1944, 1 an après la publication de son livre ne s’est peut-être pas rendu compte à quel point il avait bien cerné la montée de cette haine et jusqu’où elle aller mener. Pourtant une chose est sure, ce roman nous rappelle que les exactions commises durant la seconde Guerre Mondiale, sont le fruit d’un long processus qui a nourri patiemment plusieurs générations avant d’arriver à son paroxysme. Donc souvenons nous qu’à ce jour rien ne nous garantie que la haine terrée dans les esprits de certains n’attend pas patiemment son heure.

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La famille Karnovski

Israel Joshua Singer était le frère aîné d’Isaac Bashevis Singer. Journaliste puis romancier, il a, comme son prix Nobel de frère, écrit en yiddish des fictions inspirées par la vie des Juifs originaires de l’Europe de l’Est. Tous deux ont quitté la Pologne pour les États-Unis en 1935.



Dans La famille Karnovski, roman publié en 1943, l’auteur brosse, sur une quarantaine d’années, les pérégrinations d’une famille juive de Pologne, installée à Berlin à la fin du dix-neuvième siècle, puis émigrée aux Etats-Unis dans les années trente. La narration prend fin avant le début de la seconde guerre mondiale.



Jeune négociant prospère, érudit et adepte d’un judaïsme philosophique, David Karnovski quitte sa Pologne natale avec son épouse, pour s’établir à Berlin, ville qui incarne pour lui la modernité. Non sans mal, il parvient à s’intégrer au sein d’une bourgeoisie juive assimilée dans la vie berlinoise depuis plusieurs décennies tout en observant fidèlement sa religion. Un microcosme dans lequel on est juif à la maison, allemand en ville.



Après une enfance rebelle, son fils Georg est mobilisé comme médecin-militaire pendant la Grande Guerre. Il devient par la suite un chirurgien obstétricien renommé. Non pratiquant, il épouse une Allemande non juive, au grand dam de son père.



Après l’arrivée au pouvoir des Nazis et la mise en œuvre de leur arsenal de persécution des Juifs, la famille émigre aux Etats-Unis. Elle n’y retrouve pas l’aisance financière à laquelle elle était habituée, car Georg peine à obtenir l’autorisation d’exercer la médecine. Déraciné en plein âge ingrat, son fils Jegor vit douloureusement sa double identité juive et aryenne. Il part à la dérive…



Deux thèmes émergent dans cette saga familiale plutôt attachante, animée par de nombreux personnages hauts en couleurs : la réticence non avouée des Juifs assimilés à accueillir des Juifs immigrants, et la difficulté pour un homme de conviction à élever un fils en lui transmettant ses propres valeurs. Quel comportement privilégier : l’intransigeance rigide de David ou la bienveillance tolérante de Georg ?



Intéressante est l’évocation, par petites touches en arrière-plan, des événements qui ont impacté la vie quotidienne à Berlin, après la défaite allemande de 1918 et la chute de l’Empire : avènement de la République de Weimar, manifestations spartakistes, crise économique et hyperinflation, avant-gardisme culturel, montée en puissance des idées national-socialistes et des brutalités de leurs affidés.



J’ai en revanche été contrarié par la rigidité des profils psychologiques que l’auteur assigne à ses personnages, d’autant plus qu’il prend le soin d’en détailler et redétailler tous les traits jusqu’à plus soif. Une construction littéraire sans doute inspirée des tragédies antiques et de leurs protagonistes archétypaux ! Un procédé quelque peu démodé dans la littérature moderne, les lecteurs n’ayant plus besoin qu’on leur mette des points sur les « i », comme s’ils étaient incapables d’appréhender un profil caractériel complexe à partir de quelques signes.



Même profusion de détails et excès de sentimentalisme dans l’analyse des sentiments et des réactions : enthousiasmes, déceptions, colères, joies et peines manquent de nuance et de sobriété dans leur narration.



Dommage ! Hormis ces analyses interminables et quelques dérapages mélodramatiques, la traduction française de l’ouvrage reflète une écriture ronde, claire, précise, empreinte d’une sorte d’ironie distancée et badine, qui le rend agréable à lire.



Une chose m’a frappé : le mot « nazi » n’apparaît jamais dans les sept cents pages du livre, pas plus d’ailleurs que le nom d’Hitler. Pour désigner les Nazis, l’auteur emploie couramment l’expression « les hommes bottés », comme s’ils étaient juste des fascistes antisémites violents. Il est vrai qu’Israel Joshua Singer est mort subitement à New York début 1944 et qu’il n’a peut-être pas eu conscience de la Shoah et de son ampleur.
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Les frères Ashkenazi

La complémentarité des frères Singer est aussi enrichissante que leur ténacité à témoigner fut admirable : chacun à sa manière, tous deux en langue yiddish, ils ont creusé leur sillon livre après livre pour garder vivante la mémoire de la culture juive polonaise aujourd'hui disparue. Les deux frères sont de formidables conteurs, mais il me semble d'après ce que j'ai lu que là où Isaac Bashevis Singer s'attarde à hauteur d'homme pour incarner son sujet, le grand frère Israel Joshua Singer inscrit ses histoires dans une perspective historique plus large, sur trois générations au 20ème siècle dans La famille Karnovski ou ici au tournant du siècle avec Les frères Ashkenazi.



Ces deux frères-là, bien que brillants chacun à leur manière, tout les oppose : là où le sémillant Yakhov traverse la vie avec panache et facilité, Simha le besogneux austère, tourne le dos à sa communauté et construit son empire industriel pas à pas par le travail et la rouerie, dans la ville de Lodz où se développe une industrie textile florissante en pleine mutation.

Entre eux, une femme, Dinélé, à l'origine d'un trio amoureux perdant.

Autour d'eux, le grand vent des idées nouvelles et la marche de l'histoire dans une Pologne peinant à affirmer son indépendance entre empires russe et allemand, rejetant à chaque déconvenue la faute sur la communauté juive.



Un formidable page turner qui restitue cette communauté dans toute sa singularité et sa diversité, entre traditionalisme et volonté d'émancipation, pauvreté et fortunes, plombée et magnifiée par un déterminisme qui fait d'elle l'éternelle victime des ressentiments de ses pays hôtes.



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D’un monde qui n’est plus

Fabuleux document ! La vie dans un shtetl polonais à l'aube du 20ème siècle, racontée par la mémoire d'un fils et petit-fils de rabbin.

Une mémoire d'une précision et d'une ampleur phénoménales, quand on pense que beaucoup de ces souvenirs datent de la petite enfance de l'auteur.



Cette enfance s'est partagée entre la maison paternelle et, pendant les mois d'été, celle du grand-père maternel. Deux foyers aussi différents que possible. Celui, triste et pauvre, de son père, rabbin - sans titre officiel car n'ayant pas les diplômes nécessaires – dans un « trou perdu », et la grande maison, pleine de vie, de son grand-père, rabbin érudit et unanimement respecté, à Bilgoray.

Un père gentil, affable, mais naïf et passionné uniquement par l'étude des textes sacrés, s'en remettant à Dieu pour la subsistance de sa famille. Une mère patiente, mesurée, mais lucide et intelligente, qui s'ennuie dans le shtetl où son mari la fait vivre.

Et l'enfant, fasciné par tout ce qui se passe à l'extérieur du foyer familial et de l'école talmudique, observateur des animaux et de la nature, encore davantage des faits et gestes des membres sa communauté.

Tout ce monde des Juifs ancrés dans leur religion et leurs traditions. Ancrés et cramponnés.



Ce livre, c'est la découverte d'une culture et d'un peuple dont je ne connais que les agressions qu'on lui a fait subir. Une culture très typée, souvent pittoresque, sous l'influence constante, à toute heure du jour et de l'année, de ce que la religion permet ou interdit.



Mais déjà, (ou faut-il dire encore et toujours) l'hostilité des goyim, les menaces de violences et les pogroms avérés, comme une prescience de la catastrophe qui menaçait.

Pourtant l'auteur ne vivra pas assez longtemps, ni pour terminer son grand-oeuvre - ces mémoires - ni pour apprendre ce qu'il était advenu dans les camps d'extermination.



Le traducteur a réussi magnifiquement à restituer la vie, les couleurs de ce monde disparu, le pittoresque des caractères, et la spontanéité et la vivacité de l'enfant que l'auteur remémore.

Il éclaire aussi, dans une postface passionnante « la constante complexité » de l'ouvrage, et le recul qu'il autorise sur ces souvenirs d'enfant donne une perspective magistrale à ce livre pourtant interrompu.

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La famille Karnovski

A chaque frère son histoire de famille et sa manière de restituer le témoignage qu'il porte en lui de ce qu'il adviendra des populations juives d'Europe de l'Est et de leurs réactions à la montée du nazisme.



Pour Isaac Bashevis, ce fut la famille Moskat et l'immersion profonde dans la communauté juive polonaise, un monde assez fermé sur de vives traditions qui ne sut voir monter le danger; pour Israel Joshua , son grand frère, ce sera la famille Karnovski, dont on suit sur trois générations l'émancipation, depuis le fondamentalime de la communauté juive hassidique polonaise jusqu'au coeur de la docte Berlin des belles années du début du siècle, puis l'émigration aux Etats-Unis quand le péril nazi se fait irrépressible.

A chacune des générations l'accent est mis sur l'enfant et sur sa construction du monde : Georg d'abord, qui s'inscrira en la modernisant dans la continuité de son père féru des lumières du savoir et convaincu, comme le sera Georg, devenu médecin réputé, que les Juifs ont toute leur place dans la société allemande. Puis Jegor, fils de Georg, grandi avec la montée des haines dans l'entre-deux guerres entre une mère aryenne et un père juif, humilié par les nouveaux maîtres, arraché à sa terre quand la famille doit émigrer, et repoussant violemment une judéité honnie.



Tout au long de ce grand roman publié au coeur de la seconde guerre mondiale sont fouillées avec finesse les questions de l'identité, de l'acculturation, de la place si particulière que tient le peuple juif dans le destin du monde, et cela n'est pas là la moindre de ses qualités. Un léger bémol pour ma part cependant sur la forme, la plume de l'auteur m'ayant paru plutôt clinique là où le style du frère dans « la famille Moskat » était fortement incarné et tremblant de vie. Comparaison malheureuse peut-être, les deux oeuvres étant sans nul doute d'égale importance.

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D'un monde qui n'est plus

D'un monde qui n'est plus est l'autobiographie non achevée d'Israël Joshua Singer, auteur de littérature yiddish et frère aîné d'Isaac Bashevis Singer qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1978.

L'auteur né dans une communauté juive hassidique en 1893 dans un shtetl (petit village/communauté) près de Varsovie nous offre un témoignage rare sur les communautés juives d'Europe de l'Est, avant que la politique hitlérienne ne décime cette population. Il est décédé en 1944 aux États-Unis où il s'est exilé dès 1934 pour échapper à la montée de l'antisémitisme.

Il nous raconte son enfance dans cette communauté assez pauvre, l'attente du messie, les fêtes, la difficile intégration de leur communauté, les pogroms du début du 20ème siècle,… En expliquant son éducation juive traditionnelle, sa place au kayder (l'école religieuse) dès l'âge de trois ans, il nous parle de la complexité d'être juif, de sa place de fils de rabbin.

Il évoque les différentes classes sociales, il ne faut pas qu'il joue avec les enfants « juifs ordinaires », il est fils de rabbin.

Il parle de sa mère tiraillée entre un père rabbin Juif ashkénaze résistant à l'hassidisme qui n'est guère convaincu pas son gendre et un mari rabbin Juif hassidique. On est amené à percevoir les différences entre les moments où il vit chez ses grands-parents maternels avec sa mère et les moments où il vit avec ses parents. Sa mère fille de rabbin est très cultivée et s'ennuie en tant que femme au foyer, j'ai d'ailleurs été surprise par la misogynie qui règne dans la communauté. En outre, le couple est sous tension car le père refuse d'apprendre le russe et n'est donc pas un rabbin officiel, ce qui lui pose problème pour trouver du travail et subvenir aux besoins de sa famille. En effet, la famille vit dans une province polonaise proche de Varsovie qui est sous occupation russe. Pour devenir rabbin, il fallait donc passer un examen officiel en russe, ce qu'avait refusé de faire son père.

En bref, une autobiographie qui m'a passionnée, qui m'a fait découvrir un monde jusque-là inconnu. Je lirai l'autobiographie de son frère Isaac Bashevis Singer (au tribunal de mon père) pour compléter cette lecture. En attendant, je lis les romans de ces deux frères bien talentueux.



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Les Frères Ashkenazi - Yoshe le fou

Première partie: Les Frères Ashkenazi:

Simha et Yakhov sont deux frères aussi différents qu'il est possible de l'être: Simha est petit, industrieux, ambitieux, conservateur, débordant d'envie de faire sa place dans une Pologne encore sous la coupe des Russes et des Allemands, prêt à tous les reniements pour réussir. Yakhov est une sorte de géant, séducteur et sensuel, gagné aux idées progressistes voire socialistes- la Russie remue beaucoup...- entier, plein de fougue et de courage. Dinelé aime Yakhov d'amour, mais c'est pourtant Simha qu'elle épousera...



Cette grande saga familiale et romanesque qui s'étale sur des dizaines d'années, se déroule sur fond d'agitation pré-révolutionnaire russe, de montée du nationalisme polonais, de pression de l'occupation prussienne. Prise en étau entre ces trois puissances qui n'ont que le plus total mépris pour elle, la communauté juive du shtetl, misérable mais débordante de vitalité, traversée par les violences récurrentes des pogroms, des vexations et des ségrégations diverses, tente à toutes forces de vivre ou plutôt de survivre - et de se rendre indispensable dans le processus d'industrialisation qui marque la fin du XIXème siècle..



Joshua Israël Singer était le grand frère de Itzakh Bashevis Singer, prix Nobel. Il a été, avant d'émigrer aux USA avec son jeune frère, lui sauvant ainsi la vie, un des plus grands écrivains juifs de langue yiddish.

C'était, comme Yakhov Ahkénazi qui lui ressemble beaucoup, un esprit libre, dégagé de toute religion dans une famille très pieuse de rabbins, gagné aux idées socialistes, mais très vite alerté par la folie stalinienne, résistant de la première heure au nazisme. Quand il apprit , aux USA, en 1944, l'existence avérée de la solution finale, il n'y résista pas, et ce colosse au cœur d'or mourut dit-on de chagrin.



J'ai découvert" Les frères Ashkénazi" avec ravissement: des personnages hauts en couleur, une période de l'histoire complexe et grouillante d'événements, une trame romanesque intéressante -rivalité et solidarité des deux frères pas si ennemis que cela- bref, un monde!



Joshua Israël Singer est une sorte de Zola juif, écrivant en yiddish, plein de verve et d'imagination mais respectueux de la véracité historique et du contexte politique et économique de son roman. Il raconte, derrière l'histoire exemplaire des deux frères, l'essor et la désintégration d'un monde: celui des juifs de Pologne, celui du ghetto polonais des grandes villes, (tel celui de Lodz, ici), celui de l'humble shtetl des campagnes qui vivaient leurs dernières années.



Les antisémitismes locaux -russe, allemand et polonais sur ce seul point accordés - allaient bientôt se charger,chacun à leur façon, de les rayer de la carte.. Encore "un monde d'hier"...restitué avec tendresse, humour, cruauté et réalisme par un très grand écrivain...à redécouvir!



Deuxième partie: Yoshé Le Fou



réédité dans le même volume que Les Frères Ashkenazi, "Yoshe le Fou" est tout différent: une belle histoire d'amour fou, dans une tonalité nettement plus onirique et poétique- en particulier la tradition légendaire du dibbouk, cet esprit malin dans lequel se transforme l'amant malheureux à sa mort.



Ce volume "double" offre l'avantage de voir le double talent de J.I.Singer: celui d'un romancier épris d'histoire et de vraisemblance, grand créateur de personnages, et bâtisseur d'intrigues complexes - et celui d'un délicieux conteur, féru de légendes populaires appartenant à la communauté juive ashkénaze si fertile en traditions.
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Les frères Ashkenazi

Simha et Yakhov sont deux frères aussi différents qu'il est possible de l'être: Simha est petit, industrieux, ambitieux, conservateur, débordant d'envie de faire sa place dans une Pologne encore sous la coupe des Russes et des Allemands, prêt à tous les reniements pour réussir. Yakhov est une sorte de géant, séducteur et sensuel, gagné aux idées progressistes voire socialistes- la Russie remue beaucoup...- entier, plein de fougue et de courage. Dinelé aime Yakhov d'amour, mais c'est pourtant Simha qu'elle épousera...



Cette grande saga familiale et romanesque qui s'étale sur des dizaines d'années, se déroule sur fond d'agitation pré-révolutionnaire russe, de montée du nationalisme polonais, de pression de l'occupation prussienne. Prise en étau entre ces trois puissances qui n'ont que le plus total mépris pour elle, la communauté juive du shtetl, misérable mais débordante de vitalité, traversée par les violences récurrentes des pogroms, des vexations et des ségrégations diverses, tente à toutes forces de vivre ou plutôt de survivre - et de se rendre indispensable dans le processus d'industrialisation qui marque la fin du XIXème siècle..



Joshua Israël Singer était le grand frère de Itzakh Bashevis Singer, prix Nobel. Il a été, avant d'émigrer aux USA avec son jeune frère, lui sauvant ainsi la vie, un des plus grands écrivains juifs de langue yiddish.

C'était, comme Yakhov Ahkénazi qui lui ressemble beaucoup, un esprit libre, dégagé de toute religion dans une famille très pieuse de rabbins, gagné aux idées socialistes, mais très vite alerté par la folie stalinienne, résistant de la première heure au nazisme. Quand il apprit , aux USA, en 1944, l'existence avérée de la solution finale, il n'y résista pas, et ce colosse au cœur d'or mourut dit-on de chagrin.



J'ai découvert" Les frères Ashkénazi" avec ravissement: des personnages hauts en couleur, une période de l'histoire complexe et grouillante d'événements, une trame romanesque intéressante -rivalité et solidarité des deux frères pas si ennemis que cela- bref, un monde!



Joshua Israël Singer est une sorte de Zola juif, écrivant en yiddish, plein de verve et d'imagination mais respectueux de la véracité historique et du contexte politique et économique de son roman. Il raconte, derrière l'histoire exemplaire des deux frères, l'essor et la désintégration d'un monde: celui des juifs de Pologne, celui du ghetto polonais des grandes villes, (tel celui de Lodz, ici), celui de l'humble shtetl des campagnes qui vivaient leurs dernières années.



Les antisémitismes locaux -russe, allemand et polonais sur ce seul point accordés - allaient bientôt se charger,chacun à leur façon, de les rayer de la carte.. Encore "un monde d'hier"...restitué avec tendresse, humour, cruauté et réalisme par un très grand écrivain...à redécouvir!
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Les frères Ashkenazi

Evidemment, « La maison du péché » et Les frères Ashkenazy », à première vue, n'ont rien à faire ensemble. Marcelle Tinayre (1870-1948), femme de lettres française, de nos jours on dirait intellectuelle, introduite dans les milieux culturels parisiens, et Israël Joshua Singer(1893-1944), écrivain yiddish d'origine polonaise ayant fini sa vie aux Etats-Unis, ne se sont sans doute croisés que dans mes piles hétéroclites.



C'est pourtant assez étonnant de lire les deux livres en parallèle et de trouver dans les premières pages, des paragraphes qui se font écho : la mère de « La maison du péché » et le père des frères Ashkenazy ont la même exigence d'éducation religieuse et de respect par leurs enfants des principes de cet enseignement. Un respect qui frôle l'intégrisme, dans les deux cas. Les pratiques religieuses sont aussi sombres et contraignantes dans les deux familles. Mme de Chanteprie est chrétienne et Avrom Hersh Ashkenazi est juif.

La conviction de chacun les conduit pourtant à la même intolérance à l'égard de qui ne croit pas selon les mêmes écritures.

La déraison multipliée par deux livres !



D'un côté, les discours doloristes que l'on entendait encore dans les leçons de catéchisme du siècle dernier ; de l'autre, la vie rythmée par le calendrier juif, ses fêtes, ses obligations, ses interdictions multiples et surprenantes pour le goy ignare (ce principe, par exemple, qui impose que la viande et les produits laitiers soient impérativement être séparés ; s'ils ont été en contact, il reviendra au rabbin de définir dans quelle proportion il faut éliminer le produit contaminé).

Le même rigorisme impitoyable.



Mais là où Madame de Chanteprie (ce nom !) a réussi, avec l'aide d'un précepteur, de deux curés et trois amis aussi confits qu'elle en dévotion, à faire d'Augustin, son fils, un croyant convaincu, quasiment forcené, Avrom Hersh peine à écarter de ses enfants, les mouvements de rébellion, d'aspirations à la modernité, que la mixité sociale de la ville de Lodz introduit dans les milieux juifs traditionnels.



Pourtant, à ma gauche, le trouble d'amour s'insinuera dans l'âme d'Augustin. Et à ma droite, l'ambition démesurée et sans scrupules de Simha Meyer, l'un des deux fils Ashkenazi, enverra aux oubliettes à peu près tous les préceptes hassidiques qui lui ont été inculqués.



A ce stade des deux romans, leurs chemins divergent pour de bon.



L'histoire des frères Ashkenazi, c'est celle de leur ville, Lodz, en Pologne, et de toute cette région du centre de l'Europe des années 1860 jusqu'aux années 1930. Histoire accidentée de ce qui n'est pas encore la Pologne indépendante, mais un territoire soumis aux dominations successives, méprisantes et souvent violentes, des Russes puis des Allemands jusqu'en 1918. C'est aussi la chronique de l'apparition de mouvements ouvriers et révolutionnaires qui aboutissent, en Russie, aux évènements d'octobre 1917.



Le père des frères Ashkenazy est arrivé à Lodz avant leur naissance, avec son métier à tisser. L'expansion de la ville, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, grâce à celle de son industrie textile, est exceptionnelle. Pour le plus grand bénéfice de quelques entrepreneurs particulièrement adroits et impitoyables, qui font fortune en pressurant les ouvriers de leurs usines.



Simha Meyer Ashkenazy devient l'un de ces entrepreneurs, dont la soif d'argent et de réussite balaie tout sur son passage. Y compris le respect pour son père, l'honnêteté à l'égard de son frère jumeau, la compassion pour ses compatriotes, souvent juifs comme lui, qui s'échinent dans son usine. Simha Meyer est sans loi et a oublié sa foi.



Avec Simha Meyer, fil conducteur de cette histoire longue, on suit au cours des années, la vie de sa famille, mais aussi de quelques personnages qu'il a connus ou croisés et dont le parcours est à l'opposé du sien : gens de peu mais de grande conscience politique et sociale, qui affirment leurs convictions révolutionnaires en assumant tous les risques qu'elles entraînent.



Avec Simha Meyer, on assiste plus tard à l'arrivée à Petrograd du « petit homme râblé au crâne nu et aux traits tatars », jamais nommé dans le roman, qui va dissoudre l'Assemblée et prendre le pouvoir, en octobre 1917.



Les frères Ashkenazy et leur famille vivent ces années au cours desquelles l'antisémitisme ne cesse de s'exacerber, donnant lieu à des pogroms, des emprisonnements, des déportations, des massacres, par lesquels les populations qu'il ne faut pas beaucoup manipuler pour les y pousser, pensent se libérer des fauteurs de troubles et des responsables de leurs conditions de vie désespérantes.



Un demi-siècle de l'histoire de ces régions d'Europe centrale, compliquée, véhémente, féroce, apportant à tour de rôle le malheur et l'expansion, la révolution industrielle et l'oppression de la classe ouvrière, la guerre et des accalmies provisoires, mais quelles que soient les conditions politiques et économiques, la persécution des Juifs, latente ou violente.



Le point final du livre a été posé en 1935. le pire restait à venir.



PS : Trois jours après avoir fini cette lecture, je me demande pourquoi j’ai, sans vraiment y réfléchir, lésiné sur la « 5ème étoile » qu’on accorde aux grands, grands livres.

Pour deux raisons sans doute. La première c’est que j’ai dû, tout le long du roman, me recaler au point de vue historique. Si l’auteur finit par donner quelques repères, ce n’est jamais avec une date. Pour qui ignore l’histoire de ce territoire polonais et de cette région de l’Europe, il faut découvrir par soi-même la période de l’expansion de Lodz, les mouvements et les grèves de 1905, la guerre russo-japonaise et son impact sur la Pologne, en ne sachant pas de quand on part exactement. Sans google sous la main, la lecture est un peu à l’aveuglette.

La deuxième raison, intrinsèque au livre et non plus à l’ignorance de la lectrice que je suis, c’est la psychologie presque caricaturale des personnages du roman. Le père rigoriste, le beau-père falot, Simha Meyer ambitieux sans cœur, sa femme qui se décide à l’aimer (pour quelle raison ?) après l’avoir méprisé sans pitié pendant vingt ans, son frère bon vivant chanceux, etc…

Il fallait sans doute cette galerie pour servir la démonstration de Singer, mais il m’a manqué un peu de nuances dans ces caractères pour que je les considère comme des personnages attachants, et non comme des archétypes.

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Yoshe le fou

C’est l’effervescence dans la communauté hassidique de Nyesheve : le Rabbi Melech marie sa plus jeune fille, Sourele, avec Nahum, le fils d’un autre Rabbi. Mais le fiancé a à peine quinze ans et il n’éprouve aucune attirance pour sa lourde et lente promise. Le mariage n’est pas heureux et Nahum se consacre entièrement à l’étude du Talmud. Un jour, il croise le regard de braise de Malka, la très jeune et très jolie troisième épouse de son beau-père. Pauvre Rabbi Melech ! « Que lui restait-il au monde en dehors de… de sa femme ? Ses enfants étaient ses ennemis. Ils attardaient le jour de sa mort pour se partager l’héritage de son empire rabbinique. Aucune n’avait d’affection à lui donner. Mais elle… elle était si jeune, si belle. » (p. 79) Malka se livre tout entière à sa passion pour le jeune époux de sa belle-fille. Nahum tente de résister, mais comment repousser l’amour vrai quand il se présente ? Évidemment, les conséquences seront dramatiques et Nahum disparaît. Quinze ans plus tard, Yoshe arrive à Bialogora. Tout le monde le trouve bizarre, mais on le respecte quand même. « Yoshe ne disait rien. Ses lèvres remuaient, mais pour entonner des Psaumes. Jamais il n’arrêtait de dire des Psaumes, ni quand il allait en courses, ni quand il entretenait le poêle, ni quand il balayait la synagogue. » (p. 179) Voilà que la peste s’abat sur Bialogora : Yoshe est-il coupable ? Il reprend la route et son chemin s’achève à Nyesheve : est-ce Nahum qui est de retour ? Mais qui est Yoshe ? Qui est Nahum ? « Qui êtes-vous ? / Je ne sais pas. / Vous ne savez pas ? […] / Aucun homme ne sait qui il est, répondit l’étranger. » (p. 320)



Ce roman paru en 1933 est terriblement moderne, porté par un style fluide et riche. Le mariage n’est pas présenté comme un sacrement heureux et fertile, mais comme l’enchaînement de deux êtres pris au piège d’un serment presque arraché sous la contrainte. L’amour ne s’épanouit pas dans les liens maritaux, mais il survit coûte que coûte au temps et aux séparations. Il y a quelque chose du conte fantastique et de l’épisode biblique dans la disparition et le retour de Nahum/Yoshe. Le questionnement identitaire s’étend à la communauté juive dont les visages sont multiples, mélangés, superposés. La lecture de Yoshe le fou nourrit et fait exploser mon intérêt pour la culture juive et sa littérature. À suivre, donc, M. Singer !

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De fer et d'acier

Israël Joshua Singer est un vrai romancier moderne.



Un qui trouve sa structure dans le désordre, son exaltation dans le hasard,son inspiration dans la nécessité, ses dénouements dans l'inaccompli, sa morale dans le non-dit, ou même dans l'indicible.



De Fer et d'Acier est une fresque haletante où, comme dans la vie, les rencontres font et défont les destins, où rien ne "s'arrange" parce que tout, tout le temps, se dérange, et où les amitiés, les amours, les guerres, les réalisations humaines jalonnent à l'aveuglette un parcours chaotique - comme ces stèles, dressées en désordre dans un cimetière ashkénaze , évoquent le chaos et la souffrance du shtetl encore vivant.



Temps et lieu sont déjà tout un programme: la Pologne, de fin 1915 à avril 1917.



L'armée russe en déroute perd ses soldats enrôlés de force : Allemands, Polonais et Juifs de Pologne -dire juif polonais relevant de l'oxymore - désertent à qui mieux mieux, à mesure que s'avance l'armée allemande, encore victorieuse..Dans l'indescriptible désordre de la période, la Pologne détestant aussi cordialement le second envahisseur que le premier, on a tôt fait de se fondre dans la nature...



C'est le sort de Benyomen Lerner, grand escogriffe juif, peu religieux, tenté par les idées socialistes, forte tête et cœur sensible - un curieux mélange d'orgueil et de crainte.



Il trouve d'abord refuge dans la famille d'un oncle tyrannique et caractériel, qu'il quitte sur un coup de tête, pour s'enrôler dans un chantier de reconstruction de pont, dirigé de main de fer par les Allemands, tout de cuir vêtus, qui mènent la vie rude aux autochtones.



Il fait peu à peu sa place dans ce camp où la discipline repose sur deux choses: la brutalité teutonne et la division irréductible entre les trois groupes ethniques: Russes, Polonais et Juifs.



Mais Lerner a du charisme et de l'orgueil: il fédère ces groupes immémorialement divisés, et devient, avec un Polonais de souche, un des leaders de la révolte- celle des "esclaves" du Pont de Praga. La révolte est réprimée, les leaders fuient et se cachent. la misère est telle à ce moment- la révolution russe commence à faire entendre ses grondements lointains- que Lerner croit sa dernière heure arrivée. Une improbable rencontre avec un millionnaire juif rouge va redistribuer les cartes.



Pour un temps...



Je ne vous raconte pas toutes les péripéties, je ne vous parle pas non plus des amours tenaces et contrariées de Lerner pour sa belle cousine Gnendel..



Le tourbillon de l'histoire, le souffle des idées nouvelles et des haines anciennes emporte sans la moindre pause, ce récit chaleureux et terrible, plein d'un athéisme généreux et d'un humanisme sceptique...



Des silhouettes, un moment, nous retiennent: celle de ce jeune hassid au caftan déguenillé et aux yeux doux qui supplie Lerner de lui dire pourquoi tout le monde le déteste - rencontre cruelle qui m'a particulièrement bouleversée- celle de ce médecin russe, médecin malgré lui et humaniste incompris- un juste perdu dans un monde de brutes, celle d'Aaron le millionnaire, dont le zèle éclairé et autoritaire entend donner aux miséreux du shtetl l'hygiène, l'éducation et le travail- y compris malgré eux!!!-, celle de Gnendel, la douce qui dit non, celle de Tèmè, la vieille qui dit oui avec une obscénité magnifique...mais toutes sont balayées par le vent de la révolution et de la guerre qui les emporte, les broie ou les sépare comme des fétus de paille...



La vie et l'expérience tiennent lieu de morale: "Continue de travailler, mais pas par pitié, par devoir" dit Lerner à Gnendel qui désespère d'éduquer ou de responsabiliser un peu les Juifs misérables dont elle s'occupe. "Quand la pitié aura disparu, le dégoût aussi disparaîtra. C'est aussi comme ça que je fais"



"Il faut cultiver son jardin", disait déjà Candide. I.J.Singer reprend et modernise cette règle de vie pragmatique et désenchantée.



Moins de pitié, moins d'empathie, plus d'efficacité, plus de satisfaction.



Une morale terriblement moderne. Et modernement terrible.



Israël Joshua Singer est aussi un philosophe moderne.
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La famille Karnovski

C'est en cherchant à la Médiathèque 'la famille Moskat" de J.B Singer, non disponible, que je me suis laissée tenter par "la famille Karnovski", oeuvre écrite en 1943 par son frère aîné Israël Joshua Singer.

Au fil de trois générations d'un famille juive, l'auteur évoque le désir d'émancipation des traditions, s'interroge sur la notion de judaïté et relate la montée inexorable du nazisme.

C'est le personnage de Jegor, le petit-fils qui exprime avec le plus de force et de complexité toutes les composantes du roman. Jegor, enfant de la mixité raciale et religieuse est un garçon tourmenté, malheureux, incompris et cruellement humilié. Personne ne peut répondre clairement à ses interrogations et à ses doutes. Son chagrin, son désespoir, ses errances sont à la mesure du fléau qui s'abat sur les siens.

Pour bien comprendre ses contradictions et ses comportements irrationnels, il faut rappeler que l'auteur, issu d'une famille de rabbins et d'intellectuels, membre d'une fratrie de quatre enfants tous écrivains est avant tout un libre penseur, c'est à dire un être qui a pris beaucoup de recul par rapport aux principes de ses aieux.
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Les Frères Ashkenazi - Yoshe le fou

Saga d'une famille juive au début du siècle, en Pologne sous l'emprise des Russes et des Allemands.

Parcours d'une vie de deux jumeaux, totalement dissemblables, l'un petit, teigneux, besogneux, arriviste, jaloux; l'autre beau, séduisant, la joie de vivre en personne. Le teigneux deviendra, à force de travail, un industriel réputé dans le domaine du tissage; l'autre vivra pleinement de belles amours. Tableau d'une société tourmentée par le nationaliste polonais, les guerres, l'antisémitisme,, les pogroms la misère mais aussi la richesse d'une certaine bourgeoisie allemande, , Un beau roman plein d'histoires de famille, passionnant.
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Au bord de la mer Noire et autres histoires

Abusée par le titre Au bord de la mer noire (je souhaitais continuer encore mon périple en Bulgarie et Roumanie) j'ai emprunté ce livre et c'est une excellente surprise. C'est un recueil de huit nouvelles, Au bord de la mer noire, est la première. les autres se déroulent dans des lieux variés, aussi bien en Pologne, Ukraine, Russie qu'aux États Unis. Huit longues nouvelles, 90 pages, presque un roman, traduites du Yiddish, racontent un monde qui disparaît. Cette extinction du shtetl a commencé bien avant la Shoah. L'ouvrage a été écrit aux États Unis, publié en 1938.



La Première Guerre Mondiale et la Révolution Russe font basculer dans la modernité des communautés très religieuses encore rurales. L'émigration aux États Unis est aussi décisive. Ces nouvelles, toutes très différentes, racontent le destin d'hommes simples emportés par une histoire singulière. Comment le fils de rabbin, professeur d'hébreu qui ne rêve que de Palestine se retrouve-t-il commandant d'un bataillon de l'Armée Rouge? Qu'est- venu chercher Sholem Melnik en Amérique, le peintre en bâtiment de New York nostalgique de la campagne polonaise? Et ce garagiste passionné de mécanique qui déçoit les espoir de ses parents qui le rêvaient médecin?



Il raconte une société fondée sur l'observance des rites et des lois religieuses, une société solidaire où l'on n'aurait jamais laissé un colporteur ou un mendiant passer le Shabbat seul. Les solidarités n'ont plus cours en Amérique où la course à l'ascension sociale prime sur les anciennes valeurs. Il raconte aussi la solitude de l'étranger, du migrant, de ceux qui ont été égarés dans les tourmentes de la Révolution russe avec humanité, tendresse même. Il décrit les moindres usages de la vie quotidienne avec une foule de détails oubliés, des expressions venant des prières, hébreu ou yiddish, coutumes des fêtes ou tenues vestimentaires. C'est vivant, précis, tellement fascinant.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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