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Monique Charbonnel (Traducteur)
EAN : 9782207258729
688 pages
Denoël (23/10/2008)
4.45/5   92 notes
Résumé :
Dans la grande tradition du roman familial, La Famille Karnovski retrace le destin de trois générations d'une même famille juive après qu'au début du siècle dernier l'aïeul, David Karnovski, las des traditions, décide de s'émanciper en quittant son shtetl de Grande Pologne pour rejoindre la société juive assimilée de Berlin.
Adepte de Mendelssohn et de ses idéaux, il cherche à inculquer à son fils Georg Moïse les valeurs de la haskala : " juif parmi les Juifs... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Israel Joshua Singer, le grand frere Singer, publie ce roman en 1943. Moins d'un an apres, il meurt d'une crise cardiaque, a 50 ans. Son dernier roman, ou il quitte, pour ainsi dire, sa zone de confort. Il quitte les juiveries d'Europe de l'Est pour installer cette fois sa trame en Allemagne. Et c'est le grand roman de la surprise des juifs allemands, de leur ahurissement face a la montee des “hommes bottes" (le terme “nazi" n'est jamais utilise). le drame de leur confusion, de leur embarras, eux qui etaient allemands d'esprit et de coeur, qui avaient combattu en 14-18, qui travaillaient tous les jours pour la grandeur de l'Allemagne, qui etaient petris de sa culture, imbus d'elle. Ils sont ebranles dans leurs certitudes, destabilises, bien avant que ne leur arrive le pire (le livre est ecrit en Amerique, quand on ne sait encore rien de la “solution finale", quand on ne peut meme pas l'imaginer). A leur stupefaction “on voyait souvent dans les rues de la ville des jeunes déchaînés qui poussaient des hurlements sauvages, incitant à exterminer tous les Juifs du pays. Et ça n'était pas des gens du peuple, mais des étudiants, des gens instruits, éclairés. Des rues portant des noms de philosophes, Kant, Leibniz, voyaient déambuler des personnes cultivées, armées de gourdins qui appelaient à la violence et au meurtre.” Par leur desillusion, c'est la sienne que transmet I. J. Singer, lui qui avait reve dans sa jeunesse, comme tant d'autres, de Vienne et de Berlin.

Singer vehicule cela a travers la saga d'une famille, les Karnovski. David Karnovski, ebloui par les idees eclairees du philosophe Moses Mendelssohn, quitte sa bourgade polonaise pour s'installer a Berlin et essaie de son mieux d'adopter la forme de vie et de pensee des juifs occidentaux, de se faire admettre dans leurs rangs, meprisant autant sinon plus qu'eux les “Ost-Juden" dont il est issu. Son fils, Georg, devient un medecin tres prise et, eloigne de tout judaisme, marie une “goy", une chretienne, au grand dam des deux familles. Il incarne la culmination de l'assimilation et de la reussite sociale de la famille. Pour peu de temps, car il perdra tout avec la montee des hommes bottes, emigrera in extremis en Amerique, ou on ne reconnaitre pas son titre, et tombera peu a peu dans la misere. Il aura un fils, Jegor, faible de corps et de nature, haineux, qui collectionnera les caricatures antisemites et, une fois en Amerique, se mettra au service d'un groupe nazi, demandera meme son rapatriement, et aura une fin tragique.

La saga d'une famille. L'ascension et la chute d'une famille a travers trois generations. La saga d'une certaine juiverie. L'ascension et la chute d'une certaine idee de l'assimilation a travers trois generations. Dans un livre qui evoque de nombreux conflits, internes et externes, entre generations, classes sociales, confessions, nationalites, plus les conflits intimes ou se debattent les personnages qui ne marchent plus sur de la terre ferme, sur ce qu'ils percevaient comme terre ferme. Dans un livre ou viennent s'imbriquer bien d'autres histoires qui n'egarent pas le lecteur mais au contraire continuent a eveille son interet. Comme le destin de Salomon Bourak, l'antithese de David Karnovski, l'ost-jude qui ne se laisse pas aveugler par les “lumieres" berlinoises, qui n'oublie ni les croyances ni les habitudes ni les chansons de son shtetl. Lui aussi emigre en Amerique, mais sans etats d'ame il se fait colporteur et finira par ouvrir un magasin, comme a Berlin. Ou cette fille d'un medecin qui soignait gratuitement les pauvres, qui se lance en politique, se fait elire depute socialiste et depuis est en butte a la calomnie et a la brutalite physique pour finir par etre emprisonnee. Ou les deboires de la famille Holbek, qui perdent durant l'inflation leur maison, leurs bijoux, leurs meubles, jusqu'a leurs vetements. Ou les tres nombreux juifs qui larguent et renient d'anciennes connaissances, d'anciennes amities, esperant ainsi se sauver eux-memes. Beaucoup d'histoires tangentes qui n'alourdissent pas mais enrichissent la saga. Car elles permettent une appreciation des tourments economiques et sociaux de la republique de Weimar et des horreurs domestiques du nazisme, acharne contre ses opposants comme contre les hesitants. Elles permettent aussi dans la troisieme partie une reflexion sur cette constante de l'histoire humaine qu'est l'emigration.

Une fois ma lecture finie je ne peux m'empecher de penser que Singer porte un regard desillusione sur son temps et son peuple, consterne, afflige. Des trois generations qu'il decrit, chacune tourne le dos a la precedente, la desavoue, la conteste. David Karnovski reprouve le judaisme etrique des bourgades polonaises et embrasse avec passion le nouvel “aufklarung" juif de Moses Mendelssohn. Georg renie toute attache juive, et Jegor, en une sorte de maladie autodestructive, s'allie a ceux qui veulent eliminer son pere.

Et le regard que Singer porte sur le judaisme, ou les judaismes, les differentes facons de vivre la judeite, n'est pas plus souriant. le judaisme du shtetl a vecu et n'a pour lui aucun avenir. Mais la voie de l'assimilation n'est elle pas aussi un leurre? L'integration des juifs allemands ne passait-elle pas par le rejet d'autres juifs? “On se méfiait enormement aussi des coreligionnaires à cheveux longs et mal habillés venus de Russie pour étudier dans la capitale. Les étudiants bruns aux yeux noirs de l'Ouest, évitaient les étudiants bruns aux yeux noirs venus de l'Est, encore plus que leurs condisciples blonds ne les évitaient. Ils ne voulaient rien avoir à faire avec ces « mendiants » et ces « nihilistes » dont le judaïsme oriental faisait ressortir le judaïsme occidental qu'eux, les Allemands de religion mosaïque, s'efforçaient tant de camoufler”. Et de toutes facons Singer ne peut que constater que l'assimilation n'a pas mene a l'integration: “La vie est une farceuse, rabbi Karnovski, elle aime à nous jouer des tours. Les Juifs voulaient être des Juifs à la maison et des hommes à l'extérieur, la vie est arrivée qui a tout embrouillé : nous sommes des goyim à la maison et des Juifs pour l'extérieur”. C'est comme si Singer se demandait: et qu'en sera-t-il en Amerique? Y aura-t-il un essai autre, qui pourrait reussir, d'assimilation tout en gardant une certaine judeite? J'ai cru apercevoir, derriere sa morosite desabusee, une lueur d'espoir. En la personne de Salomon Bourak. Un juif sans grande education, sans grande foi, pour qui la judeite tient en de petits gestes, des melodies, des mets rituels, quelques mots d'antan qui traduisent un lien tribal, quelque blagues venues de loin (loin d'ou?), qui n'a pas peur de se plier a de nouvelles regles sans pour autant s'y perdre. Bourak reussira a New York, peut-etre justement parce que, colporteur, il n'arrete pas de siffloter un vieil air, un vieux “nigoun". Ses enfants seront surement de bons americains, assimiles. S'ils gardent le nigoun rien n'est perdu. Contrairement aux Karnovski qui, eux, avaient perdu leur nigoun depuis le debut, avec David envoute par les choeurs des grandes synagogues allemandes.

Un dernier mot sur l'ecriture de Singer. Il semble dedaigner toute experimentation de forme et il s'appuie sur un style simple, qui devient lumineux a la longue, expressif et chaud, et sur des dialogues dont le langage est particulierement adapte a chaque interlocuteur. C'est tres reussi et j'applaudis le travail de la traductrice. Je suppose qu'en yiddish c'est encore plus savoureux.
Un grand livre. Peut-etre le meilleur de Singer.
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C'est avec beaucoup d'émotion que je tourne la dernière page de cette grande saga d'une famille juive. Et si j'ai mis un "certain temps" pour venir à bout des 750 pages, ce n'est absolument pas par ennui ou désintérêt mais tout simplement parce que nous avons été très sollicités par la délicieuse présence de nos enfants et petits enfants...Cette remarque personnelle pour faire un parallèle avec cette famille Karnovski, rejetée , humiliée, chassée au simple prétexte qu'elle était juive, d'abord allemande mais, au final , surtout juive. Pourquoi tout le monde n'a-t-il pas droit au même bonheur? Pourquoi nous ? Pourquoi pas eux?
On connaît bien sûr le sort réservé à des millions de juifs durant la seconde guerre mondiale, j'avoue que je connaissais moins cette montée haineuse si générale dans les années précédentes et vivre les événements relatés du point de vue des Karnovski est particulièrement émouvant et atroce. Certes, ce roman mériterait une analyse approfondie et serait sans doute très intéressant à faire étudier en parallèle avec les événements politiques de l'époque et la vie quotidienne des "goys".
Pour ma part, je ne m'y hasarderai pas, mais, après cette lecture, on s'étonne moins de l'extermination incroyable de gens qui aimaient leur pays, "l'Allemagne" et avaient bien des difficultés à croire à ce qui allait se passer.
C'est un livre dur et, encore, l'auteur ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer "en face", c'est dire.
Oui, ce livre comporte quelques longueurs, quelques maladresses, quelques redondances, c'est vrai, mais qu'est ce qu'il est émouvant , que les personnages, avec leurs opinions, leurs agissements, leur hypocrisie, leur fierté, leur sagesse ou leur haine sont bien campés, s'emboitent comme des pièces de lego (tiens,ça c'est parce que j'ai joué avec mon petit...)pour former un reflet de la société dans laquelle nous sommes plongés avec eux.
A mon humble avis, cette saga va bien au delà du roman, il me semble y voir un document extrêmement bouleversant.
Choisir un ouvrage après cette lecture va être difficile.....mais je vais y parvenir.
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Il est des vêtements qui s'ajustent à vous d'emblée et des chaussures qui épousent vos pieds à la perfection. Eh bien il est des livres dans lesquels on rentre comme s'ils étaient fait sur mesure dans une sorte de rencontre coup de foudre, dans un bonheur immédiat et profond. Cette histoire d'une famille juive allemande qui finit par partir aux USA pendant la montée du nazisme est à la fois réaliste, profonde, riche en humanité avec des personnages entre ombres et lumière, dans un style narratif à la fois léger, précis, ni trop lent ni trop rapide, sans défauts. On vit avec les personnages comme avec des proches et on apprend beaucoup de choses sur le plan historique et religieux à travers leurs yeux, à travers leurs qualités et leurs défauts. Ici ce ne sont pas les événements qui comptent, mais bien plutôt la façon dont ils sont ressentis, ce qui les rend encore plus réels et plus proches du lecteur. Bref vous l'aurez compris j'ai adoré ce livre, qui est à la fois une excellente saga familiale et un témoignage humain d'une rare intensité sous sa douceur apparente.
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Foisonnant! C'est le mot qui me vient à l'esprit pour parler de ce roman. Comme son titre l'indique, Singer nous conte l'histoire de la famille Karnovski sur 3 générations. Il entrelace habilement la vie quotidienne de cette famille, famille au sens large puisqu'on côtoie les amis de chacun ce qui implique une plongée dans la communauté juive, et l'Histoire. Singer nous distille une quantité impressionnante d'informations sur le contexte politico-historique sans jamais devenir rébarbatif. Même si j'admets qu'il y a quelques longueurs surtout sur la fin. Une grande partie de ce livre se déroule dans l'Allemagne d'entre deux guerre, on assiste donc en spectateur impuissant à la montée du nazisme ou comme le dit Singer à l'avènement des « hommes bottés ». Singer nous permet d'appréhender le quotidien des citoyens Allemands et l'impact des conflits sur l'économie du pays, sur la fierté des vaincus et les conséquences sur les soldats désoeuvrés et en colère. Un cocktail qui constitue le terreau idéal pour faire naître la colère et l'alimenter jusqu'à la haine.

Singer fait également preuve d'une grande connaissance de la culture et de la religion juive. En s'écartant de la caricature du juif il nous montre tout un panel d'individus : des érudits, des très croyants, des non croyants, des familles mixtes, des petites gens, des commerçants, des médecins, des intellectuels sans le sou, des originaux, des pragmatiques… bref tout ce qui compose n'importe quelle société. Ces hommes et ces femmes ont des personnalités variées, pleines de consistance et de relief et l'auteur les fait évoluer au fil des pages et des années de manière cohérente en conservant leurs traits de caractères et leurs âmes mais en prenant en compte leurs vécus. J'ai regretté que parfois il insiste lourdement sur certains traits de caractères (l'entêtement des Karnovski, la soumission d'Héléna, le côté blagueur de Bourack…) ou physiques (oui on a compris les Karnovski ont un grand nez et les Holbek rougissent pour un rien…) le livre fait 700 pages alors forcément ça fini par être agaçant.

La description des lieux est un des atouts de ce roman. En quelques mots Singer fait naître une ambiance, on entend la rumeur de la rue, l'effervescence du commerce de Bourack, on respire l'air frais en accompagnant le Dr Landeau en randonnée et on ressent l'ébullition des participants en suivant Elsa dans ses meetings. Par contre si l'écriture est fluide je l'ai parfois ressentie comme sèche, sévère, il y a comme de la colère contenue chez SINGER. Mais c'est très subjectif.

Mon seul vrai bémol réside dans les personnages féminins certains passages les présentent comme des être guidés uniquement par leurs sentiments et dépourvues de raison ou encore comme des êtres soumis ne pouvant trouver leurs bonheur que dans la maternité et le mariage. Ou encore appréciant comme petit mot doux « femme stupide » voire quand ces messieurs rabrouent gentiment leurs moitiées « oie stupide »… bref tout cela est un peu désagréable quand le lecteur est une lectrice ! Même si Elsa semble sortir du lot car elle est forte et émancipée l'auteur n'a pu s'empêcher de la ramener dans un passage du livre à sa condition de femme qui ne peut trouver le bonheur sans enfants. D'ailleurs elle passe son temps à materner son père. Alors oui ce livre a été écrit dans les années 40 mais même en resituant dans le contexte historique ça m'a hérissé le poil !

Toutefois, j'avoue m'être régalée avec ce roman qui nous éclaire sur l'histoire populaire de l'Allemagne (pas seulement mais il faut lire pour tout savoir). L'auteur qui est mort en 1944, 1 an après la publication de son livre ne s'est peut-être pas rendu compte à quel point il avait bien cerné la montée de cette haine et jusqu'où elle aller mener. Pourtant une chose est sure, ce roman nous rappelle que les exactions commises durant la seconde Guerre Mondiale, sont le fruit d'un long processus qui a nourri patiemment plusieurs générations avant d'arriver à son paroxysme. Donc souvenons nous qu'à ce jour rien ne nous garantie que la haine terrée dans les esprits de certains n'attend pas patiemment son heure.
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Israel Joshua Singer était le frère aîné d'Isaac Bashevis Singer. Journaliste puis romancier, il a, comme son prix Nobel de frère, écrit en yiddish des fictions inspirées par la vie des Juifs originaires de l'Europe de l'Est. Tous deux ont quitté la Pologne pour les États-Unis en 1935.

Dans La famille Karnovski, roman publié en 1943, l'auteur brosse, sur une quarantaine d'années, les pérégrinations d'une famille juive de Pologne, installée à Berlin à la fin du dix-neuvième siècle, puis émigrée aux Etats-Unis dans les années trente. La narration prend fin avant le début de la seconde guerre mondiale.

Jeune négociant prospère, érudit et adepte d'un judaïsme philosophique, David Karnovski quitte sa Pologne natale avec son épouse, pour s'établir à Berlin, ville qui incarne pour lui la modernité. Non sans mal, il parvient à s'intégrer au sein d'une bourgeoisie juive assimilée dans la vie berlinoise depuis plusieurs décennies tout en observant fidèlement sa religion. Un microcosme dans lequel on est juif à la maison, allemand en ville.

Après une enfance rebelle, son fils Georg est mobilisé comme médecin-militaire pendant la Grande Guerre. Il devient par la suite un chirurgien obstétricien renommé. Non pratiquant, il épouse une Allemande non juive, au grand dam de son père.

Après l'arrivée au pouvoir des Nazis et la mise en oeuvre de leur arsenal de persécution des Juifs, la famille émigre aux Etats-Unis. Elle n'y retrouve pas l'aisance financière à laquelle elle était habituée, car Georg peine à obtenir l'autorisation d'exercer la médecine. Déraciné en plein âge ingrat, son fils Jegor vit douloureusement sa double identité juive et aryenne. Il part à la dérive…

Deux thèmes émergent dans cette saga familiale plutôt attachante, animée par de nombreux personnages hauts en couleurs : la réticence non avouée des Juifs assimilés à accueillir des Juifs immigrants, et la difficulté pour un homme de conviction à élever un fils en lui transmettant ses propres valeurs. Quel comportement privilégier : l'intransigeance rigide de David ou la bienveillance tolérante de Georg ?

Intéressante est l'évocation, par petites touches en arrière-plan, des événements qui ont impacté la vie quotidienne à Berlin, après la défaite allemande de 1918 et la chute de l'Empire : avènement de la République de Weimar, manifestations spartakistes, crise économique et hyperinflation, avant-gardisme culturel, montée en puissance des idées national-socialistes et des brutalités de leurs affidés.

J'ai en revanche été contrarié par la rigidité des profils psychologiques que l'auteur assigne à ses personnages, d'autant plus qu'il prend le soin d'en détailler et redétailler tous les traits jusqu'à plus soif. Une construction littéraire sans doute inspirée des tragédies antiques et de leurs protagonistes archétypaux ! Un procédé quelque peu démodé dans la littérature moderne, les lecteurs n'ayant plus besoin qu'on leur mette des points sur les « i », comme s'ils étaient incapables d'appréhender un profil caractériel complexe à partir de quelques signes.

Même profusion de détails et excès de sentimentalisme dans l'analyse des sentiments et des réactions : enthousiasmes, déceptions, colères, joies et peines manquent de nuance et de sobriété dans leur narration.

Dommage ! Hormis ces analyses interminables et quelques dérapages mélodramatiques, la traduction française de l'ouvrage reflète une écriture ronde, claire, précise, empreinte d'une sorte d'ironie distancée et badine, qui le rend agréable à lire.

Une chose m'a frappé : le mot « nazi » n'apparaît jamais dans les sept cents pages du livre, pas plus d'ailleurs que le nom d'Hitler. Pour désigner les Nazis, l'auteur emploie couramment l'expression « les hommes bottés », comme s'ils étaient juste des fascistes antisémites violents. Il est vrai qu'Israel Joshua Singer est mort subitement à New York début 1944 et qu'il n'a peut-être pas eu conscience de la Shoah et de son ampleur.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Les propriétaires de grands magasins, les banquiers et les gros commerçants, les directeurs de théâtre, les comédiens et artistes célèbres, de même que les professeurs de renommée mondiale qui appartenaient également à la communauté ne pensaient pas non plus que le sang qui devait couler des couteaux pouvait être le leur. En vérité, leur appartenance à la communauté était purement formelle. Ce côté formel mis à part, ils n’avaient rien à voir avec le judaïsme. Ils étaient enracinés dans la vie allemande, dans la culture du pays. Ils avaient bien mérité de la patrie. La plupart des jeunes gens avaient fait la guerre et s’y étaient illustrés. Si quelque chose devait arriver, c’était aux Juifs traditionnels de la ville, aux nationalistes juifs qui se cramponnaient à la culture hébraïque et dont certains rêvaient même d’émigrer en Asie et d’autres folies du même acabit. Le docteur Spayer, rabbin de la Nouvelle Synagogue, ne croyait pas lui non plus être concerné par ces menaces. N’était-il pas, ainsi que sa famille, installé dans ce pays depuis des générations ? N’usait-il pas du plus bel allemand dans ses prêches ? N’agrémentait-il pas ses sermons de citations de Goethe, Lessing, Schiller et Kant ? N’avait-il pas appelé ses fidèles à défendre le pays à la veille de la guerre et à offrir leur sang et leur ardeur à la patrie ? Non, si on pouvait avoir des reproches à faire, c’était aux étrangers, aux immigrés de fraîche date. Tout comme pendant la guerre, il recommença à prendre ses distances avec son ami, David Karnovski, l’étranger, l’immigré. En ces temps difficiles, il est préférable de se tenir le plus loin possible de ces étrangers, pensait-il. L’homme ne doit pas se mettre en péril. Il est même écrit que celui qui a toujours peur est dans le vrai.
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Il était prêt à partir en guerre contre tous.
Pour commencer, il mit le rabbin au défi de lui montrer ne serait-ce qu’un seul mot hérétique dans les «commentaires » de Moïse Mendelssohn, ensuite il aligna les citations de la Torah et les traits d’esprit pour prouver que ni le rabbin ni les notables ne connaissaient un traître mot des écrits de Mendelssohn et qu’ils étaient même bien incapables de les comprendre.
Après quoi, il se mit dans une telle colère qu’il déclara que ce que son maître Moïse Mendelssohn de mémoire bénie avait comme érudition, comme sagesse et comme piété dans la seule plante des pieds, le rabbin et tous les rabbis hassidiques réunis ne l’avaient pas dans tout leur corps et dans tout leur être.

Là, c’en était trop. Il avait outragé le rabbin et tous les rabbis hassidiques et avait parlé d’un mécréant en accompagnant son nom des mots « maître » et « de mémoire bénie », et ça dans un lieu saint !
Tout cela fit sortir les hassidim de leurs gonds : sans plus de façon, ils saisirent le gendre du magnat sous les bras, le mirent à la porte de la maison de prière et l’accompagnèrent de leurs vociférations :

« Va-t’en à tous les diables et ton maître de mémoire maudite avec toi ! Va rejoindre l’apostat de Berlin — qu’il pourrisse en enfer ! »

David Karnovski suivit leur conseil.
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Par tous les diables, l'homme n'est pas libre, même quand il veut l'être, se dit le docteur Karnovski. Il est est perpétuellement cerné par des obstacles, bridé par les convenances, les superstitions, les habitudes, les coutumes, les traditions. Il traîne l'héritage des générations passées, tels des oripeaux dont il lui est impossible de se débarrasser. Le père n'est pas maître de son enfant. Il n'a pas le pouvoir de le préserver de la famille, du milieu, de l'éducation. Malgré tous ses efforts pour chasser les absurdités de la maison, elles reviennent par les portes et les fenêtres, par la cheminée.
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"Les enfants disent que je suis un juif, papa.
- C'est ce que tu es à la maison, mais à l'extérieur, tu es un Allemand. Tu comprends maintenant ?"
Georg ne comprenait pas. Comme tous les enfants, il savait que le bien était le bien, le mal était le mal, Blanc c'est blanc et noir c'est noir. David Karnovski n'eut pas d'autre solution que de lui dire qu'il était encore trop jeune et trop ignorant pour comprendre ce genre de choses, mais que quand il serait plus grand, il comprendrait. Georg sortit du bureau de son père insatisfait, mettant en doute la sagesse des grandes personnes et le fait qu'elles sachent tout. Il voyait bien que, non seulement sa mère et Ema, mais aussi son père ignorait un bon nombre de choses. Il essaya de réfléchir tout seul aux différents noms dont les enfants de la cour l'affublaient. Mais comme il n'arrivait pas à repousser ses attaquants par la seule raison, chaque fois qu'on le traitait de juif, il en venait aux mains.
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Une tension chaotique, mélange d'attente, d'espérance et de crainte, s'empara de la capitale quand les hommes bottés furent devenus maîtres de ses rues et de ses places.
Ils étaient partout, et en nombre, les hommes bottés. Ils défilaient et paradaient, passaient à toute allure dans leurs automobiles, sur des motocyclettes, portaient des torches allumés, jouaient dans des fanfares, claquaient des talons et défilaient, défilaient sans fin, défilaient interminablement.
Le bruit de leurs bottes éveillaient des pulsions. On ne savait pas vraiment ce que les nouveaux maîtres bottés allaient apporter, le bonheur ou le malheur, des promesses tenues ou de grandes désillusions, mais on était excité, excité et émoustillé, on se laissait aller sans retenue, comme on joue son va-tout, que l'on brave un interdit formel sans savoir ce qui en sortira, gain ou perte, mais que, quoi qu'il en soit, on s'amuse et on se sent tout permis. Il y avait quelque chose de différent de l'habitude, de nouveau, de festif, d'inquiétant et de frénétique comme dans un jeu d'enfant.
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