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Henri Lewi (Traducteur)
EAN : 9782207257845
416 pages
Denoël (06/04/2006)
4.34/5   16 notes
Résumé :

Notre foyer était triste, et c'est pourquoi tout petit déjà je préférais vivre dans la rue plutôt que chez moi. Cette tristesse, c'était d'abord la Torah qui en était responsable : elle remplissait le moindre recoin de la maison et pesait lourdement sur l'humeur de torts. C'était plus une maison d'étude qu'un chez-soi : une maison de Dieu, plus qu'une maison d'hommes. D'un monde qui n'est plus évoque ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Je vais le dire d'emblee: ce livre, les souvenirs d'enfance d'Israel Joshua Singer, m'a plu plus que celui de son petit frere, Isaac (Au tribunal de mon pere). C'est que le gosse est beaucoup plus eveille, plus impetueux, plus delure, beaucoup moins docile et beaucoup moins naif. Son regard sur tout ce qui l'entoure, sur tout ce qui se passe, est beaucoup plus acere, beaucoup plus critique. Et le livre est tout aussi bien ecrit, tout aussi pittoresque, et beaucoup plus piquant, par endroits beaucoup plus drole et par endroits beaucoup plus affligeant, dechirant meme.


Israel Joshua raconte son enfance a Lentshin (Leoncin en polonais), un tout petit shtetl de quelques dizaines de familles juives, et ses vacances chez son grand-pere a Bilgoray, un bourg beaucoup plus important. Dans les deux cas la nature est omnipresente, contrairement au recit de son petit frere Isaac, ancre a Varsovie. Et le petit Joshua est epris de cette nature. On veut l'enfermer dans des maisons d'etude, dans les livres, comme il convient a un fils de rabbin, mais lui ne fait que se moquer de ses maitres, tous plus bizarres, plus fous les uns que les autres, et il fuit dehors a chaque occasion. Il aime les champs, les forets, les animaux, les gens qui travaillent de leurs mains. “Moi, il ne me venait même pas à l'idée que j'aurais pu comprendre ce que j'étudiais, dont à la vérité je me désintéressais complètement. C'est vrai que j'étudiais extensivement les lourdes pages du Talmud, mais je les avalais comme un médicament amer. Tout mon être était à l'extérieur, plein de désir pour la liberté, la terre, l'eau, les animaux, les gens, le mouvement et la vie”. Il aime sentir l'odeur des copeaux chez un menuisier et surtout l'aider a raboter une piece. Quand il voyage avec sa mere a Bilgoray il aime s'assoir a cote du cocher et tenir les renes. “Ma mère me demandait souvent si ce n'était pas trop dur pour moi. J'avais envie de rire. Comment ça, dur ? J'étais prêt à m'asseoir sur le plus dur des sacs de sel, en haut d'un tonneau, pourvu que je pusse voyager sur ce chariot, entendre claquer les fers chevalins, frotter les roues, siffler le voiturier, et ses cris rauques continuels. […] Bientôt on entrait dans les forêts, les forêts épaisses du comte Potocki, et bien que dans ces forêts vécussent des brigands, à ce qu'on disait, il y avait, en même temps que de la crainte, un plaisir vivifiant à les traverser, à respirer les parfums délicieux, à entendre les chants des oiseaux. le mystère de la forêt vous remplissait d'une crainte pleine de douceur.” […] “Ensuite on repartait en cahotant ; on descendait du charroi quand la route montait, et on y rentrait quand ça descendait. Ensuite le chariot se retournait carrément et se retrouvait sens dessus dessous, les roues en haut ; les Juifs gémissaient, les femmes, embarrassées dans leurs robes, se lamentaient ; je nageais en plein bonheur”. Son plus grand plaisir est de disparaitre pour quelques jours et se meler aux cueilleurs de fruits d'ete: “Quand nous n'allions pas passer l'été chez mon grand-père, il m'arrivait souvent de rejoindre les vergers autour du shtetl. […] Pour moi commençait une époque de bonheur. Je restais avec Nosn (son copain) dans les vergers, mangeais des fruits des arbres, aidais à cueillir les cerises, mettais les fruits dans des paniers et dans des tonnelets qu'on allait vendre à Varsovie au marché. Encore plus beaux que les jours, dans les vergers, étaient les soirs. Les garçons de Moyshe Mendl faisaient des rondes, montant la garde contre les voleurs, ils sifflaient et criaient, suscitant des échos· Freydl et ses copines, qui s'étaient embauchées dans leur verger pour la cueillette, chantaient dans la nuit de satin noir leurs chansons d'amour nostalgiques. du ciel tombaient des étoiles, des petits feux scintillaient aux chaumières villageoises, des chiens aboyaient. le bonheur me submergeait”.


Pas bete pour un sou, il saisit vite ce qui se cache derriere l'adoration des “rebbe" hassidiques: “À Bilgoray débarqua un jour le tsaddik Rabbi Motélé de Kuzmir venu recueillir de l'argent chez ses hassidim ; Mon grand-père, comme à son habitude, se mit aussitôt à parler érudition avec son hôte. Mais le tsaddik n'avait pas grande envie de parler érudition, domaine dans lequel il était à ce qu'il semble peu versé ; il préférait fredonner des airs hassidiques, faire des gesticulations et autres simagrées rebbéiques. […] le trésorier du rebbé commença aussitôt une vente aux enchères. Sitôt que le rebbé avait goûté une prune, le trésorier vendait aux enchères ce qu'il en restait, les shirayim (les restes). — Un rouble d'argent pur pour une prune ! s'exclamait-il sur un certain air, comme quand on vend des montées à la Torah. Un rouble et demi… deux roubles… Les hassidim surenchérissaient l'un sur l'autre. Bientôt arrivèrent en courant des femmes et des enfants, ils demandèrent au rebbé de les bénir. le rebbé bénissait, mais le trésorier faisait payer à l'avance chaque bénédiction. Avant que le rebbé ne quitte la maison de mon grand-père, le trésorier vendit le soutien. le rebbé de Kuzmir boitait d'un pied, et on devait l'aider à marcher. le privilège de soutenir le rebbé dans sa marche s'achetait…”.
Tous ces Rebbe sont ignares pour la plupart: “Car ce rebbé de Vorké qui habitait à Otvotsk, une bourgade voisine de Varsovie, n'était pas (qu'il me pardonne) une vraie lumière de l'érudition. On disait que non seulement il était incapable de lire une page du Talmud, mais même qu'il n'était pas un grand connaisseur du Pentateuque. En revanche il était profondément dévot, terriblement pieux, et tels étaient aussi ses hassidim. Les hassidim de Vorké priaient énormément, ils pleuraient et broyaient du noir ; leurs mélodies étaient funèbres, leurs paraboles lamentables”. Et quand ils ne sont pas incultes, il raille leur savoir, pire qu'inutile: “Ce Reb Yishayélé Rakhéver avait écrit une foule de livres où il prouvait que tout ce qui existe au monde est interdit. D'après ces livres il n'y avait absolument plus rien qu'un Juif eût le droit de faire”.


Lui aussi, comme son frere apres lui, voit les differences entre ses parents, et il met beaucoup moins de precautions a nous les transmettre, apres avoir note que ce n'etait pas un cas particulier: “Comme la plupart des couples dans des foyers rabbiniques, mari et femme n'étaient pas sur la même longueur d'onde, même quand ils s'entendaient le mieux possible”. Sa mere ne respire que quand elle va visiter ses parents a Bilgoray: “Plus qu'à l'accoutumée encore pesaient sur nous la tristesse et la pauvreté de Lentshin, ce trou perdu, quand nous rentrions de nos visites à Bilgoray. Ma mère, qui chez son père revivait, retombait dans son mutisme et sa tristesse perpétuels.” Elle en veut a son mari, qui ne reussit pas a gagner correctement sa vie, qui n'essaye meme pas, et dit pour toute excuse: “— Quand j'arriverai dans l'autre monde et que les anges du ravage voudront me jeter en enfer pour mes grands péchés, j'aurai un intercesseur en la personne de Rashi (un celebre commentateur), parce que je l'ai justifié, et ses mérites me défendront. Bien que je fusse encore un gamin, j'eus très envie de rire de la peur qu'avait mon père et des grands péchés dont il s'accusait. Ma mère ne rit point, mais elle le regarda de ses grands yeux gris qui voyaient tout, et dit abruptement : — Rashi se débrouillera bien tout seul. Tu ferais mieux de penser à nourrir ta maison. C'est aussi un commandement…”. le pere est un reveur, composant des commentaires qui n'ont d'interet que pour lui, effraye par sa femme, credule et vole par un cordonnier volubile, devalise par des pickpockets quand il met le dernier bijou de sa femme au mont se piete, terrorise par un chien, voire emporte par un cheval emballe, et d'une façon generale un peu ridicule. Mais, a y bien regarder, il n'y a pas dans les souvenirs de Joshua Singer un seul mot qui condamne son pere. Que sa bonte fasse de lui une victime n'entache pas sa valeur.


L'enfant regarde avec des yeux avides autour de lui, et s'il est charme par les paysans (et les paysannes) polonais, par leurs processions hautes en couleurs, il decrit aussi leurs beuveries, leurs rixes et la peur que celles-ci inspirent aux juifs, qui craignent qu'elles ne degenerent a leurs depens. Un chapitre est tout de meme consacre a une accusation avortee de meurtre rituel a Lentshin…


En fait, tres tot, tres jeune, il se rend compte de l'anachronisme de la facon de vivre de ses parents. Quand il ecrit cela, vers 1943, il sait que la societe juive du shtetl etait deja mourante, condamnee, revolue a l'epoque de son enfance. Il decrit, non pas le monde d'hier (pour paraphraser un titre de Zweig) mais le monde d'avant-hier. Et c'est un requiem, bien qu'etant en Amerique, il ne savait pas vraiment ce qui se passait en Europe, ne pouvait pas concevoir l'ampleur du genocide nazi. C'est un requiem parce qu'il sait que ce qu'il a connu pendant son enfance n'avait deja alors aucun avenir. Pas par hasard, a peine ses parents quittent Lentshin et s'installent a Varsovie, il abandonne ostensiblement leur mode de vie et fait tout pour entrainer son jeune frere, Isaac, apres lui. Comme le dit son traducteur dans sa postface, c'est de ce monde qu'il prend distance, de façon progressive et enfin violente : comme bien des étudiants de yeshiva de son temps il devient un maskil, un « éclairé », un sceptique, et c'est cet éloignement et cet éclairement que voulait sans doute raconter son autobiographie.


C'est en definitive un tres beau livre. Comme a mon habitude, je l'ai abondamment cite dans ce billet. Mais j'ai note de nombreux autres passages, de petits joyaux, que je mettrai peut-etre en citations.
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D'un monde qui n'est plus est l'autobiographie non achevée d'Israël Joshua Singer, auteur de littérature yiddish et frère aîné d'Isaac Bashevis Singer qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1978.
L'auteur né dans une communauté juive hassidique en 1893 dans un shtetl (petit village/communauté) près de Varsovie nous offre un témoignage rare sur les communautés juives d'Europe de l'Est, avant que la politique hitlérienne ne décime cette population. Il est décédé en 1944 aux États-Unis où il s'est exilé dès 1934 pour échapper à la montée de l'antisémitisme.
Il nous raconte son enfance dans cette communauté assez pauvre, l'attente du messie, les fêtes, la difficile intégration de leur communauté, les pogroms du début du 20ème siècle,… En expliquant son éducation juive traditionnelle, sa place au kayder (l'école religieuse) dès l'âge de trois ans, il nous parle de la complexité d'être juif, de sa place de fils de rabbin.
Il évoque les différentes classes sociales, il ne faut pas qu'il joue avec les enfants « juifs ordinaires », il est fils de rabbin.
Il parle de sa mère tiraillée entre un père rabbin Juif ashkénaze résistant à l'hassidisme qui n'est guère convaincu pas son gendre et un mari rabbin Juif hassidique. On est amené à percevoir les différences entre les moments où il vit chez ses grands-parents maternels avec sa mère et les moments où il vit avec ses parents. Sa mère fille de rabbin est très cultivée et s'ennuie en tant que femme au foyer, j'ai d'ailleurs été surprise par la misogynie qui règne dans la communauté. En outre, le couple est sous tension car le père refuse d'apprendre le russe et n'est donc pas un rabbin officiel, ce qui lui pose problème pour trouver du travail et subvenir aux besoins de sa famille. En effet, la famille vit dans une province polonaise proche de Varsovie qui est sous occupation russe. Pour devenir rabbin, il fallait donc passer un examen officiel en russe, ce qu'avait refusé de faire son père.
En bref, une autobiographie qui m'a passionnée, qui m'a fait découvrir un monde jusque-là inconnu. Je lirai l'autobiographie de son frère Isaac Bashevis Singer (au tribunal de mon père) pour compléter cette lecture. En attendant, je lis les romans de ces deux frères bien talentueux.

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C'est toujours avec autant d'enthousiasme et de délectation que je lis un ouvrage des frères et soeur Singer. Israël Joshua, frère aîné d'Isaac mais frère cadet d'Esther, raconte ici en détails sa jeunesse au tournant des XIXème et XXème siècle à Leoncin, shtetl situé au centre-est de la Pologne alors sous domination russe. Ce shtetl est un « trou », tels sont ces mots, dans lequel il ne se passe pas grand-chose. A part quelques rares chrétiens, la population y est essentiellement constituée de Juifs pour la plupart modestes. Les parents d'Israël Joshua sont assez mal assortis : sa mère est issue d'une longue lignée de rabbins orthodoxes plutôt rationalistes (mitnagdim) tandis que son père, qui fait office de rabbin, appartient à la communauté des mystiques Hassidim. Même si les uns sont les ennemis des autres, ses parents s'aiment et se respectent. Mais ça n'empêche pas les heurts : Basheva reproche à son mari de ne pas avoir passé l'examen de russe qui lui permettrait d'avoir le statut officiel de rabbin, d'être plus correctement rémunéré et d'offrir une vie meilleure à ses enfants. Oui mais voila : pour Pinchas Menahem le Hassid, la vie se résume en une phrase :  «  Avec l'aide de Dieu, tout ira bien ». Et c'est bien en effet autour de la religion et de son respect scrupuleux que tourne la vie du shtetl. Presque tout le monde applique au pied de la lettre les 613 mitsvot édictées par le Talmud. Disons au passage que même si elles sont nombreuses en Pologne où elles représentent 10 % de la population, les communautés juives n'ont pas d'autre choix que de vivre repliées sur elles-mêmes car au-delà des pogroms perpétrés par les Goyim, le risque le plus certain est celui de l'assimilation. Israël Joshua nous explique que ceux qui se sont convertis à la foi des Gentils sont exclus sans ménagement de la communauté et qu'une honte durable pèse sur leur famille l… le carcan de la vie juive traditionnelle commence tôt : dès trois ans, Israël Joshua est inscrit au heder (école primaire juive en Europe de l'est avant la Shoah), où il commence à apprendre l'hébreu biblique à travers les textes sacrés. Lui et ses camarades sont nourris de Torah, de Mishna et de Guemara qui occupent une place démesurée dans leur vie d'enfant où le jeu est considéré comme une perte de temps. Israël Joshua profite d'ailleurs de la sieste des adultes le jour de Shabbat pour aller jouer dehors avec ceux de son âge. L'ancrage dans un mode de vie juif jusqu'au-boutiste est tel qu'à aucun moment il n'est fait mention de la fréquentation éventuelle d'une école publique polonaise par les enfants juifs ! Il y a fort à parier que celle ci ne soit pas obligatoire au tournant de ce siècle. Israël nous dit d'ailleurs que son père dont la famille est implantée en Pologne depuis de nombreuses générations, ne connaît que deux mots de polonais. le shtetl est un territoire étranger en Pologne et toute intrusion d'une vie profane et non juive semble y être soigneusement évitée. Dans cette société traditionnelle, la place accordée aux femmes est très variable. Leur éducation et leur instruction ne sont pas des priorités, leur rôle consiste essentiellement à mettre des enfants au monde, à s'occuper du foyer mais aussi à travailler pour pourvoir au besoin d'une famille dans laquelle le père se doit de se concentrer exclusivement à l'étude des textes sacrés ! La mère des enfants Singer ne correspond pas au schéma traditionnel : elle est instruite et tient tête à son mari. Peut-être est-ce du au fait qu'elle vient d'une plus grande ville,Bilgoraj, où se mêlent des communautés juives plus hétéroclites. C'est d'ailleurs toujours avec enthousiasme qu'Israël Joshua passe des vacances chez ses grands parents maternels ; certes il étudie, mais il mange bien aussi, se promène, observe, discute… bref mène la vie d'un enfant presque standard ! Israël Joshua ne peut d'ailleurs être que presque standard car il demeure un enfant du shtetl, prisonnier d'un dogme qui, si sordide soit-il, permet aux communautés juives de perdurer sans jamais céder à la tentation de l'assimilation. Les Juifs vivent mal et ont un besoin désespéré de croire en la venue du Messie, ce rédempteur qui arrivera sur un nuage gris pour les ramener vers le pays d'Israël. Et quand les nuages s'amoncellent, ils espèrent, ils sont sûrs mais… rien ne se passe ! Israël Joshua porte un regard très sceptique sur les croyances et pratiques de sa communauté et va même jusqu'à se révolter : comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser mourir ses deux petites soeurs de la scarlatine ? Comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser découper à la hache un couple de vieux Juifs exemplaires ? La révolte gronde chez ce fils de rabbin...Ce livre publié en 1946, soit deux ans après le décès de son auteur, est inachevé. Quel dommage ! Je sais pour l'avoir lu ailleurs qu'Israël Joshua a fini par couper ses papillotes et prendre de grandes distances par rapport à la religion. Mais j'aurais aimé le lire de sa propre plume … le texte allemand est beaucoup plus riche et très certainement plus fidèle au texte original en Yiddish que le texte français, ce qui est sans doute du au fait que cette langue est constituée de 80 % d'allemand. Chers lecteurs, si vous savez l'allemand, lisez ce livre en allemand ! Si ce n'est pas le cas, sachez que cet ouvrage est l'oeuvre d'un excellent conteur et lisez-le tout de même !
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C'est toujours avec autant d'enthousiasme et de délectation que je lis un ouvrage des frères et soeur Singer. Israël Joshua, frère aîné d'Isaac mais frère cadet d'Esther, raconte ici en détails sa jeunesse au tournant des XIXème et XXème siècle à Leoncin, shtetl situé au centre-est de la Pologne alors sous domination russe. Ce shtetl est un « trou », tels sont ces mots, dans lequel il ne se passe pas grand-chose. A part quelques rares chrétiens, la population y est essentiellement constituée de Juifs pour la plupart modestes. Les parents d'Israël Joshua sont assez mal assortis : sa mère est issue d'une longue lignée de rabbins orthodoxes plutôt rationalistes (mitnagdim) tandis que son père, qui fait office de rabbin, appartient à la communauté des mystiques Hassidim. Même si les uns sont les ennemis des autres, ses parents s'aiment et se respectent. Mais ça n'empêche pas les heurts : Basheva reproche à son mari de ne pas avoir passé l'examen de russe qui lui permettrait d'avoir le statut officiel de rabbin, d'être plus correctement rémunéré et d'offrir une vie meilleure à ses enfants. Oui mais voila : pour Pinchas Menahem le Hassid, la vie se résume en une phrase :  «  Avec l'aide de Dieu, tout ira bien ». Et c'est bien en effet autour de la religion et de son respect scrupuleux que tourne la vie du shtetl. Presque tout le monde applique au pied de la lettre les 613 mitsvot édictées par le Talmud. Disons au passage que même si elles sont nombreuses en Pologne où elles représentent 10 % de la population, les communautés juives n'ont pas d'autre choix que de vivre repliées sur elles-mêmes car au-delà des pogroms perpétrés par les Goyim, le risque le plus certain est celui de l'assimilation. Israël Joshua nous explique que ceux qui se sont convertis à la foi des Gentils sont exclus sans ménagement de la communauté et qu'une honte durable pèse sur leur famille l… le carcan de la vie juive traditionnelle commence tôt : dès trois ans, Israël Joshua est inscrit au heder (école primaire juive en Europe de l'est avant la Shoah), où il commence à apprendre l'hébreu biblique à travers les textes sacrés. Lui et ses camarades sont nourris de Torah, de Mishna et de Guemara qui occupent une place démesurée dans leur vie d'enfant où le jeu est considéré comme une perte de temps. Israël Joshua profite d'ailleurs de la sieste des adultes le jour de Shabbat pour aller jouer dehors avec ceux de son âge. L'ancrage dans un mode de vie juif jusqu'au-boutiste est tel qu'à aucun moment il n'est fait mention de la fréquentation éventuelle d'une école publique polonaise par les enfants juifs ! Il y a fort à parier que celle ci ne soit pas obligatoire au tournant de ce siècle. Israël nous dit d'ailleurs que son père dont la famille est implantée en Pologne depuis de nombreuses générations, ne connaît que deux mots de polonais. le shtetl est un territoire étranger en Pologne et toute intrusion d'une vie profane et non juive semble y être soigneusement évitée. Dans cette société traditionnelle, la place accordée aux femmes est très variable. Leur éducation et leur instruction ne sont pas des priorités, leur rôle consiste essentiellement à mettre des enfants au monde, à s'occuper du foyer mais aussi à travailler pour pourvoir au besoin d'une famille dans laquelle le père se doit de se concentrer exclusivement à l'étude des textes sacrés ! La mère des enfants Singer ne correspond pas au schéma traditionnel : elle est instruite et tient tête à son mari. Peut-être est-ce du au fait qu'elle vient d'une plus grande ville,Bilgoraj, où se mêlent des communautés juives plus hétéroclites. C'est d'ailleurs toujours avec enthousiasme qu'Israël Joshua passe des vacances chez ses grands parents maternels ; certes il étudie, mais il mange bien aussi, se promène, observe, discute… bref mène la vie d'un enfant presque standard ! Israël Joshua ne peut d'ailleurs être que presque standard car il demeure un enfant du shtetl, prisonnier d'un dogme qui, si sordide soit-il, permet aux communautés juives de perdurer sans jamais céder à la tentation de l'assimilation. Les Juifs vivent mal et ont un besoin désespéré de croire en la venue du Messie, ce rédempteur qui arrivera sur un nuage gris pour les ramener vers le pays d'Israël. Et quand les nuages s'amoncellent, ils espèrent, ils sont sûrs mais… rien ne se passe ! Israël Joshua porte un regard très sceptique sur les croyances et pratiques de sa communauté et va même jusqu'à se révolter : comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser mourir ses deux petites soeurs de la scarlatine ? Comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser découper à la hache un couple de vieux Juifs exemplaires ? La révolte gronde chez ce fils de rabbin...Ce livre publié en 1946, soit deux ans après le décès de son auteur, est inachevé. Quel dommage ! Je sais pour l'avoir lu ailleurs qu'Israël Joshua a fini par couper ses papillotes et prendre de grandes distances par rapport à la religion. Mais j'aurais aimé le lire de sa propre plume … le texte allemand est beaucoup plus riche et très certainement plus fidèle au texte original en Yiddish que le texte français, ce qui est sans doute du au fait que cette langue est constituée de 80 % d'allemand. Chers lecteurs, si vous savez l'allemand, lisez ce livre en allemand ! Si ce n'est pas le cas, sachez que cet ouvrage est l'oeuvre d'un excellent conteur et lisez-le tout de même!!
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Israel Joshua Singer (1893-1944) est le frère aîné de Isaac B. Singer (prix Nobel de Littérature 1978). Dans ce livre autobiographique , D'un monde qui n'est plus, Israel Singer raconte son enfance à Lentshin, un shtetl quelque part en Pologne. Quand il écrit ce livre, il a émigré à New York depuis quelques années (1934) et son livre sera d'ailleurs publié peu après sa mort.

D'un monde qui n'est plus, ne raconte pas « le monde » mais uniquement le petit monde de l'enfant Israel. Avec humour et la fraîcheur de l'enfance, Israel nous raconte sa famille, sa maman triste et courageuse, son père rabbin hassidique, son village, les us et coutumes, les animosités entre Juifs, les problèmes avec les paysans goys, la peur des autorités russes, sa réticence à étudier la Torah, les bêtises avec les gamins. le récit s'arrête alors que la famille s'apprête à déménager.

Les moments heureux du gamin ont lieu en été chez ses grand parents maternels, son grand-père, rabbin misnaged (opposé au hassidim) est un homme érudit et respecté. Sa grand-mère passe sa vie dans la cuisine à cuisiner pour toute la famille. Les oncles et leur peu de foi fascinent le petit Israël.

On s'attache très vite à cet enfant qui essaie de comprendre le monde des adultes autour de lui. Car il y a beaucoup de « mystères » autour de lui : pourquoi sa maman est triste ? Pourquoi ne peut-il pas avoir un chien ? Pourquoi ne peut-il pas s'approcher des chevaux ? Pourquoi doit-il passer sa journée à l'étude au lieu de courir la campagne ? pourquoi son père lui rapporte des cadeaux et rien à sa soeur ? Pourquoi sa grand-mère qui a cuisiné ne peut-elle pas s'asseoir à table alors que les mendiants sont invités ? Pourquoi doit-il sortir du bureau quand les femmes du shtetl viennent voir le rabbin pour lui parler de leurs problèmes de couples ? Pourquoi les Juifs ne peuvent ils pas posséder de terre et faire comme les paysans Polonais ? Pourquoi son grand-père misnaged méprise son père rabbin Hassidique ? … et le plus grand mystère : que fera-t-il plus tard ? Devra-t-il réellement étudier le Talmud toute sa vie ?

J'ai beaucoup apprécié cette autobiographie, bien écrite et dépaysante. C'est raconté à travers les yeux d'un enfant, mais il n'y a rien de simpliste. Cette lecture me donne d'ailleurs l'envie de relire « Au tribunal de mon père », d'Isaac Singer.

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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Cependant nous traversions les bourgades, villages et forêts de la province de Lublin, que les Juifs appelaient les Domaines du Roi Pauvre. Nous passions de vieilles villes juives dont on trouve les noms dans des livres juifs du temps des massacres de Khmielnitski : villes avec des noms comme Zamoshtsh, Shébreshin, Goray et Yozéfov, et toutes sortes d’autres noms ; villes avec de vieilles synagogues, de vieux cimetières juifs ; villes avec des églises et des flèches antiques, avec de vastes marchés ronds, aux murs et aux toits de bois, qu’on appelle patshénès, sous lesquels se tenaient des boutiquiers et des marchandes de fruits ; villes avec de vieilles coutumes juives, avec des bedeaux à l’aube appelant les Juifs à venir à la synagogue ; avec des belfers conduisant les petits enfants au kheyder, en chantant ; avec des tambours tambourinant sur le marché chaque nouvelle loi, chaque nouvelle ; avec des gamins de kheyder décorant les fenêtres des maisons juives, en l’honneur des jours de fête, de toutes sortes de découpages d’animaux, cerfs, lions et oiseaux ; des villes dans lesquelles les Juifs étaient plus juifs que dans le reste de la Pologne, et les goyim plus goy ; car en aucune autre région de Pologne les paysans polonais ne portaient les cheveux aussi longs, souvent jusqu’aux épaules, de tels chapeaux colorés avec un pompon à chaque coin, d’aussi longues redingotes brodées, sukttutnès, de telles ceintures colorées autour des reins, de telles sandales brodées, khadakh, aux pieds. Dans aucune autre région les paysannes ne portaient de tels turbans raides incroyablement hauts sur la tête, des châles colorés torsadés en hauteur qu’on appelait khamulkès. En aucune autre région de la Pologne de la couronne la population polonaise n’était aussi densément mêlée de paysans ruthènes, qui portaient leurs chemises par-dessus leurs pantalons, s’en allaient en espadrilles ou pieds nus et parlaient une langue ukrainienne que les Juifs appelaient yevonish. Démodés, pieux et colorés étaient les Juifs comme les goyim dans ces Domaines du Roi Pauvre de la région de Lublin. Éloignées de la voie ferrée, les bourgades étaient enfoncées dans leur antiquité, hors d’atteinte du temps. Les profondes forêts séparaient la région du reste du monde.
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Comme la plupart des gamins juifs de maisons pieuses, j’ai pendant un certain temps tremblé devant les chiens en qui je voyais des ennemis d’Israël. Tout comme les jeunes goyim, les chiens ne pouvaient souffrir les longues basques des Juifs, et j’étais sûr que la haine canine des Juifs était quelque chose d’éternel, d’immémorial ; […] Un jour s’approcha de moi, en dehors de la bourgade, un chien. Au premier moment, quand je me vis suivi d’un chien de grande taille à l’épais pelage brun, je pensai fuir en courant ; mais je savais par expérience que rien ne donne autant envie à un chien de poursuivre un gamin juif que lorsqu’on le fuit en courant. Par peur je m’armai donc d’héroïsme et continuai ma route à pas lents : le chien me suivit. Voyant que grand était le danger, j’entrepris de me protéger en récitant un verset. Loy yékhrats kéylev leshoynoy\ murmurai-je, car on m’avait appris à dire cette conjuration si je rencontrais un chien, mais celui-ci fit semblant de ne pas connaître le verset, et il suivait chacun de mes pas ; tout à coup il ouvrit la gueule et montra des dents pointues, une langue lécheuse rose. Je fus sûr qu’il allait me saisir par le long pan de ma lévite de toile, mais il se contenta de me lécher les jambes ; ses yeux étaient pleins de soumission à mon égard, à moi le gamin juif, tout à fait comme si je n’étais pas de souche israélite. Je ne sais ce qui l’emportait alors en moi, l’amour pour le chien ou la peur que j’en avais, mais j’exposai ma vie et lui caressai le sommet du crâne : il me sauta dessus avec une telle effusion d’enthousiasme et de joie que c’est tout juste s’il ne me renversa pas. Dès lors le chien ne me quitta plus.
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À toute heure on trouvait assis à table, dans la cuisine de la grand-mère, un mendiant en haillons à la barbe embroussaillée mangeant un gruau ou une écuelle de patates avec du borshtsh. Ces marcheurs avaient d’énormes appétits, et ils étaient toujours à prier qu’on leur versât une louchée de plus. Je me rappelle un mendiant de cette sorte, je le vois encore comme s’il était là. C’était un homme de haute taille à la barbe noire, avec une grande besace par-dessus l’épaule ; il bégayait fortement. Il venait souvent à Bilgoray et chaque fois rendait visite à la cuisine de ma grand-mère. Ce qu’on lui donnait à manger manquait toujours de quelque chose. Ma grand-mère lui donnait d’habitude deux bols consistants, l’un de pommes de terre, l’autre de borshtsh. Le mendiant mangeait vite, avec bruit et emportement ; avant qu’on ait eu le temps de se retourner il disait : « RRRebbetsn, il me mmmanque un peu de bbborshtsh pour finir les pppatates… » Ma grand-mère lui versait un autre bol de borshtsh. Une minute après on l’entendait à nouveau bégayer : « RRRebbetsn, il me mmmanque un peu de patates pour finir le bbborshtsh… » C’était une histoire sans fin.
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Toujours de neuf il fallait faire la guerre à la chatte qui aimait à s’asseoir sur une chaise près du fauteuil rabbinique dans le cabinet de mon grand-père. La chatte pour rien au monde ne voulait quitter cette pièce. Ma grand-mère aurait voulu garder la chatte dans sa cuisine. Elle aurait voulu qu’elle fasse la chasse aux souris ; et puis une chatte en général n’a rien à faire dans un cabinet rabbinique, elle doit être dans une cuisine. Mais celle-ci s’y refusait. Étrange chatte ! La cuisine, semble-t-il, aurait dû lui plaire davantage, car il y avait là de quoi la sustenter toute sa vie : entrailles de poulet, viande, lait, graisse et autres bonnes choses. Dans le cabinet du rabbin il n’y avait que des livres, de la Torah et des procès rabbiniques, toutes choses qui ne doivent, d’après le simple bon sens, pas beaucoup intéresser une chatte. Mais elle se refusait absolument à mettre la patte dans la cuisine, elle restait assise près du grand-père, sommeillait sur une chaise et écoutait Torah et judaïsme.
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Je jetais un oeil dans les livres de morale, qui ne parlaient que de la vanité des choses de ce monde, et c'est pourquoi je les haïssais. Ce qui m'attirait, c'étaient les jeux, la liberté des champs, le soleil, le vent et l'eau, les gamins. Le monde n'était pas vain, mais d'une beauté inouïe et plein de joie.
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Erri de Luca La Fabrique de l'ombre
Erri de Luca --La Fabrique de l'ombre -- Où Erri de Luca, après la projection du film de Robert Bober : "A Mi-Mots : Erri de Luca", parle de son histoire avec Naples -"je dois t'apprendre, après je dois te perdre"-, des arbres qui fabriquent de l'ombre, de la surface, de la profondeur et de Hofmannsthal, de la compagnie des livres, de l'écriture et de la lecture, des langues, le Grec et le Latin, le Français, de l'Anglais et de Harry de Luca, de l'Hébreu ancien et du Yiddish, de Israël Joshua Singer et du Russe, à l'occasion de "Paris en Toutes lettres", au Centquatre à Paris - 7 mai 2011 - Erri de Luca -La Fabbrica dell'ombra - Dove Erri de Luca, dopo la proiezione del film di Robert Bober: "A Mi-Mots : Erri de Luca", parla della sua storia con Napoli, degli alberi che fabbricano dell'ombra, della superficie, della profondità e di Hofmannsthal, della compagnia dei libri, della scrittura e della lettura, delle lingue, del Greco e del Latino, del Francese, del Inglese e di Harry de Luca, del Ebraico antico e del Yiddish, di Israele Joshua Singe e del Russo, in occasione di "Paris en Toutes Lettres", al Centquatre a Parigi - 7 maggio 2011
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