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Citations de Jacques Josse (55)


Le poète Celan....

c'était aussi se lancer à la rencontre des voix secrètes de quelques poètes qu'il vénérait et dont les oeuvres m'étaient inconnues. Certains d'entre eux, Ossip Mandelstam, Anna Akhmatova, Marie Tsetaeva, l'avaient précédé sur de semblables chemins périlleux. Ils les mentionnait discrètement. Les citait en exergue ou inscrivait leur nom dans un poème. Tous tentaient, à son image, de détecter dans leur incessante et rude recherche en poésie un point d'équilibre capable de les faire tenir debout. (p.55)
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Il s’en veut, tire sur sa cigarette, essaie de rester calme, accepte mal d’être devenu cet homme vieillissant qui vient de basculer dans l’un de ces trous désaffectés qu’il parvenait auparavant à éviter. Sous ses pieds, le sol est spongieux. Il cherche une pierre ou une branche où s’agripper mais tout autour les parois de terre friable s’effritent dès qu’il s’y accroche. En haut, les corbeaux assistent à sa déconvenue et changent de peuplier en croassant fort. Ils en appellent d’autres qui rappliquent en nombre. Il regrette de ne pas avoir emporté son fusil. Il en aurait fait taire quelques-uns. Quand il était jeune, il aimait grimper aux arbres pour dénicher leur nid et gober les œufs mouchetés qui s’y trouvaient. Il faisait un vœu à chaque fois qu’il en avalait un.
Il a toujours éprouvé des sentiments mitigés vis-à-vis de ces grands oiseaux. Il ne déteste pas leur dégaine de rapaces repus qui se dandinent dans les champs fraîchement ensemencés. Il est impressionné par le radar intérieur qui leur permet de s’éjecter au dernier moment, et toujours du bon côté, dès qu’une voiture vient perturber leur banquet improvisé au bord des routes. Il les a souvent repérés en train de nettoyer des carcasses de lapins. Les a surpris tournoyant autour des silos à grains. Les a observés qui volaient en rase-mottes à la sortie des cours de fermes en escortant le camion de l’équarrisseur. Il a hésité à en dégommer un qui faisait le guet, un soir de brume, juché sur l’antenne télé d’une maison où l’on attendait qu’un moribond passe. D’autres images encombrent sa tête, toutes venues de ces automnes pluvieux qui broient ses os tandis qu’il essaie de s’extraire avec lenteur du trou poreux. Une force inconnue le tire vers le bas. Ses doigts rabougris ne lui sont d’aucun secours. Il a envie de hurler mais sa voix chevrotante ne porte presque plus. Là-haut, les oiseaux perchés se penchent et le regardent s’enfoncer. Ils émettent des sons rauques et brefs, comme s’ils cassaient du bois sec. En réalité, ils discutent entre eux. Ne se moquent pas. Se demandent simplement si le type à casquette qui s’est bêtement laissé piéger va réussir à s’en sortir. S’il va enfin se décider, lui qui ne parvient pas à saisir le moindre mot issu de la langue corbeau, à baisser les yeux pour découvrir le bel enchevêtrement de racines qu’ils ne cessent de pointer du bec et qui affleure à hauteur de son tibia gauche. Pour l’instant, il n’a toujours pas remarqué ce point d’appui qui lui sauverait la mise. Une buse, posée sur un piquet de clôture, le fixe également. La jeune renarde, qui serre une poule faisane dans sa gueule et qui s’est arrêtée en haut du talus, en fait autant. Tous l’observent et espèrent que le dénouement interviendra avant la tombée de la nuit. (« En mauvaise posture »)
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Elle [la mort] apprécie les départs incognito, ceux que couvre
la nuit noire,  souvent par temps de chien, dans la pluie et le
vent, sur des routes que personne, ou presque, n’emprunte.
Il se peut qu’un conducteur égaré,   par miracle, s’en sorte.
L’histoire qu’il raconte alors aux buveurs accoudés dans l’un
de ces bouges clandestins où on l’a laissé entrer, en décou-
vrant, collée derrière la vitre,  sa trogne effarée, est identi-
que à celles  que murmurent tous ceux qui l’ont précédés,
circulant de par le monde, en pilotage automatique,  dans
des territoires où les intersignes aiment tant semer le trou-
ble.
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Entre le bistrot et la mer, il y a le cimetière. C’est par là qu’il coupe pour venir, traversant à pas lents le vaste champ de croix où chaque nom inscrit sur le marbre lui rappelle une rencontre assez précise. Il resitue visage, timbre, intonation, démarche et silhouette du gisant en une seconde. Y greffe parfois les circonstances du trépas. Et s’autorise quelques familiarités. Ainsi, on l’entend interpeller sèchement certains locataires, surtout ceux, gens de mer, qui logent côté nord, exposés aux rafales et contraints d’écouter l’océan déverser à perpétuité ses gueulantes entre coups de boutoir et quintes chargées d’écume. Marquier, qui fut son voisin, et qui a piteusement chaviré un jour de juin avec sa plate dans l’avant-port, en fait partie. Il ne passe pas une seule fois devant la tombe, sur laquelle figure, après les dates (1936-1985), la courte et fausse mention « Mort en mer », sans le relancer, sans le tancer, sans le piquer.
« Hé, Marquier, ta plate, ce jour-là, elle n’était pas moins chargée de poissons que toi de vin lourd, par hasard ? »
Il se redresse. Se fige. Ici gît l’homme gonflé. Celui dont tous les orifices se sont remplis d’eau en moins d’une minute. Il interroge, hoche la tête, s’emporte.
« Et puis merde, ta gueule ! » finit-il par répliquer à l’autre, qui a dû, en sous-sol, tenter de justifier sa débandade de marin aguerri coulant à pic par temps calme en prononçant quelques mots extraits de cette étrange langue des morts que lui, le Capitaine, semble dompter et comprendre…
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La lune froide et livide apparaît vers dix heures du soir. Elle brille là-haut mais également à ras de terre, dans les crevasses où elle flotte au creux des flaques que le vent d’ouest fait frissonner, à vingt mètres à peine du hublot derrière lequel il assure son quart, l’œil collé derrière la vitre du hangar à bateau. Il y passe ses nuits. Y répare sa vie. Cela dure des heures. Après, il sombre dans un sommeil de plomb.
Il est rentré de l’auberge en traversant le quai à grandes enjambées. N’en pouvait plus des mièvreries déversées autour de la table par la clique des artistes de Montmartre adeptes des bains de mer. Ils avaient investi le lieu, parlaient fort et s’adressaient au patron comme s’il était leur obligé. S’il avait bu deux ou trois verres de plus, il les aurait sans doute insultés, d’autant que certains commençaient à se donner des coups de coude en se moquant de sa maigreur, de son visage émacié et de sa barbe mal taillée. Il avait préféré filer en douce et laisser monter d’un cran son feu intérieur pour exprimer sa rage plus tard et autrement. Avec de l’encre, du papier, des mots, des tirets et des vers taillés au couteau. Il a les poumons en charpie mais possède encore assez de souffle en réserve pour tenir le rythme rude et endiablé qu’impose le poème.
Il observe les cratères gris de l’astre renversé en caressant le bois de son cotre. Le charpentier de marine qui l’a construit a son atelier sur le vieux port. Il espère bientôt prendre la mer avec, tenir la barre du frêle esquif d’une main ferme. Il se prépare tous les jours, se muscle les bras, soulève des pierres, monte à la corde qu’il a accrochée à la poutre. Ensuite, il s’assoit à bord et consulte des tas de cartes. Sans doute repartira-t-il en Italie, non plus par le train, comme il le fit naguère en compagnie du peintre Jean-Louis Hamon, mais seul, en s’élançant d’ici, pour descendre la côte Atlantique et franchir le détroit de Gibraltar en pénétrant dans des eaux plus calmes que celles qu’il aura auparavant dû affronter en se lançant à l’assaut du golfe de Gascogne et de ses rouleaux d’écume. Il descendra à l’hôtel Pagano à Capri. La jeune Graziella ne sera probablement plus présente à l’accueil. Et si elle l’était, elle ne voudrait sans doute plus l’accompagner dans sa chambre.
Il a vieilli. Il aura bientôt trente ans. Son nez s’est allongé. Ses cheveux tombent. Ses dents se déchaussent. Son corps est secoué par de fréquentes quintes de toux. Il se dit que l’air iodé du large, allié aux bourrasques venues d’Irlande ou d’Écosse, nettoieront peut-être, le moment venu, ses bronches encalminées. Leur mauvais état le perturbe salement, le travaille jusque dans ses rêves. La nuit dernière, alors qu’il dormait allongé dans le cotre, il a vu la Mort monter à bord. Elle s’est approchée de lui. Lui a tapoté la cage thoracique. Ça sonnait creux sous ses doigts secs. Quand il s’est réveillé en sursaut, qu’il a ouvert les yeux et battu l’air avec ses bras avant de se toucher la poitrine et le ventre, ne sentant que ses côtes saillantes, elle avait déjà décampé. Il n’a pas pu se rendormir. Est resté inerte, mal en point sur sa couche. À écouter le ronflement des vagues qui attaquaient les pierres de la digue en provoquant un boucan d’enfer. Des voix fortes résonnaient dans la tempête. La Mort devait être sur le port, en train de sautiller autour des chalutiers en attendant qu’un marin tombe à l’eau.
(« En cale sèche »)
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Sa voiture repose sur cales au fond du hangar. Il s'assoit au volant et y passe deux, trois heures chaque jour. Il fume avec lenteur. Aspire de longues bouffées qu'il fait descendre dans ses poumons. Il ferme les yeux. Inhale, rêve, s'assoupit. Son chien, installé à la place du mort, lui tient compagnie. Il jappe et essaie parfois de coincer sa truffe entre le torse et le coude droit de l'homme qui observe le haut du tas de paille. Il lui arrive de transpercer ce mur de bottes compactes en pensée pour deviner au loin des parcelles de blé doré qui craquent au soleil.
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Mais celui qu’elle remet le plus volontiers en scène et en selle, pour quelques minutes, juste avant de prendre congé, c’est Tom Simpson, ce champion dégingandé qui essaie toujours de renouer les fils d’un tour de France, millésime 1967, qu’il n’a pas encore, il s’en faut de quelques lacets, tout à fait terminé. Elle le regarde. Il vacille sous le cagnard. Les caméras de la télévision s’approchent. On filme son agonie en direct. Il a la bouche sèche et les paupières lourdes. Il a des étoiles et des amphétamines plein le cœur et la tête. Il tombe. Se relève. Retombe à nouveau. Il respire à peine. Ses muscles se tendent. Son corps tressaute. On l’allonge sur les cailloux. On relève la visière de sa casquette Peugeot. Il a les pupilles très dilatées. Ne voit plus grand chose. Son histoire d’homme en carafe va, on le sent, s’arrêter là. Au bord de la route. À deux kilomètres du sommet.
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Ils peuvent maintenant se regarder dans les yeux. Se détendre. Se remettre à parler. Plusieurs restent debout, d'autres préfèrent s'attabler et d'autres encore s'accouder au comptoir. Ils ont tenu à rendre hommage au patron en se rassemblant dans l'estaminet coloré qu'il avait su rendre si chaleureux. Ils y ont établi leur chapelle ardente. Le lieu est chargé d'histoire et l'intérieur propice au recueillement avec ses guirlandes tressées d'ampoules multicolores disposées au-dessus des fenêtres, ses spots bleus aux murs, sa lumière tamisée au plafond, ses tables en bois sculptées au couteau par un tas d'anonymes qui y ont gravé initiales, dessins ou hiéroglyphes indéchiffrables et ses étagères portants verres et bouteilles alignées en fond de bar. L'endroit a des allures de pub.
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Ils roulaient à vitesse folle, dopés par des syntaxes hors-norme, étirant leurs paragraphes, leur injectant de l'iode et de l'écume, les confiant aux bras des vents porteurs et à la fougue de l'océan. (p.87)
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Elle nous donne encore ceci :
le jeu des genoux pris
entre les coudes de l'innocence.
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il oublie tout de l'odeur
des belles digitales
en déshabillés roses
& du bruit d'une voiture
qui meurt au ralentis
dans les ajoncs
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P58: La mort erre dans les parrages. Elle tire la langue. À coup sûr, elle cherche un raccourci pour le prendre de vitesse. Elle progresse à distance. Il croit entendre son pas ferré qui escamote la terre du sentier. Il la sait capable de feindre. Capable d'inaugurer les cloches à toute heure. D'empoigner la corde, de sonner midi à sa convenance, d'egrener, en grappes mauves et rouges, des averses d'angelus entrecoupés de glas par secousses....
Aucune honte, jamais, n'ebranlera l'aplomb de l'invisible mielleuse...
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P32 : Rousseau ne se relèvera plus. Aucune femme brune, ni à Buenos Aires ni à Valparaiso, ne se souviendra de lui. Il a beau avoir fait l'amour à la mer entière, il a beau avoir râlé dans des ventres pour solitudes en transit, n'hésitant pas à coucher ses cent trente kilos sur le corps de très jeunes femmes, dans des chambres minables où seuls un lit, un lavabo, une cuvette, un savon, un gant de toilette et une serviette usagée meublaient le décor, il a beau avoir hoqueté de plaisir, ne pesant pas plus que le poids d'un rossignol quand il laissait jaillir sa semence en une seule fois, submergeant d'une chaude déferlante l'huis onctueux d'une imperturbable inconnue, rien n'y fera, rien n'arrêtera l'inexorable venue blanche de celle qui bloquera, d'un coup sec, les aiguilles de son horloge intérieure.
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P21: Ils avaient bu, trouvé des femmes adéquates, des blondes fortes, ajustées debout dans un cul-de-sac, entre le mur et le caniveau, côte à côte sous la pluie, leurs lèvres de lait entrouvertes pour l'un, pour l'autre.... Ils avaient partagé, échangé, et plus tard s'étaient éclipsés, la queue flasque, cent sacs en moins dans les poches mais avec au ventre la mélodie bleutée d'une fin d'abstinence rondement menée.
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Il nous amenait parfois nous recueillir sur sa tombe au cimetière. Nous restions plantés devant. Il nous expliquait qu’il était couché sous le marbre, protégé par du bon chêne, habillé en costume de capitaine et coiffé d’une casquette galonnée, écoutant sans doute, les soirs de tempête, l’océan et ses chiens fous hurler en cognant falaises et côtes fissurées. L’intense boucan nocturne, amplifié en s’engouffrant dans les invisibles galeries souterraines qui traversaient landes et villages pour venir gronder jusqu’ici, devait, murmurait-il, le ramener vers quelques épisodes mouvementés de sa vie à bord.
Il sortait son paquet de tabac, tassait deux, trois pincées au creux d’une fine feuille de papier qu’il roulait en une seconde avant d’actionner son briquet-tempête pour en griller une en l’honneur du bouffeur d’écume qui fut également, nous confiait-il, bien qu’asthmatique, l’un des plus fameux fumeurs du canton.
Il pensait tout haut. Pour lui, les morts ne l’étaient pas tout à fait. Il y avait dans l’enclos, au-dessus duquel tournoyaient des nuées de mouettes, de nombreux marins qui nous escortaient. Ils entendaient nos pas crisser sur les graviers. Aux disparus du dessous se joignaient les défunts pailletés de mystère, ces hommes qui ne gisaient pas dans les tombes. Leurs noms figuraient sur la pierre mais leurs corps, ensevelis sous les vagues, dérivaient pour l’instant dans d’invisibles bas-fonds.
« Eux, ils sont là et pas là », avançait-il en aspirant une longue bouffée. Il levait les yeux vers le ciel laiteux, juste derrière le clocher, en ajoutant qu’il n’était sûr de rien.
Je crois qu’il n’était pas loin de penser, porté par son esprit baladeur, que ces marins perdus s’assemblaient pour former des flottilles en mers lointaines. Il les voyait peut-être naviguer logés dans des cercueils à une place qui ressemblaient à de petites barques conçues pour effectuer de longs voyages, sans retour possible. Pour lui, les péris croisaient au large, dérivant à leur guise, revisitant des lieux qui leur étaient chers tandis que nous étions, nous les rêveurs de tombes, les heureux détenteurs des liens qui leur permettaient d’être simultanément présents en divers points du globe.
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Au fil des ans, le lien qui s’était discrètement tissé entre nous n’a cessé de s’affermir. Il s’est nourri de faits subtils, graves ou anodins, de moments de bonheur et de drames sans nom. Il s’est étoffé en courant sur plus d’un demi-siècle. Il doit beaucoup à nos lectures, à nos solitudes, à nos dialogues et à nos silences. Il s’est peu à peu immiscé dans les méandres de nos mémoires respectives.
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C’est Lucien, le cafetier, qui me confia, des années plus tard, comment se terminaient ces soirées épiques. Tilly, après s’être chauffé, échauffé pendant des heures, se mettant en scène en jouant son propre rôle près du zinc, faisant mine de suer à grosses gouttes dans la torpeur moite de l’océan Indien ou de grelotter au passage du cap Horn, égrenant des noms de ports, sautillant de Hambourg à Maracaibo, de Gênes à Izmir ou de Rotterdam à Valparaiso, s’époumonant en courant de la salle des machines à la passerelle, multipliant les anecdotes, imitant les voix des gens d’Afrique ou de Chine, décrivant des côtes dentelées, des rizières, des terminaux parsemés de grues, des torchères jaillissant dans la nuit, revisitant quelques bordels au hasard, ne lésinant pas – gestes à l’appui – sur ses prouesses sexuelles, se rappelant même les prénoms, les parfums, les mensurations de certaines femmes, Tilly, l’intarissable, porté par ses cavalcades verbales, devenait subitement muet. Il s’arrêtait en plein milieu d’une phrase, se balançait d’avant en arrière, écartait ses bras, chancelait et s’agrippait au comptoir. Il clignait des paupières. On aurait dit qu’il souffrait d’un mal de mer carabiné. Ses yeux devenaient vides. Il regardait droit devant lui. Fixait les rangées de bouteilles alignées derrière le bar. S’absentait totalement. Le colosse ne savait plus où il se trouvait. Il dodelinait de la tête. Quelques buveurs le retenaient pour qu’il ne s’effondre pas.
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La mort marque au secret, dans un carnet illisible, un agenda vieux de plus d’un siècle, quelques-unes des injustices que d’autres lui refilent. Elle note les itinéraires, trajectoires et transversales nord-sud qu’elle aime dessiner quand elle s’arrête, peu avant l’aube, pour faire le point et cocher sur ses cartes l’endroit exact où tel ou tel parcours terrestre a été brusquement stoppé. Elle pioche au hasard et s’aperçoit qu’à tel ou tel endroit s’est effacé un être qui avait encore beaucoup à dire. Le choc a souvent lieu sans vrais témoins. Seules les bêtes sauvages et les voisins qui se trouvent dehors ou sur le seuil des maisons l’entendent. Il est d’ordinaire d’une rare violence, accompagné de crissements de pneus, d’éclats de pare-brise et des bruits stridents de la ferraille réduite en un amas de tôle venue se fracasser contre un muret, un arceau de pont, un platane, un cerf, un chevreuil, un sanglier. S’ensuit un grand silence. Durant lequel elle se recueille, immobile, ne perdant pas le moindre détail d’une scène d’accident qui se fiche dans sa mémoire avant de se déplacer vers celle de ceux qui vont devoir inventer ce qu’ils n’ont pas vu. Quand elle quitte la zone – bien avant que ne s’enclenche la ronde des premiers secours, des sirènes et des gyrophares – c’est en se promettant d’y revenir par la pensée. Il lui suffira, le moment venu, de fouiller dans ses archives. De relier au présent, outre des visages et des paysages, ces folles embardées qui ont scellé, en une fraction de seconde, le sort de personnages plus ou moins célèbres. Ces destins tragiques sont consignés sur des fiches dont certaines dorment dans une boîte qu’elle garde ouverte en permanence.
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"Je pile toujours au même endroit, juste au bord du vide, près du dernier pin parasol. J'écoute Jim Morrison ou Leonard Cohen et fume un joint en fixant le faisceau lumineux du phare des Roches Douvres. Ca me calme. Là-haut, je ne pense à rien. Je carbure au bleu. La mer me rentre dedans. Et puis je remets le contact, enclenche machinalement la marche arrière et me barre. Je pense que c'est celle qui m'empêche de faire le con", lance-t-il en touchant sa patte de lapin.
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Le mont Ventoux, département du Vaucluse, 13 juillet 2000. Peu après le chalet Reynard, le paysage devient subitement blanc, rude et aride. Il n'y a plus la moindre végétation. C'est dans ce décor extrême, presque lunaire, que Tom Simpson a rendu son dernier souffle en 1967. Les coureurs qui montent à l'assaut de ces lacets taillés dans le calcaire en progressant entre les éboulis de caillasse ne peuvent dissimuler leur souffrance. Leur visage en porte les stigmates. Celui de Marco est tendu.
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