Citations de Jean-Claude Kaufmann (187)
Qui ne rêve, n’a jamais rêvé d’amour ? Qui oserait critiquer ou rejeter ce sentiment à nul autre pareil ? Dans notre société sans boussole, où chacun s’interroge sur le sens de sa vie, l’amour plus que jamais est l’idéal, au monde, le mieux partagé. Doux ou brûlant, rassurant ou frénétique, il est l’enveloppement émotionnel et l’ouverture à l’autre qui nous sauvent de la sécheresse égotiste de la modernité.
On rêve que le couple soit un cocon qui protège ... et en même temps, on redoute de s'y perdre, on voudrait pouvoir rester un individu avec une pensée autonome et libre ! Autre contradiction fréquente, l'individu-roi ne peut s'empêcher d'évaluer ce qui lui arrive, de tester son partenaire, et il s'entend répéter en permanence : "tu dois être le propriétaire de ta vie, tu dois tout réussir." Il en conclut donc que si sa vie à deux n'est pas satisfaisante, il lui faut mettre un terme à cette relation ... alors même qu'il y tient. Comme le couple est traversé par des désirs contradictoires, il faut trouver un juste équilibre entre envie de douceur protectrice et d'autonomie. Ce que font la plupart des couples, qui passent sans cesse de l'une à l'autre. Etre en couple est devenu un art.
Le développement régulier du nombre des célibataires à travers le monde montre d'ailleurs que le couple à long terme est sérieusement remis en cause.
Et pourtant il résiste. Parfois, par simple habitude, par paresse, par peur de l'aventure, on se raccroche à l'autre parce que la vie est froide et dure au dehors.
(p.163)
Se retirer du monde, ralentir, se reposer, faire le vide; tous ces désires existentiels ne cessent de monter inexorablement comme une vague immense qui nous entraîne quels que soient les efforts que nous fassions pour y résister. Contrepoison aux maladies de la modernité tardive. La lenteur n'est pas le vide, la mollesse n'est pas le retrait; tous ces ingrédients spécifiques s'articulent malgré tout dans un mouvement d'ensemble qui fait sens, fluctuant, informel, mais cohérent. Le plus important à mon avis est de prendre la mesure de cette vague, et de saisir les bouleversements qu'elle annonce; c'est ce qui est au centre de ce livre.
6. « [cit. de Jean-Claude Guillebaud, La Tyrannie du plaisir, (1998):] "Un extraordinaire tapage sexuel colonise aujourd'hui jusqu'au moindre recoin de la modernité démocratique. Plaisir promis ou exhibé, liberté affichée, préférences décrites, performances mesurées ou procédures enseignées à tout va : aucune société avant la nôtre n'avait consacré au plaisir autant d'éloquence discursive, aucune n'avait réservé à la sexualité une place aussi prépondérante dans ses propos, ses images et ses créations […] Le contenu proclame une liberté quand la surabondance signale un désarroi ; le message célèbre un triomphe, mais le trop-plein de mots trahit une inquiétude."
[…]
Le principe émancipateur trouve ses limites quand, par un retournement insidieux, il se convertit en norme hégémonique produisant à son tour un système de contraintes, des injonctions, des souffrances. […] Plus la fable de l'épanouissement remplit les colonnes et envahit les écrans, plus les femmes culpabilisent individuellement et se posent la question de leur normalité tandis que le désir décline dans la trajectoire conjugale. » (pp. 204-206)
(p. 69)
Le silence dont nous allons parler maintenant s’articule à la volonté de consentir malgré tout, malgré le manque d’envie, la lassitude. C’est un silence d’ auto-conviction, qui s’exprime en pensées très confuses et contradictoires. Le désir s’est enfui. Des petits bouts de mots peuvent sortir au début, impromptus, à peine audibles: « of », « pas trop envie », « fatiguée ». Mais, dès que la réflexion se met en marche de manière plus active, toute une série d’arguments traversent l’esprit et incitent à refouler l’expression du refus. Silence.
L'existence n'est pas quelque chose qui nous est simplement donné, de l'extérieur. De plus en plus, c'est par le récit de soi élaboré à partir de ce que nous sommes en train de vivre que nous lui donnons un sens et que nous définissons notre trajectoire future.
Pour les choses de la maison , l'homme passait du jour au lendemain d'une femme à l'autre, de sa mère à son épouse.
La définition de la saleté est une construction sociale.
p.18
Le couple se trouve en plus au centre d ’un certain
nombre de contradictions, qui par nature, vont être
sources de frustrations...
A la différence des identités virtuelles, les sois possibles ne sont pas le seul fruit de l’imagination. L’expérience personnelle, le contexte social et les réactions d’autrui sont pris en compte. Ils représentent une sorte de sélection des identités virtuelles concrètement réalisables dans une situation donnée.
"Entre un couple où tout va bien, ou presque, et une rupture ouverte, où chacun crie sa colère et sa version des choses, existe assez fréquemment un entre-deux qui peut durer longtemps, marqué par une perte du sentiment, un mal-être des deux partenaires, alliés à une grande difficulté à communiquer ainsi qu'à prendre des décisions. Se forme alors une sorte de piège conjugal, d'autant plus pénible à vivre qu'il est insaisissable. C'est lui qui est au coeur de ce livre." p. 121
Le rêve prend alors la forme d'une image très concréte: le bras. il manque un bras réconfortant, des bras forts dans lesquels se pelotonner.
Rompre exige du courage, de l’énergie, de la volonté, il faut briser le cours de la vie, mettre à mort non seulement le couple, mais aussi la personne que l’on a été jusque-là, pour renaître dans une nouvelle identité, incertaine.
Les spécialistes de la vieillesse parlent de « déprise » pour qualifier le décrochage graduel qui transforme la vie en non-vie avant même que la mort ne survienne. La télé, par exemple, est encore regardée, mais sans être vraiment vue ni entendue, même si le son est au maximum. Ce qui se passe dans le couple est un mécanisme identique : une déprise conjugale qui fait plonger dans une vie ralentie, anesthésiée. Il suffit que l’un commence mystérieusement à décrocher pour qu’il entraîne l’autre au fond du gouffre. Parfois sans un cri, sans un mot.
C'est sans doute pour cela que j'ai du mal à rire avec les rieurs, l'humour n'est pas mon fort, et le noir me va bien. J'ai une aptitude à sentir la souffrance,surtout quand elle se cache.
la vie elle-même peut n'être rien d'autre que ce cadre, un maillage serré d'injonctions et de gestes évitant d'avoir à se poser trop de questions.
Le monde est né de l'idée du propre ; le premier apprentissage de l'enfant est celui de la propreté ; le geste quotidiennement refondateur de la civilisation consiste à se laver et à ranger.
Si les gestes de la révolte ménagère sont si souvent cités et mis en avant, c’est qu’ils occupent une place symbolique essentielle. Plus que leur fréquence, l’important est qu’ils puissent exister.
Le passé aussi lourd et collant à la peau, soit-il, n'est qu'une ressource. L'erreur est de croire qu'il puisse dire qui l'on est. Il ne signale que des traces.