Jean Frémonle Miroir magique éditions P.O.L : où
Jean Frémon tente de de quoi et comment est composé son livre "
Le Miroir magique" et où il question notamment du portrait et de l'autoportrait, du modèle et du peintre, de Rembrandt et de van Gogh, de
David Hockney et
Jean Dubuffet, de
Victor Hugo et de
Robert Musil, de ressemblance et de différence, des portraits peints et des portraits écrits, de Bram Velde et des portraits du Fayoum, quelques mois après la parution du livre "
Le Miroir magique" aux éditions P.O.L, à
Paris le 2 juin 2021
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Sans pain, l’homme meurt de faim, mais sans art, il meurt d’ennui.
Ces « Théâtres de mémoire » visent à figurer – ou plutôt à évoquer – cette forme cacophonique dans laquelle nos perceptions et nos souvenirs surgissent pêle-mêle dans le théâtre de notre pensée. Il s'y agit donc de regrouper dans un tableau des scènes et événements appartenant à des lieux différents et à des moments différents (et dans des humeurs différentes) comme cela se passe dans notre mémoire.
Lettre au journaliste turc Ferit Edgü, 3 février 1979, citée dans le catalogue de l'exposition Dubuffet les dernières années (Jeu de Paume, 1991)
Le vrai art est toujours là où on ne l'attend pas.Là où personne ne pense à lui, ni ne prononce son nom. L'art déteste être reconnu et salué par son nom,
il se sauve aussitôt.
Les esprits épris de clarté sont sans doute mis mal à l'aise par le parti qui est pris dans ces tableaux de figurations peu particularisées, en telle manière qu'on est embarrassé à y reconnaître des objets bien nommables, et qu'on est incertain s'il s'y trouve évoqué un fait ou un autre, les références y apparaissant constamment équivoques, et font défaut les repères que procure dans les peintures habituelles la mise en place des objets dans l'ordre requis par la perspective.
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C’est librement consenti que l’ordre est le plus débilitant. Le libre consenti est la nouvelle arme des nouveaux empires, ingénieuse formule, et plus opérante que n’était le bâton, de l’ultima ratio regum.
…
C’est en notre temps de liberté de la presse que celle-ci, avec plus d’empressement qu’elle n’en eut jamais, s’est faite si unanimement la servile auxiliaire des forces de l’ordre.
Les professeurs sont des écoliers prolongés, des écoliers qui, terminé leur temps de collège, sont sortis de l'école par une porte pour y rentrer par l'autre, comme les militaires qui rengagent. Ce sont des écoliers ceux qui, au lieu d'aspirer à une activité d'adulte, c'est-à-dire créative, se sont cramponnés à la position d'écolier, c'est-à-dire passivement réceptrice en figure d'éponge. L'humeur créatrice est aussi opposée que possible à a position de professeur. Il y a plus de parenté entre la création (dans les plus communs domaines, de commerce, d'artisanat ou de n'importe quel travail manuel ou autre) qu'il n'y en a de la création à l'attitude purement homologatrice du professeur, lequel est pr définition celui qui n'est animé d'aucun goût créatif et doit donner sa louange indifféremment à tout ce qui, dans les longs développements du passé, a prévalu. Le professeur est le répertorieur, l'homologueur et le confirmeur du prévaloir, où et en quel temps que ce prévaloir ait eu lieu.
La pensée culturelle a pour tous les domaines position de spectatrice, non d'actrice; elle ne considère au lieu de forces, que des formes; au lieu de mouvements, que des objets; au lieu de démarches et trajectoires, que des résidences. Éprise de comparer toutes choses et pour cela les mesurer, éprise capitalement de donner des valeurs et classer ces valeurs, elle ne peut opérer que sur des objets concrets et tangibles, de mesures stables. Le vent ne lui offre pas de prise; elle n'a pas de balances pour peser le vent, elle peut simplement peser le sable qu'il apporte. De l'art la culture n'a guère de connaissance, sinon par le truchement des oeuvres d'art, qui sont bien autre chose, qui portent l'affaire sur un terrain qui n'est plus celui de l'art, justement comme le sable par rapport au vent. Par quoi elle vient à fausser la création d'art elle-même, laquelle en effet vient à se dénaturer, à contrefaire sa fonction naturelle de vent pour adopter celle d'apporteuse de sable. Les artistes, pour s'aligner sur la culture, ont changé leur activité, de souffleurs de vent, en amonceleurs de sable. D'aucuns affirment qu'abolie la culture il n'y aura plus d'art. C'est gravement erroné. L'art, il est vrai, n'aura plus de nom; c'est la notion d'art qui sera révolue, et non pas l'art, lequel de n'être plus nommé, reprendra vie saine. Cessera alors la réfraction dont il est l'objet au moment qu'il paraît aux regards de la culture; cessera le mécanisme de dénaturation qui s'en trouve provoqué par le fait qu'il est impossible d'empêcher que la production d'art s'aligne sur cette réfraction, opère à sa destination, se constitue son pourvoyeur et contrefasse par là dès sa source même sa vraie spontanée impulsion.
Entraîner avec force l'esprit hors des sillons où il chemine habituellement, l'emporter dans un monde où cessent de jouer les mécanismes des habitudes, où les taies des habitudes se déchirent, et de manière que tout apparaît chargé de significations nouvelles, fourmillant d'échos, de résonances, d'harmoniques, là est l'action de l'oeuvre d'art. Commotionnés par ce choc reçu, hérissés par ce dépaysement comme un porc-épic attaqué qui dresse toutes ses épines, toutes les facultés de l'esprit s'éveillent, toutes ses cloches se mettent à sonner.
L'attention tue ce qu'elle touche. C'est une erreur de croire qu'à regarder les choses attentivement vous allez les connaître mieux. Car le regard file, comme le ver à soie, si bien qu'en un instant il s'enveloppe d'un cocon opaque qui vous prive de toute vue. C'est pourquoi les peintres qui écarquillent les yeux devant leur modèle n'en captent plus rien du tout.
(Apercevoir, 23 mars 1958)
Le vrai art, il est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L'art, il déteste d'être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L'art est un personnage passionnément épris d'incognito. Sitôt qu'on le décèle, il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c'est marqué « Art », que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez.