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Critiques de Jean-Luc Lagarce (98)
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Juste la fin du monde

Louis revient dans sa famille, qu'il n'a vu depuis 10 ans. Il revient leur annoncer qu'il va mourir... Mais rien ne se passe comme il l'aurait souhaité. Chacun lâche ce qu'il a sur le cœur depuis tant d'années...

La langue est ciselée, chaque phrase ou presque est remaniée pour dire les sentiments le plus justement possible, créant un effet hypnotique. Les personnages parlent, mais ne s'adressent pas aux autres, ils soliloquent pour enfin se vider le cœur. L'impossibilité pour Louis d'annoncer sa mort prochaine le fait se sentir encore plus étranger à sa famille, plus qu'il ne l'était avant de la quitter. Beaucoup de souffrances et de rancœur, mais aussi, malgré la maladresse, de l'amour.
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Juste la fin du monde

Les dernières pièces de théâtre que j’ai lu doivent remonter à mes années collèges. Je ne sais même plus, depuis ces lustres ancestraux, son auteur, un type qui se faisait prénommer Molière ou Corneille, peu importe, pas de nom, juste un prénom, comme les rappeurs de notre temps…



Alors, je me suis dit, avant d’annoncer ma mort imminente – à moins qu’intérieurement elle soit déjà survenue, il fallait que je me remette au théâtre, par choix, par goût et non plus par obligation. Et du coup, pas n’importe quel texte. Il fallait quelque chose qui me transcende, la dernière pièce de théâtre, le dernier acte d’une vie. Celle qui servira de testament ou de chronique posthume car demain sera juste la fin du monde.



J’adore Xavier Dolan, même si j’ai une nette préférence pour ses films dans sa langue natale, et c’est avec beaucoup de plaisir (encore plus qu’à sa sortie en salle) que je me suis replongé dans la campagne française avec Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye, adaptation cinématographique d’une pièce de Jean-Luc Lagarce. Il fallait que je jette mon dévolu sur ce texte et ô combien que j’ai apprécié ce plaisir, presqu’autant qu’une bonne broue aux saveurs locales d’outre-Atlantique. Merci Xavier de m’avoir permis de m’aventurer hors de mes prairies habituelles où l’herbe aromatisée à la vodka est si verte…



Bref, juste la fin du monde m’a enchanté. Bien sûr, je revoyais exactement les personnages du film et les images me venaient ainsi naturellement, ce qui ne diminue pas l’écriture de Lagarce. Juste la fin du monde, c’est juste un texte magnifique d’un pauvre type qui veut annoncer à ses « proches » éloignés depuis quelques années sa mort, ce qui après tout n'est pas la fin du monde. Et c’est beau, subtil, émouvant, cette difficulté à communiquer, il y a des types comme ça…
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Les règles du savoir-vivre dans la société mode..

Quelle parodie ! Le dramaturge français Jean-Luc Lagarce livre en 1994 cet étrange seul en scène, inspiré d’un très sérieux guide de savoir-vire de la Baronne…Staffe (eh non..c’était pas Nadine). On se souvient de d’autres détournements célèbres, comme le licencieux “Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d’éducation" de Pierre Louÿs. L’auteur de “Juste la fin du monde”, adapté par Xavier Dolan au cinéma, n’est donc pas le premier à brocarder l’arbitraire étriqué des moeurs bourgeoises.



S’inspirant de passages entiers de ces règles du savoir-vivre dans la société moderne publié en 1884, Lagarce ajoute subtilement au texte, sans jamais le dénaturer, mais en le plombant d’un recul délicieusement ironique, car ironie et rien d’autre.



Lagarce jette ainsi aux chardons jusque dans leurs moindres réflexes des institutions aussi nobles que les dragées du baptême, la couleur des fleurs de la robe de fiançailles ou encore la danse appropriée pour ouvrir le bal d’un anniversaire de mariage. Ce prêt-à-penser, car prêt-à-penser et pas autre chose, celui que l’on enseigne au marié, à la mariée, à ses parents ou n’importe qui etc que ferions nous sans lui ? Retrouverions nous une forme de liberté de rite et de réflexion sur ces temps qui rythment nos liens & nos vies.



Cette rigidité, incapable de masquer les failles criantes de l’absurde, est un terroir fertile pour Lagarce, le philosophe danois Soren Kierkegaard écrivait déjà au XIXe siècle “que le sérieux se loge à telles enseignes l’ironie le découvre et y trouve de quoi faire car toujours devenir sérieux hors de propos est comique.” Mais ce que l’auteur a aussi voulu mettre en perspective avec la société de notre temps c’est “le refus du sentiment”, peut-être par crainte car, ajoute-t-il, “si on laisse parler notre rapport aux autres on laisse parler sa propre nature.”



Lagarce écrit ce monologue “sur un rythme, une respiration, c’est une parole, un travail pour la respiration d’une comédienne”… et pourquoi pas celle de Catherine Hiegel qui redonne dernièrement sur scène toute sa mordante acuité au texte de Lagarce !



Qu’en pensez vous ?
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Du luxe et de l'impuissance et autres textes

C'est un livre très court (56 pages utiles, i.e. sans bibliographie et table des matière), mais très dense que nous proposent les éditions « Les Solitaires Intempestifs » dans la collection « Du désavantage du vent ».



Les Éditions « Les Solitaires Intempestifs » ont été créées en 1992 par Jean-Luc Lagarce lui-même et François Berreur « au sein du Théâtre de la Roulotte, compagnie de Jean-Luc Lagarce, pour publier un jeune auteur qui ne trouvait pas d'éditeur : Olivier Py ».



Je tiens entre mes mains l'édition de 2008 comportant la note suivante : « nouvelle édition revue et augmentée », qui précise que « ce volume est composé d'articles et d'éditoriaux commandés à Jean-Luc Lagarce par des théâtres et des revues. Il est établit dans l'ordre chronologique d'écriture des textes ».



D'emblée l'auteur nous met en garde, « se méfier de toutes les certitudes » (p. 7), car il se dévoile pudiquement lorsqu'il nous dit quand et comment il écrit, mais subsidiairement pourquoi aussi. Il évoque même la bibliothèque « mobile » et idéale en quelque sorte.



Il exhorte fort bien et fort à propos à « préserver les lieux de la création », car l'Art a une fonction vitale et tournée vers l'avenir dans la cité. Il prône le bruit contre le silence de l'impuissance et même « de temps à autre » le « hurlement salutaire » : « Le passé ne doit pas toujours être chuchoté ou marcher à pas feutrés. Nous avons le droit de faire du bruit. Nous devons conserver au centre de notre monde le lieu de nos incertitudes, le lieu de notre fragilité, de nos difficultés à dire et à entendre » (p. 17).



Avec lui et sa pudeur, il se sait déjà malade, on garde le sourire, et on dénonce au moins « l'incapacité à dire la vérité » « devant les bruits de la Guerre » (p. 40, celle de l'ex-Yougoslavie).



Nous sommes sans aucun doute en présence de textes essentiels, décharnés presque sur les fonctions du théâtre : « Dire aux autres, s'avancer dans la lumière et redire aux autres, une fois encore, la grâce suspendue de la rencontre, l'arrêt entre deux êtres, l'instant exact de l'amour, la douceur infinie de l'apaisement, tenter de dire à voix basse la pureté de la Mort à l'oeuvre, le refus de la peur, et le hurlement pourtant, soudain de la haine, le cri, notre panique et notre détresse d'enfant, et se cacher la tête entre les mains, et la lassitude des corps après le désir, la fatigue après la souffrance et l'épuisement après la terreur » (p. 41).



Cette idée du cri presque primal est à rapprocher du prologue de « Juste la fin du monde » (« pousser un grand et beau cri ») telle une offrande à la vie toujours et encore célébrée par le théâtre en lequel Jean-Luc Lagarce croyait de toutes ses forces.



La salle de théâtre est pour lui, je m'image, une maison pieuse où jouer (avec douce ironie) et créer des pièces est avant tout un acte de résistance et le luxe des « poètes du temps de la pauvreté ».



Dans « Dire ce refus de l'inquiétude » (« comme premier engagement », au sens du plus important très certainement), il fait un très beau et saisissant réquisitoire contre le trop grand attachement aux sources et aux prédécesseurs, opposé à une légèreté et une nécessaire et insouciante sincérité nous conduisant sur les chemins vers nous-même.



Je suis ravie d'avoir voulu prolonger la découverte du théâtre de Jean-Luc Lagarce par ce recueil mémorable plusieurs fois cité dans le dossier spécial « BAC : oeuvre prescrite » de « Juste la fin du monde ».
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Le pays lointain

Ce n'est pas comme si on allait au théâtre.

Ce n'est pas comme si on en lisait.

Ce n'est pas un texte testament.

Ce n'est pas pas la mise en scène des adieux.

Ce n'est pas un règlement de comptes.



Avec les autres. 

Avec la  vraie famille, celle qu'on subit. Et l'autre, celle qu'on choisit.

Avec soi-même , en fin de compte, les comptes.



C'est quelque chose  d'un peu tout ça, le Pays lointain.



Écrit en septembre 1995, pas vraiment achevé, puisque c'est la mort de Lagarce en  octobre 1995 qui s'est chargée de mettre le point final à  ce texte théâtral hors norme - 150 pages,  denses, tellement  écrites, tellement tâtonnantes, les phrases, à la recherche du mot, du mode, du ton  justes, et par là- même si prodigieusement exactes, les phrases, malgré ou du fait des rectifications successives, qu'elles créent ce phrasé répétitif, millimétré, cette petite musique qui n'appartient qu'à  lui, Lagarce -

enfin , n'appartenait, puisqu'il est mort, laissant la mort achever son dernier texte, mais ça je l'ai déjà dit, non, je crois que je l'ai dit. Je l'ai dit.



Louis revient, comme dans Juste la fin du monde, dire aux siens qu'il va mourir, mais non, pas comme ça,  plus comme ça,  cette fois, il est si loin, déjà, si effacé du monde des vivants, presque mort, en fait, pas encore mais presque, que l'écriture c'est sa perf'.



Alors il va changer  le jeu, parler de plus loin, tout se permettre.



Elle lui permet tout, l'écriture, elle lui permet, l'autorise- c'est le mot-,   elle l'autorise à  convoquer les tout à fait morts - son père, un jeune Amant, parti un peu avant lui, le presque mort , et quelques garçons, aussi - c'est un cimetière, les amours homosexuelles en 95- et à mêler les morts aux vivants, à faire se confronter dans l'imaginaire tout-puissant de l'écriture  théâtrale,  sa perf' à lui, faire s'affronter, se rejoindre, s'entendre,  même contre lui, sa famille réelle et celle qu'il s'est inventée, à Paris, loin de la ville natale, lointaine ville,  espèce de ville , où il a vécu, où il vivait. Où il ne reviendra plus jamais.



Et puisqu'on peut tout dire, désormais,  en distribuant les rôles -tous les guerriers, tous les garçons,  ont aussi leur mot à dire, même le guerrier d'une nuit, même le garçon qui s'est pendu, même le garçon fou-,  l'ami de Longue Date qui lui a sacrifié sa vie de couple, l'ami qui   l'accompagne pour ce dernier voyage, qui est à ses côtés, il a son mot à dire aussi, l'ami, c'est le moment, le dernier moment, et puisqu'il est avec lui - il l'est toujours, il l'accompagne- , ce sera plus facile de leur donner à tour de rôle la parole, à  tous, à l'ami de Longue Date, bien sûr,  et aux garcons morts, ceux qu'il a oubliés, celui qu'il a préféré -il leur dit à tous, qu'ils sont ses préférés, mais celui-là le croit, l'a cru-,  il faut leur donner à tous la parole,  au  frère caractériel, et blessé,   à la soeur admirative,  et furieuse, à la mère protectrice, et sans illusion,  leur donner toutes les  paroles , les leur ecrire, là , pour qu'enfin ils dressent le portrait de Louis, le portrait sans concession- ce n'est quand même pas une excuse de mourir bientôt, il les a toujours maintenus à distance, avec son petit sourire, son flegme, son absence, sa peur de s'engager, de donner, de promettre , il veut leur annoncer sa Mort, il ne pourra pas, maintenant il va falloir qu'il les entende- qu'il écoute leurs paroles avant qu'il ne puisse plus leur en écrire aucune.



Et sur la scène de l'Odéon, dans la mise en scene parfaite de Clement Hervieu-Léger, quatre heures, quatre heures comme ça,  sur le fil du rasoir, avec un texte incandescent un texte diabolique à dire - et à apprendre!- un texte qui vous fait des trous dans la peau, comme des balles, un texte qui vous scotche à son rythme comme une musique de Steve Reich ou de Philip Glass, un texte qui fait danser les corps sous l'aiguillon des mots, dans  un  ballet lancinant  comme le Rain de Anne Teresa de Keersmaker.



Quatre heures poignantes, cruelles, drôles,  tendres, méchantes.



Quatre heures de pur théâtre.



Mais aussi un pur texte à lire, d'une urgence, d'une pertinence, d'une vérité soufflantes.



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Juste la fin du monde

Il est là. Il est venu. Le fils le frère absent depuis de si longues années.

Il est venu pour leur dire qu’il est malade et qu’il va bientôt mourir. Mais de tout cela il ne parlera pas. Ni de ça ni de rien d’ailleurs. Les autres, son frère sa soeur sa mère et même sa belle-soeur, ne lui laisseront pas l’occasion d’évoquer l’histoire de son retour. Les reproches, les vieux souvenirs, les jalousies larvées vont prendre toute la place.

Un jour de retrouvailles mais aussi un jour de séparation définitive.



Il y a bien longtemps que je n’avais pas lu une pièce de théâtre et celle-ci fut une bonne pioche même si le contexte est d’une infinie lourdeur. Pas dans l’écriture, non, au contraire, les mots choisis sont exactement le reflet de cette situation familiale difficile, tendue, exacerbée par les non-dits. Les phrases sont courtes, claquantes. Les dialogues sont quasi-inexistants et font souvent place à de longues tirades. La communication familiale trouve difficilement son chemin. Non, la lourdeur vient des sentiments, d’une demande d’amour inconditionnelle, des vieux contentieux qui ne s’expriment pas, des places attribuées à chacun qu’il faut accepter de tenir... la tension monte, le départ du fils du frère est la faute originelle.



Même si le début de lecture m’a passablement ennuyée (retours à la ligne incessant, phrases coupées, redites), je me suis très vite laissée prendre par sa petite musique révélatrice et très observée des tensions familiales.

Merci Juline d’avoir partagé avec moi ce plaisir de lecture. Comme quoi, on peut avoir dix-sept ans et s’intéresser à autre chose mais aussi aux réseaux sociaux.

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Juste la fin du monde

C'est une pièce de théâtre trop triste pour moi, et pourtant, je vis pleinement ça avec une de mes filles : la non-communication familiale !

Louis, 34, après une longue absence, revient voir sa mère, son frère Antoine et sa sœur Suzanne, pour leur annoncer qu'il a une longue maladie fatale.

Seulement, assailli par les reproches d'abandon familial, il n'arrive pas à délivrer son message, et repart ainsi.

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Le style est pour moi, trop proche d'un langage verbal quotidien que je déteste et que nous évitons chez nous. Les interventions sont stressantes, avec un manque de sûreté des personnages, beaucoup de répétitions, une difficulté de délivrer un message ; on a envie de leur dire à tous : "Allez, accouche !"... Cependant Louis parait très calme au milieu de cette violence verbale. Il y a les reproches sur l'abandon familial de ce fils aîné, des doutes et beaucoup trop de questions carabinées auxquelles Louis, à qui on ne laisse pas le temps de répondre, préfère prendre l'attitude du taiseux.

Ils ne le connaissent pas, ne le connaissent plus, et la plus belle intervention, à mon avis, est celle d'Antoine à la fin, qui résume bien la situation et l'état d'esprit dans lequel ils sont tous.

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Je relève en vrac des thèmes familiaux que l'auteur, Jean-Luc Lagarce pointe : l'évaporation familiale, l'absence de communication, la peur des reproches, l'abandon, la violence des pensées mais aussi du verbal, l'impossibilité de parler de l'amour fraternel et familial, le manque de confiance, le manque de connaissance de l'autre, l'image donnée en décalage avec la réalité des membres de la famille, tout un pataquès pour un problème futile, ils sont tous à fleur de peau, ils se font du mal tout seuls, limite masochistes.

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Ce livre m'a mis mal à l'aise.

On ne peut pas oublier la dimension testamentaire ( autobiographique ? ) de Jean-Luc Lagarce, qui a attrapé le sida en 1988, écrit cette pièce en 1990, et est mort du sida en 1995. Les thèmes du "retour" et celui de la mort sont présents dans plusieurs de ses pièces.



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Juste la fin du monde

Juste la fin du monde est un texte de théâtre pas comme les autres.



J'avais vu il y a quelques années la pièce de Jean-Luc Lagarce au Français, dans une mise en scène de Michel Raskine que j'avais bien appréciée mais la représentation était trop lointaine pour chroniquer la pièce avec un minimum de précision.



Depuis que Xavier Dolan l'a adaptée au cinéma, chacun en connaît le sujet : un jeune homme malade, condamné, revient dans sa famille après des années d'absence, pour dire adieu à sa mère, son frère, sa soeur. Il repart sans leur avoir rien dit, mais après les avoir beaucoup écoutés, chacun étant enfermé dans sa solitude, reclus dans son propre monologue. Seule sa belle-soeur, qu'il n'a jamais vue auparavant, semble le comprendre et l'entendre un peu.



Mais les échos mitigés du film de Xavier Dolan m'étant parvenus- « du théâtre filmé, ennuyeux, statique »- ne m'ont pas donné envie de rafraîchir mes souvenirs en voyant l'adaptation cinématographique.





J'ai donc acheté et lu le texte –non sans quelque appréhension : j'avais fait la même chose après une excellente représentation des Prétendants de Lagarce à la Colline, et j'avais dû abandonner, la pièce s'avérant illisible sans une analyse scénique et une préparation de mise en scène.



J'ai donc lu le texte. Rien que le texte.



Pour la première fois, je n'ai pas eu le sentiment d'un texte orphelin de sa deuxième moitié, la mise en scène. Comme la lecture des pièces de Beckett, Juste la fin du monde se suffit à lui-même. Il dessine une partition, il fait entendre une langue, il invente une parole en train de naître qui, si on devait la jouer avec « naturel » casserait justement toute l'originalité de sa musique, détruirait toute la justesse de l'émotion.



La disposition graphique s'apparente à celle de la poésie : pleine de blancs, d'alinéas, de silences, qui rendent palpables la tension de ces « retrouvailles » familiales, la solitude des personnages, le vide des relations, le vertige des non-dits qui creuse chaque parole.



La parole elle-même est tâtonnante, elle se cherche entre les silences, hésite sur les temps verbaux, sur les pronoms, sur les mots : c'est une parole apeurée, qui peine à se mettre au monde, à se mettre à nu. Comme si elle cherchait obstinément à atteindre le mot juste, le nerf de l'émotion.



La syntaxe aussi est étonnante : la proposition principale est constamment parasitée, piratée par un afflux de petites incises qui interrompent, phagocytent, enrichissent ou noient l'idée directrice- mais celle-ci, têtue, enragée revient sans cesse à la charge et finit le plus souvent par faire mouche et par repêcher son propos dans la mer agitée ou confuse des émotions.



Les personnages ne se parlent pas, dans cette langue en gestation, dans cette langue chaotique : comme les semelles de plomb du scaphandrier, elle les entraîne tout au fond d'eux-mêmes, dans les abysses de leur jalousie, de leur frustration ou de leur panique. Ce sont des monologues qui se croisent, des arias solitaires, presque toujours terminés par la note soutenue d'un cri. A la fin de chaque monologue, le personnage hèle un absent, un muet, une rétive.



On découvre en lisant Juste la fin du monde une sorte d'opéra silencieux, dont la musique dissonante gronde en nous, comme une tempête intérieure.



Une musique magnifique de la discordance. Un poème de la débâcle et de la mort qui vient.



On l'entend si bien en nous, qu'on aurait presque peur de trahir la pièce en la mettant en jeu.



Juste la fin du monde est un texte à lire, à lire avant tout.





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Juste la fin du monde

" Comment préserveras-tu la langue de Lagarce ? " me demande-t-elle.

" C'est ce qui fait de ce texte quelque chose de pertinent et d'unique. En même temps, cette langue n'est pas cinématographique...Et si tu la perds, où est l'intérêt d'adapter Lagarce ? "

Mais je ne voulais pas la perdre. Au contraire, le défi pour moi était de la conserver, et la plus entière possible.



Cet échange rapporté par Xavier Dolan, le metteur en scène du film célébré, primé à Cannes et à la Cérémonie des César, - Juste la fin du monde -, adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite par Jean-Luc Lagarce, illustre parfaitement l'interrogation qui se pose et s'impose lorsque après avoir lu " le texte " de l'auteur et vu le film du cinéaste, on s'exclame " wouahou ! ", le coeur serré et les yeux mouillés ( ce fut mon cas ), en se demandant comment il a fait, lui, Xavier Dolan, et comment ils ont fait, " eux ", Gaspard Ulliel, Jean-Pierre Cassel, Nathalie Baye, Marion Cotillard et Léa Seydoux, pour coller aussi parfaitement à l'écriture de Lagarce, être dans une telle symbiose qu'ils ont chacun réussi à faire vivre chacun de ses mots, à les presser pour en faire ressortir la polycomplexité des émotions qu'ils recèlent.

J'avoue que j'ai été épaté par la performance d'acteurs de ces comédiens d'exception. Aucun ne m'a paru meilleur que les autres... Catherine-Marion Cotillard étant celle qui, d'entrée de jeu, nous restitue avec une virtuosité bluffante la puissance de cette langue que j'apparente un peu au tableau de Munch - Le cri - ; elle contient tant mais se heurte aux limites, la limite étant par définition ce qui ne se touche pas.



Ce serait faire injure à Jean-Luc Lagarce que de dire que Xavier Dolan est sinon le passage obligé du moins le passage conseillé ( pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lus ) pour être en mesure d'absorber la puissance de son écriture... j'ai failli dire sa langue...

Disons que ne croyant pas au hasard mais plutôt à l'indéfinissable rencontre fortuite des circonstances, je concède au hasard ( auquel je ne crois pas ) d'avoir bien fait " les choses ".

Donc, si Dolan mène à Lagarce, n'hésitez pas !



Cette pièce, c'est l'histoire du fils prodigue qui rentre à la maison après douze années d'absence pour annoncer aux siens avec lesquels il n'a gardé comme seuls liens au cours de toutes ces années que des cartes postales, ce trait d'union a minima, " cette politesse à bon marché ", qu'il va mourir.

Ce fils prodigue qui a pour prénom Louis, le prénom des rois de France, a trente-quatre ans et est écrivain.

Ce don qu'a l'écrivain de trouver les mots, de les faire parler, de leur faire dire, va être battu en brèche par la lucidité Camusienne :

" Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme ."

L'enfant roi va être confronté au cri, à la confusion des sentiments, à leur heure d'agitation sur la scène de ces pauvres comédiens que sont sa mère, son frère cadet Antoine, sa belle-soeur Catherine, sa jeune soeur Suzanne.

Ce dimanche de retrouvailles, censé signifier trêve, épiphanie, repos, va les éprouver dans leur amour prisonnier des rancoeurs, de la jalousie, des incertitudes, de sa pudeur, de ses fragilités... de leur être incapable de faire entendre ce cri existentiel, cette douleur originelle voués à l'inaudibilité des " Autres ", ces " Autres " abandonnés à leur propre cri, à leur propre douleur.

Ce huis clos va donner lieu à quatre face à face desquels ne ressortira au final que l'impossibilité de dire, le dire ramené à un état de quasi non-dire, car comprendre " les Autres, c'est pénétrer dans leur ineffable qui est incommunicable ".

Louis repartira sans avoir pu dire ce pour quoi il était venu.



La structure de la pièce permet le déroulé, le développement de ces retrouvailles et des fruits tombés qu'on ne peut remettre sur l'arbre.

L'écriture de Lagarce, unique, novatrice car libérée de beaucoup des conventions, des contraintes chères à " l'art oratoire ", met en évidence la difficulté qu'il y a à dire, à comprendre, à être compris.

Nous sommes hésitants, maladroits, faillibles par nos répétitions, nos fautes de grammaire.

Lagarce grâce à son écriture qui laisse place aux hésitations, aux maladresses, aux redites, aux mots qui ne sont pas les bons, aux verbes qui sont parfois mal conjugués offre " à ses personnages nageant dans cette mer de mots si agitée " l'occasion d'exprimer par ce faire tout ce dont ils sont les porteurs et que j'ai loué à travers le jeu tellement expressif, intense et troublant des comédiens qui ont participé au film de Dolan.



Le fils prodigue repart avec sa banale solitude ; après tout il n'était venu que parce que c'était JUSTE la fin du monde.



J'ai eu ces dernières semaines l'envie de lire quelques dramaturges du théâtre contemporain comme Joël Pommerat, Bernard-Marie Koltès, Alexandra Badea... à chaque fois je n'ai pas été déçu par ces rencontres.



Je n'éprouverais pas le besoin de répéter que la pièce de Jean-Luc Lagarce figure désormais au programme du bac de français si je ne voulais pas inciter les quelques ceux qui n'ont pas encore découvert cet auteur à le lire.











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Juste la fin du monde

Quand je participais au challenge Théâtre de Babelio, je m'étais promis de lire au moins une pièce de Jean-Luc Lagarce. En fait, j'ai jamais réussi, même en 2020, année où j'ai frôlé l'overdose de théâtre lu. J'avais le même problème avec Lagarce qu'avec Koltès (de façon générale, on peut dire que j'ai régulièrement quelques soucis avec le théâtre contemporain), à savoir que dès que je feuilletais une de ses pièces à la bibliothèque, je me disais : "Ouh la la non ça a l'air chiant comme tout". Je réessayais plus tard, et encore plus tard, et c'était toujours pareil. J'ai fini par décider que c'était tant pis pour Lagarce - et aussi tant pis pour Koltès, mais je me foutais un peu de Koltès. Alors que j'avais envie d'aimer le théâtre de Lagarce pour plusieurs raisons. 1ère raison : tout le monde dit que c'est un génie et j'ai pas envie d'avoir l'air plus bête que tout le monde. 2ème raison, probablement meilleure que la première : j'avais aimé voir sur scène Les règles du savoir-vivre dans la société moderne en 1995 . La dernière raison a plus à voir avec la personnalité de Jean-Luc Lagarce qu'avec son talent (quoique...), elle peut sembler extrêmement futile et je ne vais pas m'étendre dessus. De fait, j'avais prévu de vous raconter une anecdote pour en parler, or ça prendrait des plombes, donc je garde ça pour le jour où... Bon, ce sera pour un de ces jours, quoi (ou jamais). Sachez seulement que j'ai vu Lagarce clouer le bec à des spectateurs infects, et que lorsque je lis ou j'entends son nom, c'est à ça que je pense immédiatement - je reste encore admirative de son sens de la répartie et de l'argumentation. Quoiqu'il en soit, ce souvenir ne m'a jamais aidée à lire ses pièces.





Comme d'autres, c'est donc grâce à Xavier Dolan que j'en suis venue à la lecture de la pièce. Par hasard, il y a quelque temps, je tombe sur le film en ayant raté le début, je le regarde sans vraiment le regarder tout en me disant "Non, t'as pas vu le début, revois-le plus tard", bref, je prévois de le regarder sérieusement un autre jour, j'oublie plus ou moins, et je me réveille il y a quelques jours avec une chanson du film en tête et l'idée qu'il faut absolument que je le voie. Finalement, j'ai regardé ce jour-là Scènes de la vie conjugale (la vie prend constamment des détours inattendus). Mais j'avais toujours l'intention de regarder le film de Dolan. Ou de lire la pièce avant. Ou alors après. Ou avant. Ou après. Ou... Bref. Les dialogues de Dolan me semblaient beaucoup plus naturels que ceux de Lagarce et j'avais encore peur de m'attaquer au texte. Des contingences bassement matérielles ont tranché, j'ai (enfin!) emprunté la pièce, que j'ai (enfin!) lue dans la foulée. Et là, à ma surprise, c'est passé tout seul.





Pourtant, l'écriture de Jean-Luc Lagarce n'est pas très... comment dire ? Je cherche le mot juste, ce qui se trouve être un topos du théâtre de Lagarce... Son écriture n'est pas, au premier abord, agréable, engageante, plaisante (eh oui, j'ai encore mon dictionnaire des synonymes à portée de main). Bien au contraire, elle m'avait paru, au feuilletage, artificielle, pénible, voire prétentieuse. Et artificielle, elle l'est, avec l'utilisation de temps à autre du passé simple dans les dialogues (qui fait ça dans la vie ?), les retours à la ligne constants comme en poésie (qui parle comme s'il déclamait un poème, je vous le demande ?), ses phrases hachées, inachevées, ses parenthèses (est-ce qu'on utilise des parenthèses lorsqu'on parle ? je pense que oui, en y réfléchissant) et tout un tas de trucs dans le genre qui m'avaient hérissée au premier, au second, et encore au troisième coup d'oeil. Évidemment, un coup d'oeil, ou même trois, c'est nettement insuffisant et c'était peut-être bien ça mon problème. D'ailleurs, vous entendrez régulièrement dire "Ah, la langue de Lagarce, c'est superbe !" Cela dit, il se trouvera également toujours quelqu'un pour vous sortir à la fin d'une représentation médiocre du Menteur (qui n'est déjà pas la meilleure pièce de Corneille) : "Ah, quelle langue !" Comme si ça pouvait compenser une mise en scène dénuée de toute inventivité... On pourrait dire aussi que la langue de Paul Claudel est superbe, mais si on se fait chier en lisant Claudel, ça va pas nous avancer beaucoup. Passons. Donc, que la langue de Lagarce soit superbe ou non, on s'en fout. Que son écriture soit étudiée pour montrer que le langage est par essence artificiel, trompeur et entrave la communication, voilà qui nous emmène un peu plus loin.





Revenons-en donc à l'histoire très simple de Juste la fin du monde, même si vous la connaissez probablement. Louis, un jeune homme de 34 ans, n'a pas revu sa famille depuis douze ans, je crois, sans couper complètement les ponts mais en se contentant d'envoyer de temps à autre une carte postale à sa mère, à sa sœur Suzanne De 23 ans, ainsi qu'à son frère Antoine (de 2 ans son cadet) et à sa belle-soeur Catherine, qu'il n'a jamais rencontrée. Il sait qu'il va mourir quelques mois plus tard, et il décide sans trop savoir pourquoi d'aller les revoir une dernière fois. Et de leur dire qu'il va mourir. Jean-Luc Lagarce se savait atteint du sida deux ans avant l'écriture de cette pièce, il n'était pas encore sur le point de mourir à ce moment-là (il est mort en 1995), et il a imaginé avec Juste la fin du monde ce que pourraient être de toutes dernières retrouvailles en famille, avec leur lot de sentiments mal exprimés, d'affection maladroite, de disputes, de non-dits, de rancœurs, de souvenirs. Et ce qui paraissait relever d'une écriture artificielle révèle quelque chose de profondément naturel : les personnages reviennent sans cesse sur les mots qu'ils utilisent, à la recherche du mot juste qu'ils ne trouvent pas, mêlent un langage familier à un langage soutenu, parce qu'aucun des deux n'est vraiment le langage qu'il faudrait employer, se répètent, empêchent les autres de parler, monologuent à n'en plus finir, taisent ce qu'ils ont, soit envie de dire, soit peur de dire, voire les deux à la fois. Il y a des passages particulièrement significatifs. Catherine, par exemple, demande à Louis de ne rien lui dire, à elle, de ce qu'il aurait envie de dire à Antoine, mais de parler à Antoine directement. Ce à quoi Louis répond : "Je n'ai rien à dire ou ne pas dire, je ne vois pas.", alors qu'il est là pour, justement, dire quelque chose d'essentiel. Et quand Suzanne dit à Louis : "Ce que je veux dire c'est que tout va bien et que tu aurais eu tort, / en effet, / de t'inquiéter.", elle veut dire, à mon avis, à peu près l'inverse, soit quelque chose comme "Ça va pas, je ne vais pas bien, on ne va pas bien, tu nous manques, tu manques à tout le monde et t'es quand même un salaud de jamais t'être jamais soucié de nous pendant toutes ces années."





Au-delà de la question essentielle du langage, on remarque l'absence de didascalies qui donne l'impression que les mouvements des personnages sont plus ou moins confus (ce qui rend compte d'une situation elle-même confuse), on visualise, on devine seulement leurs allées et venues, on ressent l'agitation et le silence qui alternent. Les silences ne sont pas toujours évidents à détecter (contrairement à ce que met en avant le film de Dolan), l'agitation est quasiment constante, qu'elle prenne une forme grandiloquente ou moins démonstrative. Un seul bémol pour moi : la scène 10 de la première partie, où Louis est seul sur scène et déclame un long monologue sur la mort. Pour le coup, j'ai trouvé que ça tranchait avec le reste et que ça avait un côté effectivement artificiel.





Une belle découverte, donc, assez inattendue (je m'étais plus ou moins résignée à l'idée de ne pas aimer ce texte), écrite dans un style paradoxalement juste parce que révélateur - entre autres - de ce peuvent être les tensions familiales et les difficultés à communiquer.
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Juste la fin du monde

L'impossible devenir. Voilà la fin du monde. Le bout du chemin. Le lieu ? La famille. La cellule familiale. Le temps ? À jamais perdu. Puisque ce temps ne fut jamais trouvé à quoi bon le rechercher ?

On ne peut pas reformuler ce qui n'a pas d'existence. Famille, jeu de rôle, jeu de place, et pour finir jeu de hasard où les dés sont tous pensés avant même d'être rejetés. Fratrie sous la régence des cris, obscurs désirs de ce qui ne peut être dit. Bien sûr on s'aime. On s'aime c'est écrit. Le même nom, la même veine, la même chair, le même ventre. On s'aime bien sûr, promis, on se l'écrit. On s’apparente, on appartient à ce qui nous ressemble. Voilà l'oubli. On oublie que ce qui nous rassemble c'est ce qui nous lie. Ball trap, chausse- trape, jeu de massacre, famille je vous lis et vous délie.

Je te pense – tu m'imagines- je te réfléchis- tu me regardes – On se dira une autre vie.

On se ressemble, dis, c'est dingue. On se ressemble à s'y reprendre.

La pièce de Jean-Luc Lagarce c'est juste. Une tragédie.



Astrid Shriqui Garain

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Juste la fin du monde

"Juste le fin du monde" du dramaturge décédé trop jeune Jean-Luc Lagarce est un huis-clos familial qui commence dans une atmosphère de retrouvailles avant d'évoluer assez vite vers un déballage des non-dits trop longtemps mis sous le tapis dans le coeur de chacun des personnages.



Louis n'a pas revu les siens depuis douze ans et on ignore pourquoi. Dans le préambule, l'intermède et la conclusion qui structurent la pièce et articulent les deux parties, Louis prend la parole dans un soliloque aussi mystérieux que profondément perturbant tant ses paroles semblent trouver écho dans la tête du spectateur.



Louis retrouve sa mère - son père est décédé -, sa soeur Suzanne, son frère Antoine et la femme de ce dernier, Catherine, que Louis n'a jamais rencontrée. Le temps d'une journée en famille, Louis tentera de délivrer la vérité : il a trente-quatre ans et seulement quelques mois encore à vivre. Toutefois, lui qui arrive pensant maîtriser la situation va perdre le contrôle et ne parviendra qu'à être le réceptacle des impressions et des sentiments des autres, qu'ils retiennent depuis son départ, douze ans auparavant.



J'ai apprécié cette pièce intimiste qui sous des dehors de réunion de famille lambda prend une envergure universelle troublante. On sent l'inspiration du théâtre de l'absurde et pourtant on est dans le réalisme. C'est une pièce psychologique accessible - d'ailleurs elle était au programme du bac français cette année - qui se constitue moins de dialogues que d'une succession de monologues ; chaque personnage donnant l'impression de "crever l'abcès", de "vider son sac", bref, de révéler sa personnalité et ses émotions dans un moment de tension particulier.



Les relations parents-enfants et inter-fraternelles sont parfaitement décortiquées et étudiées et suscitent colère, compassion, exaspération, amusement chez le spectateur qui ne peut rester indifférent. Jamais sollicité comme juge, il n'en demeure pas moins emprisonné dans cette atmosphère tour à tour légère et oppressante.





Challenge RIQUIQUI 2022

Challenge XXème siècle 2022
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Les Prétendants

He bien s'il y a des livres qui pour les faire il faut avoir tous ses sens alertés, alors celui-ci en est un. L'auteur nous plonge dans un désordre de tirades avec une multitude de personnages, les dialogues s’enchevêtrent qu'à un moment on se perd dans la suite logique des propos. On est bien obligé de toujours s'accrocher aux noms des personnages et en même temps, à la seconde près réfléchir sur les liens des uns des autres et la ramifications de leur situation...ouf, c'est un exercice énorme!



Mais une fois qu'on avance dans la lecture, on se laisse aller par le jeu de Jean Luc Lagarce, on saisit la portée de cette ambiance qui démarque les différentes humeurs dans les rapports entre les personnages surtout pour les couples. En fait ce sont les retrouvailles des membres d'un centre culturel...en fait une réunion où l'ancien directeur doit laisser sa au nouveau directeur.



On assiste à l'arrivée des personnages au fur et à mesure, les choses s'installent de manière naturelle, un peu de frustration par là, un peu d’inquiétude par là... mais la vraie question que se pose chaque personnage est de savoir que serait sa place dans la nouvelle direction surtout M Später n'a pas été voté mais nommé simplement!



Une pièce agréable à lire!
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Nous, les héros : Version sans le père

Qui sont ces héros? Ce sont d'abord des personnes, des personnes qui savent incarner des héros: ce sont des comédiens. Dans les coulisses, pour les préparatifs d'un spectacles, les comédiens qui incarnent des personnages sont eux-mêmes des personnages, ils se racontent leur vie, évoquent des souvenirs, ils se font des calomnies, on dénoue peu à peu leur lien...ils sont quelque part les héros de leur vie...



Pour une première fois que je retrouve une pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce qui n'est pas assaisonnée des redondances à tout bout de champ, j'avoue que ça respire mieux
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Juste la fin du monde

Louis retourne voir sa famille après tant d'années d'éloignement. Il doit leur annoncer sa mort prochaine. Et les voilà tous ne se connaissant pas, avec leur non-dit, leur vie jamais croisée. Chacun y allant de sa tirade emplie de maladresse, de frustration, de ressentiment, d'amour raté. On sent la pesanteur, on sent l'absence. Tous recherchent le mot exact, et passent finalement à côté de l'essentiel. Les phrases sont excellemment bien faites pour dire, ou ne pas dire, ce que l'on comprend que trop bien : le mal-être ou comment trouver sa place dans un grand vide. Alors : dira ? Dira pas ? Un petit bijou de pièce de théâtre. Et le film, un chef d'oeuvre mais ça c'est une autre chronique ailleurs.
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Juste la fin du monde

Tel le fils prodigue, Louis (34 ans) revient dans sa famille, qu'il a quittée depuis de nombreuses années. Il y retrouve son frère cadet, Antoine (32 ans), sa belle soeur Catherine, sa mère (la soixantaine) et sa petite soeur, Suzanne. Souffrant d'une maladie incurable (vraisemblablement le sida), il est venu dans l'intention de leur annoncer sa mort prochaine. Malheureusement, les discussions tourneront court et Louis repartira tel qu'il était venu, gardant son funeste secret pour lui.



Les tensions latentes, les rivalités, les jalousies (en particulier entre les deux frères), les rancoeurs et les mesquineries vont surgir et mettront fin à tout dialogue. Tout le monde est à cran, sur la défensive voire dans l'agressivité. Chacun formule des reproches, rappelle des souvenirs anciens, parle aussi de choses insignifiantes pour fuir et éviter le face à face.

C'est violent et dérangeant. Quant au style de Jean-Luc Lagarce, il est en rapport. Un langage parlé familier, ordinaire souvent brutal avec beaucoup d'hésitations et de répétitions soulignant le malaise des différents interlocuteurs.



C'est grâce à Xavier Dolan que j'ai eu envie de lire le texte original de cette pièce de Jean-Luc Lagarce qui met le lecteur mal à l'aise. J'ai adoré et regardé plusieurs fois l'adaptation cinématographique que le metteur en scène canadien en a réalisée, avec une pléiade d'excellents acteurs dont le regretté Gaspard Ulliel qui joue le rôle de Louis. En lisant le texte de l'auteur, je n'ai pu m'empêcher de me remémorer le film et de mettre un visage sur chacun des personnages.



#Challenge Riquiqui 2023

#Challenge illimité des départements français en lectures (70 - Haute-Saône)
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Du luxe et de l'impuissance et autres textes

Plus connu, et surtout apprécié, comme metteur en scène qu'auteur, il fut invité à écrire des textes de présentation pour des saisons théâtrales et des articles pour des revues spécialisées.

Ce sont tous des textes très personnels, parlant beaucoup de disparition et d'acceptation de soi (comme beaucoup de ses pièces). Toutefois, 2 textes se détachent selon moi. Ils sont plus engagés, plus politiques et plus personnels que la plupart des autres textes du recueil : "Nous devons préserver les lieux de la création" et "Du luxe et de l'impuissance".

Le premier le touche directement, en tant qu'homme de l'art. C'est une prière, une exigence, pour conserver des lieux d'incertitude, d'entre-deux, loin des formatages et des carcans qui figent. Car ce qui fige tue et si l'on tue la création, que reste t-il ? Si l'imagination d'une société est bridée, brisée, que rien n'y entre plus, que devient-elle ? Il faut des lieux où l'on peut se projeter, inventer, expérimenter, être en mouvement : être du contrôle.

Le deuxième texte est plus personnel ; peut-être dicté en partie par la maladie ? La nécessité d'aller de l'avant, toujours et malgré tout ; aller vers les autres pour les connaître, les rencontrer. Pour conjurer la peur et les remercier de ce qu'ils apportent. C'est aussi dire la difficulté du travail d'auteur et de metteur en scène : dire le monde et les autres, dire le monde avec les autres.
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Juste la fin du monde

Louis, 34 ans, rend visite à sa famille, la première fois depuis dix ans. Pendant les années précédentes, il ne leur a envoyé que quelques cartes postales, sans dire grand-chose de sa vie. Ce retour, c’est pour Louis l’occasion d’annoncer à sa mère, son frère et sa sœur qu’il va bientôt mourir, car il est malade. Mais ce retour ne se passe pas vraiment comme prévu : il n’arrive pas à annoncer ce qu’il a envie de dire. Chacun, à tour de rôle, lui raconte la vie qu’il a vécu pendant son absence, et les reproches ne tardent pas à fuser. Louis, fatigué, désabusé, sent qu’il n’arrivera jamais à leur dire la terrible nouvelle, car ceux qu’on appelle ses proches ne sont pas prêts à entendre ce qu’il à dire.



Juste la fin du monde, écrit en 1990, est une des dernières pièces de Jean-Luc Lagarce. L’auteur a écrit cette histoire de famille et de maladie alors qu’il savait lui-même qu’il était condamné à moyen terme, car atteint du Sida. Cette pièce, sur la difficulté de communiquer des problèmes intimes dans le cadre familial, est un très beau texte, sombre et lumineux.



Cinq personnages parcourent la scène : Louis, sa mère, sa sœur Suzanne, son frère Antoine et sa belle-soeur Catherine. Rarement ces cinq personnages se retrouvent ensemble sur scène. Et lorsqu’ils se retrouvent, ils ne se parlent pas vraiment. Dans le texte, chaque personnage décrit lors d’un long monologue la manière dont il vit la situation, depuis le départ de Louis. Suzanne aurait voulu qu’il soit plus présent, Antoine lui reproche de lui avoir laissé gérer seul la vie avec leur mère. Entre Antoine et Louis, il y a une tension latente, un conflit larvé qui fait que leurs relations, malgré cette longue interruption, sont dures. Catherine essaie de raisonner son mari, mais elle n’y arrive pas vraiment.
Lien : http://livres-et-cin.over-bl..
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Juste la fin du monde

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu une pièce de théâtre. Pour me replonger dans ce genre, j’ai choisi un auteur contemporain, Jean-Luc Lagarce.

Le sujet n’est pas léger : Louis retourne dans sa famille pour leur annoncer sa mort prochaine. Une fois sur place, il n’y parviendra pas. Dans les échanges avec sa mère, sa sœur (qui ne connait de lui qu’une version mystifiée), sa belle-sœur dont il fait la connaissance, et son frère, on ressent la gêne, la colère, les reproches ou encore le renoncement. La parole est quasi ininterrompue, elle se libère après avoir été trop longtemps contenue, mais ce n’est pas la voix de Louis qu’on entend. La voix de Louis, on l’entend seule, quand il s’adresse à nous pour partager sa peur de la mort, la façon dont il l’aborde.

Le texte est touchant et j’aimerais avoir l’occasion de le voir incarné.

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Juste la fin du monde

Il y a une dizaine d'années qu'un couple d'amis comédiens m'avait offert cette pièce de théâtre, éditée chez Les Solitaires Intempestifs (http://www.solitairesintempestifs.com/), cadeau peu commun qui m'avait touché. J'en avais lu les trois ou quatre premières pages mais, déconcerté par le style, j'avais alors rangé le livre dans ma bibliothèque. Apprenant que Xavier Dolan, le jeune réalisateur québecois, avait basé son dernier film sur cette pièce, je me suis replongé dans cette lecture, toujours avec beaucoup de difficultés. Ce n'est qu'après avoir vu - et adoré - le film de Xavier Dolan que j'ai pu venir à bout de la pièce.

On y voit un homme d'une trentaine d'années, Louis, qui revient dans sa famille après dix ans d'absence, n'ayant entre temps envoyé que des cartes postales "elliptiques". Il a un jour quitté la famille pour aller dans la "grande ville" où il est devenu écrivain et auteur dramatique. A son retour, il retrouve sa mère et sa jeune sœur Suzanne qui vivent ensemble et son frère cadet Antoine ainsi que sa belle sœur Catherine (qu'il ne connaissait pas) qui, eux, vivent non loin de là. Louis est venu annoncer à sa famille qu'il va bientôt mourir mais il ne trouvera jamais le moment opportun pour leur faire cet aveu. Au cours de la courte journée que Louis va passer avec eux, chacun essaiera de lui dire ce qu'il n'a pu lui dire durant toutes ces années. Mais ces tentatives seront la plupart du temps avortées, car comme dit Antoine, "rien jamais ici ne se dit facilement". de fait, le langage est très souvent haché, les phrases restent en suspens ou sont répétées de façon légèrement différente, on bafouille, on s'emporte, on hésite sur la construction d'une phrase, un accord de temps ... et toutes ces hésitations ou ces exaspérations brouillent le message voire l'obscurcissent presque totalement. Mais au cœur de cette presqu'impossibilité de se confier, dans les silences qui s'installent ou dans les insultes qui fusent, quelque chose passe et si c'est difficile de parler ici d'amour, c'est tout sauf de l'indifférence.

Rien n'est dit (ou presque) sur les raisons qui ont poussé Louis à quitter le cercle familial mais j'ai imaginé que l'on pouvait aisément accoler à cette pièce le roman d'Edouard Louis (sic) : En finir avec Eddy Bellegueule, roman que j'ai lu cet été et que j'ai trouvé d'une force extraordinaire. Les styles de Lagarce et d'Edouard Louis sont bien-sûr très différents mais les histoires qu'ils racontent sont, je trouve, très complémentaires.

Bravo à Xavier Dolan de s'être emparé de cette pièce d'un accès difficile, de l'avoir si bien adaptée et d'avoir trouvé de magnifiques acteurs pour porter ces rôles (voir http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=237510.html).
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