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EAN : 9782912464620
44 pages
Les Solitaires Intempestifs (30/11/-1)
4.31/5   18 notes
Résumé :
Raconter le Monde, ma part misérable et infime du Monde, la part qui me revient, l'écrire et la mettre en scène, et construire à peine, une fois encore, l'éclair, la dureté, en dire avec lucidité l'évidence.
Montrer sur le théâtre la force exacte qui nous saisit parfois, cela, exactement cela, les hommes et les femmes tels qu'ils sont, la beauté et l'horreur de leurs échanges et la mélancolie aussitôt qui les prend lorsque cette beauté et cette horreur se per... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
C'est un livre très court (56 pages utiles, i.e. sans bibliographie et table des matière), mais très dense que nous proposent les éditions « Les Solitaires Intempestifs » dans la collection « Du désavantage du vent ».

Les Éditions « Les Solitaires Intempestifs » ont été créées en 1992 par Jean-Luc Lagarce lui-même et François Berreur « au sein du Théâtre de la Roulotte, compagnie de Jean-Luc Lagarce, pour publier un jeune auteur qui ne trouvait pas d'éditeur : Olivier Py ».

Je tiens entre mes mains l'édition de 2008 comportant la note suivante : « nouvelle édition revue et augmentée », qui précise que « ce volume est composé d'articles et d'éditoriaux commandés à Jean-Luc Lagarce par des théâtres et des revues. Il est établit dans l'ordre chronologique d'écriture des textes ».

D'emblée l'auteur nous met en garde, « se méfier de toutes les certitudes » (p. 7), car il se dévoile pudiquement lorsqu'il nous dit quand et comment il écrit, mais subsidiairement pourquoi aussi. Il évoque même la bibliothèque « mobile » et idéale en quelque sorte.

Il exhorte fort bien et fort à propos à « préserver les lieux de la création », car l'Art a une fonction vitale et tournée vers l'avenir dans la cité. Il prône le bruit contre le silence de l'impuissance et même « de temps à autre » le « hurlement salutaire » : « Le passé ne doit pas toujours être chuchoté ou marcher à pas feutrés. Nous avons le droit de faire du bruit. Nous devons conserver au centre de notre monde le lieu de nos incertitudes, le lieu de notre fragilité, de nos difficultés à dire et à entendre » (p. 17).

Avec lui et sa pudeur, il se sait déjà malade, on garde le sourire, et on dénonce au moins « l'incapacité à dire la vérité » « devant les bruits de la Guerre » (p. 40, celle de l'ex-Yougoslavie).

Nous sommes sans aucun doute en présence de textes essentiels, décharnés presque sur les fonctions du théâtre : « Dire aux autres, s'avancer dans la lumière et redire aux autres, une fois encore, la grâce suspendue de la rencontre, l'arrêt entre deux êtres, l'instant exact de l'amour, la douceur infinie de l'apaisement, tenter de dire à voix basse la pureté de la Mort à l'oeuvre, le refus de la peur, et le hurlement pourtant, soudain de la haine, le cri, notre panique et notre détresse d'enfant, et se cacher la tête entre les mains, et la lassitude des corps après le désir, la fatigue après la souffrance et l'épuisement après la terreur » (p. 41).

Cette idée du cri presque primal est à rapprocher du prologue de « Juste la fin du monde » (« pousser un grand et beau cri ») telle une offrande à la vie toujours et encore célébrée par le théâtre en lequel Jean-Luc Lagarce croyait de toutes ses forces.

La salle de théâtre est pour lui, je m'image, une maison pieuse où jouer (avec douce ironie) et créer des pièces est avant tout un acte de résistance et le luxe des « poètes du temps de la pauvreté ».

Dans « Dire ce refus de l'inquiétude » (« comme premier engagement », au sens du plus important très certainement), il fait un très beau et saisissant réquisitoire contre le trop grand attachement aux sources et aux prédécesseurs, opposé à une légèreté et une nécessaire et insouciante sincérité nous conduisant sur les chemins vers nous-même.

Je suis ravie d'avoir voulu prolonger la découverte du théâtre de Jean-Luc Lagarce par ce recueil mémorable plusieurs fois cité dans le dossier spécial « BAC : oeuvre prescrite » de « Juste la fin du monde ».
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Plus connu, et surtout apprécié, comme metteur en scène qu'auteur, il fut invité à écrire des textes de présentation pour des saisons théâtrales et des articles pour des revues spécialisées.
Ce sont tous des textes très personnels, parlant beaucoup de disparition et d'acceptation de soi (comme beaucoup de ses pièces). Toutefois, 2 textes se détachent selon moi. Ils sont plus engagés, plus politiques et plus personnels que la plupart des autres textes du recueil : "Nous devons préserver les lieux de la création" et "Du luxe et de l'impuissance".
Le premier le touche directement, en tant qu'homme de l'art. C'est une prière, une exigence, pour conserver des lieux d'incertitude, d'entre-deux, loin des formatages et des carcans qui figent. Car ce qui fige tue et si l'on tue la création, que reste t-il ? Si l'imagination d'une société est bridée, brisée, que rien n'y entre plus, que devient-elle ? Il faut des lieux où l'on peut se projeter, inventer, expérimenter, être en mouvement : être du contrôle.
Le deuxième texte est plus personnel ; peut-être dicté en partie par la maladie ? La nécessité d'aller de l'avant, toujours et malgré tout ; aller vers les autres pour les connaître, les rencontrer. Pour conjurer la peur et les remercier de ce qu'ils apportent. C'est aussi dire la difficulté du travail d'auteur et de metteur en scène : dire le monde et les autres, dire le monde avec les autres.
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Ce livre ne me quittera plus.
Éclats de l'écrit. Approbation de l'instant, conscience du chant, traversée des regards, rythme du souffle, palpitation de l'écoute. Les textes de Jean-Luc Lagarce sont denses, purs, Ils sont diamants de chairs, ciselure de sangs. Exigeants. Triomphants. Rassurants.
Ce livre ne me quitte plus.

Astrid Shriqui Garain
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Me mets plutôt au travail quand ça ne va pas très bien, quand ça va bien, quelle idée, on reste heureux, on s'occupe de ce bonheur-là, lorsque cela va moins bien, on se met au travail, ce que je dis, on essaie d'y voir clair. Quand on est totalement désespéré, on ne fait rien, on tente de se maintenir en vie.
Là, c'est juste l'entre-deux. La trace.

(p. 9)
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On peut écrire sans écrire, tricher, mais aussi rester là en silence, inutile ou impuissant. Quelque texte essentiel se construit dans la tête sans plus aucun désir de le voir sur papier, sans plus aucune force de le donner, ne serait-ce qu’à soi-même.

(p. 38)
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Nous devons préserver les lieux de la création.
Une société, une cité, une civilisation qui renonce à sa part d'imprévu, à sa marge, à ses atermoiements, à ses hésitations, à sa désinvolture, qui ne renonce jamais, ne serait-ce qu'un instant, à produire sans réfléchir,une société qui ne sourit plus, ne serait-ce qu'à peine, malgré le malheur et le désarroi, de ses propres inquiétudes et de ses solitudes, cette société-là est une société qui se contente d'elle-même, qui se livre tout entière à la contemplation morbide d'elle-même, qui se livre tout entière à la contemplation morbide et orgueilleuse de sa propre image, à la contemplation immobile de sa mensongère propre image. Elle nie ses erreurs, sa laideur et ses échecs, elle se les cache, elle se croit belle et parfaite, elle se ment. Et désormais avare et mesquine, la tête vide,les économies d'imagination faites, elle disparaît et s'engloutit, elle détruit la part de l'autre, qu'elle le refuse ou qu'elle l'admette, elle se noie et se réduit à son propre souvenir, l'idée qu'elle se fait d'elle-même. Elle est fière et triste, nourrie de son illusion, elle croit à son rayonnement, sans suite et sans descendance, sans future histoire et sans esprit. Elle est magnifique, elle le croit puisqu'elle le dit et reste seule à l'entendre. Elle est morte.
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Et désormais avare et mesquine, la tête vide, les économies d'imagination faites, elle [la société] disparaît et s'engloutit, elle détruit la part de l'autre, qu'elle le refuse ou l'admette, elle se noie et se réduit à son propre souvenir, l'idée qu'elle se fait d'elle-même. Elle est fière et triste, nourrie de son illusion, elle croit à son rayonnement, sans suite et sans descendance, sans future histoire et sans esprit. Elle est magnifique, elle le croit puisqu'elle le dit et reste seule à l'entendre. Elle est morte.
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Accepter de se regarder soi pour regarder le Monde, ne pas s'éloigner, se poser là au beau milieu de l'espace et du temps, oser chercher dans son esprit, dans son corps, les traces tous les autres hommes, admettre de les voir, prendre dans sa vie les deux ou trois infimes lueurs de vie de toutes les autres vies, accepter de connaître, au risque de détruire ses propres certitudes, chercher et refuser pourtant de trouver et aller démuni, dans le risque de l'incompréhension, dans le danger du quolibet ou de l'insulte, aller démuni, marcher sans inquiétude et dire ce refus de l'inquiétude, comme premier engagement.
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Quelle pièce de théâtre sur l'impossibilité de communiquer au sein d'une famille fut écrite par un écrivain atteint du sida et mort à 37 ans sans qu'aucun théâtre l'ait accepté ? Aujourd'hui, c'est un classique ?
« Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, c'est à lire en poche chez Etonnants classiques.
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