C'est un livre très court (56 pages utiles, i.e. sans bibliographie et table des matière), mais très dense que nous proposent les éditions « Les Solitaires Intempestifs » dans la collection « Du désavantage du vent ».
Les Éditions « Les Solitaires Intempestifs » ont été créées en 1992 par
Jean-Luc Lagarce lui-même et
François Berreur « au sein du Théâtre de la Roulotte, compagnie de
Jean-Luc Lagarce, pour publier un jeune auteur qui ne trouvait pas d'éditeur :
Olivier Py ».
Je tiens entre mes mains l'édition de 2008 comportant la note suivante : « nouvelle édition revue et augmentée », qui précise que « ce volume est composé d'articles et d'éditoriaux commandés à
Jean-Luc Lagarce par des
théâtres et des revues. Il est établit dans l'ordre chronologique d'écriture des textes ».
D'emblée l'auteur nous met en garde, « se méfier de toutes les certitudes » (p. 7), car il se dévoile pudiquement lorsqu'il nous dit quand et comment il écrit, mais subsidiairement pourquoi aussi. Il évoque même la bibliothèque « mobile » et idéale en quelque sorte.
Il exhorte fort bien et fort à propos à « préserver les lieux de la création », car l'Art a une fonction vitale et tournée vers l'avenir dans la cité. Il prône le bruit contre le silence de l'impuissance et même « de temps à autre » le « hurlement salutaire » : « Le passé ne doit pas toujours être chuchoté ou marcher à pas feutrés. Nous avons le droit de faire du bruit. Nous devons conserver au centre de notre monde le lieu de nos incertitudes, le lieu de notre fragilité, de nos difficultés à dire et à entendre » (p. 17).
Avec lui et sa pudeur, il se sait déjà malade, on garde le sourire, et on dénonce au moins « l'incapacité à dire la vérité » « devant les bruits de la Guerre » (p. 40, celle de l'ex-Yougoslavie).
Nous sommes sans aucun doute en présence de textes essentiels, décharnés presque sur les fonctions du théâtre : « Dire aux autres, s'avancer dans la lumière et redire aux autres, une fois encore, la grâce suspendue de la rencontre, l'arrêt entre deux êtres, l'instant exact de l'amour, la douceur infinie de l'apaisement, tenter de dire à voix basse la pureté de la Mort à l'oeuvre, le refus de la peur, et le hurlement pourtant, soudain de la haine, le cri, notre panique et notre détresse d'enfant, et se cacher la tête entre les mains, et la lassitude des corps après le désir, la fatigue après la souffrance et l'épuisement après la terreur » (p. 41).
Cette idée du cri presque primal est à rapprocher du prologue de «
Juste la fin du monde » (« pousser un grand et beau cri ») telle une offrande à la vie toujours et encore célébrée par le théâtre en lequel
Jean-Luc Lagarce croyait de toutes ses forces.
La salle de théâtre est pour lui, je m'image, une maison pieuse où jouer (avec douce ironie) et créer des pièces est avant tout un acte de résistance et le luxe des « poètes du temps de la pauvreté ».
Dans « Dire ce refus de l'inquiétude » (« comme premier engagement », au sens du plus important très certainement), il fait un très beau et saisissant réquisitoire contre le trop grand attachement aux sources et aux prédécesseurs, opposé à une légèreté et une nécessaire et insouciante sincérité nous conduisant sur les chemins vers nous-même.
Je suis ravie d'avoir voulu prolonger la découverte du théâtre de
Jean-Luc Lagarce par ce recueil mémorable plusieurs fois cité dans le dossier spécial « BAC : oeuvre prescrite » de «
Juste la fin du monde ».